M. Henri Leroy. … hausse du prix des péages de 1 % à 2 %, hausse du prix du stationnement dans de nombreuses communes étouffées par la baisse des dotations, hausse de la fiscalité sur les carburants, etc.

Mme Cécile Cukierman. Et le contrôle technique !

M. Henri Leroy. « Arrêtez d’emmerder les Français ! », disait le président Pompidou. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

J’ajoute que cette mesure sortie du chapeau a été prise sans concertation : ni les élus locaux ni les préfets n’ont été consultés. Bien pis, elle ne repose que sur des données très contestables. M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, va-t-il sérieusement remplacer les quelque 20 000 panneaux 90 ou 90 barré ? Allez-vous sérieusement engager la France dans une telle dépense ?

Le Premier ministre a annoncé que, au 1er juillet 2020, le Gouvernement tirerait les conséquences de cette mesure. Quelle absurdité de prendre le risque de devoir changer de nouveau tous les panneaux dans deux ans !

M. Henri Leroy. Je crois que, au fond de lui-même, le ministre de l’intérieur n’est pas convaincu par cette mesure stupide – peut-être ne l’êtes-vous pas vous-même, madame le secrétaire d’État (Exclamations sur différentes travées) –,…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cela fait deux fois, monsieur le sénateur !

M. Henri Leroy. … parce que l’expérimentation n’a pas fait ses preuves, parce qu’elle est coûteuse, parce qu’elle est pénalisante pour nos territoires, parce que 76 % des Français sont contre !

J’ai écouté avec attention l’entretien télévisé de Gérard Collomb sur une chaîne d’infos au mois de février dernier. Il s’est exprimé ainsi : « C’est vrai qu’on aurait pu regarder les tranches les plus accidentogènes ».

Eh bien, je suis d’accord avec M. le ministre d’État : nous devons procéder par sectorisation. Laissons aux départements le soin de déterminer les portions où la vitesse doit être baissée à 80 kilomètres par heure et celles où la vitesse doit demeurer à 90 kilomètres par heure.

M. Alain Fouché. Très bien !

M. Henri Leroy. Emmanuel Macron lui-même disait, lorsqu’il était encore candidat : « En France, les vitesses sont impaires : 30, 50, 70, 90, 110, 130. Cela participe de leur lisibilité. Je suis naturellement favorable, dès lors que les conditions de danger l’imposent, à abaisser la vitesse à 70, »…

M. François Bonhomme. Évidemment !

M. Henri Leroy. … « mais abaisser en section courante la vitesse à 80 interrogerait l’ensemble de l’édifice. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Henri Leroy. Madame le secrétaire d’État,… (Nouvelles marques détonnement.)

Cela fait trois fois, mais je le répète volontairement !

… vous qui avez été longtemps une élue locale, ayez la volonté de dire au Président le mal que les territoires pensent de cette décision.

M. Philippe Pemezec. Il décide tout seul !

M. Henri Leroy. L’alcoolisme, les fautes de comportement sont plus mortels que la vitesse. Si les Français se désintéressent de plus en plus de la politique, c’est à cause du double discours permanent que leur servent une poignée de responsables publics.

Je souhaite maintenant évoquer avec vous un second sujet, qui est lié à la sécurité générale, donc à la sécurité routière. La loi du 3 juin 2016 et son décret du 23 décembre de la même année ont autorisé, à titre expérimental, pendant deux ans, l’usage de caméras individuelles par les agents de police municipale dans le cadre de leurs interventions, y compris sur les routes. Tous les élus locaux et tous les policiers municipaux que je rencontre sont pleinement satisfaits de cette disposition.

Le port d’une caméra individuelle est d’ailleurs assez répandu. Il est autorisé à la fois pour les policiers, les gendarmes, même les agents de la SNCF et de la RATP, et certainement, très bientôt, les pompiers.

De l’avis unanime des acteurs de terrain, cette mesure ne présente que des avantages. Elle est d’abord une garantie pour la procédure pénale et les parties concernées. L’encadrement législatif et réglementaire est strict. La preuve collectée aide au constat des infractions et à la poursuite des auteurs. Surtout, elle est une garantie pour nos polices municipales : filmer les échanges entre forces de l’ordre et population diminue les tensions et les incivilités. C’est aussi une protection contre les mises en cause. Enfin, c’est un témoin contre les agressions et les outrages subis par nos agents.

