M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que je devrai suspendre la séance à dix-huit heures quarante, la conférence des présidents se réunissant à dix-huit heures quarante-cinq.

Il y a huit orateurs inscrits dans la discussion générale ; viendra ensuite l’examen de la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission. Je demande à chacun de respecter strictement son temps de parole, afin que nous puissions achever l’examen de ce texte avant la suspension de la séance.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « le bien-être présent dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens : ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel ». C’est ainsi que le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, établi en 2008, définissait le « bien-être présent », qu’il distinguait de la soutenabilité.

Depuis la publication de ce rapport commandé par le président Sarkozy et destiné à améliorer la mesure des performances économiques et du progrès social, peu d’initiatives législatives ont visé explicitement à mettre en œuvre ses recommandations. Elles s’adressaient en effet en premier lieu aux instituts produisant les statistiques à partir desquelles sont construites nos politiques publiques, ainsi qu’à la communauté scientifique, afin que soit mieux prise en compte la pluridimensionnalité du bien-être.

Il est important de le souligner, les auteurs du rapport, tous d’éminents membres de la communauté des chercheurs, avaient conscience d’ouvrir un long débat, destiné à « aborder les valeurs sociétales auxquelles nous attachons du prix et déterminer dans quelle mesure nous agissons réellement en faveur de ce qui importe ». Ces préconisations continuent donc de faire leur chemin : le Parlement s’est récemment saisi de la question, en adoptant la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

Dans le même temps, la position de la France dans le classement mondial établi par le PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement, à partir de l’indicateur de développement humain s’est dégradée : entre 1995 et 2016, la France est passée de la huitième à la vingt et unième place. La valeur absolue de l’indice calculé par le PNUD s’est également affaiblie, passant de 0,93 à 0,89.

C’est à juste titre que les auteurs de cette proposition de loi cherchent à prolonger le débat ouvert en 2008, même si les évolutions suggérées ne nous paraissent pas totalement satisfaisantes.

Tout d’abord, le rapporteur a rappelé l’échec des précédents organes parlementaires dédiés à l’évaluation des politiques publiques, avec les suppressions successives de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques et de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, en 2000 et en 2009. La création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, à la composition certes innovante, semble viser à ressusciter ces offices, sans que rien permette de penser qu’il ne subirait pas le même sort.

Les autres dispositions, plus anecdotiques, tendent à institutionnaliser une évaluation, tous les trois ans, de la pertinence des indicateurs de richesse existants et à permettre la production de contre-expertises au rapport publié au moment de l’examen de la loi de finances, en application de la loi de 2015 déjà citée.

Ces dispositions ont le mérite de souligner que la prise en compte d’autres indicateurs que le PIB doit être constamment recherchée, tout au long de la chaîne d’élaboration de nos politiques publiques. Elles passent cependant à côté du problème central, à savoir le déficit d’intégration de critères qualitatifs de croissance lors des arbitrages politiques et budgétaires.

Cela s’explique par différents facteurs : le temps qu’il faut pour qu’un changement de paradigme innerve l’ensemble de la chaîne des acteurs, en premier lieu, mais aussi la remise en cause régulière des nouveaux indicateurs de bien-être. Certains se sont par exemple étonnés que, en 2017, l’indice de développement humain de la Libye, alors en guerre, tel que calculé par le PNUD, ait été supérieur à celui du Maroc…

Afin d’accroître l’influence des nouveaux indicateurs de bien-être proposés dans le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, il aurait été intéressant de les intégrer à la liste des éléments devant figurer dans les études d’impact prévue à l’article 8 de la loi du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Une autre piste à explorer serait le renforcement des liens entre le monde universitaire et les personnes chargées d’élaborer les politiques publiques françaises et européennes. De nombreux chercheurs français se distinguent sur la scène scientifique internationale dans des domaines concernés par les recommandations de la commission Stiglitz, qu’il s’agisse de l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, de l’évaluation des inégalités, de la prise en compte des activités non marchandes ou encore de l’évaluation de la soutenabilité. Il serait utile de réfléchir à des mécanismes qui permettraient de mieux tenir compte de l’ensemble des résultats de leurs recherches, au-delà des analyses produites par les chercheurs d’instances telles que le Conseil d’analyse économique.

