M. le président. La parole est à M. Gérard Poadja, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Guillaume Arnell et René Danesi applaudissent également.)

M. Gérard Poadja. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer longuement en commission et lors de la discussion générale sur le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis, je rappellerai simplement l’esprit et la lettre d’un texte fondateur pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France, dans ses relations avec notre pays : le préambule de l’accord de Nouméa. Un préambule qui éclaire le texte que nous examinons aujourd’hui.

On a su, au travers de ce préambule, mettre des mots sur les non-dits de notre histoire commune. On a su parler des « ombres et lumières » de la période coloniale pour reprendre la belle formule de l’accord. On a su reconnaître que le peuple kanak, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie était un peuple colonisé, qui avait été marginalisé aux frontières géographiques, économiques et politiques de son propre pays, selon le texte de l’accord. Un peuple dont l’identité a été niée dans ses fondements mêmes : ses langues, son lien à la terre, son rapport au temps et au monde. C’est pourquoi cette reconnaissance du fait colonial était indispensable.

Toutefois, une autre reconnaissance l’était tout autant : celle des populations qui, tout au long de la période coloniale, venues d’Asie, d’Océanie et d’Europe dans le cadre de la colonisation libre ou pénale, ont, au fil du temps, dans des conditions particulièrement difficiles, mis en valeur la Nouvelle-Calédonie et contribué à son développement.

Ces populations ont, là aussi, par leur participation à la construction du pays, acquis une légitimité à vivre en Nouvelle-Calédonie et à décider de son avenir.

Le texte que nous allons adopter aujourd’hui est la traduction politique et juridique du préambule de l’accord de Nouméa. Il apporte une définition ultime au corps électoral référendaire qui devra se prononcer dans quelques mois sur l’avenir de notre pays.

Ce texte contribue à la définition d’un peuple, le peuple calédonien, ce peuple de toutes les couleurs et de toutes les cultures, qui, par les hasards de l’histoire du monde, est en train de se construire dans une petite île du Pacifique en Mélanésie. Un peuple qui a appris à conjuguer populations autochtones et populations venues d’ailleurs.

Comme l’a souligné dans une belle formule le président du Sénat, notre collègue Gérard Larcher, lors de sa venue devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 23 février 2016 : « Depuis les accords de Matignon, les Calédoniens […] ont refusé que les visions divergentes de l’avenir se règlent par une partition, géographique ou ethnique. […] Mais l’unité du peuple calédonien a prévalu et s’incarne dans la citoyenneté inscrite dans la loi organique du 19 mars 1999. »

Oui, monsieur le président du Sénat, vous avez vu juste : malgré les difficultés, « l’unité du peuple calédonien » a toujours prévalu. Et je souhaite de tout mon cœur que, malgré les inévitables tensions, il en soit de même au lendemain du référendum, pour que les Calédoniens puissent continuer à construire leur destin commun, dans la France et dans la paix.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, avec qui j’ai eu le plaisir d’effectuer un déplacement en Nouvelle-Calédonie au début du mois de janvier dernier, mes chers collègues, permettez-moi de saluer tout particulièrement nos collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier et Gérard Poadja, ainsi que l’ensemble des sénateurs ultramarins, qui nous rappellent souvent que nous ne pensons pas assez à l’outre-mer.

Nous sommes amenés aujourd’hui à faire un travail législatif avec une grande modestie, car ce travail est issu des échanges avec le comité des signataires des accords de Nouméa et traduit le vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Nous voyons difficilement comment ne pas respecter ce projet dans la mesure où il paraît conforme à la Constitution, même s’il reviendra bien sûr au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, puisqu’il s’agit d’une loi organique.

Bien évidemment, le groupe socialiste et républicain votera ce texte, puisqu’il s’inscrit dans la logique mise en œuvre en 1988 par Michel Rocard.

Madame la ministre, le Premier ministre, dans son discours en Nouvelle-Calédonie le 5 décembre dernier, a salué Michel Rocard. Il s’est souvenu qu’il était adolescent lorsque ce dernier, en 1988, avait balisé le chemin et avait incarné la puissance et la noblesse de la politique. Les accords de Matignon ont vu le jour, suivis des accords de Nouméa, signés par le Premier ministre Lionel Jospin. Ils conduisent aujourd’hui l’État à organiser un référendum, dans le respect de ces accords, avant la fin de cette année.

