M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Madame la ministre, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement sur la liaison fluviale à grand gabarit entre la Moselle et la Saône, projet annoncé depuis des décennies en raison de son intérêt en matière de desserte des bassins industriels lorrains.

Ce projet a pris encore beaucoup plus d’intérêt avec l’abandon, il y a vingt ans, de la liaison Rhin-Rhône par le Doubs : alors qu’on la pensait complémentaire, la liaison entre la Moselle et la Saône est devenue l’alternative indispensable.

Il est, en effet, impératif de relier le Rhin et la Méditerranée par une voie fluviale aux caractéristiques permettant l’accueil des bateaux de la classe européenne Vb, dits « grands rhénans », dont le tonnage peut aller jusqu’à 6 000 tonnes.

La liaison entre la Moselle et la Saône correspondrait aux voies navigables d’intérêt international. Elle serait un élément clé du corridor multimodal européen n° 9.

Le réseau fluvial français présente une trop faible proportion de voies à grand gabarit par rapport à celui de nos voisins européens : seulement un cinquième du réseau – contre environ la moitié chez eux –, avec 1 700 kilomètres sur 8 500.

L’intérêt de faire passer la liaison Rhin-Rhône par la Moselle et la Saône dépasse le fait de relier les bassins par des canaux à grand gabarit. Il s’agit aussi d’adapter les voies aux dimensions des bateaux et de désengorger les canaux existants.

L’enjeu est, en outre, de relier les activités économiques du nord-est de la France à celles des bassins rhodanien et méditerranéen.

L’intérêt est économique et écologique. Il faut transférer le maximum de marchandises qui ne sont pas soumises aux flux tendus de la route vers le rail et le fleuve.

Ce projet est structurant pour les régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté. Je vous rappelle que Metz et Thionville, distantes de trente kilomètres, sont les sixième et septième ports fluviaux français, Metz étant le premier port pour les céréales et Thionville le premier pour la métallurgie.

Il y a longtemps déjà, j’avais fait inscrire ce projet au schéma national des voies navigables. Cela ne date pas d’hier puisque Bernard Pons était alors ministre de l’équipement et des transports !

Ce projet avait été confirmé par la loi Grenelle de 2009.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. François Grosdidier. Des études ont été entamées par l’État, nous le savons, mais, à notre connaissance, elles n’ont pas été achevées.

Il est fondamental de relier la mer du Nord à la Méditerranée. J’aimerais, en conséquence, savoir, madame la ministre, où en sont les études et les discussions sur ce projet. Le Gouvernement soutient-il toujours cette mise en œuvre ? Et si oui, quels moyens compte-t-il investir ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, le canal Saône-Moselle–Saône-Rhin consiste, vous l’avez rappelé, à créer une liaison fluviale à grand gabarit entre la Méditerranée, l’Europe du Nord et l’Europe centrale par un canal entre la Saône et la Moselle, d’une part, et la Saône et le Rhin, d’autre part. Le linéaire concerné représente environ 350 kilomètres, pour un coût de l’ordre de 15 milliards d’euros.

L’enjeu est de relier aux principaux réseaux fluviaux et maritimes européens les ports maritimes et le réseau fluvial à grand gabarit de l’est de la France.

Le coût de cette infrastructure apparaît hors de portée des financements actuellement envisageables. J’ai mentionné les besoins complémentaires et les sommes supplémentaires qu’il nous faudrait consacrer à la régénération et à la modernisation de notre réseau fluvial, sans parler des projets d’aménagement autour du canal Seine-Nord et du canal Seine-Nord lui-même et des autres besoins afférents aux projets ferroviaires ou routiers. À regarder le coût de ce projet avec lucidité, on voit bien qu’il n’est pas réalisable à court ou même à moyen terme. C’est la raison pour laquelle la commission Mobilité 21 l’avait retenu comme un projet de très long terme. Et, de fait, il n’a pas été examiné par le Conseil d’orientation des infrastructures.

