Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.

M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la loi de 1905 était une loi de compromis entre, d’un côté, la condamnation par l’Église de la séparation de l’Église et de l’État – confer « la France, fille aînée de l’Église » –, et, de l’autre, le projet d’Émile Combes, qui visait à empêcher l’Église de fonctionner selon ses propres règles.

La loi de 1905 sauvegarde la liberté de chacun. Son article 1er dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

La liberté de conscience est la liberté la plus fondamentale qui soit, déjà posée par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Mais quelle est la philosophie de la loi de 1905 et quelles étaient les intentions de ses pères fondateurs ?

Au-delà du cadre juridique, il existe, me semble-t-il, une ambition morale de concourir à former des « consciences autonomes ». Ainsi, selon Charles Renouvier, philosophe de la République du XIXe siècle, aujourd’hui totalement oublié, « la République n’était pas autre chose que la cité des consciences autonomes », ce que Clemenceau résumera d’une de ces formules lapidaires dont il avait le secret : « l’homme enfin seul » !

Les républicains qui feront la loi de 1905 prendront bien garde à ne pas s’engouffrer dans cette voie, en reconnaissant que la liberté de culte est le prolongement et la condition de la liberté individuelle de conscience pour les croyants.

Est-il nécessaire de rappeler que, à l’époque de l’élaboration tumultueuse de la loi de 1905, le culte musulman était inexistant en France ? Aujourd’hui, l’islam est la deuxième religion pratiquée sur notre territoire, et ses dérives ne vont pas sans poser problème, au point que les réflexions qui tournent autour de cette religion, y compris, bien évidemment, celles du législateur, tendent à en diminuer les effets collatéraux, voire pervers, tout en essayant de la faire cadrer avec l’esprit républicain.

C’est dans cet esprit que nous avons publié le rapport d’information intitulé « De l’islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés ». Corinne Féret était la présidente de cette mission d’information, dont les rapporteurs étaient Nathalie Goulet et André Reichardt. J’ai moi-même activement participé à ses travaux. L’idée qui nous guidait n’était pas de donner à la République la tâche de réformer l’islam – cela dépasserait le cadre de la laïcité –, mais d’inscrire l’avenir de ce culte dans la nation française en faisant en sorte qu’il ne dépende plus du monde arabo-musulman – Maroc, Algérie, Turquie, monarchies du Golfe – pour le financement des mosquées et des associations cultuelles, voire culturelles, ainsi que pour la formation des imams.

Mais venons-en au texte qui nous est soumis.

La proposition de loi du sénateur André Reichardt répond à un double objectif : d’une part, l’unification sous le seul régime des associations cultuelles, tel que défini par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905, de toutes les associations chargées de l’exercice public d’un culte ou de la gestion d’un lieu de culte ; d’autre part, la création d’une qualification cultuelle des ministres des cultes et l’instauration de l’obligation, pour les associations cultuelles, de ne recruter leurs ministres que parmi les personnes titulaires de cette qualification.

La question qui se pose est la suivante : est-il possible d’imposer à une association dont l’objet est l’exercice public du culte de s’organiser sous la forme juridique exclusive de l’association cultuelle établie par la loi de 1905 ?

Ce texte déroge à deux principes : celui de la liberté de religion, car son application empêcherait certaines associations d’organiser des rites et cérémonies cultuels dès lors qu’elles ne se conformeraient pas aux termes de la loi de 1905, et celui de la liberté d’association, en ce sens que, l’objet social d’une association relevant du régime de la loi de 1901 pouvant n’être que partiellement cultuel, la réduire au régime de la loi de 1905 limiterait son champ d’activité.

Quant à l’épineuse question de la formation des ministres du culte, on ne peut la réduire, du moins juridiquement, à celle de la formation des seuls imams…

La proposition de loi prévoit la création d’une « qualification cultuelle reconnue » qui recouvrirait une formation « théologique » portant sur la connaissance et la pratique du fait religieux – textes, rites, etc. – et une formation civique et civile centrée sur la connaissance des lois et règles de notre République, avec comme finalité, disons-le, l’inscription de la pratique religieuse dans le cadre républicain, en particulier celui de la laïcité. Cette qualification serait délivrée par une « instance suffisamment représentative ».