Enfin, la présence de pays à faible densité de population comme la Norvège et le Canada en tête des classements mesurant le bien-être me conduit à penser que cette dimension devrait également être mieux prise en compte en France, dans le cadre de notre politique d’aménagement du territoire. Trop souvent, le mal-être lié aux grandes concentrations de population est sous-estimé dans nos politiques publiques.

Malgré tout l’intérêt du sujet abordé au travers de cette proposition de loi, et dans l’attente de réflexions à venir sur les thèmes que je viens d’évoquer, le groupe du RDSE votera la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2008, le gouvernement français sollicitait la création de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dans un contexte de remise en cause croissante de la pertinence des indicateurs de performance économique et de progrès social existants.

Cette commission, présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, était chargée de déterminer les limites de l’utilisation du PIB comme indicateur de performance économique et de progrès social.

De fait, il s’agissait d’une critique formelle de l’utilisation du PIB en tant qu’instrument de mesure central de la « richesse des nations ». Ainsi, dans son rapport final, la commission concluait que « l’adéquation des instruments actuels de mesure des performances économiques, notamment de ceux qui reposent uniquement sur le PIB, pose problème depuis longtemps ». Elle élargissait le champ de la notion de « bien-être présent » à des éléments non économiques.

Devant un tel constat, certaines initiatives ont visé à mettre en place des indicateurs et des instruments de mesure économiques, sociaux, environnementaux ou culturels plus pertinents. Ces « nouveaux indicateurs de prospérité » se sont ainsi multipliés aux échelles locale, nationale et internationale.

En 2012, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Rio+20 », a été l’occasion pour l’ONU de proposer un indice de richesse globale, « PIB vert » intégrant un « capital naturel » au PIB classique.

De son côté, la France a adopté en 2015 la loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, sur l’initiative de notre collègue députée Éva Sas. Cette loi prévoyait la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de qualité de vie et de développement durable pour l’élaboration des décisions publiques, en sus d’instruments de mesure de la production tels que le produit intérieur brut. Dans cette optique, elle impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel présentant l’évolution, à moyen terme, de ces indicateurs de qualité de vie et de développement durable.

C’est dans la continuité de ces différentes initiatives que s’inscrit la proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé. Elle vise notamment à favoriser l’utilisation et l’appropriation par nos concitoyens de nouveaux indicateurs de richesse.

Ce texte comporte trois articles.

L’article 1er vise à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être comprenant dix-huit sénateurs et dix-huit députés. Cette délégation parlementaire serait appuyée par un comité scientifique composé d’universitaires et de représentants d’organismes publics et indépendants. Elle devrait organiser de façon annuelle une conférence « citoyenne » – adjectif galvaudé à force d’être utilisé à tout propos – sur l’état des inégalités en France.

L’article 2 prévoit que le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être présente tous les trois ans un rapport – un de plus ! – évaluant la pertinence des indicateurs de richesse existants et formulant des propositions d’amélioration de ces derniers et de création de nouveaux indicateurs « plus qualitatifs ».

Enfin, l’article 3 dispose que le rapport gouvernemental visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques prévu par la loi devra désormais inclure une contre-expertise réalisée par des experts indépendants. On le voit bien, cela se complique un peu ! Finalement, dans notre pays, chacun est expert en quelque chose…

L’objet de cette proposition de loi est certes louable, puisqu’il s’agit de faire évoluer nos instruments de mesure de richesse afin que nous puissions disposer d’indicateurs précis et opérationnels. Ce texte ouvre une réflexion intéressante sur la pertinence du PIB. Toutefois, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la multiplication de structures en tout genre ne saurait constituer à elle seule une solution satisfaisante. Il est en effet à craindre qu’elle ne se révèle être source de complexification et ne soit finalement contre-productive.

