M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en ma qualité de président du groupe d’amitié France-États-Unis du Sénat que je prends la parole sur cette proposition de résolution relative à la situation des « Américains accidentels » concernés par le FATCA, que j’ai volontiers cosignée.

Notre collègue Jacky Deromedi s’est saisie avec énergie de ce dossier. C’est un vrai sujet que celui de ces « Américains accidentels », nés sur le territoire des États-Unis mais n’y ayant séjourné que quelques mois, quelques semaines, voire quelques jours, et considérés, du fait du droit du sol, comme Américains.

Les voilà depuis quatre ans, du fait de l’application du fameux FATCA adopté à Washington en 2010 et en vertu d’un accord bilatéral de 2014, destinataires de courriers de leurs banques leur demandant de communiquer leur numéro d’identification fiscale américain ou d’apporter la preuve qu’ils ont renoncé à la nationalité américaine ; il arrive même qu’elles décident de manière unilatérale de fermer leurs comptes bancaires. Les États-Unis sont le seul pays au monde à faire reposer la taxation sur la citoyenneté plutôt que sur le lieu de résidence : c’est la citizenship-based taxation.

Les « Américains accidentels » sont aujourd’hui contraints de rentrer dans le système fiscal américain avant de pouvoir éventuellement en sortir. Notre collègue Jacky Deromedi a explicitement décrit les affres fiscales qui découlent du FATCA pour les particuliers : en vertu d’une convention bilatérale, les impôts payés en France par les ressortissants américains ne viennent en effet qu’en déduction des taxes dues aux États-Unis !

Quand ces « Américains accidentels » souhaitent fuir – je dis bien « fuir » ! – leur nationalité américaine, les démarches sont alors extrêmement anxiogènes et fort coûteuses : au total, environ 20 000 dollars, car il faut obligatoirement prendre un avocat… de préférence américain. Enfin, cela ne dispense pas de devoir faire des déclarations rétroactives sur les trois, voire les six, dernières années et de payer l’éventuel surplus.

De plus, quelques banques profitent de la situation pour pousser dehors leurs clients présentant cette fameuse « américanité » et les traitent comme des parias.

Entre-temps, M. Donald Trump a été élu quarante-cinquième président des États-Unis. L’abrogation du FATCA figurait dans le programme du Parti républicain. Le 5 avril 2017, le sénateur républicain Rand Paul a déposé un projet de loi visant à abroger la loi FATCA, et le représentant Mark Meadows a présenté un projet de loi complémentaire à la Chambre américaine, en vue de corriger les effets pervers de l’extraterritorialité de la législation américaine. Or, en novembre, selon l’un des défenseurs, « il n’y avait rien dans le texte de la Chambre des représentants ni dans celui voté par la commission des finances du Sénat qui aide les Américains expatriés ou les Américains accidentels ». Ceux-ci, qui comptaient donc sur la réforme fiscale du président Trump, ont subi une forte déconvenue.

Parallèlement, en France, l’Association des « Américains accidentels », créée en 2015 et animée par son dynamique président Fabien Lehagre, a engagé une procédure devant le Conseil d’État pour s’opposer à l’application en France du FATCA, au motif que ; « aujourd’hui, l’accord n’est pas mis en œuvre de façon réciproque par les États-Unis. Or un accord international ne peut être appliqué en droit interne qu’à condition qu’il le soit de façon réciproque. »

À l’Assemblée nationale, la mission Le Fur-Saint-Martin de la commission des finances instruit ce dossier et vérifiera, en particulier, si nos banques n’interpréteraient pas à l’excès les demandes des États-Unis. Devant rendre ses conclusions d’ici à quelques semaines, elle a entendu, comme l’a rappelé Jacky Deromedi, le président de l’Association des « Américains accidentels ». Celle-ci a tenu le 28 avril sa première assemblée générale, réunissant près de 200 de ses membres. Tous sont très attentifs à l’issue de nos travaux.