Dans ces conditions, la perspective d’un débat public, initialement envisagé et qui avait fait l’objet d’une préparation entre VNF et les collectivités locales concernées, a été abandonnée en 2013.

Certes, on voit bien les nombreux atouts dont dispose ce projet. Toutefois, les besoins considérables recensés par ailleurs me conduisent à considérer qu’il vaut mieux l’appréhender sur le long terme plutôt que sur le court ou le moyen terme. Quoi qu’il en soit, il n’a en effet pas été retenu parmi les scénarios du Conseil d’orientation des infrastructures.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le canal Seine-Nord a déjà mobilisé l’attention cet après-midi, permettez-moi de poursuivre encore quelques minutes sur le sujet. Je l’aborderai toutefois sous un autre angle.

Le canal Seine-Nord est un grand projet structurant pour la région Hauts-de-France, mais aussi pour l’Île-de-France. Il est absent du rapport Duron, puisqu’il a été considéré comme acté. Je le rappelle, il contribuera à développer une mobilité durable dans notre pays et il est au centre de toutes nos attentions.

Toutefois, vous le savez, des interrogations sur son financement persistent. Les inquiétudes portent notamment sur l’origine de la part du financement de l’État qui reste, quant à elle, à définir, même si, madame la ministre, vous nous avez donné plusieurs pistes, sur lesquelles je reviens. Le lundi 28 mai, vous avez annoncé que le Gouvernement travaillait sur la possible instauration d’une vignette temporelle, afin que les transporteurs routiers contribuent au financement des infrastructures.

Cependant, la commission des transports et du tourisme du Parlement européen a adopté, le 24 mai, le rapport de Mme Christine Revault d’Allonnes Bonnefoy sur la proposition de révision de la directive Eurovignette. Il y est proposé, par l’amendement n° 38, que, à partir du 1er janvier 2021, les autoroutes concédées soient soumises à une redevance pour coûts externes. Il s’agit donc de supprimer progressivement l’utilisation des droits d’usage fondés sur la durée pour instaurer un système basé sur une distance parcourue. Dans ces conditions et si le rapport est définitivement pris en compte, les États membres n’auront plus le choix.

Aussi, je vous demande, madame la ministre, alors que vous comptez instaurer un système de vignette pour financer les travaux d’infrastructures et que l’Union européenne semble avoir une autre orientation, privilégiant plutôt le principe de pollueur-payeur, si vous pouvez nous éclairer sur les perspectives et sur vos intentions.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je le précise, aucune décision n’est prise actuellement sur les modalités de financement des infrastructures.

Plusieurs pistes sont, il est vrai, évoquées dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.

La première, qui peut être tentante, consisterait à proposer de financer tout cela par redéploiement. Nous sommes en présence de différents scénarios. Ainsi, le scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures, qui est le scénario médian, repose sur un redéploiement de ressources supplémentaires à hauteur de 600 millions d’euros. Si je me tourne vers mes collègues du Gouvernement pour leur demander s’ils ont trop d’argent dans leur budget, je ne suis pas sûre d’avoir beaucoup de succès ! Cela étant, on peut en effet explorer cette piste.

Une autre piste serait de s’interroger sur l’augmentation pour les professionnels du remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou TICPE, en suivant le rythme de progression de la fiscalité carbone.

Dernière piste, enfin, l’hypothèse d’une redevance.

Les transporteurs routiers sont particulièrement attentifs à ces sujets très sensibles.

Je vous confirme que nous sommes en train d’y réfléchir. Nous nous sommes donné pour premier objectif de faire participer au financement de nos infrastructures les poids lourds qui transitent par notre pays et qui, aujourd’hui, font le plein dans les pays limitrophes. L’idée est d’autant plus intéressante que l’usure de l’infrastructure est en cause. En outre, les enjeux s’appréhendent souvent en termes de dimensions, car ces flux très importants de poids lourds qui traversent notre territoire rendent nécessaire le doublement d’un certain nombre de routes nationales.