La nécessité de créer de nouveaux indicateurs paraît, quant à elle, discutable, à l’heure où, comme il est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs, l’utilisation des nouveaux indicateurs à des fins d’action publique ou de pilotage des politiques publiques se révèle encore limitée.

Enfin, les auteurs de la proposition de loi préconisent que le rapport gouvernemental présentant l’évolution des nouveaux indicateurs prévus par la loi Sas inclue une contre-expertise menée par des experts « indépendants », alors même que l’application de cette loi reste à l’heure actuelle insatisfaisante et mériterait d’être améliorée.

En effet, la loi Sas prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque premier mardi d’octobre un rapport présentant l’évolution des nouveaux indicateurs. Or le rapport de 2017 a paru avec quatre mois de retard. Une meilleure application de la loi Sas devrait donc être envisagée.

En définitive, la révision de nos instruments de mesure de richesse ne saurait se faire au prix de la multiplication des structures et au détriment de la simplification du droit. Vous comprendrez, mes chers collègues, que les réserves que m’inspire ce texte ne me permettent pas de le voter.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai bref.

Cette proposition de loi prévoit la création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse ». Ce conseil, composé de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, puisque comptant trente membres.

Que faut-il en penser ?

Premièrement, les nouveaux indicateurs de richesse ont quasiment disparu. Par conséquent, la création d’une telle délégation perd l’essentiel de son intérêt.

Deuxièmement, je ne vois pas bien quel bénéfice apporterait la création d’une délégation parlementaire nouvelle chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés pour la réalisation des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise produite par des organismes indépendants. Cela fait beaucoup !

En bonne logique, nous soutiendrons la motion tendant au renvoi du texte à la commission présentée par le rapporteur. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la première question que je me suis permis de poser tout à l’heure, lors de l’examen de la proposition de loi organique, reste d’actualité : est-il ou non pertinent de débattre aujourd’hui de dispositions qui, nous le savons, seront d’une façon ou d’une autre soumises à notre examen dans quelques semaines, à l’occasion de la révision de la Constitution ? Certains peuvent estimer qu’une telle anticipation est une manière d’ouvrir le débat, d’autres peuvent juger préférable, pour la cohérence de celui-ci, d’appréhender les problématiques globalement.

Notre groupe n’est pas opposé au renvoi de ce texte à la commission, essentiellement en raison de l’inadaptation du véhicule proposé. Nous ne sommes pas très favorables à la création de comités supplémentaires. Cette position relève, en quelque sorte, d’une logique de parallélisme des formes : notre assemblée reproche régulièrement au Gouvernement de créer trop d’autorités administratives indépendantes, nous nous plaignons d’une forme d’« agencification » de l’action publique de l’État ; par conséquent, n’alimentons pas, pour notre part, une forme de « comitologie » qui serait le pendant parlementaire des mauvaises pratiques que nous reprochons à l’État !

Plus fondamentalement, nous souhaitons tous que le Parlement assure complètement non seulement sa fonction législative d’élaboration des normes juridiques, mais aussi son rôle d’évaluation des politiques publiques et de contrôle de l’action gouvernementale, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République.

En matière d’évaluation de l’application des lois par le Parlement, les marges d’amélioration sont considérables. M. Sueur a proposé en commission que le rapporteur d’un texte en suive l’application après son éventuelle adoption. A minima, il s’assurerait que les décrets d’application soient pris. Dans une interprétation plus large, un rôle d’évaluation de l’application de la loi dans la durée pourrait lui être confié. En tout état de cause, l’idée d’instaurer un continuum dans le suivi de l’application des lois me paraît intéressante.