Pourtant, madame la ministre,…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai pris du grade ! (Sourires.)

M. Henri Leroy. … malgré toutes les garanties que présente le port d’une caméra dite « piétonne », rien n’a été prévu par votre gouvernement pour pérenniser ce dispositif.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue : vous dépassez non la vitesse, mais le temps ! (Sourires.)

M. Henri Leroy. Concrètement, cela veut dire que, depuis le 3 juin de cette année, les policiers municipaux ont dû renoncer à utiliser leurs caméras, lesquelles ont été financées – ce sont des milliers, voire des dizaines de milliers d’euros – par des subventions d’État.

Toutes nos forces de l’ordre ont besoin d’être considérées, elles ont besoin de moyens. Ne les envoyez pas à l’affrontement inéluctable avec les citoyens sur les routes départementales où la vitesse à 80 kilomètres par heure relèverait d’une ineptie technocratique injustifiable.

Michel Raison a raison :…

M. Olivier Cigolotti. Toujours ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Henri Leroy. … c’est un manque de considération pour les parlementaires, mais c’est aussi une mauvaise manière faite aux Français automobilistes à qui l’on impose un oukase, par définition à contre-pied d’une démocratie de proximité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi quau banc des commissions. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, s’interroger sur la baisse automatique de la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens et sans séparateur central à compter du 1er juillet 2018 ne revient bien évidemment pas à s’opposer au renforcement, nécessaire, de la sécurité routière.

J’entends les enjeux posés en termes de mortalité routière et souhaite à ce titre rappeler un point scientifiquement essentiel : lorsqu’il y a accident, la vitesse est le facteur aggravant. L’énergie acquise par un véhicule du fait de sa vitesse est proportionnelle au carré de cette vitesse : ainsi, si l’on multiplie cette vitesse par trois – par exemple, pour passer de 30 kilomètres par heure à 90 kilomètres par heure –, l’énergie accumulée est multipliée par neuf. Cette énergie acquise doit être dissipée pour que le véhicule s’arrête. En d’autres termes, celui-ci ne s’arrêtera que lorsque toute l’énergie sera dissipée et transformée. Si le freinage est impossible ou insuffisant, l’énergie se dissipera par destruction, ce qui peut entraîner des blessures, voire le décès des passagers.

Toutefois, la vitesse n’est sûrement pas seule responsable des accidents et des tués : 21 % des tués le sont par défaut de port de ceinture. Je plaide pour une analyse plus fine et pour que l’inventivité et la créativité dont nous sommes capables soient à l’origine de mesures plus adaptées.

Si la vitesse aggrave incontestablement les accidents, il faut aussi s’interroger sur les relations causales que sont le non-respect du code de la route, le degré d’alcoolémie, l’usage des stupéfiants, des médicaments, du téléphone, la fatigue, la somnolence, le rôle des camions ou encore le mauvais entretien des routes.

Vous l’avez mentionné, madame la ministre, et le rapport d’information le pointe : 3 500 personnes meurent chaque année en France sur les routes et 75 000 sont blessées. Ces chiffres sont terrifiants.

Je remarque que 15 % des personnes tuées sont des piétons – 51 % d’entre elles ont plus de 65 ans – et que 5 % sont des cyclistes. En d’autres termes, 20 % des tués sont des piétons ou des cyclistes, ce qui constitue une augmentation de plus de 8 %. À l’avenir, développement durable oblige, il y aura davantage de piétons et cyclistes, il faudrait y réfléchir sérieusement.

La mortalité routière connaît en France une stagnation depuis quelques années. La sécurité routière doit s’élever au haut rang des politiques publiques prioritaires. Cela implique des actions fortes pour des résultats probants. Pour cela, la concertation doit être la plus large possible et associer les acteurs concernés.

Madame la ministre, je n’interrogerais pas cette mesure uniforme que vous imposez, si les baisses liées à l’expérimentation étaient significatives. Or l’expérimentation n’a pas mesuré l’évolution de l’accidentalité, n’a pas étudié en parallèle des tronçons sans limitation pour servir de témoins. En outre, elle s’est limitée à seulement quatre semaines.

