COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 29 mars a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

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Situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des affaires sociales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, organisé à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des affaires sociales.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que le groupe et la commission qui ont demandé le débat disposeront d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

Dans le débat, la parole est à M. Alain Milon, pour le groupe auteur de la demande.

M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la société française vieillit.

La France compte déjà davantage de personnes de plus de soixante ans que de personnes de moins de vingt ans. Cette tendance va s’accélérer du fait de l’augmentation de l’espérance de vie : le nombre des plus de quatre-vingt-cinq ans va quasiment quadrupler d’ici à 2050.

Heureusement, la grande majorité de la population vieillit et vieillira dans de bonnes conditions. Mais ce ne sera pas le cas de tous.

Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, publiée en 2016, après soixante-quinze ans, une personne sur douze vit en institution. L’entrée dans un établissement pour personnes âgées est souvent liée à des problèmes médicaux, en particulier à ceux qui entraînent une perte d’autonomie.

En institution, 86 % des personnes âgées de soixante-quinze ans ou plus sont dépendantes, contre 13 % des personnes du même âge vivant à domicile. Ces personnes déclarent plus souvent des limitations fonctionnelles : 45 % développent une limitation sensorielle, même après correction, 68 % des limitations cognitives et 91 % des limitations physiques.

Les enjeux financiers et organisationnels pour notre société face au vieillissement de la population sont donc extrêmement importants et ont été identifiés comme tels depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, nous ne pouvons que constater l’inquiétude croissante chez nos compatriotes, qui comprennent de moins en moins bien notre modèle. Mais, paradoxalement, ils ont tendance à le rejeter pour eux-mêmes tout en l’utilisant pour faire face à la dépendance de leurs proches.

Plus généralement, nous voyons bien que le système est à bout de souffle : la solidarité publique est à son maximum ; les difficultés des départements ne leur permettent pas d’aller encore plus loin dans la prise en charge ; la solidarité familiale a, semble-t-il, atteint ses limites.

Alors que la population vieillit, que l’espérance de vie augmente, en particulier grâce aux progrès de la médecine, le statu quo est devenu intenable. Il ne s’agit plus de débloquer quelques dizaines de millions d’euros au coup par coup, mais c’est bien notre modèle de protection sociale qui doit être repensé pour l’adapter à notre société.

Or, depuis plusieurs années, par touches successives, le pacte fondateur de 1945, créateur de la solidarité nationale au sein de la protection sociale, a été détricoté.

En annonçant une énième baisse des tarifs hospitaliers en 2018, les établissements de santé publics et privés sont asphyxiés un peu plus, sans que des réformes structurelles se mettent concrètement en place.

Le Gouvernement rend la tarification à l’activité, la fameuse T2A, responsable de tous les maux hospitaliers alors qu’il s’agit du dévoiement d’un outil médico-économique pertinent en un outil inadapté de régulation de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, qui déconnecte les tarifs et les coûts.

Après avoir minimisé le malaise des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, cette baisse tarifaire va aggraver celui des hôpitaux et des cliniques sans aucune perspective d’avenir, en reportant la responsabilité des arbitrages politiques sur les acteurs régionaux. Avec cette nouvelle baisse des tarifs hospitaliers en 2018, le tissu sanitaire sur le territoire national est un peu plus fragilisé, particulièrement dans les zones périphériques et rurales.

Cette lente agonie de notre système d’hospitalisation ne résout pas pour autant les problèmes systémiques de notre protection sociale qui perdurent.

Ces mesures technocratiques, à la marge, ne résolvent en rien les difficultés que nous constatons et que nous partageons.

Il nous faut, avec les Français, nous interroger collectivement sur le modèle de protection sociale que nous souhaitons et sur les moyens financiers que nous sommes capables d’y consacrer, puis faire des choix.

Notre système de santé se dégrade, l’investissement des équipements médicaux et immobiliers se réduit, le parc hospitalier se paupérise et nous ne pouvons nous y résoudre.

Il est temps d’ouvrir un débat national sur le mode de gouvernance, sur le périmètre de notre système de protection sociale et, surtout, sur son financement.

J’en reviens plus particulièrement au sujet dont nous débattons aujourd’hui.

