M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Mes propos sur l’orientation et sur l’article 10 du projet de loi sont le résultat d’observations fournies par une longue carrière au ministère de l’éducation nationale.

Je suis évidemment favorable au fait de donner un plus grand rôle aux régions en matière d’orientation, car elles ont une vision transversale de la formation et de l’emploi dans leur territoire. J’approuve également le renforcement du rôle des professeurs principaux et des chefs d’établissement, qui sont au contact permanent des élèves. Je suis, dans une certaine mesure, en accord avec la volonté de voir les psychologues de l’éducation nationale davantage évoluer en établissement. Mais j’ai deux réticences sur les orientations du Gouvernement.

L’idée de transférer les délégations régionales de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, ou DRONISEP, aux régions tout en voulant conserver l’Office est pour moi symptomatique d’une réforme qui ne va pas jusqu’au bout des choses. En effet, les DRONISEP sont les pompes à information de l’ONISEP. Les supprimer, c’est asphyxier l’Office. Le projet de loi porte donc en germe un ONISEP en apesanteur, coupé des territoires et des réalités du terrain. Le « mais en même temps » trouve donc ses limites.

Je suis également réservé sur l’affaiblissement des centres d’information et d’orientation, les CIO. Je comprends que l’on puisse critiquer leur fonctionnement, mais je suis convaincu de leur utilité tant pour les publics scolaires que pour ceux qui sont aux marges de l’école. Je pense en particulier aux décrocheurs et à tous ceux qui ont justement besoin d’un autre lieu que l’établissement scolaire pour construire un projet professionnel, une orientation fondée sur un autre regard que celui de l’école. Je suis aussi convaincu de leur rôle pour la coordination de l’action des psychologues de l’éducation nationale. En effet, nommer ces personnels en établissement va peut-être les rapprocher des élèves, mais aussi les isoler professionnellement. S’ils pouvaient jusqu’à présent développer un autre point de vue sur les élèves, c’était surtout parce qu’ils s’inscrivaient dans un autre collectif que l’établissement.

Une régionalisation mal achevée, des CIO au lycée dans l’incertitude, des psychologues de l’éducation nationale isolés : votre projet de loi en matière d’orientation comporte plus d’incertitudes qu’il ne mène à la grande réforme de l’orientation. De toute façon, une telle réforme est indissociable de la rénovation de la voie professionnelle de l’éducation nationale, dont on attend toujours les grands axes… Mais la présence de M. le ministre de l’éducation nationale nous permettra peut-être d’obtenir les informations que nous réclamons depuis le début de nos travaux.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l’article.

Mme Catherine Morin-Desailly. L’article 10 transfère aux régions la mission d’information sur les métiers auprès des jeunes. Bien entendu, l’éducation nationale continuera à avoir toute sa part à jouer s’agissant de l’accompagnement au quotidien des élèves dans la maturation de leur réflexion pour se choisir un métier pour l’avenir.

À cet égard, monsieur le ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur l’urgence d’un effort massif de sensibilisation et de communication, tous responsables publics confondus, auprès des jeunes en ce qui concerne les carrières liées au numérique. Le numérique sous-tend une mutation très profonde de notre société et de l’activité. Plus généralement, ce sont tous les métiers qui sont bouleversés par l’émergence de nouvelles compétences.

Il faut une communication et une sensibilisation particulières auprès des jeunes filles pour qu’elles trouvent toute leur place dans les filières numériques.

La proportion relative d’hommes et de femmes dans les métiers du numérique s’est fortement dégradée avec le temps dans notre pays. Alors que, en 1972, l’informatique était la deuxième filière comportant le plus d’ingénieurs femmes, désormais, seuls 12 % des filles choisissent la filière de l’ingénierie numérique, ce qui a pour conséquence une masculinisation massive de ces métiers. À l’heure actuelle, seuls 6 % des développeurs sont des femmes !

Or la mixité est un enjeu important non seulement pour les individus – notamment en matière de lutte contre les inégalités salariales, qui sont souvent liées à la ségrégation des métiers par genre –, mais également pour les entreprises, en élargissant le vivier de recrutement et en leur permettant d’attirer de nouveaux talents.