Je ne contesterais pas non plus cette réforme, si elle n’était pas à double tranchant pour nombre de nos territoires. Cette mesure, madame la ministre, devrait bien entendu s’appliquer dans le cadre de la décentralisation, donc au cas par cas.

La loi de décentralisation du 13 août 2004 a abouti au transfert d’une certaine partie du réseau routier national aux départements. Aujourd’hui, vous nous annoncez une mesure qui aurait dû être, si ce n’est laissée à la discrétion et à l’appréciation des départements, au moins concertée avec ces derniers.

Je plaide donc, pour reprendre les mots du rapport d’information présenté par nos collègues, pour la mise en place de « conférences départementales de la sécurité routière », qui seraient coprésidées par les présidents de conseil départemental et les préfets et « dont le rôle serait d’identifier les routes ou les tronçons de route accidentogènes ».

D’ailleurs, dans de nombreux territoires, des tronçons sont déjà limités à 70 kilomètres par heure. C’est la preuve qu’un travail a déjà été entamé, lequel reste encore à affiner.

Cette question, vous l’aurez compris, est selon moi liée aux spécificités des territoires. Je suis une élue du Lot, département rural et enclavé, non desservi par des gares TGV. La voiture y est l’unique mode de transport de proximité. Nos routes n’ont donc pas l’envergure des routes franciliennes, le trafic n’y est pas le même.

La longueur totale du réseau routier est de plus de 12 000 kilomètres, répartis de la façon suivante : 93 kilomètres d’autoroutes seulement, 16 kilomètres de routes nationales, mais 4 013 kilomètres de voies départementales et un peu plus de 8 000 kilomètres de routes communales. Dans le Lot, les accidents se concentrent à 65 % sur le réseau principal, le réseau secondaire ne représentant que 25 % des accidents.

Notre département se caractérise par un niveau d’investissement dans la voirie supérieur à la moyenne des collectivités de sa strate. La limitation de vitesse envisagée suscite donc des interrogations chez les habitants des territoires ruraux, que je représente, voire leur incompréhension. Rien n’atteste que cette baisse réglera nos problèmes en matière de sécurité routière. Nous demandons simplement une application différenciée de la mesure en fonction de la dangerosité des routes.

Il serait également opportun de mettre davantage l’accent sur la prévention, notamment auprès des jeunes. Ayant été professeur, je me souviens que des simulateurs de conduite très ludiques avaient fortement marqué les esprits de collégiens et leur avaient fait prendre conscience à la fois de leur temps de réaction, qui est en moyenne d’une seconde, et de la distance parcourue pendant ce temps de réaction. Je rappelle que, lorsqu’on roule à 45 kilomètres par heure, cette distance est de 12,5 mètres.

Je conclurai mon propos par une idée simple : une conduite responsable est fondée sur des règles admises et comprises par les usagers, qui se les approprient et ainsi les respectent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons aujourd’hui dans ce débat est absolument essentiel. La sécurité routière nous concerne tous et mérite une politique publique sérieuse, adaptée et efficace. À titre personnel, je le mesure d’autant plus que le nombre d’accidents corporels et de morts sur les routes dans mon département de Maine-et-Loire est significativement supérieur à la moyenne nationale depuis plusieurs années.

La sécurité routière est l’affaire de tous, tant des élus que des associations qui œuvrent au quotidien pour la prévention. Le travail des sénateurs sur ce sujet est bien loin d’être une simple posture politique. Il relève au contraire de la recherche d’efficacité et de résultats.

À cet égard, je remercie les rapporteurs Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet de leur travail. Je salue notamment l’investissement de mon collègue Michel Raison, qui est particulièrement mobilisé depuis la fin de l’expérimentation de deux ans ayant conduit à la décision de réduire la vitesse à 80 kilomètres par heure.

Je ne reviendrai pas sur le flou qu’entretient le Premier ministre sur les résultats détaillés de l’expérimentation, mais je m’interroge sur la proportionnalité et l’utilité de cette mesure.

