M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Assassi, je vous remercie d’avoir sollicité ce débat, mais également d’en avoir présenté, dans votre propos introductif, le caractère à la fois douloureux et profondément, nécessairement fraternel et humain, ces deux aspects n’étant pas, en l’occurrence, incompatibles.

Je serai, si vous me le permettez, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plus prosaïque dans les éléments que je vous présenterai pour traduire la réalité de cette question des mineurs isolés, comme vous avez choisi de les appeler, madame la sénatrice, mais pour lesquels je reprendrai la terminologie plus habituelle de « mineurs non accompagnés », ou MNA.

Le contexte, de ce point de vue, a changé en quelques années. En 2013, le nombre de personnes qui se présentaient comme mineurs non accompagnés ne dépassait pas quelques milliers.

Or c’est devenu aujourd’hui une question majeure, qui exacerbe les attentes, légitimement fortes, de nombreux acteurs, notamment des départements, vis-à-vis du Gouvernement.

Les MNA relèvent de la protection de l’enfance. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant constitue le texte le plus important et le plus abouti sur le sujet. Surtout, elle donne un fondement légal à un dispositif, sur lequel je reviendrai dans quelques instants, de répartition des mineurs non accompagnés entre les différents départements de notre pays. C’est également une loi, je tiens à le réaffirmer au regard de vos propos, madame la sénatrice, qui vise à garantir à ces mineurs isolés, ou non accompagnés, les mêmes droits qu’à tout autre enfant présent sur le territoire. C’est bien le statut d’enfant qui prime toute autre considération en l’espèce, la difficulté tenant évidemment à la manière de déterminer la minorité de l’enfant.

Je citerai quelques chiffres, dans un premier temps, expliquant en partie les tensions que nous connaissons sur ce dispositif et qui sont ressenties sur l’ensemble du territoire.

L’augmentation du nombre d’arrivées a été extrêmement importante jusqu’à la fin de l’année dernière, avec une hausse très rapide à partir du mois de juin 2017. Ce fait a engendré de réelles difficultés pour répondre au besoin de mise à l’abri durant l’été ; il a également été à l’origine d’attentes plus longues pour la mise en œuvre du dispositif d’évaluation, ou encore pour les prises en charge effectuées à l’issue du dispositif d’orientation.

Du 1er janvier au 31 décembre 2017, le nombre de mineurs confiés aux départements par décision judiciaire s’est élevé à 14 908, soit 85 % d’augmentation par rapport à l’année 2016. Il s’agit à 95 % de garçons. Ces chiffres sont, évidemment, tout à fait importants. Ces mineurs étaient au nombre de 8 054, je le rappelle, durant l’année 2016.

Par ailleurs, 13 000 mineurs non accompagnés étaient pris en charge dans les services de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre 2016. À titre de comparaison, ils étaient 10 000 l’année précédente.

Je veux également insister sur un autre point : les chiffres que je viens de vous communiquer ne reflètent pas la réalité des mises à l’abri, du premier accueil en urgence des personnes qui se déclarent mineurs non accompagnés. En croisant les données des derniers rapports, notamment de Mme la sénatrice Doineau et de M. le sénateur Godefroy, de Mme la députée Bagarry, ainsi que les données de l’Agence de services et de paiement gérée par le ministère des solidarités et de la santé, le nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés et devant être mis à l’abri, puis évalués par les départements a atteint, cette année, 25 000.

Les chiffres sont donc extrêmement élevés.

Or si cet afflux massif de jeunes concerne désormais quasiment tout le territoire, certains départements sont cependant plus touchés que d’autres. Je pense aux départements du Nord et du Pas-de-Calais, où le Président de la République et moi-même étions hier et où la question a été soulevée de manière extrêmement aiguë, aux départements de l’Île-de-France, à ceux qui ont une zone portuaire à l’instar des Bouches-du-Rhône et, depuis quelques mois, à l’ensemble des départements de la zone alpine.