Ce second point contrevient au principe constitutionnel de neutralité, dont découle celui de libre organisation des cultes, puisque, dans cette hypothèse, l’État interviendrait dans la reconnaissance d’une instance cultuelle, ce qui va à l’encontre du principe de séparation des Églises et de l’État.

De plus, la fonction de ministre du culte n’a jamais été clairement définie et varie considérablement selon les religions pour ce qui est de la lecture ou de l’interprétation des textes sacrés, mais aussi pour ce qui est des comportements à adopter dans la vie de tous les jours en fonction des prescriptions religieuses. Ainsi, si la séparation de l’Église chrétienne et de l’État est déjà en germe dans les paroles du Christ – « il faut rendre à César ce qui est à César » –, comme le démontre brillamment Marcel Gauchet dans Le Désenchantement du monde : une histoire politique de la religion, il en va tout autrement dans l’optique d’une lecture littérale de l’islam, puisque cette religion règle, par la charia, la vie civile.

L’enfer est pavé de bonnes intentions : pour les raisons de non-constitutionnalité que j’ai évoquées, nous ne pourrons voter cette proposition de loi. Elle aura néanmoins eu l’immense mérite d’ouvrir un débat qui est loin d’être clos. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’organisation des cultes a préoccupé les pouvoirs publics dès le lendemain de la Terreur. Le Concordat de 1801 et les articles organiques de 1802 ont ainsi soumis catholiques et protestants à une réglementation officielle.

Quant aux juifs, ce n’est que le 17 mars 1808 que trois décrets les concernant sont finalement promulgués. Les communautés juives autonomes sont remplacées par un consistoire central et des consistoires départementaux composés de laïcs et de religieux. Portés par cet élan et convaincus que leur modernisation passera par la formation de leurs ministres du culte, les juifs inaugureront en 1830 à Metz une école rabbinique, qui sera transférée en 1859 à Paris, où elle prendra le nom de Séminaire israélite de France. Cette école existe encore aujourd’hui ; elle est située à proximité du Sénat.

Je me suis permis ce petit préambule, chers collègues, pour vous rappeler que le souci de la formation des ministres des cultes minoritaires ne date pas d’hier, mais aussi qu’il s’est passé quelque chose en 1905 : la fin du Concordat, hors Alsace-Moselle, et la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État, promouvant une laïcité sans excès. C’est en effet la version la plus libérale de cette séparation qui a gagné : celle d’Aristide Briand, et non celle du « petit père Combes », adversaire déterminé de la religion.

Notre laïcité garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, ce que certains ont, hélas ! parfois tendance à oublier lorsqu’il s’agit de l’islam.

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment nécessaire de s’ingérer dans le fonctionnement du culte musulman, au motif que la loi de 1905 aurait été rédigée à une époque où le territoire national ne comptait que peu de musulmans, et que seuls les cultes chrétiens et juif avaient fait l’objet, en amont, d’une adaptation aux lois de la République. C’est aller un peu vite, chers collègues : nos colonies, que je sache, étaient soumises au droit colonial, tiré pour beaucoup des lois républicaines appliquées en métropole, et si leurs habitants n’étaient pas, hélas ! des citoyens français, ils n’en étaient pas moins des sujets de droit, qui ont vu leurs pratiques culturelles et religieuses évoluer, elles aussi. L’islam ne nous est pas si « étranger » que certains le soutiennent !

Auteure, avec Catherine Troendlé, d’un rapport sur la déradicalisation, je suis consciente des conséquences néfastes des replis identitaires ou du développement des thèses salafistes dans certains quartiers abandonnés par les pouvoirs publics. Ces phénomènes ne touchent pourtant pas l’ensemble des musulmans, qui aspirent à vivre leur foi dans la sérénité.

Former les ministres du culte musulman est certes une urgence, mais cela ne nous autorise pas à déroger à nos principes laïques. L’initiative doit venir de l’intérieur du groupe concerné si l’on veut qu’elle ait quelque impact. Les possibilités sont nombreuses, il n’est nul besoin d’imposer un modèle unique. Le cas d’autres religions n’ayant pas de clergé en témoigne.