Je ne conteste pas le fait qu’un choc se produisant à 90 kilomètres par heure risque évidemment de provoquer des dommages plus importants, en dépit de l’amélioration des systèmes de sécurité sur les véhicules, tels l’airbag ou l’ABS par exemple. Cela étant dit, il me paraît excessivement simpliste de penser qu’une réduction de la vitesse de 10 kilomètres par heure sur l’ensemble des 400 000 kilomètres du réseau secondaire permettra de diminuer le nombre de victimes. On ne peut adhérer à un tel raisonnement, fondé sur une arithmétique technocratique très contestable. En effet, partant de cette logique, nous pourrions imaginer à l’avenir des limitations à 70, 60 voire 50 kilomètres par heure sur nos routes nationales et départementales. Tout cela n’est en réalité pas très sérieux. Nous attendons une politique bien plus ambitieuse. Il conviendrait notamment d’activer d’autres leviers comme l’éducation et la prévention.

Cette réduction généralisée, qui ne prend en compte ni l’état des routes ni leur tracé, est aberrante pour bon nombre de nos concitoyens, cela a été rappelé. En tant qu’élus de terrain, nous le ressentons dans nos départements : l’exaspération est réelle et ne cesse de croître. L’impression, en toile de fond, est qu’il s’agit là d’une vision purement parisienne, déconnectée des réalités et sans véritable fondement. Or, vous le savez comme nous, lorsqu’une mesure n’est pas adaptée et n’est pas comprise, elle n’est pas respectée.

La véritable question qu’il convient de se poser est celle de l’adéquation entre une limitation de vitesse et la route à laquelle elle s’applique. Depuis très longtemps, les exécutifs locaux prennent des dispositions dans ce sens. Tout le monde connaît une portion de route limitée à 70 kilomètres par heure en raison de son caractère accidentogène. Dans ce cas, la limitation de vitesse est parfaitement acceptée par les automobilistes.

M. Claude Kern. Et ça passe !

M. Stéphane Piednoir. Imposer une même limitation sur toutes les routes c’est nier la capacité d’appréciation des autorités locales.

Madame la ministre, pourquoi vous entêtez-vous à ignorer l’avis des acteurs de terrain ? Pourquoi avez-vous tant de mal à faire confiance aux élus ?

Il est encore temps d’aménager le dispositif et de mettre en place une réglementation au cas par cas, comme le préconise ce rapport et comme le souhaitent les présidents de département.

Les automobilistes français méritent une politique de sécurité routière réfléchie, ambitieuse et efficace. J’espère que le Gouvernement entendra l’appel des élus locaux et des sénateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue tout d’abord le sérieux du travail qui a été réalisé par le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière et je note avec satisfaction qu’il soutient les dix-sept mesures adoptées, sous la présidence du Premier ministre, par le Conseil interministériel de la sécurité routière le 9 janvier 2018.

Seule la mesure n° 5 fait l’objet des propositions de modification discutées ce soir dans votre assemblée. Je remercie Mme Vullien d’avoir évoqué certaines des autres décisions qui ont été prises. Je ne les citerai pas, mais elles concernent la consommation d’alcool et de stupéfiants, ainsi que l’usage des téléphones portables.

Je me réjouis d’abord que le travail entrepris ait conduit les rapporteurs à considérer d’un autre œil la réduction de la vitesse maximale autorisée, son effet sur la baisse des vitesses pratiquées et, de fait, sur la mortalité. Je relève en effet que les rapporteurs proposent non pas de rejeter en bloc la mesure, mais de ne l’appliquer que sur les routes ou les tronçons de route les plus accidentogènes, en fonction de leurs caractéristiques et de leur environnement.

Pour chaque réseau, c’est le gestionnaire de voirie qui prendrait, par voie d’arrêté, la décision d’abaisser la vitesse maximale autorisée. Des conférences départementales de sécurité routière seraient organisées pour déterminer ces tronçons. La baisse à 80 kilomètres par heure de la limite de vitesse sur les tronçons accidentogènes serait reportée de six mois et fixée au 1er janvier 2019.

Je répondrai précisément aux remarques qui ont été faites, en exposant la position du Gouvernement.