Ce référendum doit permettre de répondre à l’attente des indépendantistes, qui ont souhaité la tenue d’un scrutin d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie. Comme l’a rappelé à l’instant notre collègue, le prologue de l’accord de Nouméa a souligné combien « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak, qu’elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie et leur raison de vivre ; de grandes souffrances en sont résultées.

« La décolonisation est aujourd’hui le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps. Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis, par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. »

C’est à eux, dans l’organisation de ce scrutin, de se prononcer sur leur avenir, sur leur destin commun, quel qu’il soit. L’important, et c’est l’objet de ce projet de loi organique, est que nul ne puisse dire ensuite que le scrutin était mal organisé, qu’il n’était pas sincère et que l’expression n’a pas été possible.

Les indépendantistes voulaient que soient inscrits d’office sur les listes électorales un certain nombre d’électeurs kanaks. Toutefois, il fallait prévoir aussi en contrepartie que des natifs de Nouvelle-Calédonie, mais non issus du peuple kanak puissent également voter. L’équilibre a été trouvé. Il fallait permettre aux électeurs des îles Loyauté de venir voter à Nouméa. Pour la première fois, des communes vont organiser sur le territoire d’une autre commune des bureaux de vote pour leurs ressortissants !

Il fallait également répondre à la question des procurations, ce que demandait le Congrès.

Madame la ministre, le Conseil d’État a cherché à vous décourager ; pourtant, comme nous l’avons constaté avec le président de la commission des lois, Philippe Bas, la demande est forte. Quoi qu’il en soit, vous avez su trouver les équilibres nécessaires. Vous avez déposé un amendement, que nous avons voté la semaine dernière, relatif à l’organisation de la campagne électorale, avec l’idée que des accords pourraient être trouvés entre les groupes politiques du Congrès.

Il s’agissait, là aussi, de faire confiance aux territoires, en conformité avec l’esprit qui prévaut depuis trente ans, grâce aux accords de Matignon et de Nouméa, et qui a permis des acquis incontestables, soulignés en 2014 dans le rapport de Sophie Joissains, de Jean-Pierre Sueur et de Catherine Tasca. Cet esprit a aussi permis des acquis importants sur la culture et la coutume kanake, un pouvoir très fortement décentralisé, une organisation très spécifique.

Mes chers collègues, ce référendum est une étape, mais il pourra être suivi, le cas échéant, si un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande, de deux autres référendums dans les deux années consécutives. C’est selon moi à ce moment-là que l’État devra se prononcer.

Si le référendum devait conclure au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, il nous faudra faire des propositions, notamment organisationnelles, s’inspirant de ce qui est en place aujourd’hui – c’est fondamental. Cela permettra sans doute aussi d’éviter les deux autres référendums, s’ils sont demandés ou s’ils étaient suscités.

Nous attendons donc beaucoup de toute cette logique, qui peut aujourd’hui nous paraître surprenante, mais qui a été convenue il y a vingt ans et qui doit à présent être respectée.

J’ai bien entendu ce que nous a dit Pierre Frogier la semaine dernière. Il s’agit de faire en sorte que le processus n’aboutisse pas à des conflits, et reste dans la paix et la construction.

Madame la ministre, j’ai tout à l’heure évoqué le Premier ministre. Il a reconnu que, grâce à Michel Rocard, en Nouvelle-Calédonie une forme politique, sans précédent dans l’histoire et sans équivalent dans le monde, avait été créée. Cette forme politique, dit-il, est « manifeste en Nouvelle-Calédonie ». Il ajoute : « Je pense en particulier à la nécessité des contrepoids et des équilibres entre les institutions ».

Cette force politique, cette capacité d’équilibre, de contrepoids entre les institutions, doit aussi fonder notre République. Si elle a permis depuis trente ans la paix en Nouvelle-Calédonie, j’espère, madame la ministre, que le Premier ministre saura s’en souvenir dans les réflexions actuelles sur la révision constitutionnelle : il faut préserver l’équilibre entre les institutions et l’existence de contrepoids ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat statue aujourd’hui sur un projet de loi essentiel, celui des modalités de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

La route a été longue et semée d’embûches. Trente ans après les accords de Matignon, vingt ans après les accords de Nouméa, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie nourrit encore de nombreuses interrogations, parfois même des tensions.