Cela concerne l’aval. Peut-être conviendrait-il de s’intéresser également à l’amont, en se penchant sur la question de l’intégration. M. Cabanel et moi-même invitons le Sénat à aller plus loin dans la prise en compte de la démocratie participative, en recourant à des modalités assez classiques, pratiquées par exemple par la Commission européenne, qui met en œuvre de façon systématique des mécanismes de consultation numérique avant l’adoption des normes européennes. C’est un sujet que connaît bien notre assemblée, le président Larcher souhaitant promouvoir un Sénat « numérique ».

Sans systématiser les choses, une consultation numérique, des panels citoyens ou des conférences de consensus pourraient être mis en place en amont de l’examen d’un texte de loi, lorsque la commission compétente l’estime pertinent. Cela pourrait valoir, en particulier, pour les textes à vocation sociétale.

Je veux espérer que la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission sera adoptée et que, au-delà, nous poursuivrons, les uns et les autres, notre réflexion, dans le cadre de la révision constitutionnelle à venir, bien sûr, pour ce qui concerne le plus haut niveau de la norme juridique, mais aussi dans celui, beaucoup plus modeste, de la modification de notre règlement intérieur. En effet, l’amélioration de l’évaluation de l’application de la loi, en aval, et l’intégration de processus participatifs ou la revitalisation du droit de pétition, en amont, sont des domaines qui relèvent, mes chers collègues, du règlement de notre assemblée.

Je confirme le soutien du groupe Union Centriste à la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi institue un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » – un bien-être sans doute fort difficile à évaluer, quels que soient les critères que l’on peut définir à cette fin…

Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, assisté d’un comité scientifique, ce conseil parlementaire aurait pour mission non seulement d’informer le Parlement des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, mais aussi de mettre en place une plateforme participative numérique relative aux « nouveaux indicateurs de richesse », afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique.

Cette plateforme a pour vocation l’élaboration et la mise en débat citoyen les nouveaux indicateurs, afin de rétablir le lien entre politiques et citoyens et d’attirer l’attention, notamment des médias, sur l’état de la société au travers des grands enjeux démocratiques. À cet effet, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organiserait chaque année au Sénat une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.

L’article 2 de la proposition de loi instaure un bilan d’évaluation de la pertinence des nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, ou loi Sas, laquelle a débouché sur la création de dix nouveaux indicateurs de richesse. Ainsi, tous les trois ans, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être évaluerait la pertinence des indicateurs de richesse existants. Il formulerait des propositions d’amélioration ou de création de nouveaux indicateurs.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que le rapport issu de la loi Sas et remis par le Gouvernement au Parlement fasse l’objet d’une contre-expertise indépendante. Plus simple, il n’y a pas !

Cette proposition de loi appelle un certain nombre de remarques.

En premier lieu, l’évaluation et le contrôle sont au cœur de la mission du Parlement, comme le dispose l’article 24 de la Constitution. Cette fonction vise à garantir la qualité des textes de loi en amont et à en évaluer les effets en aval. De l’avis général, elle est insuffisamment exercée et valorisée.

Il apparaît donc indispensable de développer les travaux et de renforcer les méthodes et les capacités d’expertise et d’évaluation du Parlement, afin d’améliorer l’évaluation de l’application des lois et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques. Cette mission appartient aux commissions permanentes, ainsi qu’aux délégations et autres organes permanents ou temporaires.

En second lieu, de nombreuses réflexions sur le renforcement du contrôle et de l’évaluation ont été entreprises et, déjà, des pistes ont été dégagées.

Ainsi, il paraîtrait intéressant de renforcer l’assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules deux procédures permettent aux instances parlementaires d’être à l’initiative et de passer commande à la Cour des comptes d’enquêtes sur des sujets de leur choix.