Plusieurs facteurs expliquent la faible attractivité du numérique auprès des femmes : d’une part, une image de la société fortement sexuée, qui enferme dès l’enfance filles et garçons dans des rôles déterminés à l’avance et qui se traduit par une vision « genrée » des métiers du numérique, renforcée par l’absence de modèle féminin ; d’autre part, une méconnaissance des métiers du numérique et de leurs finalités, alors que les choix d’orientation des filles sont moins déterminés par une appétence pour un métier spécifique que par un centre d’intérêt ou l’apport que les lycéennes souhaitent fournir à la société.

Pour assurer une plus grande mixité dans les métiers du numérique, il faut entreprendre un effort massif de communication, de sensibilisation et d’accompagnement, afin de déconstruire les stéréotypes qui enferment hommes et femmes dans des missions prédéfinies et de permettre un véritable choix.

Ces actions de communication doivent être complétées par des initiatives destinées exclusivement aux filles, visant à les mettre en relation concrète avec les métiers du numérique. Je pense à des programmes d’orientation réservés aux femmes ou à l’organisation de concours pour promouvoir l’informatique auprès des lycéennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, sur l’article.

Mme Denise Saint-Pé. Le réseau national des CIO semble aujourd’hui sinon menacé de disparition, du moins face à un avenir très incertain.

Certes, les dispositifs actuels sont perfectibles et nos jeunes méritent un accompagnement à la hauteur des enjeux qu’ils rencontrent pour se projeter et entamer sereinement leur vie étudiante et professionnelle. Pour autant, la remise en cause de la présence des CIO sur notre territoire ne me paraît pas un bon signal.

Dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, cinq centres réalisent un travail de proximité essentiel et assurent un rôle d’interface crucial entre l’école et l’entreprise.

Évidemment, nos jeunes ont de plus en plus le réflexe de s’informer grâce au numérique. N’oublions pas cependant la fracture numérique qui divise nos territoires et n’offre pas les mêmes chances à chaque élève. La fracture numérique crée des inégalités considérables auxquelles les CIO peuvent répondre en accompagnant les familles les plus fragiles et non connectées.

Alors, oui, faisons évoluer les CIO ! Réfléchissons à une meilleure articulation, révisons leurs objectifs et leurs missions, mais continuons d’assurer un maillage du territoire équitable permettant de maintenir ce service public. (Mme Michèle Vullien applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Je tiens à rappeler les bienfaits du programme de rénovation de l’apprentissage que nous avons défini aux articles 7, 8 et 9 de ce projet de loi : augmentation du salaire des apprentis, découverte de l’entreprise, de la vraie vie de l’entreprise – dans une entreprise de travaux publics, il faut plus d’heures pour se rendre sur les chantiers et l’apprenti ne pourra pas être ramené dans la journée –, de son financement pérenne, conditions de rupture de l’apprentissage – nous avons vu à l’article 9 à quel point c’est important…

Bien sûr, comme Mme la ministre l’a rappelé, même si des préparations sont prévues en quatrième et en troisième, il ne faut pas enfermer les jeunes : ils doivent continuer à bénéficier des enseignements fondamentaux, dans des classes où on leur fait découvrir davantage l’apprentissage.

La précarité, pour le jeune, c’est le chômage ; c’est un échec pour la famille. Sans qualification, il ne pourra pas être embauché, même si l’entreprise propose des offres. L’apprentissage n’est pas une régression, c’est l’excellence en termes d’emplois et, pour le jeune, l’occasion de se réaliser et de s’épanouir.

L’article 10 prévoit l’extension des missions confiées aux régions. Évidemment, ces dernières n’auront plus le pilotage des CFA, qui incombe aux branches, mais elles ne sont pas oubliées puisque celles qui rencontrent le plus de difficultés pourront mettre en place des aides pour les CFA.

L’extension des missions en matière de formation est normale, parce que les régions sont impliquées dans l’apprentissage. L’économie et la formation reviennent aux régions. Pour découvrir les métiers, pour diffuser l’information, la documentation, le projet professionnel, l’orientation des élèves et des familles, notre commission a renforcé le rôle des régions, ce qui est tout à fait normal.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 211 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 285 rectifié est présenté par MM. Magner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach et Manable, Mmes Monier, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 211.

Mme Laurence Cohen. La loi du 5 mars 2014 a organisé un service public d’orientation à deux branches : une branche dédiée aux actifs et sous la responsabilité des régions, l’autre restant sous l’autorité de l’État et destinée aux élèves et aux étudiants. Le transfert de la compétence d’information des élèves et étudiants aux régions soulève plusieurs questions, notamment sur la qualité de l’information dispensée, la qualification des personnes qui feront ces interventions et le contrôle des organismes mandatés par les régions.