Depuis des années, la question du corps électoral de cette consultation perturbe le débat public. Les citoyens français vivant aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit l’origine de leur présence sur le sol calédonien, doivent pouvoir, dans des conditions indiscutables, participer à la consultation. C’est ce que prévoit le texte soumis à notre approbation en ouvrant le plus largement possible le corps électoral et en répondant aux particularismes géographiques de certaines communes.

Lors de la séance, à l’écoute de nouvelles propositions, le Gouvernement a proposé l’adoption de deux amendements inscrits dans le prolongement de ces mesures : un premier point concerne le remboursement des dépenses de campagne, pour assurer la transparence et la régularité des scrutins ; un second point concerne la répartition des temps d’antenne et d’intervention pendant la campagne, de manière qu’une stricte équité entre toutes les parties soit respectée, sous l’autorité du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Lorsque ce texte nous a été présenté, la semaine passée, les deux orateurs de notre groupe ont souligné le travail d’apaisement du Gouvernement, ce que l’on pourrait appeler la « méthode Philippe », très largement saluée.

Notre collègue Jérôme Bignon, membre du groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie créé sur l’initiative du président Gérard Larcher, a voulu saluer tout particulièrement le travail accompli par les acteurs locaux, notamment par nos collègues parlementaires calédoniens du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Notre collègue Jean-Louis Lagourgue, quant à lui, a souhaité rappeler l’équilibre fragile récemment établi. Il convient de penser dès à présent à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, quel que soit le résultat de cette consultation, afin que le dialogue puisse se poursuivre entre toutes les parties, dans un climat serein.

Penser l’avenir, c’est d’abord trouver ce qui unit la population calédonienne. Le sénateur Pierre Frogier, acteur historique de ces débats, a plusieurs fois évoqué l’éventualité de la tenue de « palabres à l’océanienne », sortes d’états généraux de l’avenir calédonien, rassemblant l’ensemble des forces politiques et la population locale.

Le Gouvernement a montré sa disponibilité et sa responsabilité dans ce dossier, en prêtant l’oreille aux revendications de l’ensemble des acteurs du processus, en dépit de la grande complexité des sujets.

Penser l’avenir, c’est ensuite continuer de prévoir : prévoir l’avenir économique, industriel et social de la Nouvelle-Calédonie. Plusieurs fois, la question de l’industrie du nickel a été évoquée dans ces débats. Il est donc nécessaire qu’une feuille de route soit rapidement dressée, ainsi que le comité des signataires l’a souligné au mois de novembre 2017.

Ce projet de loi, mes chers collègues, c’est la première pierre de la fondation sur laquelle bâtir la Nouvelle-Calédonie de demain. Une grande partie de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui en proie à des difficultés d’emploi et de santé. Il faut envisager des mesures sérieuses d’accompagnement. Tout est à construire : une école plus inclusive, donnant sa chance à chacun ; une société plus tolérante et moins sujette aux addictions et aux violences ; une diminution de la criminalité ; enfin, une hausse de l’emploi.

Tendons la main, soyons à l’écoute de la volonté des Calédoniennes et des Calédoniens. Donnons-leur la chance de pouvoir s’exprimer dans une consultation d’ampleur inédite et soyons respectueux de leur choix, car l’avenir heureux ne peut se bâtir que dans le respect mutuel des uns et des autres.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte, car il offre les garanties d’une consultation ouverte, démocratique et transparente, appuyée sur un corps électoral respecté où chacun trouve sa place et peut s’exprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Ouverture du scrutin public solennel

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, dans le texte de la commission, modifié.

Ce scrutin de droit, en application de l’article 59 du règlement, sera ouvert dans quelques instants. Il aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Jacky Deromedi, Guy-Dominique Kennel et Victorin Lurel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l’adoption 344

(Exclamations.)

Contre 2

(Nouvelles exclamations.)

Le Sénat a adopté le projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur la quasi-totalité des travées.)

La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur et président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi organique, voté à la quasi-unanimité, est un message fort envoyé à la Nouvelle-Calédonie.

Je tiens à vous remercier pour l’engagement du Sénat et le travail accompli. À l’occasion de nos échanges, vous avez réussi à améliorer le texte sans remettre en cause l’équilibre politique qui avait été décidé lors du comité des signataires de novembre dernier. C’est toujours un exercice difficile ; encore une fois, merci beaucoup.