Il s’agit, d’abord, de la faculté reconnue aux commissions des finances, puis aux commissions des affaires sociales, d’user d’un droit de tirage dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Il s’agit, ensuite, de la possibilité ouverte au président de chaque assemblée de demander la réalisation d’enquêtes au titre de l’évaluation des politiques publiques. Étendre à toutes les commissions permanentes la faculté de solliciter la Cour des comptes pour la réalisation d’enquêtes peut constituer une piste intéressante.

De même, lever l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, sous réserve du respect du secret de l’instruction, peut sembler pertinent.

La création d’une commission d’enquête est un outil essentiel du contrôle parlementaire. Toutefois, une règle de recevabilité prohibe la création d’une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle était chargée d’enquêter. Le respect de cette règle repose, dès lors que la création d’une commission d’enquête est envisagée, sur une saisine systématique du garde des sceaux.

Cette règle de recevabilité a, par le passé, limité les investigations des commissions d’enquête consacrées au Service d’action civique, aux sectes, au régime étudiant de la sécurité sociale ou encore au Crédit lyonnais, par exemple. Le comité Balladur s’était prononcé en faveur de sa suppression. L’abroger ne permettrait pas au Parlement d’interférer dans une procédure judiciaire ni de se substituer à l’autorité judiciaire !

Enfin, prévoir un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement irait dans le sens d’une valorisation des activités de contrôle et d’évaluation du Parlement.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces quelques exemples illustrent des voies d’amélioration et de développement des travaux d’évaluation.

Dans ce contexte, la proposition de loi visant à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être apporte une contribution utile. Toutefois, au vu de l’importance du sujet, une réflexion plus large semble nécessaire. Pour cette raison, notre groupe votera en faveur de l’adoption de la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’indicateur du PIB a été instauré en 1945, aux fins de quantifier les besoins des Français, en pleine période de reconstruction. Il s’agissait alors de mesurer le développement de la société, ses progrès, avec l’objectif presque exclusif d’apprécier sa capacité à produire toujours plus de richesses.

Cet indicateur, aujourd’hui au service de la compétitivité, vieux de plus de soixante-dix ans, a besoin d’évoluer en profondeur. En effet, le PIB souffre de plusieurs lacunes : il ne mesure pas la répartition des richesses dans la société ; il ne prend pas en compte les ressources naturelles des pays, en termes énergétiques ou de biodiversité ; pis encore, le PIB, ne permettant pas de prévisions ou d’anticipations, n’étant qu’un indicateur-bilan des résultats économiques du pays, ne mesure pas la pérennité de la croissance.

Notre société doit s’intéresser au bien-être et à la qualité de vie de sa population, être à l’écoute des citoyens et cesser de se focaliser uniquement sur les enjeux économiques, comme cela a pu être le cas par le passé. Ce constat est aujourd’hui largement partagé, sur tous les bords politiques.

Nicolas Sarkozy, en 2008, avait installé la commission Stiglitz, dite « commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social ». Cette commission avait engagé une réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable, de la mesure de nos performances collectives.

En 2000, la région Nord-Pas-de-Calais, devenue depuis lors la région Hauts-de-France et chère à Xavier Bertrand, avait mis en place des indicateurs de richesse complémentaires au PIB, en lien avec l’ARF, l’Association des régions de France. La loi Sas, votée en 2015, a prévu la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de richesse, qui donnent lieu à la publication d’un rapport annuel permettant d’évaluer l’état de la France.

Plus récemment, le député du « nouveau monde » Bruno Bonnell – j’ai parcouru l’ensemble du spectre politique ! – s’est créé une certaine notoriété en déclarant : « On n’entend que ça, le pouvoir d’achat, comme si la vie se résumait au pouvoir d’acheter ». Même si je suis en désaccord total avec M. Bonnell en ce qui concerne sa conclusion, je crois, comme lui, comme M. Sarkozy, comme Mme Sas et comme M. Stiglitz, que nous aurions beaucoup à gagner à utiliser des indicateurs plus adaptés à nos évolutions sociétales.