En amont de la visite d’État, à la fin du mois d’avril, du Président de la République à Washington, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, j’avais saisi les services de l’ambassade, afin de pouvoir m’entretenir avec le ministre-conseiller chargé des questions économiques et fiscales, qui a mené des démarches sur ce sujet auprès des institutions américaines et qui fait la liaison avec le ministre de l’économie et des finances, l’idée étant de créer à Bercy une cellule unique dédiée à l’accompagnement de ces Français « Américains accidentels ».

J’ai aussi pu rencontrer le président du french caucus du Congrès, le sénateur du Delaware Christopher Coons, avec qui nous avons échangé sur ce sujet. Nos collègues parlementaires américains sont bien conscients des difficultés engendrées par le FATCA.

Par ailleurs, l’Association des « Américains accidentels » a déploré le manque de soutien du Gouvernement français et réclame une « action diplomatique forte » auprès des États-Unis.

La discussion de cette proposition de résolution manifeste le soutien que nous élus devons apporter aux dizaines de milliers de nos compatriotes – pour certains encore dans l’ignorance – enfermés dans cette nasse.

En conclusion, je voudrais vous livrer les paroles d’un chef d’entreprise dont la banque va clôturer, unilatéralement, les comptes des différentes sociétés :

« Et quelle tristesse que de voir mon pays, jadis tellement libre et courageux, capable autrefois de sortir de l’OTAN pour garder sa liberté de parole et de décision, ce pays de tout temps à l’avant-garde dans la défense sincère des plus belles valeurs humaines, quelle tristesse, donc, que de voir ce même pays se soumettre aujourd’hui, et supporter que certains de ses résidents se voient interdire, par une autre nation, de devenir entrepreneurs ou de solliciter un crédit immobilier. »

Mes chers collègues, il apparaît important de soutenir la demande d’un traitement dérogatoire pour les « Américains accidentels » leur permettant soit de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés d’obligations fiscales américaines, mais aussi de leur assurer le droit au compte bancaire. Je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, presque tout a déjà été dit par les deux orateurs précédents.

On a des États-Unis l’image d’une grande démocratie, dotée d’un système juridique qui fonctionne bien. Or, en l’espèce, on est confronté à un système complètement soviétique ! Des gens se trouvent tout à coup pris dans une nasse : parce qu’ils sont nés sur le sol américain et y ont passé les premières semaines de leur vie, ils sont américains et doivent déclarer tous leurs revenus, y compris ceux dont la source se trouve hors des États-Unis, au fisc américain. S’ils ne veulent pas s’acquitter des impôts exigés par celui-ci, ils sont alors confrontés à des difficultés terribles. Nous avons été saisis par nombre de ces Américains « malgré eux ».

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, abandonner la citoyenneté américaine n’est pas du tout une solution aisément praticable. Il faut déposer un dossier, s’acquitter d’une taxe, dont le montant vient d’ailleurs de passer de 400 à 2 350 euros, et payer un avocat – on connaît les honoraires pratiqués aux États-Unis… Bref, nombre de ces personnes se trouvent dans une situation difficile.

Celles d’entre elles qui ne veulent pas se conformer au FATCA sont considérées comme des « titulaires récalcitrants » – c’est le terme américain – et sont soumises à une retenue à la source de 30 % sur leurs revenus d’origine américaine, quels qu’ils soient.

Par ailleurs, certains établissements bancaires français refusent de maintenir des relations commerciales avec les « Américains accidentels », craignant que le Gouvernement des États-Unis n’en tire prétexte pour leur interdire l’accès au marché américain.

Les Français ayant le statut de résident fiscal aux États-Unis peuvent ainsi se retrouver dans l’impossibilité d’ouvrir un compte bancaire en France. En outre, les personnes présentant un « indice d’américanité », pour reprendre une expression assez curieuse que je n’avais jamais entendu employer auparavant, sont dans l’impossibilité de partager un compte commun avec un conjoint français ou résidant en France.