J’en viens au dispositif légal, dont je vous rappelle très simplement comment il fonctionne. Dès qu’un mineur non accompagné arrive sur notre territoire, il est mis à l’abri…

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … et évalué. À la suite de cette évaluation, c’est la deuxième phase, une décision de minorité ou de majorité est prise. Si la personne est déclarée mineure, et c’est la troisième phase, elle est prise en charge par les mécanismes de l’aide sociale à l’enfance. La gestion de ce dispositif relève actuellement de la compétence des départements.

Pour la troisième phase, la loi du 14 mars 2016 a conféré une base législative au mécanisme de répartition géographique des mineurs non accompagnés, afin que chaque département ait une charge équitable ou, en tout cas, des obligations équitables par rapport à ces mineurs. Malgré les difficultés que cela pose, je pense que nous pouvons nous féliciter de ce système.

Le code civil impose aux magistrats du parquet et aux juges des enfants de saisir la cellule nationale gérée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse qui va formuler une proposition d’orientation vers un autre département ou de maintien sur place en fonction de l’application d’une clé de répartition et, bien sûr, de la situation individuelle résultant des renseignements qui lui sont communiqués sur ce mineur. Le procureur de la République ou le juge des enfants prendra ensuite sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant.

Cette clé de répartition est calculée en fonction des données démographiques et tient compte pour partie du nombre de mineurs non accompagnés accueillis au 31 décembre de l’année précédente dans le département considéré.

En raison des difficultés actuelles, elle ne donne manifestement pas satisfaction à tous les présidents de département. Le président du département du Pas-de-Calais, où je me trouvais hier, nous a expressément demandé d’en revoir les critères pour tenir compte des singularités locales. En l’occurrence, pour le Pas-de-Calais, il s’agit évidemment de la présence de Calais et du nombre important de jeunes qui arrivent pour passer en Grande-Bretagne.

Quelles sont les difficultés rencontrées sur l’ensemble de ce dispositif ? À l’occasion du dernier comité de suivi, qui s’est tenu le 15 septembre dernier et que j’ai présidé avec ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, nous avons pris acte d’un certain nombre de problèmes et formulé des propositions.

Les difficultés tournent autour des points suivants, que j’énumère devant vous brièvement : la très forte augmentation du nombre de personnes qui se déclarent mineures ; la saturation totale des dispositifs de protection de l’enfance dont les départements ont la charge ; l’absence de mise à l’abri de plus en plus fréquente – je vous rejoins, madame la sénatrice – d’un certain nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés ; l’absence d’harmonisation des pratiques en matière d’évaluations de la minorité réalisées sur le territoire national – nous relevons des disparités dans les pratiques mises en œuvre par les différentes associations intervenant pour opérer ces évaluations et, par la suite, des disparités de prises en charge.

Face à ces difficultés réelles, les enjeux sont cruciaux. Il s’agit de fiabiliser et d’harmoniser les procédures d’évaluation, et surtout d’éviter les réévaluations de jeunes. En effet, un jeune évalué majeur dans un département va immédiatement se rendre dans un autre département pour tenter, ce que l’on peut humainement parfaitement comprendre, d’être réévalué comme mineur.

M. le président. Veuillez conclure, madame la garde des sceaux !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous prie de m’excuser, monsieur le président. J’en viens directement à ma conclusion.

Il est manifestement des difficultés auxquelles il nous faut porter remède. Le Président de la République s’est engagé, lors du conseil des ministres du 12 juillet dernier, à ce que la situation des mineurs non accompagnés soit de nouveau envisagée dans sa globalité. À la suite de cela, le Premier ministre a signé avec Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, une lettre de mission destinée aux corps d’inspection de l’administration de la justice et des affaires sanitaires et sociales pour que soit engagée une réflexion, notamment sur la phase d’évaluation, qui s’étend actuellement dans la durée, accroissant la charge des départements. Cette mission doit nous rendre ses conclusions dans quelques jours.

Sur la base des éléments qui nous seront proposés, sur lesquels je reviendrai dans quelques instants, nous devrons de nouveau établir un plan de prise en charge des mineurs non accompagnés. Je vous remercie, monsieur le président, et je vous présente mes excuses pour le dépassement de mon temps de parole. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Je vous remercie, madame la garde des sceaux. Vous aurez d’ailleurs l’occasion de vous rattraper en répondant plus rapidement au cours du débat. (Sourires.)