Le premier enjeu, c’est de bien répondre à cet objectif de faire participer ces poids lourds en transit à nos infrastructures. Il en est un deuxième, qui est de s’assurer que la charge ne pèsera pas sur les transporteurs routiers. En effet, on le sait très bien, il s’agit souvent de petites entreprises fragiles. Cela conduit à s’interroger sur leur capacité à répercuter la charge sur les chargeurs pour avoir une fiscalité écologique qui fasse payer le coût du transport à ces utilisateurs. Ces réflexions sont donc en cours.

J’ai bien noté les propositions contenues dans le rapport de Mme Revault d’Allonnes Bonnefoy. Nous sommes un certain nombre d’États à considérer que l’Europe doit laisser aux États membres des marges de manœuvre quant à la façon d’envisager le financement de nos infrastructures. Et nous serons un certain nombre d’États à ne pas souscrire à l’orientation proposée dans ce rapport.

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de tirer la conclusion de ce débat au nom de mon groupe.

Nous l’avons vu, malgré d’indéniables atouts, le transport fluvial reste marginal en France.

La part modale de la voie d’eau dans notre pays – plusieurs chiffres ont été cités, il semble qu’elle se situe autour de 3 % – est inférieure à celle que l’on constate à l’échelon européen – 7 % – et, encore plus, à celle des Pays-Bas – 43 % –, de l’Allemagne – 15 % – et de la Belgique – 12 %.

Sur 18 000 kilomètres de voies d’eau, la France possède 8 500 kilomètres de voies navigables mais seulement 1 700 kilomètres au gabarit européen. Un maillage fluvial du territoire français existe donc, mais il souffre d’une absence d’interconnexions entre les bassins à grand gabarit. J’y reviendrai plus tard, avec un exemple précis.

À cela s’ajoutent les sous-investissements du passé, qui ont aggravé le poids de certains handicaps, entraînant une lente obsolescence de l’infrastructure et laissant notre réseau dans un état d’inadaptation aux conditions d’une nouvelle dynamique du secteur.

La France subit ainsi ce déficit fluvial, qui est également la conséquence du défaut d’une stratégie assez globale des pouvoirs publics.

Cela a été largement rappelé lors de nos débats, les investissements en faveur des voies navigables demeurent insuffisants dans notre pays.

Les investissements actuellement consentis à cette fin, à hauteur de 150 millions d’euros par an, ne permettent pas de maintenir le réseau en état et d’empêcher son vieillissement.

Ainsi, certains ouvrages, notamment sur le petit gabarit, se dégradent et deviennent moins fiables, au point qu’il n’est plus possible d’y circuler – c’est le cas, par exemple, du canal Sambre-Oise.

Pour les remettre à niveau, nous le savons, il faudrait notamment procéder à des drainages, régénérer les écluses, renforcer l’automatisation et améliorer la sécurité des installations.

La situation devrait demeurer sous contrôle encore cinq à six ans, mais sans investissements supplémentaires elle deviendrait plus difficile.

Au-delà de ces considérations financières, il est toutefois urgent d’avoir une vraie vision pour le transport fluvial. II ne faut pas perdre de vue que l’amélioration de notre performance environnementale passe par l’utilisation d’autres modes complémentaires, comme le transport fluvial. Cela a été dit, celui-ci consomme trois fois moins d’énergie que le transport routier.

Ce mode de transport dispose de fortes réserves de capacité et peut absorber un important trafic de marchandises. Présent au cœur des plus grandes agglomérations, il offre des itinéraires de contournement des points de saturation, tout en assurant une desserte de proximité.

Écologique par sa moindre consommation d’énergie et ses faibles niveaux d’émission de polluants et de CO2, économique par sa capacité de tonnage, fiable par la sûreté de ses acheminements et sa ponctualité, la voie d’eau propose des solutions adaptées aux nouvelles exigences en matière de transport.

Je souhaite, madame la ministre, vous interroger sur l’avancement des études en cours relatives à la liaison fluviale Saône-Moselle–Saône-Rhin.