Le Gouvernement français a entrepris un certain nombre de démarches, pour l’instant sans grand succès : on connaît la réticence des États-Unis à faire évoluer leur législation, qu’ils imposent au reste du monde. La présidence du Conseil européen a également écrit, le 8 mai 2017, au secrétaire du Trésor des États-Unis en vue d’appeler son attention sur ces difficultés, là encore sans obtenir de réponse. Il faudra donc faire monter quelque peu la pression…

Le fameux FATCA a été imposé par les États-Unis à tous les autres pays du monde, sous la menace, forte et efficace, d’interdire à leurs banques d’exercer leurs activités sur le territoire américain.

Or le principe de la réciprocité de l’échange des informations n’est pas respecté. Alors que les États-Unis nous obligent à leur fournir un certain nombre d’informations bancaires et financières concernant les citoyens américains résidant sur le sol français, ils ne nous transmettent qu’une partie des informations que nous sommes en droit d’attendre. Pour le reste, il faut demander les informations au cas par cas, ce qui est très compliqué.

Il faudrait aussi évoquer l’atteinte à la vie privée des personnes et le recours introduit devant le Conseil d’État.

Le texte que nous examinons vise à encourager le Gouvernement à poursuivre son action diplomatique en vue d’obtenir la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA et de permettre aux « Américains accidentels » d’être exonérés de ces obligations fiscales américaines. Le groupe La République En Marche soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mettons fin au suspense d’emblée : le groupe communiste républicain citoyen et écologiste soutiendra par son vote la proposition de résolution qui nous est présentée cette après-midi.

Nous soutiendrons ce texte pour les recommandations qu’il avance. Effectivement, il conviendrait d’assortir d’un amendement particulier l’accord bilatéral entre la France et les États-Unis. Notre diplomatie, dans le cas présent, se doit d’agir de manière urgente et volontariste pour qu’une législation américaine appropriée soit mise au point, afin d’obtenir un traitement dérogatoire pour les « Américains accidentels », qui leur permettrait soit de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés des obligations fiscales aux États-Unis.

L’action diplomatique est aussi nécessaire pour que les engagements de réciprocité intégrale pris par l’administration américaine dans le cadre de l’accord dit « FATCA » soient tenus. Cette réciprocité est effectivement à exiger, car, il convient de le rappeler à ce stade, dans l’accord de 2014 les États-Unis s’étaient engagés à fournir à la France des informations sur leurs ressortissants évadés fiscaux aux États-Unis. Or, à ce jour, les États-Unis n’ont engagé aucune démarche pour assurer ces échanges d’informations. Les obligations sont donc bien à sens unique, et cette situation n’est absolument pas acceptable.

Il ne s’agit pas pour nous de demander, comme certains parlementaires américains l’ont fait ces derniers temps, l’abrogation de la loi FATCA, qui exige de tout expatrié américain d’être en conformité fiscale avec son pays d’origine concernant les comptes bancaires détenus à l’étranger.

Cette arme de lutte contre l’évasion fiscale a été créée par l’administration américaine en 2010 et mise en place à partir de 2014. Que dit cette loi ? Elle fait obligation aux banques du monde entier de communiquer au Trésor américain les noms de leurs clients américains détenant plus de 50 000 dollars chez elles, sous peine, cela a été rappelé, de s’exposer à de lourdes sanctions en cas de non-coopération. Cela peut prendre la forme d’une amende équivalant à 30 % des revenus produits aux États-Unis, voire à l’interdiction pure et simple d’activité sur le sol américain par retrait de licence ou d’agrément.

Ce sont des mesures drastiques, dont il m’appartient de rappeler ici qu’elles devraient s’appliquer aussi aux cinquante entreprises américaines qui auraient stocké, selon la presse, 1 600 milliards d’euros dans des paradis fiscaux. Voilà un vrai cas d’évasion fiscale !

L’ONG Tax Justice Network, dans son rapport annuel publié en janvier dernier, classait les dix premiers paradis fiscaux mondiaux selon leur indice « d’opacité ». La Suisse venait en tête, suivie de très près par les États-Unis, dont l’ambivalence sur le sujet est confirmée par l’existence de ces trois États américains en situation de « paradis fiscal » que sont le Delaware, le Wyoming et le Nevada. On y autorise en effet avec une grande facilité l’enregistrement d’entreprises prête-noms et de trusts anonymes dans la plus grande discrétion… Les États-Unis combattent l’évasion fiscale qui nuit à leurs intérêts propres.