Débat interactif

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement pour un maximum de deux minutes.

Je vous demande de respecter strictement les temps de parole, afin que nous puissions nous rendre à la cérémonie des vœux du président du Sénat, à l’issue de la séance.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, ce lundi, dans un communiqué de presse, l’Assemblée des départements de France exprimait, une nouvelle fois, son inquiétude quant à l’absence de réponse de l’État sur la prise en charge des mineurs non accompagnés, et ce malgré les engagements du Premier ministre du mois d’octobre dernier.

En effet, l’État s’était engagé à prendre en charge l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineures entrant dans le dispositif jusqu’à ce que la minorité soit confirmée.

Il est temps que l’État prenne ses responsabilités et opte pour une attitude humaniste à l’égard des migrants mineurs qui traversent les mers, bien souvent à leur corps défendant. En vertu de l’article 20 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, ces enfants exilés ont « droit à une protection et une aide spéciales de l’État. » Le phénomène des mineurs qui deviennent majeurs au cours de la procédure d’évaluation entache profondément notre rôle d’assistance.

Alors que le ministère des solidarités et de la santé souhaite promouvoir une « logique d’investissement social » dans le cadre d’un plan de lutte contre la pauvreté des jeunes, il me paraît nécessaire d’élargir cette idée à la question des mineurs isolés, dont le sort ne peut être abandonné aux seules collectivités locales ou aux associations.

Dans la Sarthe, par exemple, leur prise en charge est en constante augmentation. Le département consacre près de 4 millions d’euros à la prise en charge des 171 mineurs recensés, et l’on assiste à la saturation des structures d’accueil disponibles, comme partout en France.

Au-delà de la question financière, primordiale, à l’appui de l’excellent rapport de mes collègues Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy, je souhaite aborder la problématique spécifique, mais essentielle, de la formation de ces mineurs après seize ans. De sérieux dysfonctionnements ont été constatés quant à la délivrance d’autorisations provisoires de travail nécessaires au suivi de formations professionnelles généralement dispensées par un centre de formation d’apprentis, ou CFA.

Ainsi, ma question porte sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour réaffirmer le droit inconditionnel des mineurs non accompagnés à obtenir une autorisation provisoire de travail et pour faciliter l’accès de ces jeunes à la formation professionnelle, qui est une des conditions sine qua non d’un parcours d’intégration réussi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Ma chère collègue, permettez-moi de vous souhaiter un bon anniversaire !

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je vous souhaite également un très bon anniversaire !

Si le Premier ministre a demandé la création d’une mission d’expertise, composée notamment de corps d’inspection de l’État, c’est bien parce que l’État entend reprendre à sa charge toute la phase d’évaluation et de mise à l’abri. Actuellement, il verse à ce titre aux départements une somme équivalant à 250 euros par jour, et ce dans la limite de cinq jours, soit un financement de 1 250 euros.

La mission d’inspection nous a remis un rapport d’étape. Une fois le rapport définitif publié, des mesures devront être prises. La réponse que vous attendez est donc imminente.

Puisque vous évoquez la question de la formation des mineurs non accompagnés, je mentionnerai la circulaire du 25 janvier 2016, qui rappelle le droit de chaque enfant vivant sur notre territoire à l’éducation jusqu’à l’âge de seize ans. Sa mise en œuvre a permis de limiter un certain nombre de situations de blocage, notamment pour les enfants qui ne pouvaient accéder à des formations professionnalisantes du fait d’un défaut de documents d’identité. Elle a clarifié les autorisations provisoires dont ceux-ci peuvent avoir besoin pour effectuer ce type de formations.

En principe, la circulaire devrait avoir levé les difficultés concrètes susceptibles d’apparaître. Je le répète, ces enfants, dès lors qu’ils sont déclarés mineurs, ont sur le territoire les mêmes droits que les enfants français.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les MNA, parce qu’ils sont âgés de moins de dix-huit ans et arrivent en France sans leurs parents, relèvent de la protection de l’enfance, compétence des départements.