L’impuissance des pouvoirs publics face aux financements opaques, notamment étrangers, des édifices cultuels musulmans interpelle davantage. Ils favorisent le développement d’influences fondamentalistes dans certaines mosquées, ainsi que la prolifération de prêches et discours ultra-rigoristes, inspirés par des lectures non contextualisées des textes scripturaires. C’est cet endoctrinement qui doit retenir notre attention, même si les candidats au djihadisme, finalement, fréquentent très peu les mosquées.

Un contrôle de la formation des aumôniers, qui sont rémunérés par l’État, est certes possible et nécessaire.

Le texte issu des travaux de la commission se focalise en revanche sur la création d’un « conseil consultatif des cultes » ayant, entre autres missions, celle de « contribuer à la réflexion sur les conditions de la formation des cadres religieux et ministres du culte » et de « favoriser le dialogue interreligieux ». Y siégeraient deux sénateurs et deux députés.

L’ingérence des pouvoirs publics dans l’exercice des cultes préconisée au travers de la proposition de loi contrevient clairement aux principes posés par la loi de 1905, qui sépare strictement les domaines politique et spirituel. La création d’un tel conseil irait à l’encontre de l’esprit même de la laïcité à la française. Je crains que les musulmans, qui pourraient y voir une mise sous tutelle, ne s’en trouvent à juste titre froissés. La mise en œuvre d’une telle disposition pourrait également déstabiliser les autres religions, d’autant qu’existe déjà, depuis 2010, la Conférence des responsables de culte en France, la CRCF, où siègent deux responsables par culte, y compris le culte bouddhiste, et qui se réunit tous les deux à trois mois.

Chers collègues, restons dans notre rôle. Nous sommes des législateurs, non des organisateurs ou réorganisateurs des cultes. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’espère qu’en examinant cet après-midi la présente proposition de loi nous ne raviverons pas les débats du début du siècle précédent, sur un sujet extrêmement difficile.

La France a-t-elle aujourd’hui un problème avec l’islam comme elle a pu en avoir un avec la religion catholique ? Faut-il relancer cette guerre d’un État contre des pratiques religieuses ? Un certain nombre d’entre nous ont participé à la mission d’information qui a abouti au rapport présenté par Mme Goulet et M. Reichardt. L’objectif, à l’origine, au-delà de l’établissement d’un diagnostic, était de parvenir à formuler des propositions d’organisation. Mes chers collègues, vous avez dû faire le constat, comme d’autres avant vous, notamment les gouvernants, que cela était bien difficile ; j’y reviendrai.

Lorsque la France a eu un problème avec la religion dominante, qui était alors religion d’État, c’est avec un autre État qu’elle a signé le Concordat, toujours en vigueur dans nos trois départements d’Alsace-Moselle, l’Allemagne ayant considéré qu’elle pouvait fort bien s’accommoder de ce texte de droit français organisant les trois cultes qu’elle aussi reconnaissait.

L’Allemagne a d’ailleurs également essayé d’organiser culte musulman ; elle n’a pas mieux réussi que nous. C’est à ceux qui pratiquent un culte de l’organiser. De ce point de vue, faisons très attention à ce que nos débats ne fustigent pas nos concitoyens musulmans, en donnant l’impression que c’est parce que les imams ne sont pas correctement formés ou parce qu’ils viennent de pays étrangers que le terrorisme se développe sur notre territoire. Nous savons bien que, pour l’essentiel, le salafisme est propagé, dans certains lieux de culte, par des imams de nationalité française qui prêchent en français ! Et en même temps, comme dirait le Président de la République (Sourires.), la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme permet de fermer des lieux de culte si l’on y prononce des prêches contraires à l’ordre public. C’est ce dispositif du droit commun qu’il faut utiliser en cas de dérives.

En ce qui concerne la formation des ministres des cultes, vous-mêmes écriviez dans votre rapport d’information, madame Goulet, monsieur Reichardt, que « le ministère du culte relevant de chacun des cultes et, dans la religion musulmane sunnite, relevant même du choix de la communauté des fidèles, l’État ne peut en aucun cas conditionner l’exercice de l’imamat à tel ou tel niveau de formation, ni religieuse ni laïque ».