La puissance de l’économie américaine donne aux États-Unis la capacité d’imposer des règles en dehors de leurs frontières, et cela vaut aussi pour les banques du monde entier, qui doivent respecter la loi nord-américaine, puisqu’aucune d’entre elles ne pourrait se permettre de se passer de ce marché.

La piste de la renégociation de la convention fiscale franco-américaine peut aussi être envisagée, mais cette procédure risquerait à l’évidence de prendre plusieurs années. Aussi, les recommandations portées par la proposition de résolution nous semblent constituer pour l’heure la voie la plus raisonnable à suivre.

C’est donc ce qui nous amènera en toute lucidité à émettre un vote favorable sur cette proposition de résolution présentée par notre collègue Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient tout d’abord à remercier notre collègue Jacky Deromedi d’avoir présenté une proposition de résolution sur ce sujet extrêmement important.

En effet, bon nombre de nos collègues, en particulier Olivier Cadic, ont été saisis par des personnes dont la situation est affectée par la loi FATCA, puisqu’elles subissent une imposition américaine du fait qu’elles sont nées aux États-Unis.

Olivier Cadic me relatait tout à l’heure sa visite à Toronto la semaine dernière et sa rencontre avec un jeune de dix-sept ans qui vit là-bas, mais qui est né aux États-Unis, parce que ses parents y résidaient à l’époque. Celui-ci s’étonnait de devoir effectuer l’année prochaine un certain nombre de démarches administratives, notamment des déclarations fiscales. Cela montre bien les difficultés qu’entraîne la situation actuelle.

J’ai eu moi-même à connaître de nombreuses situations similaires en Bretagne. En effet, au cours du siècle dernier, il y a eu vers les États-Unis un vaste courant d’émigration de Bretons, qui ne trouvaient pas de travail chez eux. Bien des familles, originaires notamment du centre de la région, se sont rendues au pays de l’Oncle Sam, et de nombreux Bretons sont donc nés là-bas. Pour l’anecdote, Air France possédait une agence à Gourin, en plein centre de la Bretagne : c’est dire le courant d’affaires suscité par l’émigration d’une partie de la population locale vers les États-Unis !

On a assisté ensuite au retour en Bretagne de personnes qui sont nées aux États-Unis, mais qui n’ont jamais vraiment vécu dans ce pays. Depuis la loi de 2014, celles-ci se trouvent en grande difficulté.

L’association des « Américains accidentels », qui regroupe plusieurs centaines de membres – 515, me semble-t-il –, reçoit encore chaque semaine de nombreuses demandes d’inscription. Elle compte bien sûr beaucoup de Bretons. Je tiens d’ailleurs à saluer son président Fabien Lehagre, qui est présent aujourd’hui, car c’est en partie grâce à lui, à son dynamisme et à la médiatisation de son action que nous avons connaissance des difficultés des nombreuses personnes dans cette situation.

Je ne reviendrai pas sur les causes de ce problème, puisque mes quatre prédécesseurs à la tribune ont eu l’occasion de le faire, mais je tiens à répéter que j’ai eu moi aussi l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnes concernées par cette situation.

Je pense notamment au témoignage d’un chef d’entreprise du Finistère dirigeant une importante entreprise de location de matériel et d’outillage, qui réalise un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et emploie 370 salariés. Cette personne a quitté le territoire américain à l’âge de trois ans : elle n’a donc ni vécu de façon permanente aux États-Unis ni jamais travaillé là-bas. Néanmoins, elle est aujourd’hui tenue de déclarer chaque année au fisc américain l’ensemble de ses revenus et de ses avoirs, pour éviter de se retrouver dans l’illégalité. Inutile de vous dire quelles seront les conséquences au moment d’une succession ou lors d’actes bancaires… Celles-ci ont déjà été rappelées.

Il est important de trouver des solutions à cette situation. Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui vise en particulier à ce que le Gouvernement se saisisse de cette question et à ce que la Commission européenne, comme l’a dit Richard Yung, se mobilise. Il faut en effet avancer. On ne peut pas admettre que des personnes se retrouvent ainsi dans la difficulté.