Selon les estimations de l’ADF, leur nombre serait passé de 4 000 en 2010 à 25 000 en 2017 et attendrait plus de 40 000 en 2018. Cela pose un problème important, que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a choisi de mettre en avant aujourd’hui. Tous les départements sont désormais concernés et voient leurs capacités d’accueil et de financement arriver à saturation. Cette situation a un coût, qui s’est élevé pour eux à un milliard d’euros en 2016.

Les MNA sont, à 70 %, originaires d’Afrique. Certains migrent pour des raisons économiques, souvent dans le cadre de filières organisées, d’autres pour fuir des zones de conflit armé. Dans une maison d’enfants à caractère social – une MECS – que je connais bien, sur 72 pensionnaires, 44 sont africains, dont 27 arrivés en 2017, et les demandes explosent.

Toujours selon l’ADF, les départements ont dépensé 155 000 euros pour l’évaluation de l’âge, dont 10 % sont couverts par l’État. Vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le Gouvernement a décidé d’ouvrir une enveloppe supplémentaire.

Dans ce contexte, nous formulons quatre propositions.

Il importe, premièrement, d’établir des règles juridiques claires s’agissant de la détermination de l’état civil de ces jeunes par l’État.

Il convient, deuxièmement, de prévoir, au sein de chaque MECS et sans augmentation de la capacité d’accueil, la création d’une unité isolée de dix lits, pour prendre en charge non seulement les MNA présentant des troubles comportementaux consécutifs à leur parcours, souvent très éprouvant, sur le plan tant physique que psychique, mais aussi les mineurs difficiles. Y interviendraient des éducateurs volontaires spécialisés dans le cadre d’un environnement paramédical approprié. C’est à l’État qu’il reviendrait de prendre en charge le surcoût de telles unités, faute de quoi certaines MECS deviendraient ingérables.

Il s’agit, troisièmement, de revoir le financement de la formation professionnelle des MNA. Une fois devenu majeur, le jeune ne relève plus de la compétence du département, qui n’a plus au demeurant les finances nécessaires pour assurer sa prise en charge. Or il serait souhaitable que ce jeune puisse achever son année de formation. Dans ce cas, l’État devrait se substituer au département, ainsi que la région, qui en a la compétence.

Il faudrait, quatrièmement, simplifier l’obtention des titres de séjour pour les mineurs réfugiés, afin que ceux-ci puissent travailler dès leur majorité lorsqu’ils sont diplômés.

Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de l’intérêt que vous voudrez bien porter à l’examen de nos propositions.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, Agnès Buzyn et moi-même sommes particulièrement attentives à ces problématiques de prise en charge, notamment médicale et psychologique, des MNA, compte tenu, dirais-je, de leur valence émotionnelle.

Mme Assassi l’a fort justement rappelé, nombre de ces enfants ont subi, au travers de leurs pérégrinations pour parvenir jusqu’à notre territoire, des traumatismes bien réels, qui méritent d’être pris en charge. Je le répète, l’accès aux soins est inconditionnel, il n’y a aucun doute à ce sujet, surtout pour ces enfants. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies souligne ainsi que les enfants non accompagnés ou séparés bénéficient du même accès aux soins, aux services médicaux et de rééducation que les ressortissants français de leur âge.

Vous avez en outre évoqué les ruptures brutales qui pourraient intervenir parfois à de bien mauvais moments, citant l’exemple d’un jeune en cours de formation professionnelle qui, atteignant l’âge de dix-huit ans, en serait exclu. Nous sommes actuellement en train de travailler avec les départements sur un dispositif progressif qui sera intégré au futur plan que nous préparons. L’objectif est de permettre la continuité de la prise en charge de ces jeunes, au-delà de l’âge de dix-huit ans. D’ores et déjà, un certain nombre de départements ont mis en place un contrat jeune majeur, qui a cette finalité.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous le savons, la politique, c’est d’abord un combat sémantique. Et ce combat prend ici toute son ampleur lorsque le politiquement correct évoque des MNA, des mineurs non accompagnés, alors que la réalité voudrait qu’on les nomme des EMC, des étrangers mineurs clandestins. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Entre 2010 et la fin de 2016, leur nombre est passé de 4 000 à 13 000, pour dépasser les 25 000 à la fin de 2017 et atteindre, cela a été dit, 40 000 en 2018. Sans compter que ces chiffres restent largement sous-évalués puisqu’ils ne comptabilisent pas les jeunes dont les démarches sont en cours.