Je vous ai entendue répondre à mon collègue Grosdidier. Ce que je regrette beaucoup, c’est que nous ayons été privés du projet de canal qui existait à l’horizon 1995. Sous prétexte que le Premier ministre n’a pas signé le décret, une nouvelle ministre a annulé ce grand projet qui est, pour notre région, l’erreur du siècle dernier et du début de ce siècle ! Cela ne me satisfait pas de vous entendre dire que c’est un très beau projet, à très long terme. Il s’agit quand même de relier le cœur économique de l’Europe à la Méditerranée !

Je regrette un peu de faire état de cette indiscrétion, mais parce que je suis un élu bourguignon, je ne pouvais pas la passer sous silence !

Mes chers collègues, à travers ce débat, le groupe Les Républicains et moi-même avons souhaité interroger le Gouvernement sur l’urgente nécessité de mener une politique volontariste en faveur du transport fluvial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus defficacité

Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus defficacité, organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

La parole est à M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré les mesures mises en œuvre par les gouvernements successifs au cours des dernières décennies, la route demeure, en France, la première cause de mort violente.

Chaque année, environ 3 500 personnes meurent dans un accident de voiture et 75 000 sont blessées, dont 28 000 grièvement.

Ce constat préoccupant appelle une politique publique forte de lutte contre l’insécurité routière.

La fixation des vitesses maximales autorisées, le port obligatoire de la ceinture et du casque, l’introduction du permis à points, ou encore l’introduction des radars automatiques sont autant de mesures qui ont permis de mieux sécuriser nos routes.

Ainsi, entre 1970 et 2010, la baisse du nombre de morts a été significative, puisque l’on est passé de plus de 17 000 personnes tuées à moins de 4 000.

Il semblerait toutefois que nous ayons atteint un palier : malgré de nouvelles mesures, les chiffres de l’insécurité routière ne diminuent plus depuis 2013 et sont même en légère augmentation.

Pour répondre à cette inversion de tendance, le Premier ministre a annoncé, le 9 janvier dernier, le lancement d’un nouveau plan de lutte contre l’insécurité routière.

Composé de dix-huit mesures, ce plan vise à donner une nouvelle impulsion, afin de faire baisser la mortalité sur les routes. L’objectif annoncé est ambitieux : atteindre moins de 2 000 morts sur les routes d’ici à 2020.

L’une de ces mesures a focalisé le débat public : l’abaissement, à compter du 1er juillet prochain, de la vitesse maximale autorisée de 90 kilomètres par heure à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens sans séparateur central. Cette décision est loin d’être anodine et concernera, dans la pratique, une part significative du réseau routier secondaire !

Cette mesure a suscité de nombreuses oppositions et critiques. Beaucoup s’interrogent sur son utilité et sur sa proportionnalité. Les incompréhensions parmi la population sont d’autant plus vives que le Gouvernement n’a pas procédé à une concertation préalable suffisante ni fourni d’éléments de nature à étayer sa décision.

Selon une étude récente réalisée par l’assureur Axa Prévention, 76 % des Français y seraient ainsi opposés.

Or nous savons que l’efficacité d’une mesure repose en partie sur sa compréhension et sur son acceptabilité par la population. Cela est d’autant plus vrai en matière de sécurité routière, domaine dans lequel le comportement des conducteurs joue un rôle majeur. Qui plus est, dans un contexte où la fracture territoriale et le sentiment d’éloignement, déjà éprouvés par beaucoup de nos concitoyens, risquent de s’en trouver exacerbés.

Je rappelle, en outre, qu’il est nécessaire d’aborder l’enjeu de la sécurité routière de manière globale, en incluant notamment la question des moyens accordés aux collectivités pour l’entretien et la réfection des routes, ou encore la prévention des conduites à risque telles que l’absorption d’alcool, de stupéfiants ou la prise de certains médicaments.

À la suite à cette annonce gouvernementale, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois du Sénat ont décidé, le 24 janvier dernier, de créer un groupe de travail pluraliste chargé de conduire ses travaux dans des délais contraints, liés au souhait de rendre des conclusions en temps utile, c’est-à-dire avant la publication du décret de mise en œuvre de la réduction de vitesse à 80 kilomètres par heure.