Le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution et souhaite poursuivre les démarches tendant à accompagner les personnes concernées, concitoyens de France et Français implantés à l’étranger, qui sont nombreuses dans cette situation.

Monsieur le président, je profite de l’occasion pour évoquer un sujet parallèle, qui concerne le Chili. En effet, j’ai été saisi de la situation de quelques Chiliens employés par l’institut culturel et par l’ambassade de France au Chili. On demande à ces personnes qui ne connaissent rien de notre pays d’effectuer leur déclaration fiscale en France. Pour autant, il paraît logique, puisqu’ils habitent au Chili, qu’ils le fassent dans ce pays, ce qui était le cas jusqu’à présent.

Pour je ne sais quelle raison, un fonctionnaire de l’important ministère des affaires étrangères aurait décrété que, dorénavant, ces personnels chiliens employés par la France devraient déclarer leurs revenus dans notre pays, sans avoir droit bien entendu à l’ensemble des prestations sociales dont bénéficient les Français qui déclarent leurs revenus en France. J’appelle donc également l’attention du Gouvernement sur la nécessité de régler ces situations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre de la proposition de résolution déposée par notre collègue Jacky Deromedi, qui a pour objet le sort de certains de nos concitoyens, mieux connus désormais sous le nom d’« Américains accidentels », aujourd’hui placés dans l’obligation légale de répondre aux injonctions du fisc américain.

Rappelons que cette situation est la conséquence de la loi FATCA, en vigueur depuis le 1er juillet 2014, qui oblige par effet de ricochet tous les citoyens français ayant un « indice d’américanité » – j’ai été, comme Richard Yung, surpris par ces termes – à régulariser leur situation auprès de l’administration fiscale américaine.

Cette injonction aboutit précisément à une situation que M. le secrétaire d’État lui-même a qualifiée de « kafkaïenne », ce qui ne saurait être démenti, mais que l’on pourrait tout autant qualifier d’ubuesque. En effet, ces citoyens, qui sont des personnes ordinaires, vivent, travaillent, paient leurs impôts et sont en règle avec les lois de leur pays de résidence, la France.

Or l’application de la loi FATCA met ces citoyens français, « Américains accidentels », dans une situation intenable, singulièrement sur le plan bancaire.

J’ai d’ailleurs posé il y a peu de temps une question orale au Gouvernement, afin, d’une part, de l’interpeller sur ses intentions, et, d’autre part, de décrire les difficultés rencontrées concrètement par ces personnes victimes – le mot n’est pas excessif – d’un détournement du droit.

Nos concitoyens concernés peuvent en théorie abandonner leur nationalité américaine, mais cette renonciation ne peut être obtenue sans la régularisation au préalable de leur situation fiscale sur le territoire américain.

Or ce processus étant long, complexe et, de surcroît, coûteux, les personnes touchées par l’application de cette loi sont dans l’incapacité de se charger seules de la démarche et doivent donc recourir à une aide juridique. Le coût de la procédure vient s’ajouter au risque de se voir infliger dans certains cas une amende, mais également à celui de voir leur compte bancaire fermé brutalement par les banques françaises, qui préfèrent – cela peut se comprendre – ne pas se mettre en infraction avec le FATCA.

Certes, plusieurs scandales de fraude fiscale – nous connaissons tous ceux de la banque UBS en 2008 et, plus récemment, des « Panama papers » ou des « Paradise papers » – légitiment l’échange automatique de données entre les États. Chacun ici en est persuadé. Toutefois, dans le cas présent, il s’agit évidemment d’autre chose, et j’insiste avec force sur la nécessité de protéger les droits de nos concitoyens injustement mis en cause par l’application de cette loi.

Je veux à cet égard rappeler le manque de considération des institutions fiscales américaines envers nos concitoyens. Le jus soli contraint ces derniers à payer des impôts en France et outre-Atlantique, dans la mesure où l’administration américaine, l’Internal Revenue Service, ou IRS, contourne l’interdiction de la double imposition, établie par la convention fiscale bilatérale du 31 août 1994, en imposant des éléments qui ne le sont pas en France.