Le véritable scandale réside dans le fait que 70 % de ces jeunes clandestins sont en réalité majeurs.

Mme Éliane Assassi. Prouvez-le !

M. Stéphane Ravier. Les entretiens censés déterminer si une personne est mineure relèvent de la fumisterie. Or les mineurs, non soumis aux règles de séjour des étrangers, ne sont pas expulsables. Dont acte.

Une simple déclaration de leur part les rend éligibles à l’aide sociale à l’enfance et ce sont donc les conseils départementaux qui en assument la charge ; une charge qui aura représenté un milliard d’euros en 2016, 2 milliards en 2017. La prise en charge annuelle d’un mineur isolé étranger représente 60 000 euros par an.

Pour le département des Bouches-du-Rhône, le coût est de 20 millions d’euros pour les contribuables. Les clandestins peuvent, eux aussi, dire : « Merci Martine ! » (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. C’est honteux !

M. Stéphane Ravier. Pour un certain nombre de présidents de droite de conseil départemental, ce coût doit être supporté non plus par les départements, mais par l’État. Autrement dit, plutôt que de faire payer le contribuable, on fera payer… le contribuable. Voilà une belle idée, comme dirait Laurent Wauquiez.

Et c’est le Conseil de l’Europe qui nous met le coup de grâce, je le cite : « Les jeunes migrants ne doivent pas être soumis contre leur gré à des examens médicaux visant à déterminer leur âge, et doivent, en cas de doute, être considérés comme des mineurs. »

M. Stéphane Ravier. Cette présomption d’innocence constitue, de toute évidence, un nouvel appel d’air à l’immigration clandestine.

Nous devons rétablir les frontières, démanteler les filières de passeurs, utiliser tous les moyens adéquats pour savoir si ces clandestins sont mineurs ou pas, et enfin expulser les clandestins adultes.

Le problème est identifié et les mesures efficaces existent. La seule question, madame la ministre, est de savoir si vous aurez le courage de les appliquer.

M. Fabien Gay. Nous, nous avons eu le courage de vous écouter !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, entré en vigueur le 13 novembre 2015, a été prolongé par le Gouvernement jusqu’au 30 avril prochain.

Dans ce contexte, la frontière franco-italienne revêt une attention toute particulière. En 2017, 56 000 migrants y ont été interpellés, dont 47 000 dans les Alpes-Maritimes. Le quart de ces migrants sont des Soudanais et des ressortissants d’Afrique francophone : Ivoiriens, Maliens, Guinéens. Un nombre important d’entre eux a été repris par les autorités italiennes, dans le cadre de notre coopération bilatérale. Le récent déplacement du Président de la République a encore montré combien celle-ci est tout à fait déterminante pour faire respecter le cadre légal du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures.

Nous faisons en outre un effort tout particulier, notamment avec les services de police et de justice, pour lutter contre les filières de passeurs et le trafic illégal d’êtres humains. Les juridictions interrégionales spécialisées, très actives en la matière, ont toute leur pertinence.

Je rappellerai pour conclure que notre arsenal juridique se veut absolument respectueux de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. Aucune expulsion n’est possible une fois que l’enfant mineur est entré sur notre territoire. L’accueil est inconditionnel dans le cadre de la protection de l’enfance, sans considération de l’origine ni de la nationalité. Il est prévu un encadrement strict du recours aux tests osseux, assorti d’une présomption de minorité. Nous soutenons l’élaboration d’un référentiel pour harmoniser les pratiques d’évaluation de l’âge en garantissant à la fois un regard bienveillant et pluridisciplinaire.