La fixation des vitesses maximales autorisées sur les voies relève non pas du domaine de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Ce n’est pas nouveau, c’est toujours l’État qui a pris les décisions d’abaisser la vitesse maximale autorisée. Pour être précis, le cadre réglementaire permet aux autorités locales de fixer des vitesses maximales autorisées plus restrictives. Je suis issue d’un département rural, je connais les collectivités locales et je roule beaucoup en voiture : il m’arrive très souvent, lorsque j’emprunte une route départementale, de traverser un village où une zone 30 a été instaurée dans la partie urbanisée sur décision des élus locaux, soit une vitesse inférieure à 50 kilomètres par heure.

Veuillez me pardonner, mais j’ai oublié le nom de certains intervenants ayant été élus lors du dernier renouvellement du Sénat. (Sourires.) Un sénateur m’a demandé pour quelle raison on instaurait la diminution de la vitesse dès à présent et pourquoi on ne mettait pas en œuvre les autres mesures prévues dans l’immédiat. Le Gouvernement n’a pas la volonté d’étaler les mesures. Plusieurs d’entre elles seront effectives au 1er juillet, d’autres nécessitent un décret. D’autres enfin, comme celle qui porte sur l’usage d’un téléphone portable, requièrent même une loi. Cette mesure figurera dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités que défendra Mme Borne dans quelque temps. Cela étant dit, toutes les mesures seront mises en œuvre assez rapidement.

Comme vous le savez, une proposition de loi sur les rodéos, que le Gouvernement soutient, a été déposée par le sénateur de l’Essonne, M. Delahaye. Nous sommes favorables à tout ce qui pourra limiter ces rodéos sauvages, qui, il faut bien le dire, cassent les pieds à tout le monde et sont extrêmement dangereux.

Il n’est pas choquant selon moi de vouloir appliquer la réduction de vitesse aux routes les plus accidentogènes. C’est d’ailleurs ainsi que le conçoit la Sécurité routière.

Je rappelle que les fameuses zones d’accumulation d’accidents corporels qui tachaient notre territoire il y a encore trente ans n’existent plus en France aujourd’hui. Le fait est que les accidents sont répartis de façon assez aléatoire dans les départements. En revanche, il est clair, et personne ne le conteste, qu’il y a un type de réseau sur lequel le risque d’accident est le plus élevé. L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l’ONISR, organisme statistique indépendant rattaché au délégué interministériel à la sécurité routière,…

M. Alain Fouché. Non ! Il n’est pas indépendant !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … l’a démontré dans un rapport publié le 17 avril dernier, peu avant le dépôt de votre rapport. Il est intéressant de disposer de ces rapports sur l’état de la situation. Sur le fondement des informations sur les typologies de réseau fournies par les départements et des données relatives aux accidents corporels et mortels survenus au cours des cinq dernières années, l’Observatoire a confirmé pour l’ensemble des départements ce que le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA, avait constaté sur un échantillon de départements, et cela peut paraître surprenant : hors agglomération, c’est sur les belles routes que l’on meurt le plus. Aucun département n’échappe à cette règle !

Si l’on considère la moyenne nationale, le réseau le plus important, le plus structurant dans un département représente 10 % du réseau sur le plan national et 38 % des morts. Si l’on ajoute à ces 10 % le réseau un peu moins important, qui est en moyenne de 10 %, on constate que, sur 20 % du réseau, on déplore 55 % des tués.

À titre d’exemple, j’ai analysé les départements de nos trois rapporteurs, que je remercie encore de leur travail.

Dans la Haute-Saône, le réseau structurant représente 8 % du réseau et 61 % des tués. Si on ajoute le deuxième niveau, sur 18 % des routes du département on dénombre 74 % des tués.

Mme Cécile Cukierman. C’est logique, ce sont les routes les plus fréquentées !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans le Rhône, le réseau structurant représente 22 % des routes et concentre 43 % des tués.

Mme Cécile Cukierman. C’est mathématique !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si on ajoute le deuxième niveau, on constate que 32 % des routes du département totalisent 59 % des tués. Dans le Finistère, enfin, le premier niveau représente 37 % du réseau, mais concentre 60 % des tués.