Comme j’avais eu l’occasion de le dire à cette tribune lors de l’examen de la dernière loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui n’avait d’ailleurs pas suscité de vives controverses, toutes les mesures mises bout à bout ne pouvaient pas à elles seules constituer la réponse aux besoins actuels, et encore moins à ceux qui s’annonçaient, ne serait-ce que dans les dix prochaines années.

Trois ans à peine se sont écoulés depuis la promulgation de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement et nous voilà amenés à débattre de nouveau de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

L’importante mobilisation des personnels des EHPAD a convaincu la commission des affaires sociales de se pencher sur la situation au sein de ces établissements pour formuler dans un temps restreint des propositions.

Nous avons mis en place une « mission courte » afin de procéder à un état des lieux de la question, et de formuler des propositions immédiates et les plus opérationnelles possible pour répondre aux difficultés que rencontrent les EHPAD.

Je tiens à remercier le président Bruno Retailleau de s’être associé à l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée.

Je tiens à rendre hommage à notre rapporteur Bernard Bonne qui, avec son expérience concrète d’élu départemental, propose d’apporter des réponses pragmatiques aux différentes questions soulevées.

La mobilisation des personnels et directeurs d’EHPAD a d’autant plus marqué les esprits qu’elle a été accompagnée de reportages témoignant de la réalité au sein des EHPAD, et notamment des conditions de travail difficiles des personnels accompagnants. Je tiens, à cet instant, à saluer le dévouement des médecins, infirmiers et aides-soignants, ainsi que du personnel technique.

La réforme de la tarification des établissements, sur laquelle la commission des affaires sociales avait déjà alerté, a été pointée du doigt, mais elle n’est pas seule en cause, loin de là. Le diagnostic est connu : les personnes accueillies dans ces établissements sont globalement plus âgées qu’avant et leur autonomie plus limitée, tandis que les moyens consacrés à l’autonomie ont certes progressé, mais sans que cela se traduise toujours de façon concrète en effectifs sur le terrain.

Notre collègue Bernard Bonne présentera dans quelques instants ses propositions, mais je souhaite insister sur deux d’entre elles qui me semblent importantes.

D’une part, il s’agit de repenser la mission du médecin coordonnateur en lui permettant de prescrire. En effet, malgré une présence rendue obligatoire par les textes, le médecin coordonnateur de l’EHPAD est encore maintenu dans une incapacité prescriptrice à l’égard des résidents qui se justifie difficilement.

Sans remettre en cause le lien qui peut exister entre le résident de l’EHPAD et le médecin traitant, force est aujourd’hui de constater que le refus de substituer un unique médecin d’établissement à une multitude de médecins extérieurs présente un inconvénient organisationnel, qui saute aux yeux, et un inconvénient financier. Ces ceux inconvénients sont majeurs. Le recours au médecin extérieur, étranger à la stratégie de coordination sanitaire de l’établissement, fait courir le risque de doublons de dépenses de soins assurées, d’un côté, par le forfait global de soins de l’établissement et, de l’autre, par l’enveloppe de soins de ville.

D’autre part, il me semble non seulement pertinent, mais également urgent de mettre fin aux cloisonnements artificiels qui continuent de séparer le sanitaire du médico-social. Je ne prétends pas que les deux secteurs d’intervention puissent être indifféremment pris l’un pour l’autre, bien au contraire. Je dénonce néanmoins l’habillage médico-social d’une grande part des prises en charge en EHPAD, qui relèvent à mon sens, et comme le pense également M. le rapporteur, d’une mission strictement sanitaire et qui, sous prétexte qu’elles s’intégreraient aux politiques du grand âge, sont partiellement reléguées aux conseils départementaux dont ce n’est nullement la tâche. Ce n’est en effet pas parce qu’il est âgé, ou très âgé, qu’un résident d’EHPAD cesse d’être un patient.

Si nous ne pouvons que nous résigner, madame la ministre, à cette terrible mais véridique pensée d’Orson Welles, pour qui la vieillesse est la seule maladie dont on ne peut espérer guérir, nous avons le devoir de nous battre pour que la vieillesse, comme tous les âges de la vie, soit la plus douce et la plus humaine possible à ceux qui l’embrassent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Éric Gold, Abdallah Hassani, ainsi que Mme Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, au nom de la commission auteur de la demande.

M. Bernard Bonne, au nom de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour évoquer un sujet auquel l’actualité, après une longue période de faible exposition, a rendu la lumière légitime qui lui revient. Je veux parler des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les désormais fameux EHPAD – et, de façon plus large, de la prise en charge médicale et médico-sociale du grand âge.