Nous sommes donc à la fois très stricts et très vigilants sur les obligations légales et sur la coopération franco- italienne, tout en étant extrêmement attentifs à rester dans le cadre des conventions internationales auxquelles nous avons adhéré. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Madame la ministre, il était convenu que vous rendiez du temps de parole, pas que vous en preniez davantage. (Sourires.)

La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’accueil des étrangers en France fera prochainement l’objet de débats approfondis. Au sein de cette vaste question, les solutions à apporter aux limites du système actuel d’accueil des mineurs non accompagnés pourraient en particulier, me semble-t-il, faire l’objet d’un consensus minimal.

Au-delà des critiques externes qui se multiplient aujourd’hui, au sein de la Cour européenne des droits de l’homme, du Comité des droits de l’enfant de l’ONU ou de la part d’associations comme l’UNICEF, la situation sur notre sol d’errance administrative de ces jeunes, parfois encore des enfants, est contraire à plusieurs principes de notre droit : l’irresponsabilité des mineurs, leur droit à la scolarisation, à un hébergement et à l’accès aux soins.

En octobre dernier, le Premier ministre a déclaré que « l’État assumera l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineurs entrants […] jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée ».

Or, dans un récent rapport d’information sénatorial, Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy soulignent que le dispositif de l’ASE n’est pas dimensionné pour répondre à ces demandes de nouvelle nature et de nouvelle ampleur. Entre 2010 et 2015, le nombre de personnes demandant à bénéficier de l’ASE a été multiplié par 2,5.

Les cinq jours d’hébergement d’urgence remboursés pour l’évaluation de la minorité représentent une durée bien inférieure aux délais réels observés dans différents départements. Malgré la bonne volonté des conseils départementaux, certains jeunes se trouvent sans solution d’hébergement dans ce laps de temps, ce qui les expose à un risque d’exploitation par des réseaux de traite.

Madame la garde des sceaux, quelles sont, à ce stade, les pistes envisagées par le Gouvernement ? Ne serait-il pas possible de mettre en place des plateformes interterritoriales, financées par l’État, rassemblant des personnels dûment formés à ces problématiques particulières, permettant une meilleure prise en charge de ces personnes le temps de l’évaluation de minorité et avant la phase de répartition entre les départements ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous insistez sur l’afflux de mineurs non accompagnés auquel sont confrontés les départements, qui ne parviennent plus à prendre ces jeunes en charge. L’ensemble du Gouvernement s’est donc engagé à adopter des mesures financières en leur faveur.

D’ores et déjà est prévu un abondement du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, à hauteur de 6,5 millions d’euros, pour le remboursement de l’évaluation et de la mise à l’abri assumées par les départements. Nous avons également veillé à ce que les engagements pris par l’État en décembre 2016 soient tenus, c’est-à-dire qu’il rembourse aux départements 30 % du coût correspondant à la prise en charge, par les services de l’aide sociale à l’enfance, des MNA supplémentaires au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016. Voilà pour ce qui concerne les quelques aspects financiers, dont je sais bien qu’ils ne couvrent pas la réalité de la totalité des dépenses.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du prochain plan d’action en cours d’élaboration, nous réfléchissons à un certain nombre de dispositifs. En fonction de ce qui résultera des conclusions du rapport de la mission d’inspection que j’évoquais précédemment, la prise en charge promise par l’État du dispositif d’évaluation sera soit simplement assumée, soit totalement assurée ; rien n’est encore décidé.

Nous réfléchissons également à de nouveaux critères de répartition entre les départements et souhaitons nous pencher sur la participation financière de l’État à l’ensemble du dispositif, qu’il s’agisse d’accentuer le suivi médical, psychologique et éducatif du mineur, d’améliorer les dispositifs de sortie de l’ASE et, en parallèle, de continuer à lutter contre le trafic des migrants, même si cette dernière action relève plutôt du budget justice-police. Tout dépendra, bien sûr, des arbitrages qui seront rendus par le Gouvernement.