Quels sont les indicateurs à retenir ? Quelles seraient les conclusions que nous pourrions tirer des nouvelles tendances ? Nous n’en savons encore rien.

Une telle évolution permettrait-elle de dissimuler la question du pouvoir d’achat, comme le souhaite M. Bonnell ? Permettrait-elle de mettre au jour de nouvelles inégalités, comme l’estime Amartya Sen, qui déclarait en 2009 : « Les indicateurs de production ou de consommation de marchandises ne disent pas grand-chose de la liberté et du bien-être, qui dépendent de l’organisation de la société, de la distribution des revenus. »

La loi Sas avait défini dix nouveaux indicateurs. Actuellement, nous ne pouvons pas, avec le seul indicateur qu’est le PIB, anticiper l’impact d’une décision sur l’écologie ou sur la soutenabilité de la dette, ses conséquences pour les citoyens. Il s’agit à mon sens d’une problématique beaucoup plus large que celle du seul contrôle des politiques publiques tel qu’il s’exerce déjà dans nos assemblées. Il y va d’une véritable révolution culturelle – M. Montaugé me pardonnera si je trahis sa pensée.

Le PIB mesure le niveau de vie du pays ; c’est donc un indicateur qui évalue, mais qui ne porte pas d’ambition sociale ou transformatrice. Les dix indicateurs de la loi Sas étaient le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone, l’artificialisation des sols.

La promotion de ces indicateurs vise donc à changer les pratiques du Gouvernement, à le forcer à prendre en compte des indicateurs qu’il négligeait, afin de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.

Selon les mots d’Édouard Philippe – vous voyez, mes chers collègues, que j’ai toujours de bonnes références – dans le dernier rapport sur ces indicateurs de richesse, « Cette dynamique n’est pas un travail en chambre, elle n’est pas simplement un exercice de spécialistes, elle a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que nous entendons par les termes de croissance, de développement, de bien-être ou de progrès ».

Il est vrai que certains de ces indicateurs sont plus difficilement mesurables, comme le niveau de satisfaction dans la vie. Bien que les réponses apportées soient subjectives, elles n’en restent pas moins révélatrices de l’état actuel de notre société ; à ce titre, les valeurs en question sont à prendre au sérieux.

Il y a donc les indicateurs, et ces nouveaux indicateurs sont une très bonne avancée. Il y a aussi, et c’est tout aussi important, notre capacité collective à les évaluer : non pas comme le fait le Gouvernement, c’est-à-dire de manière annuelle, en mesurant les résultats établis durant l’année, mais dans leur efficacité, leur utilité, leur impact concret. Nous pensons qu’il est important de faire un bilan d’évaluation sur la pertinence de ces indicateurs, avec la possibilité de les compléter, donc d’en ajouter, afin de les rendre plus complets et plus exhaustifs.

Pour vous donner un exemple, nous pourrions ajouter aux indicateurs existants des « blocs d’indicateurs ». Serait ainsi créé un indicateur de soutenabilité sociale, qui regrouperait des indicateurs d’inégalités fondés sur des indicateurs de répartition, mesurant les inégalités de revenus, les inégalités territoriales – elles ont été citées tout à l’heure – concernant l’accès aux dispositifs de l’État et les inégalités des chances.

À ce premier bloc s’ajouterait la création d’un indicateur de l’état du patrimoine national, mesurant, donc, le capital productif de la France, son capital humain, son capital social, mais également son capital naturel, autant de mesures essentielles pour améliorer notre bien-être dans le futur.

Enfin, un dernier bloc consisterait en un indicateur de responsabilité écologique de la France dans le monde, nous permettant de mesurer l’impact écologique de notre pays en recourant aux indicateurs d’empreinte carbone et de consommation carbone.

Pour le moment, le rapport annuel présente l’évaluation de l’impact des principales réformes engagées par le Gouvernement, mais il est principalement utilisé dans le cadre des lois de finances.