Dès lors, il nous faut parvenir à convaincre nos compatriotes musulmans de s’assurer que leurs imams puissent bénéficier d’une formation. Mais peut-on l’imposer ? Si l’on veut s’engager dans cette voie, il faudra instaurer les mêmes obligations pour tous les cultes. À cet égard, il est intéressant d’observer que le décret sur la formation des aumôniers exerçant dans les armées, les prisons ou les hôpitaux est attaqué devant le Conseil d’État non par des responsables du culte musulman, mais par l’épiscopat !

Mmes Nathalie Goulet et Françoise Laborde. Eh oui !

M. Jacques Bigot. Cela prouve que la question doit être traitée pour l’ensemble des cultes.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Bien sûr !

M. Jacques Bigot. Nous ne devons donc pas donner l’impression que seul l’islam serait concerné par notre débat.

M. Jacques Bigot. Or il me semble que certains articles du texte risquent d’être perçus comme visant spécifiquement l’islam.

Interrogeons-nous sur la manière dont nous pouvons faire respecter la laïcité. Le Président de la République y réfléchit, après d’autres gouvernants ; cela reste extrêmement compliqué. Est-il utile de créer un conseil consultatif des cultes qui viendrait s’ajouter aux instances déjà existantes ?

Mme Françoise Laborde. Tout à fait !

M. Jacques Bigot. Vous nous donnerez votre sentiment sur ce point, madame la ministre. Il me semble qu’un précédent ministre de l’intérieur, M. Joxe, avait déjà souhaité en créer un… Je ne suis pas sûr, pour ma part, que ce soit bien utile. Du moins avez-vous bien voulu, madame la rapporteur, exclure que ce conseil consultatif organise le dialogue interreligieux. Il appartient aux religions de le faire, et elles le font.

Mme Françoise Laborde. C’est de l’œcuménisme !

M. Jacques Bigot. Abandonnons cette idée que l’on puisse, sur ce sujet, imposer quoi que ce soit : vous l’avez vous-mêmes écrit, madame Goulet, monsieur Reichardt, dans votre rapport ; comment pouvez-vous aujourd’hui nous proposer le contraire au travers de ce texte ? Je n’ose croire que c’est pour susciter un nouveau débat ou pour fustiger l’islam !

Madame la rapporteur, je vous remercie de votre objectivité et du travail que vous avez réalisé. Cependant, vous auriez dû aller jusqu’au bout et avoir le courage de demander, comme Mme la ministre l’a fait, le retrait de cette proposition de loi ou, à défaut, la suppression de tous ses articles. Au lieu de quoi, vous essayez de la sauver en en maintenant certains points.

Attendons que le Conseil d’État se prononce sur le décret que j’évoquais à l’instant, l’épiscopat ayant sans doute soulevé d’autres motifs. À mon avis, cette question relève du niveau réglementaire, mais si tel n’est pas le cas, il faut effectivement que la loi intervienne. Quelle est votre opinion à ce sujet, madame la ministre ?

Concernant toujours la création de ce conseil consultatif, la rédaction issue des travaux de la commission peut donner à entendre que l’on envisagerait de remettre sur le métier la loi de 1905 et d’organiser de façon différente les rapports entre l’État et les religions. J’espère, madame la ministre, que telle n’est pas l’intention du Président de la République. Cela permettrait peut-être de résoudre la question du financement des cultes, mais c’est un chantier difficile et complexe. Si l’on devait l’ouvrir, il nous faudrait prendre le temps de longs débats, madame la ministre.

En tout état de cause, en aucun cas ces débats ne devront être aussi tendus qu’ont pu l’être ceux qui ont abouti à la loi de 1905. Laissons la situation s’apaiser. Tous nos concitoyens, musulmans ou non, le veulent. Ce sera la fierté de la France que de pouvoir continuer à dire que la République est laïque, une et indivisible. Gardons en permanence à l’esprit, dans ce débat, l’article 1er de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d’une formation les qualifiant à l’exercice de ce culte déposée par nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt fait suite à la mission commune d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte.

Cette proposition de loi répond à deux objectifs principaux.

Tout d’abord, elle tend à rendre obligatoire l’organisation sous le régime de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État de toute association assurant l’exercice public d’un culte ou la gestion d’un lieu de culte, en supprimant la possibilité d’opter pour le régime plus souple de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Ensuite, cette proposition de loi vise à restreindre, sous peine de sanctions pénales, l’exercice de la faculté de célébrer publiquement un culte aux seuls ministres du culte ayant reçu une formation délivrée par une instance cultuelle dont la représentativité serait reconnue par l’État. Elle rend ainsi obligatoire la formation des ministres des cultes, afin de préciser le champ d’application des obligations ainsi posées.