Il s’agit d’une unilatéralité agressive, à laquelle s’ajoute une intrusion, par l’entremise des banques, dans la vie privée de chaque citoyen franco-américain et de son conjoint, ce qui n’est pas sans poser question au regard de l’article 9 de notre code civil, d’autant plus que notre Haute Assemblée s’est penchée sur la question lors de l’examen du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

C’est pourquoi, à l’occasion de la discussion de cette proposition de résolution, je note avec satisfaction que, toutes tendances confondues, les parlementaires se mobilisent sur ce sujet révélateur d’une manière très particulière de concevoir les relations internationales.

Nos entreprises elles-mêmes, ainsi que les autres entreprises européennes, pourraient d’ailleurs, avec le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, se trouver confrontées à l’extraterritorialité du droit américain.

Certes, on doit reconnaître l’engagement dans ce dossier du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui a porté le débat à l’échelle européenne. Cependant, l’objectif demeure que cette situation trouve aussi rapidement que possible une solution définitive et ne se reproduise plus à l’avenir. C’est la raison pour laquelle la proposition formulée par notre collègue visant à entamer la négociation d’un amendement à l’accord fiscal bilatéral me semble particulièrement bienvenue.

Ainsi, les négociations devraient porter sur la possibilité pour nos concitoyens de renoncer, s’ils le souhaitent, à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite – ou, à tout le moins, peu onéreuse –, mais également, pour ceux qui ne désirent pas la perte de leur double nationalité, la fin d’une imposition fiscale non fondée par les institutions américaines.

Enfin, concernant la fermeture abusive des comptes bancaires, il est important de rappeler une nouvelle fois à nos concitoyens concernés qu’un recours auprès de la Banque de France est possible. Celui-ci devrait même être facilité, afin de contraindre les banques appliquant cette procédure, qui, il faut le rappeler, est contraire au droit au compte garanti par l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, d’accepter la réouverture d’un compte sans usage d’une réponse dilatoire.

Puisque nous en sommes à évoquer la loi FATCA, je note que cette dernière impose également aux États-Unis d’Amérique un principe de réciprocité complète. Il faudrait en bonne logique que les institutions bancaires américaines fournissent des informations à notre administration sur des comptes détenus sur le sol américain en cas d’évasion fiscale avérée. Ce principe n’étant pas respecté, une action diplomatique plus globale serait dans l’ordre des choses.

Nous sommes nombreux à avoir été interpellés par des « Américains accidentels » résidant dans nos territoires, et par l’association qui les représente. Les « Américains accidentels » bretons n’ont pas manqué de venir me voir, comme ils l’ont fait avec Michel Canevet. Ils nous ont sensibilisés sur leur situation, pour que nous puissions répondre avec efficacité et rapidité à leur appel au secours.

Je ne puis donc que souligner l’intérêt de ce texte, dont je ne vois pas quels arguments pourraient lui être opposés. Logiquement, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est la conséquence de la ratification par la France, le 29 septembre 2014, de l’accord bilatéral France-États-Unis relatif à la loi FATCA, en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale.

Cette ratification a créé pour certains de nos compatriotes une injustice que nous n’avions pas anticipée. En effet, seuls deux pays au monde pratiquent une taxation fondée sur la nationalité : les États-Unis et l’Érythrée, petit pays de six millions d’habitants…

D’une part, aux États-Unis, le droit du sol est total : une personne née sur leur territoire est de fait américaine. D’autre part, seuls les États-Unis appliquent à tout Américain un impôt fédéral, quel que soit son lieu de résidence.

Ces deux particularités du système américain ont conduit des Français nés accidentellement aux États-Unis à devenir des contribuables américains sans avoir de liens familiaux dans ce pays, sans y résider et même parfois sans en maîtriser la langue. Nous pouvons nous demander combien de nos compatriotes se trouvent ainsi piégés : des centaines, des milliers, sans doute, mais aucune information précise n’existe à leur sujet.