Notre débat s’insère dans un mouvement général et sans précédent de mobilisation. Mobilisation des acteurs de terrain tout d’abord, qui se sont par deux fois réunis les 30 janvier et 15 mars derniers pour dénoncer leurs conditions de travail et l’incapacité dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui de correctement remplir leur mission auprès des publics dont ils assurent l’accompagnement. Mobilisation parlementaire ensuite, puisque le Sénat et l’Assemblée nationale, très rapidement sensibilisés au sujet, s’en sont simultanément emparés.

Deux rapports parlementaires ont été rendus, celui de la commission des affaires sociales du Sénat, le 7 mars dernier, puis celui de nos collègues députés Monique Iborra et Caroline Fait, le 14 mars dernier.

Si leurs préconisations diffèrent, parfois fortement, leurs diagnostics et leurs constats se rejoignent pour dénoncer les effets collatéraux insuffisamment anticipés de la réforme tarifaire et la réponse urgente qu’appelle le secteur de la prise en charge du grand âge, qui pâtit depuis trop d’années de ce qu’il nous faut maintenant nommer sans fard la difficulté, voire l’incapacité de nos pouvoirs publics, toutes tendances confondues, à définir une stratégie viable du financement de la dépendance.

Avant de vous livrer, madame la ministre, les quelques réponses que la commission des affaires sociales du Sénat entend donner à cet incontournable problème, permettez-moi de vous faire part du sentiment que m’inspire la mobilisation sans précédent et simultanée des deux chambres du Parlement sur le sujet. Elle est pour moi le symptôme tenace de l’écart dans lequel les représentants de la Nation, et à travers eux les usagers et les gestionnaires de ces établissements, sont maintenus dès que sont abordés des thèmes dont ils sont pourtant les observateurs et les acteurs privilégiés.

Nos deux rapports témoignent du désir que nous avons de vous offrir notre expérience et notre appui, car nous sommes convaincus qu’ils peuvent utilement se combiner à l’expertise – irremplaçable à n’en point douter – des administrations que vous dirigez.

La politique du grand âge ne peut désormais plus se penser en dehors de grands choix de société que nous avons trop longtemps reportés ; et l’importance de ce débat interdit que les parties intéressées en soient poliment, mais insidieusement, écartées. Aussi, je revendique, au nom de l’ensemble de mes collègues, le rôle et la place que le Sénat, qui a donné dans le passé la preuve de sa hauteur de vues concernant les enjeux liés au vieillissement, entend tenir dans les réflexions à venir.

J’en viens à présent aux rapports parlementaires qui vous ont été présentés. Comme je vous l’ai indiqué, nos collègues députés partagent avec nous un certain nombre de constats. Je ne mentionnerai que les plus saillants d’entre eux : la nécessité d’interrompre la réforme du forfait global à la dépendance telle qu’elle est actuellement pratiquée et l’urgence qu’il y a de diminuer le reste à charge des résidents à travers une redéfinition de l’aide sociale à l’hébergement.

Je regrette néanmoins que nos collègues députés n’aient pas davantage assorti la formulation de leurs reproches de propositions concrètes et réalistes. De toute évidence, l’examen minutieux des réalités de terrain auxquelles ils se sont prêtés durant les cinq mois qu’a duré leur mission les a menés à privilégier les injonctions dispendieuses et dirigistes, comme l’opposabilité d’un ratio encadrants-résidents ou l’imposition à tout établissement d’un niveau minimal d’habilitation à l’aide sociale. Il aurait été préférable de mettre en avant des préconisations moins emphatiques, mais directement opérationnelles.

Les propositions émises par le Sénat s’efforcent, pour leur part, de tenir compte du périmètre financier constant qu’impose le contexte contraint de nos finances publiques. Par ailleurs, il paraît inconcevable de mener de front la nécessaire réforme systémique que nous appelons de nos vœux et des propositions parallèles dont le coût important les disqualifierait d’emblée.