Ce texte sera examiné au mois de mars par l’Assemblée nationale, où j’espère qu’il bénéficiera du même soutien que celui qu’il a reçu au Sénat. Vous savez combien ce rendez-vous de l’année 2018 est important pour la Nouvelle-Calédonie et qu’il s’agit d’une priorité de ce gouvernement.

J’ai effectué mon premier déplacement en tant que ministre en Nouvelle-Calédonie. D’autres visites ont été programmées, comme celle du Premier ministre. Nous continuons à travailler avec l’ensemble de ceux qui, sur le territoire, souhaitent œuvrer au quotidien à nos côtés.

J’invite tous ceux qui ne nous ont pas encore rejoints à le faire car, je suis d’accord avec vous tous, c’est ensemble que nous bâtirons un projet pour les Calédoniennes et les Calédoniens qui soit à la hauteur de l’enjeu.

Je vous remercie pour votre confiance. C’est la confiance de la Nation qui s’est exprimée aujourd’hui au travers de votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et des travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Merci, madame la ministre.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

M. Victorin Lurel.

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie
 

4

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

J’invite chacun à être attentif au temps de parole et – ai-je vraiment besoin de le rappeler ? – à la courtoisie.

rapport taché sur les migrations européennes

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

Je souhaite évoquer la crise migratoire à laquelle doit faire face l’Europe, et notamment la France. C’est un sujet de préoccupation majeur qui cristallise les passions et les peurs.

Dans plusieurs États européens, les questions de l’identité et du contrôle des frontières redeviennent centrales et font l’objet de toutes les instrumentalisations. Attisé par la crise migratoire, l’euroscepticisme gagne partout du terrain et pas seulement en Europe centrale et orientale, ce qui, de mon point de vue, n’est pas une bonne chose.

Nous connaissons les conditions de l’accord avec la Turquie, qui a certes sclérosé les flux de Méditerranée orientale, mais d’autres voies d’arrivée demeurent. Et ils sont encore des centaines de milliers de migrants, notamment en Libye, vivant dans des conditions inhumaines, livrés aux trafiquants.

Le Président Macron qui, durant sa campagne, pour des raisons électorales, avait donné des gages à son camp sur les questions migratoires semble opérer aujourd’hui un retour au réalisme en souhaitant – enfin – clairement distinguer le cas des demandeurs d’asile de celui des migrants économiques.

Pourtant, lors d’une récente rencontre à Bruxelles, j’ai entendu des officiels de haut niveau de la Commission m’expliquer que, face à un phénomène historique auquel l’Union européenne ne pouvait se soustraire et, par ailleurs, totalement bénéfique pour combler une natalité européenne en berne, il était impératif de se montrer souples et d’accueillir le plus grand nombre.

Dès lors, que pèsera la position française face à cette vision irresponsable qui semble se dessiner à Bruxelles ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Allizard, la question que vous posez porte sur un sujet grave.

Lorsque nous regardons l’évolution des flux migratoires en Europe, nous nous apercevons qu’en l’espace d’un an – l’année 2017 –, les flux migratoires ont diminué de moitié. En revanche, sur le territoire français, les demandes d’asile ont augmenté de 17 %, atteignant le chiffre de 100 000. Par ailleurs, nous avons empêché d’entrer sur le territoire 85 000 personnes.

Oui, ce sujet est important ; c’est la raison pour laquelle je présenterai demain en conseil des ministres un projet de loi sur l’asile et l’immigration.

La ligne est claire : être capables d’accueillir celles et ceux qui peuvent bénéficier de l’asile parce qu’ils sont victimes de persécutions dans leur territoire, dans leur pays, pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques, et être aussi capables, en même temps, de leur donner un avenir dans notre pays, de ne pas les laisser se marginaliser – c’est tout l’objet du rapport Taché –, tout en faisant montre d’une certaine fermeté.

Pour vous donner quelques éléments d’analyse, si l’on compare le chiffre des éloignements auxquels il a été procédé en janvier de cette année à celui du mois de janvier 2017, on constate que les éloignements ont augmenté de 22 %.

Nous voulons nous aligner sur le droit de nos amis allemands, néerlandais et italiens, afin d’avoir un système européen d’asile qui soit le plus commun possible. (Mme Patricia Schillinger et M. André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.

