compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 19 avril 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Bernard Murat, sénateur de la Corrèze de 1998 à 2008.

3

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, mercredi 16 mai, en raison de la tenue de la conférence des présidents et en accord avec le groupe communiste républicain citoyen et écologiste dont l’espace réservé débute à dix-huit heures trente, la séance serait suspendue à dix-neuf heures trente et se poursuivrait de vingt et une heures trente à minuit trente.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

L’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières

Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur l’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat disposera d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission auteur de la demande.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de vous retrouver en ce 9 mai, journée européenne. Je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui ont pu se mobiliser en cette période riche en jours fériés.

Dans un contexte international instable, nos concitoyens attendent de l’Union européenne qu’elle contribue à assurer leur protection effective. La première des questions concerne bien évidemment les défis posés à l’Union en matière de sécurité, de migrations et de gestion des frontières.

Si la sécurité intérieure demeure de la compétence des États membres, l’Union européenne peut aussi apporter sa plus-value. Nous l’avons rappelé ici même, juste après les dramatiques attentats de janvier 2015. Nos propositions avaient été partagées par nos collègues de plusieurs États membres, également durement touchés par le terrorisme, lors d’une réunion interparlementaire tenue au Sénat sous la présidence de Gérard Larcher. Où en est-on aujourd’hui ?

Prenons acte des avancées dont nous pouvons nous féliciter. Je pense notamment au doublement du budget d’EUROPOL dans une conjoncture budgétaire plutôt contrainte, au niveau tant national que communautaire, et à la mise en place d’un groupe de contrôle parlementaire conjoint dans lequel Sophie Joissains et Jacques Bigot nous représentent.

EUROPOL s’est doté d’un centre européen de lutte contre le terrorisme – je salue d’ailleurs l’opération de grande envergure annoncée par l’agence qui a permis de démanteler, le 26 avril dernier, des outils de propagande de Daech.

EUROPOL s’investit aussi beaucoup dans les échanges d’informations, notamment grâce à son système SIENA, ou Secure Information Exchange Network Application, qui peut délivrer plus d’un million d’informations et compte plus d’un million de données.

Si tout cela est extrêmement positif, nous devons aussi être conscients que des difficultés demeurent : 85 % des données qui parviennent à EUROPOL émanent de cinq États seulement, dont la France. Comment expliquer l’inertie des autres États membres? Madame la ministre, peut-on escompter des progrès dans ce domaine ? Avez-vous des échanges avec vos homologues européens sur ce point précis ?

Nous avons aussi besoin d’un parquet européen compétent pour lutter contre le terrorisme et la criminalité. Il s’agit d’une demande récurrente du Sénat. La France l’a proposé. Peut-on espérer une évolution positive de ce dossier ?

Le PNR, ou Passenger Name Record, européen est seul de nature à assurer une coordination efficace des PNR nationaux, mais encore faut-il que ces derniers soient mis en place. Or beaucoup d’États membres ont pris du retard. Où en est-on aujourd’hui ?

La cybercriminalité représente une menace croissante. Les dommages ne sont pas seulement économiques, mais aussi politiques. EUROPOL s’est doté d’un centre de lutte contre la cybercriminalité. Il est souhaitable que chacun des États membres en fasse autant d’ici à 2019. La France dispose déjà d’une Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI.

L’Union européenne doit également contribuer davantage à la sécurité extérieure. En combattant les groupes terroristes au Sahel, nos soldats engagés dans l’opération Barkhane défendent l’ensemble de l’Europe. Le président Larcher leur a témoigné directement le soutien du Sénat lors de sa récente visite au Tchad et au Niger. Nous sommes en droit d’attendre un soutien plus important de nos partenaires européens.

Nous devons progresser vers une Europe de la défense, complémentaire de l’OTAN. Nous devons aller vers une mutualisation des moyens, vers une interopérabilité, vers une action commune en matière de recherche et de développement et vers un rapprochement de nos industries de défense.