Ces propositions figurent toutes au rapport, dont vous avez pris connaissance, mais je souhaiterais tout de même vous rappeler celle qui, à mon sens, atténuerait les effets néfastes de la réforme tarifaire : le séquençage nécessaire des deux réformes de la contractualisation et de la tarification des établissements. Attendons le plein déploiement de la première, qui ouvrira aux établissements la possibilité d’user de nouveaux outils gestionnaires contenus dans le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, le CPOM, et qui leur permettra mécaniquement de mieux absorber les redéfinitions de dotations. Nous avons voulu responsabiliser financièrement des gestionnaires d’établissements, avant même qu’ils s’approprient les instruments accompagnant les nouvelles marges de manœuvre qui leur étaient offertes !

Nos désaccords avec l’Assemblée nationale sont toutefois plus profonds lorsque l’on touche à la médicalisation des EHPAD. Nous semblons partager le même souhait d’établissements moins imprégnés du paradigme hospitalier et plus ouverts sur la cité, où les personnes en perte d’autonomie ne seraient pas automatiquement absorbées par un univers sanitaire qui ne leur est adapté qu’en apparence. Pourtant, le rapport de nos collègues députés préconise une extension de l’option tarifaire globale aux soins, qui permet aux EHPAD de financer, via leur dotation globale, davantage de prestations médicales et paramédicales, et donc de les pousser vers plus de médicalisation !

Si le paradoxe, ainsi formulé, est inquiétant, je crois que la confusion s’explique par l’insuffisante précision que nous apportons à la définition du « soin » que requiert le grand âge. Il est impératif que nous distinguions dorénavant le soin strictement médical, qui doit entourer la prise en charge de patients – et non de résidents – lourdement dépendants ou atteints de pathologies, du soin d’accompagnement que nécessitent des personnes âgées en perte d’autonomie, mais qui ne relève pas pour autant du besoin clinique.

C’est à l’amalgame de ces deux types d’intervention, du curatif et du préventif, que l’on doit la prépondérance actuelle d’EHPAD surmédicalisés qui, pour reprendre l’heureuse formule de nos collègues députés, ont laissé le lieu de soins prendre indûment le pas sur le lieu de vie. En plein accord avec le président Alain Milon, qui s’est précédemment exprimé, je préconise donc que le soin médical reste assuré par la sphère strictement sanitaire, et qu’il soit remédié au glissement abusif – dont les conséquences financières et humaines sont importantes – d’unités de soins de longue durée – USLD – en EHPAD, au seul motif que l’âge de ces publics les fait relever de la prise en charge de la dépendance.

Il doit être mis fin à la dangereuse vue de l’esprit selon laquelle passé un certain âge le soin requis par le patient doit changer de nature et de praticien. Cet avertissement participe d’ailleurs d’une dénonciation plus large, dont je me fais l’écho en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social, d’une prise en charge médicale et médico-sociale qui, indifférente à la linéarité du parcours de la personne, l’expose à des ruptures brutales que le seul écoulement du temps peine à justifier.

C’est au bénéfice de cette linéarité que j’inscris la mesure précédemment évoquée par le président Milon d’attribuer au médecin coordonnateur un pouvoir prescripteur. C’est une mesure dont je me fais également le très grand défenseur.

J’exprimerai un dernier regret. Le rapport de nos collègues députés rejoint le nôtre dans la dénonciation d’un modèle de financement qui, en raison de sa dualité entre acteur national et acteurs départementaux, engendre des complexités obérant sa pérennité. Mais il s’en tient à de timides remontrances et se refuse à poser les jalons d’une réforme ambitieuse du financement de la dépendance.

C’est un pas que nous avons osé franchir et je profiterai de cette tribune pour rappeler les grandes lignes de nos préconisations en la matière.

Il faut un tarificateur unique. Toute réflexion qui contournerait cet impératif simple ne ferait que reproduire les échecs actuels. Quel tarificateur ? La garantie d’une homogénéité de la couverture financière de la perte d’autonomie sur le territoire national semble imposer naturellement la réponse : c’est à l’État, et à lui seul, que devrait revenir le financement de la dépendance. Il est en effet grand temps de mettre un terme aux compromis institutionnels qui, sous le couvert du respect de la libre administration des collectivités territoriales, ont chargé les départements d’une mission devant normalement relever de la solidarité nationale. La réouverture du débat sur le fameux « cinquième risque », madame la ministre, doit ainsi se faire sur des bases parfaitement univoques : nous ne saurions nous montrer favorables à ce que suppose cette dénomination trompeuse, à savoir l’alourdissement du coût du travail et la création d’une cinquième cotisation sociale.