M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre d’État, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, lors de mon récent déplacement à Molenbeek, commune censée illustrer le « modèle » approuvé par les autorités européennes, j’ai plutôt vu le communautarisme, la pauvreté, c’est-à-dire tous les ingrédients de la désintégration sociale.

Entre inefficacité et angélisme, il me semble que l’Union européenne met elle-même en place les conditions d’une défiance à son égard, dont je crains qu’elle ne soit difficile à arrêter. C’est regrettable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti et Claude Kern applaudissent également.)

assurance chômage et retraite des professions agricoles

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Janssens. Monsieur le président, madame la ministre du travail, mes chers collègues, lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à réformer l’assurance chômage, promettant la mise en place d’une indemnisation universelle pour les démissionnaires et les indépendants. Nous attendons les conclusions des négociations entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, et nous discuterons ensuite du projet de loi.

Je m’inquiète, madame la ministre, de la prise en compte de la situation particulière des agriculteurs dans l’élaboration de vos futures réformes.

Chaque semaine, plus de 200 exploitations disparaissent en France. Que deviennent les agriculteurs contraints d’abandonner leur activité ? Ils sont la plupart du temps démunis et sans perspectives.

La semaine prochaine, toute la France agricole sera réunie à Paris.

Cette France doute, madame la ministre. Son activité est remise en cause par les conséquences des traités CETA et MERCOSUR, par le reclassement des zones défavorisées simples, par les crises sanitaires à répétition et par la préparation de l’après-PAC 2020.

Le rôle de l’État est de protéger les hommes et les femmes qui exercent ce métier difficile et ô combien essentiel.

Qu’en est-il lorsque, malgré tous leurs efforts, ils doivent se résigner à abandonner une exploitation souvent familiale depuis plusieurs générations ? Il faut les accompagner, leur permettre de se reconvertir, leur redonner de l’espoir.

Vous défendez les évolutions économiques et les mutations professionnelles. Vous devez aussi protéger les agriculteurs.

Madame la ministre, comment comptez-vous répondre à cette urgence sociale ? Comment la situation des agriculteurs sera-t-elle prise en compte dans vos futures réformes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Jean-Marie Janssens, vous l’avez dit, la question se pose de la protection, et notamment de l’assurance chômage, du filet de sécurité pour les agriculteurs.

Aujourd’hui, les agriculteurs qui exercent leur activité sous le statut de travailleur indépendant ne bénéficient pas d’une protection universelle, générale, contre le risque de chômage lié à la cessation de leur activité.

Selon les dernières données de l’INSEE relatives aux défaillances des exploitations agricoles, les liquidations, redressements judiciaires et placements en sauvegarde ont continué d’augmenter en 2017 dans ce secteur, tandis que le risque de défaillance diminue pour les autres entreprises françaises. Ont été répertoriées 1 281 défaillances d’entreprises agricoles au cours des douze derniers mois, ce qui représente une augmentation de 6,7 % par rapport à l’année précédente. Le phénomène est donc important, et il faut le traiter.

Dans ce contexte en outre, au vu de ce risque, beaucoup de jeunes hésitent à créer ou à reprendre une exploitation agricole. Or, nous en sommes d’accord, les agriculteurs ne sont pas seulement les garants de notre indépendance alimentaire ; ils sont aussi essentiels pour la sauvegarde et le développement de nos territoires et de nos paysages. Nous leur devons donc des garanties nouvelles, afin de leur permettre de gérer les difficultés actuelles, mais aussi celles à venir.

Le Président de la République s’est engagé, en application de son programme, à ouvrir le bénéfice de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, ce qui inclut donc les agriculteurs. L’objectif est de protéger ceux qui s’engagent de façon entrepreneuriale dans une activité non salariée.

Une chose est sûre : nous n’augmenterons pas les cotisations des travailleurs indépendants puisqu’ils contribuent désormais au régime d’assurance chômage à travers la contribution sociale généralisée, la CSG. Dans cette perspective, j’attends les propositions des partenaires sociaux, qui sont en cours de négociation.

Sur ce sujet, l’État a bien sûr l’intention d’agir pour la protection en assurance chômage des travailleurs indépendants, et notamment des agriculteurs. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche.)

situation politique et sociale en guyane