Nous nous sommes ainsi efforcés d’évaluer, sans a priori, l’utilité et l’efficacité de cette mesure en organisant une série d’auditions, afin d’entendre l’ensemble des parties prenantes : principaux acteurs de la sécurité routière, représentants d’élus locaux, usagers de la route…

Au total, quarante-sept personnes ont été entendues, à l’occasion de dix-sept auditions et tables rondes.

Nous avons, en parallèle, décidé d’ouvrir sur le site du Sénat un espace participatif, afin d’associer à cette réflexion l’ensemble de la société civile.

Le succès de cette plateforme est sans précédent : en quelques semaines, plus de 23 000 contributions de citoyens ont pu être collectées !

Dans l’ensemble, les témoignages recueillis font état d’un rejet assez large de la mesure au sein de la société civile. S’il est bien sûr difficile de généraliser ces conclusions, nous pouvons, en tout état de cause, y voir le signe d’une très forte mobilisation.

Les deux commissions ont adopté à l’unanimité le rapport que nous leur avons soumis le 18 avril dernier. Mes deux collègues vous présenteront de manière plus précise les résultats de nos travaux, ainsi que nos propositions. Je souhaite, à cet égard, rappeler qu’un consensus s’est très naturellement dégagé sur les conclusions de ce rapport.

Mes chers collègues, la réduction de la mortalité sur les routes doit, plus que jamais, être placée au rang de priorité. Mais il est de notre devoir de parlementaires de nous assurer que les mesures mises en œuvre par le Gouvernement sont pertinentes et proportionnées au regard de l’objectif poursuivi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, si nous sommes rassemblés ici ce soir, c’est parce que nous nous accordons tous unanimement pour reconnaître la gravité de ce dossier et que nous sommes tous très sensibles à la sécurité routière. Je tenais à le rappeler !

J’ai, à dire vrai, de bonnes raisons de reprendre la genèse de cette histoire, qui fait énormément de bruit à l’échelon national, en fait toujours et n’a pas fini d’en faire, je peux vous l’assurer, madame la ministre ! En effet, lorsque les premières questions ont été posées au Gouvernement, que ce soit ici au Sénat ou à l’Assemblée nationale, les réponses des différents ministres ont été méprisantes, infantilisantes, voire culpabilisantes vis-à-vis des parlementaires !

M. Alain Fouché. C’est vrai !

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Lorsque nous leur avons demandé sur quelles bases et à partir de quelles expérimentations cette mesure avait été décidée, nous n’avons obtenu, dans un premier temps, aucune réponse ! Et c’est ainsi que, grâce à l’appui du président Larcher, du président de la commission des lois, du président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, il a été décidé, au Sénat, dont on ne peut mettre en doute ni la sagesse ni le sérieux et dont le rôle est aussi de contrôler le Gouvernement, de constituer un groupe de travail sur le sujet.

Nous nous sommes mis au travail. Aux premières questions que nous avons posées, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des réponses. Ce fut le cas pour cette fameuse étude du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ou CEREMA. Les choses furent encore beaucoup plus difficiles quand nous avons abordé l’étude de l’accidentalité.

Nos conclusions ont toutefois été assez claires : si personne ne détient la vérité, pas plus en matière de sécurité routière que dans d’autres domaines, la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure constitue un seuil psychologique inacceptable. De plus, les 400 000 kilomètres de routes secondaires concernés se trouvent dans des départements qui, l’un après l’autre, se sont vu refuser des mises à deux fois deux voies de routes. Récemment d’ailleurs, la Cour des comptes a souligné les lenteurs excessives de l’État à propos d’une route à deux fois deux voies ; celle-ci était située, me semble-t-il, en Saône-et-Loire, mais on pourrait citer des exemples dans beaucoup d’autres départements.