Il faut désormais agir afin que les établissements s’adaptent aux personnes accueillies et non plus l’inverse : l’idée, très technocratique, d’un financement par forfait, initialement voulue pour faciliter le pilotage budgétaire des structures, ne semble pas rejoindre l’intérêt personnel de la personne prise en charge. Pour que la personne résidente ait véritablement le choix de sa prise en charge et, surtout, pour que l’offre existante puisse opérer sa mue vers les fameuses « plateformes de services » que nous appelons tous de nos vœux, je préconise que le financement de la dépendance repose sur la solvabilisation du résident.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Bernard Bonne. J’ai bientôt terminé, monsieur le président.

Enfin, pour faire face aux défis financiers qu’une telle réforme nous oppose, il me paraît indispensable de mobiliser les éléments du patrimoine immobilier des résidents, qui ne sont pour l’heure pas pris en compte : outre la suppression des avantages fiscaux liés à la détention par une personne âgée résidente en EHPAD d’un bien immobilier non occupé, le Gouvernement pourrait développer des mécanismes incitatifs à la signature de viagers ou, et surtout, de baux locatifs préférentiels qui leur permettraient ainsi de diminuer leur reste à charge.

Plusieurs de mes collègues ont par ailleurs évoqué la souscription obligatoire d’une assurance dépendance dès l’entrée dans l’âge adulte. À titre personnel, je n’y suis pas opposé.

M. le président. Concluez !

M. Bernard Bonne. Il me reste quelques lignes à prononcer, monsieur le président.

Madame la ministre, au travers de ce rapport et des propositions qu’il contient, je tiens à vous assurer de nouveau de la totale disponibilité des parlementaires, notamment au Sénat, qui, de toutes les sensibilités, sont prêts à vous accompagner dans la conduite des changements profonds que le vieillissement rend plus que jamais nécessaires et qui nous concernent tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion d’intervenir sur le sujet des EHPAD, car c’est un sujet qui me tient à cœur.

Vous le savez, et je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, l’accompagnement de nos aînés est un sujet de société qu’il importe d’envisager dans sa globalité.

Nous devons, en effet, répondre à la question suivante : quel modèle de prise en charge faut-il mettre en place pour les personnes âgées d’aujourd’hui et de demain ? Comment mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes âgées et de leurs familles ?

Depuis que je suis arrivée au ministère, j’ai visité beaucoup d’EHPAD, presque un par semaine, et je suis frappée à la fois par l’engagement des personnels qui y travaillent et par le professionnalisme de ce secteur, qui a énormément évolué au cours des trente dernières années.

M. Jean-Pierre Grand. C’est vrai !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il a fait face à une transformation profonde de ses missions, marquée notamment par la prise en charge de personnes de plus en plus âgées et de plus en plus dépendantes. C’est particulièrement le cas des personnels travaillant au sein des EHPAD.

Nous savons tous que notre modèle d’EHPAD devra évoluer et se réinventer. Il devra le faire grâce à un ancrage encore plus marqué au sein des territoires et en utilisant tous les leviers de l’innovation que permet aujourd’hui l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale.

En ce qui concerne la réforme de la tarification des EHPAD, vous le savez, j’ai nommé en janvier un médiateur. Celui-ci doit me rendre son rapport final demain.

Le point qui focalise les critiques est celui de la convergence des tarifs dépendance autour d’une moyenne départementale variable selon les territoires.

Concernant les soins, en effet, il n’y a pas de difficulté : 85 % des EHPAD gagneront des moyens supplémentaires tous les ans sur sept ans dans le cadre de l’ONDAM. C’est ce qui fait que la réforme doit continuer à s’appliquer.

C’est donc bien en ce qui concerne la partie dépendance que les difficultés sont apparues lors la mise en œuvre effective de la réforme en 2017.

Depuis le début, je l’ai toujours dit, mon objectif est d’améliorer les conditions de prise en charge pour les personnes hébergées.

J’ai donc demandé au médiateur que me soit proposé un mécanisme qui, sans remettre en cause les fondements de la réforme, permette d’en neutraliser les effets négatifs, par exemple en compensant pendant une période déterminée, un an ou deux ans, les pertes de recettes. Cela devra se faire dans le cadre d’un accord entre les agences régionales de santé – les ARS – et les départements concernés. La prochaine circulaire de campagne budgétaire donnera à cet égard la marche à suivre.