Par ailleurs, le dispositif de cette proposition de loi a vocation à s’appliquer dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle pour les cultes ne relevant pas du régime concordataire, c’est-à-dire, en premier lieu, l’islam.

Enfin, elle prévoit l’instauration d’infractions pénales sanctionnant la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à caractère ethnique, national, racial ou religieux, ainsi que les agissements visant à inciter à la commission d’actes de terrorisme.

Si l’objet de cette proposition de loi est effectivement de remédier à des difficultés réelles, pouvant amener des dérives au sein de l’islam, force est de constater qu’elle se heurte à des obstacles, d’un point de vue tant constitutionnel que pratique.

Je tiens à saluer la qualité des travaux du rapporteur, notre collègue Françoise Gatel, qui s’est attachée à dégager des solutions alternatives, tout en répondant à l’intention des auteurs de cette proposition de loi.

En premier lieu, la commission a supprimé les dispositions du texte posant des difficultés d’ordre constitutionnel au regard des principes de liberté d’association et de liberté de culte. Elle a toutefois maintenu l’extension, prévue par le texte, de la réglementation relative à la célébration des cultes aux locaux loués par une association cultuelle, et pas seulement aux locaux dont cette dernière est propriétaire ou qui sont mis à sa disposition.

En deuxième lieu, la commission a décidé d’instaurer un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre chargé des relations avec les cultes et comprenant des parlementaires, afin de favoriser le dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des cultes, ainsi que de contribuer à la réflexion sur l’exercice de la liberté de culte et sur la formation des cadres religieux et des ministres des cultes.

En troisième lieu, la commission a décidé d’instituer une formation obligatoire civile et civique, sans dimension religieuse et dans le respect du principe de liberté de culte, pour les aumôniers intervenant dans les établissements pénitentiaires, les centres hospitaliers et les armées.

En dernier lieu, la commission a modifié le volet pénal du texte, qui pose une difficulté au regard des principes constitutionnels de nécessité des peines et de légalité des délits et des peines, car il prévoit, pour les infractions qu’il crée, des sanctions différentes de celles qui sont prévues pour des infractions identiques existant déjà.

La commission a ainsi prévu la création, pour les délits visés par la proposition de loi et pour des délits connexes, d’une circonstance aggravante s’ils sont commis dans le cadre d’une réunion pour la célébration d’un culte, justifiée par l’influence qu’exerce un ministre du culte ou tout animateur d’un culte sur les fidèles. Sont ainsi concernés les délits de provocation ou d’apologie du terrorisme, ainsi que les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou la violence, les délits de diffamation et les délits d’injure en raison de l’ethnie, de la nation, de la race ou de la religion.

Madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a la mission fondamentale de garantir nos libertés. Aussi, je souscris pleinement aux modifications apportées par la commission, qui visent à trouver un point d’équilibre entre les libertés, d’une part, et la sécurité, d’autre part.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de cette proposition de loi, ainsi modifiée par la commission, qui a cherché à respecter les intentions des auteurs du texte, tout en retenant d’autres dispositifs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auteurs de la présente proposition de loi, nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, ont choisi de traduire dans ce texte une partie des recommandations qu’ils avaient formulées en 2016, dans le cadre des travaux de la mission sur la place du financement de l’islam en France et ses lieux de culte.

Si nous pouvons souligner la qualité des travaux de cette mission pour éclairer nos débats, les membres du groupe du RDSE et moi-même n’approuvons pas le texte qui s’en inspire, que ce soit dans sa version initiale ou dans sa rédaction issue de son examen en commission.

En effet, vous le savez, notre groupe est fondamentalement attaché à la loi de 1905 et à ses 44 articles visant à organiser la séparation des églises et de l’État dans notre pays. Les dispositions que vous nous proposez d’adopter aujourd’hui relèvent, pour nous, d’un esprit concordataire que nous ne saurions cautionner.