Un élargissement de son utilisation, s’agissant notamment du respect de la contrainte écologique, est important. Plusieurs indicateurs concernent l’environnement et doivent donc être utilisés au maximum de leur potentiel. Vous le savez, mes chers collègues, l’enjeu écologique est essentiel ; dans la lignée de la COP 21 et de ses résolutions ambitieuses, il est de notre devoir de prendre très au sérieux les contraintes écologiques dans nos études d’impact, au moyen des indicateurs nouvellement adoptés.

Afin de rendre ces indicateurs vraiment efficaces, une évaluation plus qualitative des projets de loi, via l’intégration des nouveaux indicateurs de richesse dans les études d’impact, est une nécessité. Un renforcement de la prise en compte des nouveaux indicateurs mettrait en lumière ces derniers et permettrait de mieux prévoir les incidences des lois futures sur la vie de nos concitoyens.

Nous proposons en outre, via le texte de Franck Montaugé, que le rapport annuel issu de la loi Sas, qui est remis par le Gouvernement au Parlement, puisse faire l’objet d’une contre-expertise indépendante.

Cette proposition est importante. En effet, le rapport est actuellement rédigé par les services du Premier ministre et vise à évaluer la politique du Gouvernement, ce qui peut créer des conflits d’intérêts et conduire à négliger certaines données révélées par les indicateurs.

Pour cette raison, la rédaction d’un second rapport, qui viserait à garantir l’objectivité du premier, pourrait être réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, qui est un organisme de prévision indépendant. Un rapport de cet observatoire, dont les qualités et l’expertise des agents sont reconnues, garantirait une impartialité des données et un éclairage plus large.

Une contre-expertise serait d’autant plus la bienvenue qu’a été votée, en septembre dernier, la loi pour la confiance dans la vie politique. Permettre au Parlement de demander une contre-expertise irait dans le même sens, celui du contrôle accru des actions du Gouvernement, et octroierait plus de légitimité aux résultats dudit rapport, accroissant ainsi la confiance qui leur est accordée.

Le groupe socialiste et républicain soutient la proposition de création d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être de notre collègue Franck Montaugé. Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, ce conseil aurait pour ambition de tenir le Parlement informé des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, ainsi que de la soutenabilité desdites politiques.

Cette avancée permettrait de prendre en compte la mesure du bien-être, prise en compte déjà amorcée par le biais de l’indicateur de satisfaction dans la vie, mais l’élargirait à d’autres points essentiels, tels que la présence de tel ou tel commerce ou service public, la qualité de l’air, etc., avec des données plus précises. Elle serait beaucoup plus importante que de simples rapports annuels, dont nous mentirions, mes chers collègues, si nous affirmions que nous les dévorons tous in extenso

J’ai compris que la commission des lois ne partageait pas les intentions de M. Montaugé, dont j’estime que la concrétisation constituerait un réel progrès. L’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et la délégation aux entreprises auraient-ils la chance d’être créés aujourd’hui si on leur appliquait le même raisonnement que celui de la commission des lois s’agissant de ce nouveau conseil ?

L’évaluation des politiques, angle mort de notre vie publique, nécessite de la créativité. Dans cette perspective, avec sa proposition, Franck Montaugé fait œuvre utile. Il manifeste, avec ses deux textes, une impatience qui fait honneur au Parlement et qui vient répondre à une demande sans cesse formulée : c’est souvent « pour demain », ce n’est jamais le moment…

Aujourd’hui, c’est la question de la réforme constitutionnelle qui nous amène à différer ce travail. Nous avons entendu les arguments de M. le rapporteur, dont l’intention, par le renvoi en commission, est d’améliorer ce texte que nous propose Franck Montaugé.

Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, pleins d’espoir dans le travail à venir, mais nous nous abstiendrons avec sagesse, en attendant que soient enfin pris en compte ces indicateurs de richesse et engagées ces politiques d’évaluation que l’on nous promet toujours et qui n’arrivent jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)