Le paradoxe est que les États-Unis, eux, peuvent obtenir cette information : il leur suffit d’interroger le système bancaire français. On leur indiquera, sur la seule base du lieu de naissance, combien de ressortissants considérés comme américains vivent sur notre territoire. Je souhaite que la Banque de France soit interrogée et qu’elle puisse nous répondre, comme elle l’a fait aux États-Unis, sur le nombre précis de personnes concernées par cette situation.

En ratifiant la convention relative à la loi FATCA, l’État français a obligé nos banques à déclarer au fisc américain les clients présentant des « indices d’américanité ». C’est très facile : il suffit d’identifier le lieu de naissance ! Les banques craignent, si elles ne se mettent pas en conformité avec le droit américain, de se voir infliger des amendes considérables. Le syndrome de la BNP, qui a été pénalisée à hauteur de 9 milliards de dollars, a laissé une trace indélébile, qui explique la frilosité de nos établissements bancaires.

La nécessité apparaît clairement de reprendre les négociations par la voie diplomatique pour corriger les accords de 2014, en prenant en considération ce qui a probablement échappé aux rédacteurs de l’époque. Il me semble qu’il n’y a que deux solutions.

La première consiste à laisser à nos ressortissants la possibilité de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite. Aujourd’hui, ils doivent se plier à une démarche lourde et souvent menaçante – quand ils sont reçus, on leur explique combien il sera dangereux pour eux de renoncer à la nationalité américaine. De plus, ils devront s’acquitter, pour cette procédure, de frais de dossiers, qui s’élèvent aujourd’hui à 2 400 dollars dans le meilleur des cas.

La seconde solution consisterait tout simplement à ce qu’ils soient exonérés d’obligations fiscales américaines. Cette action diplomatique doit être menée à l’échelon français, c’est vrai, mais également au niveau européen, avec l’ensemble de nos partenaires qui sont dans notre situation.

Monsieur le secrétaire d’État, ce qui nous interroge aujourd’hui, c’est la position des autres pays : ont-ils ratifié la convention FATCA dans les mêmes termes que nous ? Les Pays-Bas ont réagi pour défendre les « Américains accidentels » hollandais. Qu’en est-il des autres États européens ? Comment réagissent les établissements bancaires des autres pays ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces sujets ?

La première conséquence de cet abus du droit américain est la crainte des institutions financières françaises. Celles-ci redoutent de ne pas respecter à la lettre des engagements de la France vis-à-vis des États-Unis relatifs à la communication de leurs données clientèle. Elles craignent de devoir supporter de lourdes sanctions, de voir leur réputation entachée, voire d’être bloquées dans leur activité aux États-Unis.

Sans pour autant approuver cette position, on peut comprendre dans ces conditions, mes chers collègues, que certaines banques préfèrent fermer ou refuser l’ouverture des comptes des « Américains accidentels », plutôt que d’avoir à assumer des risques liés à une ratification dont elles ne sont pas à l’origine.

Notre rôle, celui du politique, des parlementaires, du Gouvernement, est de briser cet engrenage qui contraint nos banques et pèse sur nos concitoyens.

Bien des interrogations restent en suspens, notamment quant au nombre de personnes concernées – je l’ai dit –, aux contraintes qui pèsent sur les banques françaises – jusqu’où doivent-elles aller ? –, à la situation des autres ressortissants européens nés aux États-Unis, à la réaction des autres États à travers le monde, au comportement des établissements bancaires dans d’autres pays, aux conséquences imposées par les États-Unis en cas de retrait de nationalité, aux conditions de la réciprocité, aux effets induits pour les membres de la famille de ces Américains dits « accidentels », puisque certains peuvent être inquiétés, aux héritages, aux contrôles, à la suspicion, etc.

Toutes ces questions mériteraient un travail approfondi, qui serait bien mené s’il était confié à une mission sénatoriale, afin d’identifier des solutions politiques structurelles et durables à la problématique de l’application du droit fiscal américain sur notre territoire, sujet beaucoup plus global qu’il serait bon de traiter au fond et dans le détail.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est prêt à contribuer à cette réflexion d’intérêt national et votera toute avancée sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)