C’est pourquoi nous appuyons le lancement d’une coopération structurée permanente entre vingt-cinq États membres, la mise en place d’un « fonds européen de défense » et celle d’un « Schengen militaire ».

La Commission européenne propose aussi, pour la prochaine programmation budgétaire, un effort significatif avec un fonds de défense doté de 13 milliards d’euros afin de compléter les dépenses nationales en matière de recherche et de développement des capacités.

Il nous semble nécessaire d’aller beaucoup plus loin sur le volet opérationnel. Les Européens doivent conduire ensemble des opérations militaires. À cet égard, madame la ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur le projet de force d’intervention européenne que la France vient de présenter, avec le soutien du Royaume-Uni, à ses partenaires européens ? J’aurai l’occasion de le redire : au-delà de la problématique du Brexit, la présence à nos côtés de nos voisins britanniques, grands professionnels en matière militaire, est essentielle.

Le défi migratoire est un autre sujet de préoccupation de nos concitoyens. Ils attendent des réponses de l’Union européenne. Il faut impérativement assurer la protection des frontières extérieures.

Face à l’ampleur du défi, nous assistons enfin à une prise de conscience – certes tardive – de l’Union qui s’est traduite par le renforcement des moyens budgétaires et humains de l’agence FRONTEX.

La Commission européenne propose une augmentation significative de l’enveloppe allouée aux migrations et à la gestion des frontières en la multipliant par 2,6 pour atteindre 21,3 milliards d’euros.

Les moyens de FRONTEX seraient également augmentés, l’objectif étant de porter les effectifs du corps de gardes-frontières à 10 000 hommes d’ici à 2027.

Le Fonds asile, migrations et intégration serait aussi renforcé à hauteur de 10,4 milliards d’euros. Tout cela va dans le bon sens. Le Gouvernement est-il prêt à soutenir ces propositions ?

Nous devons aussi nous interroger sur le cadre juridique dans lequel FRONTEX conduit son action. Qu’en est-il de l’accès aux bases de données, instrument indispensable pour que cette action soit opérationnelle ? Qu’en est-il de la possibilité pour l’agence d’intervenir de façon quasi automatique dans un État qui serait défaillant pour assurer la protection effective de sa portion de frontière extérieure ? Qu’en est-il des procédures de retour groupé ?

La refonte du système d’asile est un autre enjeu majeur. Les discussions se poursuivent au Conseil sur la réforme du règlement dit de Dublin qui précise les responsabilités des États membres dans le traitement des demandes d’asile.

La question des relocalisations est particulièrement délicate. Elle a suscité de vives controverses entre États membres. C’est la solidarité européenne qui est en jeu. Un compromis est-il envisageable ? Nous souhaiterions connaître votre analyse sur ce point, madame la ministre.

Il faut aussi avancer dans la coopération avec les pays d’origine et de transit et avoir un plan ambitieux pour le développement de l’Afrique qui conditionne notre sécurité et la régulation des flux migratoires.

J’ai relu le discours prononcé par Robert Schuman le 9 mai 1950, voilà soixante-huit ans jour pour jour, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay. Il évoquait déjà un plan d’investissement pour l’Afrique, repris quelques décennies plus tard par le président Nicolas Sarkozy lors de la création de l’Union pour la Méditerranée.

Je regrette que ce plan n’ait pas rencontré les échos souhaités chez nos partenaires européens, notamment en Allemagne. Si nous avions pu le mettre en œuvre, nous serions sans doute dans une situation un peu moins difficile.

Nous nous sommes « rattrapés » lors du sommet de La Valette, en novembre 2015, en jetant les bases d’un partenariat global sur la question migratoire avec les pays d’origine et de transit africains. Quel bilan peut-on tirer des engagements conclus lors de ce sommet ?

Plus que jamais, nous avons besoin d’une approche globale européenne qui combine et articule les différentes politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver en cette journée de l’Europe pour cet échange sur les questions de sécurité, de migrations et de frontières.