J’aurai aussi très prochainement une discussion sur ce sujet avec le président de l’Assemblée des départements de France. Il ne servirait en effet à rien que l’État compense les effets négatifs à court terme de la réforme pour voir se rétracter les financements du côté des départements. Je souhaite que les choses soient très claires sur ce point.

Ce travail de court terme pourra conduire, le cas échéant, à des ajustements de la réforme elle-même et à une modification du décret, sans pour autant en remettre en cause les fondements et la philosophie.

Cependant, vous l’avez souligné, monsieur le président, monsieur le rapporteur, il faudra aller plus loin. C’est pourquoi je proposerai prochainement au Premier ministre les grandes orientations d’une stratégie globale de prise en charge du vieillissement.

Elle sera nourrie, notamment, de mes rencontres avec des acteurs du secteur, qu’il s’agisse des représentants des gériatres, des médecins coordonnateurs, des directeurs d’EHPAD, des services d’aide à domicile, des associations d’aidants ou des représentants des professionnels travaillant en EHPAD.

Pour construire une stratégie, je ne pars pas de rien. Des avancées notables au service des personnes âgées ont déjà été mises en place grâce à mon action à la tête de ce ministère. Je pense, notamment, à la stratégie nationale de santé et au décloisonnement qu’elle permet, au plan d’amélioration de l’accès aux soins et à la réflexion sur les modes de financement du système de santé. Je pense également aux réformes en matière de télémédecine et à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale qui permet d’expérimenter des innovations organisationnelles qui concerneront le secteur médico-social. Je pense aussi à l’accent mis depuis mon arrivée au ministère sur notre capacité à innover depuis les territoires avec des organisations souples qui permettent de progresser dans la pertinence des pratiques. Je pense, enfin, aux annonces en matière de reste à charge zéro sur l’optique, le dentaire et les prothèses auditives, et à la simplification des plateformes d’appui.

Au-delà de ces éléments, je souhaite que nous réfléchissions ensemble à différents sujets.

Il nous faudra, vous avez évoqué ce point, monsieur le rapporteur, réfléchir au juste soin en EHPAD et à l’organisation interne et territoriale pertinente pour y parvenir.

Il nous faudra également réfléchir au modèle de prise en charge de demain entre domicile et établissement, sans oublier l’articulation avec la ville et l’hôpital.

Il nous faudra aussi réfléchir à la prévention de la perte d’autonomie, à domicile bien sûr, mais également en établissements, et je mets ce mot au pluriel, car nous pouvons imaginer de nouvelles formes d’établissements.

Nous devrons également songer à la simplification des financements et des circuits de décisions.

Enfin, il nous faudra réfléchir à la fin de vie, qui pèse sur les professionnels travaillant dans ce secteur.

Dans l’ensemble de mes réflexions, mon fil rouge sera la qualité au service d’une prise en charge préservant la dignité des personnes et répondant à leurs besoins.

Je l’ai déjà dit et je l’affirme : ce n’est pas seulement une question de moyens, c’est aussi une question de formation ; c’est une question de regard ; c’est une attention portée aux organisations et à leur fonctionnement. Comme ce qui s’élabore aujourd’hui en matière de handicap, nous devons travailler à une société inclusive pour les personnes âgées.

Je termine sur la question des personnels en EHPAD.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : le ratio d’un personnel pour une personne âgée en EHPAD n’est pas tenable financièrement, et nous n’avons d’ailleurs pas les moyens de recruter à cette hauteur. Il n’a d’ailleurs jamais fait l’objet d’un engagement de la part de l’État, contrairement à ce qui a été affirmé. En revanche, nous devons améliorer la présence de personnel auprès des personnes les plus fragiles.

En outre, un véritable plan Métiers et compétences sera à construire, en lien avec le ministère du travail, les employeurs du secteur et les organismes de formation des secteurs privé et public. Les professionnels en EHPAD ont besoin d’être davantage valorisés et reconnus dans leurs métiers. Tous les leviers doivent être utilisés à cette fin. Mes services travaillent actuellement dans le cadre d’un groupe de travail qui rendra ses conclusions prochainement.

Je suis désormais prête à répondre à vos questions. (MM. Abdallah Hassani et Éric Gold, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains applaudissent.)

Débat interactif