Toute modification de la loi de 1905 risquerait de nous entraîner vers des évolutions inutiles et non maîtrisées. C’était d’ailleurs le cadrage retenu par la mission d’information : « La loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905. »

Premier écueil, l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale vise explicitement l’organisation d’un culte en particulier, à savoir le culte musulman. C’est contraire à l’esprit républicain et à l’esprit de neutralité et de séparation. L’État traite tous les cultes avec la même neutralité et considère tous les citoyens à égalité, qu’ils aient ou non une croyance religieuse, qu’ils la pratiquent ou non.

De surcroît, nous devons faire face à une situation paradoxale. Alors qu’une étude de l’INED, l’Institut national d’études démographiques, réalisée en 2016 démontre le recul de la pratique religieuse en France, une petite minorité s’attache à pratiquer son culte de façon plus dogmatique, voire radicale. Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, des manifestations et processions à genoux, devant le Sénat, au moment où nous votions la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Les questions relatives à l’organisation des cultes relèvent du ministre de l’intérieur. C’est lui qui est compétent pour faire respecter les lois si un quelconque trouble à l’ordre public intervient dans ce cadre.

Ces dernières années, nous avons été amenés à nous interroger sur la bienveillance, à l’égard des associations cultuelles impliquées dans la vie communale, de certains élus qui pratiquent des accommodements déraisonnables pour raisons électorales, tels que les prêts de locaux municipaux et autres financements indirects.

La question centrale à laquelle nous renvoie l’examen de ce texte, c’est d’abord celle de l’application pleine et entière des lois de la République et des moyens que, collectivement, nous y consacrons.

Si nous sommes opposés à l’esprit de ce texte, il n’en reste pas moins que des problèmes bien réels se posent et que notre pays doit y apporter des réponses concrètes, mais ce n’est pas la politique concordataire que vous nous proposez qui les résoudra. Elle n’aboutirait qu’à créer davantage de situations discriminantes, d’incompréhensions et de sources de contentieux.

Juridiquement, nous ne sommes pas désarmés. Les articles du titre V de la loi de 1905 concernant la police des cultes doivent être appliqués fermement. Je pense aux articles 25, 26, 34, 35 et 36.

La loi sanctionne tout citoyen appelant à l’exclusion, au communautarisme, ou encore au meurtre. Plutôt que de choisir l’angle privilégié par les auteurs de la proposition de loi, il aurait été plus acceptable, à mon sens, pour rester conforme à l’esprit républicain, de rappeler la pertinence de ces articles de la loi de 1905, qui contiennent déjà des dispositions d’ordre sécuritaire. Mes chers collègues, je vous donne lecture de deux de ses articles.

L’article 35 dispose que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. »

Aux termes de l’article 36, « dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 25 et 26, 34 et 35, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise sera civilement responsable. »

Le texte initial de la proposition de loi a été complètement réécrit en commission. Concernant la formation des ministres des cultes, je vous rappelle que celle-ci existe déjà sous forme de diplômes universitaires, dont le contenu des enseignements dispensés n’est, hélas, ni homogène sur l’ensemble du territoire ni certifié d’un point de vue républicain.

Ces formations donnent une caution aux ministres des cultes sans pour autant garantir une réelle appropriation des lois de la République. Dans la pratique, je me demande comment les dispositions de votre texte pourraient s’appliquer aux ministres des cultes autoproclamés, comme il peut en exister, par exemple, dans l’église évangélique.

Pour conclure, je voudrais revenir sur la création par l’article 3 d’un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre en charge des relations avec les représentants des cultes. Une fois de plus, dans la logique de la séparation, les membres du groupe du RDSE estiment qu’il n’appartient pas à l’État de favoriser un tel dialogue : l’œcuménisme revient au religieux.

Quant aux structures existantes, telles que l’Observatoire de la laïcité, il pourrait être utile de les renforcer dans leur compétence de lanceurs d’alerte, qu’elles n’assument pas suffisamment, éludant une partie de la réalité, la plus conflictuelle, et se gardant bien de donner des recommandations audacieuses. Elles pourraient réaliser un relevé exhaustif des situations contrevenant à la loi de 1905, en ce qui concerne l’exercice des cultes, le statut des ministres des cultes ou encore dans le domaine des relations avec les collectivités territoriales.

Compte tenu de ces éléments, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – MM. Éric Jeansannetas et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)