Ces questions sont une priorité du Gouvernement et de la Commission européenne. La proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 que la Commission vient de rendre publique prévoit justement, comme nous le souhaitions, un effort financier fortement accru sur les questions de sécurité, de migrations et de frontières.

Vous l’avez souligné à l’instant, monsieur le président, les fonds prévus ont été multipliés par 2,6 en matière de migrations et de frontières et par 1,8 en matière de sécurité intérieure.

Les moyens alloués à FRONTEX seraient également augmentés afin de permettre au corps de gardes-frontières et de gardes-côtes d’atteindre un effectif de 10 000 hommes d’ici à 2027.

Nous soutenons ces orientations encourageantes pour un projet de budget qui, selon la Commission, « protège, permet d’agir et défend ».

S’agissant de la sécurité, l’Union européenne reste très mobilisée face à la menace terroriste, comme le montrent les nombreux chantiers législatifs engagés pour mieux contrôler l’espace européen.

L’urgence est donc maintenant de mettre pleinement en œuvre l’ensemble des mesures prises et de les généraliser. Je pense d’abord à cette avancée majeure qu’est le PNR européen, qui doit être transposé dans tous les pays d’ici au 25 mai prochain. Vous avez justement souligné, monsieur le président, un degré de préparation inégal selon les États membres, raison pour laquelle nous avons proposé et mis en place des coopérations bilatérales avec certains d’entre eux pour faciliter cette transposition.

Nous mettons également la pression sur la Commission et sur nos partenaires pour que le système d’entrées-sorties prévu pour les ressortissants des États tiers puisse être rapidement élargi aux ressortissants européens.

Nous poursuivons la lutte contre le financement du terrorisme. Nous allons agir avec la Commission pour mieux contrôler les substances pouvant servir à confectionner des explosifs et mieux sécuriser les documents officiels.

Par ailleurs, il est fondamental de mieux lutter contre la radicalisation sur internet. Nous encourageons la Commission à aller au-delà d’une approche centrée sur la contribution volontaire des acteurs du numérique à une autorégulation et à prévoir la mise en place de moyens contraignants pour améliorer la détection automatique et la suppression des contenus illégaux.

S’agissant des outils européens dont nous disposons, vous avez évoqué la mise en place du parquet européen que nous avons soutenue depuis le début. Nous appuyons l’idée d’élargir sa compétence, au-delà des questions financières, à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière et au terrorisme. La Commission, je le crois, nous entend.

Un mot enfin sur EUROPOL, qui joue un rôle irremplaçable pour le partage des informations. Ses compétences peuvent être utilisées de façon offensive, comme fin avril – vous l’avez rappelé, monsieur le président – contre les outils de propagande de Daech. Nous devons y avoir pleinement recours.

Pour y jouer tout notre rôle, nous devons d’ailleurs veiller à y renforcer notre présence. J’ai eu de premiers échanges sur ces sujets avec la nouvelle directrice exécutive d’EUROPOL, Catherine de Bolle, avant même sa prise de fonctions.

Enfin, je ne fais que le mentionner, mais peut-être y reviendrons-nous au cours du débat, gardons à l’esprit le développement de l’Europe de la défense, et en particulier le programme de développement de l’industrie de défense, précurseur du futur Fonds européen de défense en cours d’adoption et qui constitue une avancée majeure.

Vous m’avez interrogée sur l’initiative européenne d’intervention. Ce projet que nous portons, et que le Président de la République avait annoncé dès le discours de la Sorbonne, est en voie d’adoption. Une réunion aura lieu avec les États intéressés en juin prochain, à Paris.

Il s’agit de compléter les possibilités offertes par la coopération structurée permanente en matière de mutualisation par un travail sur nos capacités opérationnelles. Nous voulons pouvoir mieux programmer, mieux planifier, mieux partager nos évaluations sur la nature de la menace et sur la connaissance des théâtres autour des capacités françaises avec des pays membres de l’Union européenne, avec certains qui ne le sont pas ou qui bientôt ne le seront malheureusement plus, mais souhaitent continuer à travailler avec nous. Nous travaillons à l’articulation d’une partie de l’initiative européenne d’intervention avec la coopération structurée permanente.