Or si le Gouvernement avait vraiment envie de réduire le nombre de morts, puisqu’il nous explique que celles-ci sont beaucoup moins nombreuses sur les routes à deux fois deux voies, il fallait commencer par cela ! Surtout qu’il récolte 2 milliards d’euros grâce aux PV ! Quand même peut-être y a-t-il moyen de faire un peu plus !

Certes, je le répète, personne n’est sûr de détenir la vérité, mais il faut se poser de nombreuses questions quand on sait que, comme vient de le souligner mon collègue, 76 % des Français sont opposés à cette mesure. Ce pourcentage englobe des gens des villes et des gens des champs. L’Assemblée des départements de France, l’ADF, dont nous avons auditionné les représentants, lesquels adhèrent à la conclusion que va développer ma collègue Michèle Vullien, est également opposée à cette mesure.

Plus grave encore, nous avons senti, madame la ministre, une fracture assez importante au sein du Gouvernement.

À additionner tous ces points de vue, notre position s’en trouve largement confortée.

Votre ministre de tutelle a récemment sorti son joker. Le ministre chargé de l’aménagement du territoire s’est déclaré officiellement opposé. J’ai lu le dernier article consacré au sujet par Le Parisien et j’ai compté une dizaine de ministres sur vingt-deux qui étaient défavorables à cette mesure.

Et ce n’est pas de notre faute si la communication du Premier ministre a dérapé dès le départ. Sur les dix-huit mesures prises, il ne nous a parlé que de la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure sans nous donner la moindre explication et sans nous dire pourquoi, en s’appuyant sur des arguments scientifiques, cette mesure pouvait être mise en place.

On ne saura d’ailleurs jamais si elle porte ses fruits. En effet, dans le même temps, on installe des radars plus performants à double sens. Heureusement, on compte quelques routes à deux fois deux voies supplémentaires. Et la technologie des véhicules s’améliore, ce qui va également permettre de sauver des vies. Si bien que le bilan fait en fin d’année fera peut-être état de vies sauvées, mais l’on ne pourra jamais être certain que ce succès est dû à la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Je vais évidemment continuer à travailler sur ce sujet.

Je ferai maintenant une dernière remarque. Parmi les dix-huit mesures, il en est une sur la prévention routière qui est complètement vide ! Et pendant ce temps-là, le Premier ministre nous dit que le surplus des PV – ce qui représente 300 à 400 millions d’euros, car l’une des rares mesures qu’on ait pris la peine d’évaluer, c’est ce que vont rapporter les PV !– sera dédié aux hôpitaux.

M. Alain Fouché. Absolument !

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Je rappellerai au passage que la base de la sécurité routière, ce n’est pas la réparation du mal, c’est la prévention ! Lorsqu’une jambe est coupée ou que le crâne est fracturé, il est trop tard !

Je souhaite très fortement que la prévention soit renforcée, et ce sera l’une de nos actions futures. Quand vous pensez que le budget de la prévention routière a été ramené à 12 millions d’euros et que l’État lui donne généreusement 30 000 euros, après avoir prélevé 2 milliards d’euros d’impôts sur le dos de cette masse d’automobilistes qui n’ont parfois dépassé la vitesse maximale autorisée que d’un kilomètre par heure, on peut se poser beaucoup de questions sur la validité de ces mesures !

M. Laurent Duplomb. Très bien !

M. le président. Merci de conclure, cher collègue !

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Je ne rentrerai pas dans le détail de l’analyse des chiffres, qui est faussée.

Je dirai, en guise de conclusion, que les publicités actuellement diffusées à la télévision ne sont pas loin d’être mensongères. Mes collègues et moi- même avons, par honnêteté, refusé de comparer la France avec d’autres pays parce que la comparaison ne vaut pas. Je pourrais pourtant dire que, en Allemagne, on roule plus vite que chez nous et qu’il y a moins de morts, je pourrais dire que, en Angleterre, on roule également plus vite. J’ai refusé de le faire, ce dont le Premier ministre, en revanche, ne s’est pas privé dans les publicités ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)