Ainsi, les réseaux les plus empruntés sont ceux où l’on compte le plus d’accidents parce qu’ils concentrent les risques et que, comme chacun le sait, le danger commence là où l’on croit qu’il n’y en a pas. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ainsi, il y a rarement des accidents sur une petite route la nuit, quand cela tourne et qu’il pleut.

Mme Cécile Cukierman. Évidemment, il n’y a personne !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. En revanche, quand il fait beau, en journée, que la route est sèche, belle et droite, on accélère, on augmente le risque et on y meurt plus souvent, notamment s’il n’y a pas de séparation centrale.

Les statistiques sur ce point ne sont pas contestables. Elles sont faites par un organisme d’État, le CEREMA, et par des fonctionnaires dont le sérieux est tout à fait remarquable.

M. Alain Fouché. Ils sont à la botte du Gouvernement !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il n’y a pas lieu de remettre en cause leurs études scientifiques. Il faut défendre les fonctionnaires non pas de temps en temps, mais tout le temps !

Mme Cécile Cukierman. Ça, c’est vrai ! On en reparlera !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans ces conditions, les routes sur lesquelles il faut réduire la vitesse, comme vous le demandez, sont déjà bien identifiées. Elles ont été déterminées par le croisement des données recueillies localement et des données de réseau fournies par les conseils départementaux, qui connaissent leur réseau. Il n’est donc pas besoin, comme vous le proposez, de différer la mesure et de modifier le réseau auquel elle doit s’appliquer. Ne pas appliquer la mesure à tout ou partie du réseau sur lequel on constate le plus grand nombre de décès serait incompréhensible.

D’autres considérations me conduisent à rejeter la proposition que vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs. Les conditions de circulation sur un réseau doivent être claires et doivent pouvoir être intégrées par tous les usagers. Il est donc indispensable de fixer une vitesse par défaut. À défaut, le réseau ne serait plus cohérent, en raison des nombreuses variations de vitesse. Les choses ne doivent pas être trop compliquées, au risque d’entraîner de graves conséquences pour les usagers et un surcoût considérable lié à la multiplication des panneaux de limitation de vitesse, comme l’a fait remarquer M. Leroy.

Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, tout commande que la mesure n° 5 entre bien en vigueur le 1er juillet 2018 sur l’ensemble des routes bidirectionnelles sans séparateur central, exception faite des tronçons à quatre voies, ou à trois pour le seul sens du créneau de dépassement où le dépassement peut se faire avec moins de risques.

Enfin, comme l’a rappelé le Président de la République, il s’agit d’une mesure expérimentale.

M. Gilbert Bouchet. Dans la Drôme, elle existe déjà !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. À l’issue de cette expérimentation, après une évaluation, le Gouvernement aura plusieurs options, comme l’a indiqué le Président de la République : revenir en arrière, adapter ou maintenir la mesure. Comme vous, je suis certaine que nous parviendrons à sauver des centaines de vies par an.

J’évoquerai un dernier point pour finir : certains ont accusé le Gouvernement de vouloir, par cette mesure, gagner de l’argent, combler la dette,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Fouché. C’est vrai !

M. Gilbert Bouchet. Bien sûr !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … grâce à l’augmentation inévitable du nombre d’amendes et donc des recettes. Certains chiffres circulent même, sans que l’on sache d’où ils proviennent : un montant de 300 ou 400 millions d’euros est évoqué, lequel n’est absolument pas avéré. La Sécurité routière l’a d’ailleurs démenti.

Bien sûr, on peut imaginer que cette mesure entraînera une hausse du nombre des amendes, mais ce nombre est impossible à évaluer précisément. Le Gouvernement a pris l’engagement d’affecter toute augmentation des recettes des radars liée au passage à 80 kilomètres par heure à un fonds destiné à améliorer les soins apportés aux blessés graves. Comme l’a rappelé Arnaud de Belenet tout à l’heure, ces derniers sont 24 000 par an. C’est inacceptable sur le plan humain. En outre, leur situation a aussi un coût social. L’objectif du Gouvernement est donc de réduire le nombre de morts, mais aussi de blessés graves, dont la vie est souvent complètement gâchée.

Aujourd’hui, 92 % des recettes des radars sont consacrées à la sécurité routière et 8 % au remboursement de la dette.