J’en viens aux questions de migrations et de frontières. Le Gouvernement vous rejoint, monsieur le président, pour souligner toute l’importance du nouveau corps européen de gardes-frontières et gardes-côtes qui dispose de capacités nouvelles pour appuyer les États membres, qu’il s’agisse d’analyser les vulnérabilités des frontières externes, de participer à des reconduites à la frontière, ou d’agir en urgence, en cas de défaillance, à la demande du Conseil et avec l’accord de l’État membre concerné qui y a tout intérêt.

La Commission propose, dans son projet de cadre financier pluriannuel, de porter le nombre de gardes-frontières et de gardes-côtes mobilisable au sein de la réserve d’intervention de 1 500 – dont 170 Français – à 10 000 hommes, ce qui va au-delà des 5 000 hommes que nous avions retenus dans nos évaluations des besoins.

Certains de nos partenaires paraissent relativement mal à l’aise avec cette partie précise de la proposition ambitieuse de la Commission et souhaiteraient plutôt un soutien accru aux gardes-côtes et aux gardes-frontières de chacun des États membres. Nous allons examiner cela en détail.

Sur le plan interne – je pense à Schengen –, nous avons besoin de faciliter la possibilité de réintroduction des contrôles aux frontières internes lorsque le besoin s’en fait sentir, en particulier en raison de la menace terroriste.

Bien évidemment, une politique migratoire européenne ne peut réussir sans un partenariat renforcé avec les pays d’origine et de transit, en particulier en Afrique. La France a montré le chemin depuis le sommet restreint organisé à Versailles sur ce sujet en août 2017.

Nous nous sommes dotés de moyens importants avec le Fonds fiduciaire d’urgence qu’il faut réabonder.

Nous avons également mis en œuvre un dialogue migratoire plus exigeant s’agissant des migrations économiques illégales et mis en place des dispositifs permettant de mieux protéger ceux qui peuvent prétendre au bénéfice de l’asile en veillant à éviter qu’ils ne risquent leur vie sur la route, en Libye comme en Méditerranée.

Enfin, nous souhaitons que le Conseil européen de juin prochain permette de marquer des progrès sur la réforme du régime européen de l’asile. Les discussions restent très difficiles sur la révision du règlement de Dublin, en l’absence, qui plus est, d’un gouvernement italien de plein exercice.

Nous soutenons les efforts de la présidence bulgare pour parvenir à la fois à un plus haut niveau de responsabilité des pays de première entrée, notamment dans le temps, et à un plus haut niveau de solidarité en encourageant des relocalisations volontaires en cas de crise et, si la situation est grave, en prévoyant un mécanisme automatique et contraignant de relocalisation. Nous y travaillons notamment avec nos partenaires allemands dans la perspective du Conseil européen de juin prochain.

Je serai heureuse d’aborder ces points plus en détail, ainsi que les aspects que je n’ai pu évoquer, en répondant à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Mes chers collègues, chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires.

Nous avons donc changé les règles du jeu de ce type de débat, mais je rappelle que les trente secondes supplémentaires ne pourront être accordées, mes chers collègues, que si vous respectez scrupuleusement les deux minutes imparties pour présenter votre question.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux semaines, l’Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi Asile et immigration un article supplémentaire sur la question des migrations climatiques.

Ce nouvel article 42 fixe des objectifs en matière de connaissance des migrations climatiques et d’évolution de nos programmes d’aide publique au développement. Première occurrence des migrations climatiques dans le droit français, cette décision fera date.

Si l’Europe a accueilli un million de migrants depuis 2015, elle n’a fait qu’effleurer la problématique à venir des migrations climatiques. Un récent rapport de la Banque mondiale, daté de mars 2018, indiquait ainsi que 143 millions de personnes seraient forcées de migrer sous l’effet du changement climatique d’ici à 2050.

Le manque de nourriture, de ressources en eau, les canicules et les cyclones bouleverseront la géographie du monde tel que nous le connaissons.

Des cadres internationaux existent déjà pour prévenir ces migrations. Le cadre de Sendai prévoit ainsi un effort collectif pour réduire les risques de catastrophes naturelles et prévenir les déplacements induits.

Par ailleurs, les Nations unies ont mis en place un programme de réinstallation planifiée pour aider les migrants climatiques à s’installer et à rebâtir une nouvelle vie après leur exode forcé.

Madame la ministre, selon la Banque mondiale, si des stratégies d’adaptation planifiées étaient rapidement mises en place sur la réduction des gaz à effet de serre ou sur l’anticipation des catastrophes naturelles, 80 % de ces migrations climatiques pourraient être prévenues.

Notre groupe souhaite donc savoir quelle position la France défendra auprès de l’Union européenne sur ce sujet brûlant des migrants climatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Colette Mélot, vous avez raison : le changement climatique constitue aujourd’hui l’une des causes fortes des migrations. On le voit partout dans le monde, notamment dans le Pacifique, où certains États insulaires risquent de disparaître, ou dans la bande sahélienne.

Dans un cadre bilatéral, nous nous efforçons à la fois d’atténuer le phénomène et d’aider les populations à s’adapter au changement climatique.

L’Agence française de développement dédie 50 % de ses aides à des projets liés à la lutte contre le réchauffement climatique. L’Union européenne, elle, ne consacre que 20 % de son aide au développement à la lutte contre le changement climatique. Nous souhaitons que l’Union consacre environ la moitié de ses crédits d’aide au développement, à l’instar de l’aide bilatérale française, à des projets de lutte contre le réchauffement climatique, visant à atténuer ses effets ou à encourager l’adaptation des populations.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je ne peux qu’insister sur l’importance de l’aide au développement.

Comme vous l’avez souligné, il est indispensable de prendre des mesures en amont afin d’éviter ces phénomènes de migration.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le solde migratoire est l’élément principal de la croissance démographique européenne à partir de 1990, nous pouvons affirmer que les conflits, les persécutions et les migrations sont devenus, depuis 2015, un défi pour l’Union.

Sauver des vies, aider conjoncturellement les pays de transit importants à réduire les flux de migrants, l’enjeu est de taille et impose de faire preuve de pragmatisme : accord « un pour un », signé en mars 2016 avec la Turquie, permettant à 700 000 personnes de bénéficier d’une protection au titre de l’asile et mettant en place un flux contrôlé de migrants en mer Égée ; aménagements ponctuels du principe de libre circulation ; création de hot spots ; refondation de l’agence FRONTEX…

Je veux le dire avec solennité, sans verser dans l’angélisme, sans promettre ce que nous ne sommes pas en mesure d’assumer, nous avons un devoir d’humanité tout en restant fermes sur nos frontières.

Je conçois que mes propos puissent choquer ou heurter. Toutefois, reconnaissez que nous ne pouvons plus nous contenter de discourir et d’user d’effets de verbe pour éluder la réalité. Il est urgent de rappeler l’existence de nos frontières, non pas pour les transformer en barricades, en murs infranchissables, mais pour nous donner les moyens d’accueillir les migrants déracinés dans des conditions dignes.

Personne ne peut accepter les conditions de vie des migrants, campant dans des parcs, devant des porches d’immeubles, sous des ponts du métro parisien, abandonnés et sans soutien.

Nous devons être fermes avec les passeurs qui organisent sans vergogne le déplacement de femmes, d’enfants et d’hommes en mer Méditerranée, puis les laissent au hasard des chemins de montagne, sans le moindre respect.

Nous devons être fermes avec ceux qui cherchent à se substituer à l’État, en organisant de façon empirique et médiatique un contrôle aux frontières.

Madame la ministre, ma question est simple : après le constat d’échec du règlement Dublin III, pouvez-vous nous assurer de la réalité d’une politique commune concernant la question migratoire, alliant fermeté et devoir d’humanité, et poser un état des lieux des politiques migratoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Guérini, l’Europe a pris, depuis 2015, un certain nombre de mesures.

Vous avez rappelé la facilité mise en place avec la Turquie pour le financement, à hauteur de 3 milliards d’euros, des efforts déployés par ce pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. La plupart de ces crédits ont été contractualisés et nous travaillons à la poursuite de cet effort.

Le fonds fiduciaire d’urgence, mis en place à la suite du sommet de La Valette, permet de soutenir, dans les pays d’origine des migrations, la création de projets – notamment en matière d’éducation, de formation et d’emploi – visant à offrir un avenir aux jeunes, qui sont à la fois les plus dynamiques et les plus tentés par l’exil.

Nous devons aussi – et c’est ce que nous faisons – travailler avec les pays d’origine, pour mieux assurer le retour et la réadmission des migrants économiques illégaux. Nous le faisons avec des mesures incitatives, notamment la mise en place de projets de développement, mais aussi dans la discrétion, bilatéralement, sans le porter sur la place publique, au cours de discussions avec chacun de ces pays, afin de nous assurer que les mesures de réadmission sont facilitées. Elles ont trop longtemps été rendues difficiles par des résistances et des obstacles. Nous le faisons entre pays membres de l’Union européenne et avec les pays d’immigration d’origine.

Vous avez très justement cité, monsieur le sénateur, la lutte contre les passeurs et la nécessité d’augmenter encore notre coopération policière, au sein de l’Union européenne et avec les pays d’origine et de transit. Cette activité illégale, véritable gangrène, qui est devenue le deuxième trafic illégal le plus lucratif au monde, doit trouver, ici, en Europe, une réponse pénale appropriée.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon un sondage d’Eurobaromètre réalisé auprès des citoyens européens en 2016, les deux problèmes les plus importants auxquels doit faire face l’Union européenne sont les migrations et la sécurité. Deux ans plus tard, ces thèmes sont toujours au cœur des préoccupations européennes.

S’agissant des problèmes migratoires, l’Europe est confrontée depuis 2014 à une crise sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, conséquence directe de la multiplication des conflits armés, notamment en Syrie et en Libye.

Le principal défi est de renforcer la solidarité européenne autour des thèmes des migrations et de la sécurité.

Ces thèmes, Mayotte, région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis 2014, les connaît bien, puisqu’ils ont constitué les principaux points de revendication de la vague de contestation qui a secoué l’île durant ces deux derniers mois. Ce département est soumis à une pression migratoire sans précédent et accuse une situation d’insécurité croissante.

La pression migratoire exercée par les pays voisins sur le territoire mahorais, combinée à un taux de croissance démographique très élevé, pose des problèmes économiques et sociaux majeurs, comme l’ont montré les récentes tensions.

Nous sommes face à une urgence, nécessitant une aide optimale de l’Union européenne dans la gestion durable des migrations, notamment par le biais de négociations devant aboutir à des accords internationaux et de partenariat avec les pays voisins.

En effet, Mayotte connaît le taux de population en situation irrégulière le plus élevé de France, ce qui a pour conséquence directe la saturation de ses services publics, spécialement les écoles et les hôpitaux.

Parallèlement, la violence qui sévit, de façon permanente, depuis plusieurs années, dans ce département français d’outre-mer, engendre un climat d’insécurité insoutenable.

Aussi, madame la ministre, quels moyens l’Union européenne compte-t-elle mettre en œuvre pour relever le défi des migrations, garantir la sécurité des citoyens mahorais et renforcer la prévention de la criminalité dans ce département ? (MM. Jean-Pierre Sueur et Loïc Hervé, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent.)