En outre, ce transfert aux régions s’apparente à nos yeux à une rupture d’égalité entre les territoires, à une rupture d’égalité républicaine.

Monsieur le ministre de l’éducation nationale – cela tombe bien, vous êtes là –, vous avez annoncé vouloir fermer un certain nombre de CIO d’ici à 2019 ; le nombre de 400 a été avancé. Pour nous, cela reviendrait à priver le public scolaire du seul réseau public de proximité clairement identifié par les familles et dédié aux conseils sur la scolarité et l’orientation. C’est d’autant plus important que les personnels des CIO nous ont confirmé – chacun ici présent en a été le témoin – qu’il était très facile de pousser leur porte pour demander un conseil. L’accueil comme le professionnalisme sont importants.

Installer ces centres dans des lycées, par exemple, privera un certain nombre de personnes de la possibilité de se déplacer et de frapper à cette porte.

Monsieur le ministre, madame la ministre, vous le savez, l’accompagnement des jeunes dans la construction d’un projet d’orientation est une préoccupation majeure des familles. En ce sens, cette fermeture annoncée, de même que le transfert du personnel des directions régionales de l’ONISEP aux régions, provoque à juste titre une très forte inquiétude chez les parents d’élèves.

Qui plus est, confier aux régions de nouvelles compétences, c’est bien, mais – nous en avons, hélas, tous l’expérience –, cela ne va en général pas de pair avec un transfert de moyens. Nous sommes donc très inquiets.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour présenter l’amendement n° 285 rectifié.

M. Jacques-Bernard Magner. Cet amendement vise à supprimer l’article 10 qui procède au transfert aux régions de l’organisation de l’information sur les métiers et les formations en direction des élèves et des étudiants, notamment dans les établissements scolaires. Notons d’abord qu’une telle disposition dans un projet de loi sur la formation professionnelle est à la limite de constituer un cavalier législatif ; je l’affirme en présence de M. le ministre de l’éducation nationale.

Comment ne pas s’inquiéter des disparités dans les informations mises à la disposition des jeunes sur leur orientation, selon qu’ils habiteront dans tel ou tel territoire ? Comment ne pas s’inquiéter du poids que prendront les contraintes économiques locales et les entreprises locales dans les informations qui seront mises en avant par certaines régions ?

Les informations sur l’orientation, aujourd’hui sous tutelle de l’État, sont élaborées et actualisées par le réseau des DRONISEP ; le transfert de ces établissements aux régions risque de compromettre leur objectivité !

Ces réserves concernent l’aspect global de la réforme.

Sur les détails, je crains que le dispositif ne construise une véritable usine à gaz : les régions acquièrent cette nouvelle compétence, alors que l’État gardera la maîtrise de la définition de la politique nationale. À mes yeux, cela s’apparente à une coquille vide ! Que pourra définir l’État, alors qu’il ne maîtrisera plus les modalités de transmission aux jeunes de sa politique d’orientation à l’échelon régional ?

Par ailleurs, la majorité sénatoriale a aggravé le dispositif en supprimant les CIO, ce qui transparaissait déjà dans le dispositif initial. Les psychologues de l’éducation nationale seront donc contraints d’exercer uniquement dans les établissements scolaires et non plus dans ces centres où les élèves et leurs familles étaient habitués à venir les consulter dans un cadre tout à fait neutre.

Que dire du transfert des personnels de l’ONISEP ? Sur quelles bases et selon quelles modalités s’effectuera-t-il ?

Quant à la compensation financière prévue pour les régions, espérons qu’elle sera effective. Malheureusement, nous savons que ce n’est pas toujours le cas dans les transferts de charges.

Enfin, que signifie la possibilité d’expérimentation prévue à cet article qui permettra de retransférer vers les établissements scolaires les personnels d’orientation qui auront déjà été transférés aux régions ? Pense-t-on pouvoir traiter ces personnels comme des pions que l’on déplace parce que les besoins initiaux auront été mal calibrés ?

Cet article semble vraiment avoir été rédigé dans la plus grande improvisation, sans concertation. C’est la raison pour laquelle nous demandons sa suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Forissier, rapporteur. À écouter les auteurs de ces amendements identiques, on a l’impression qu’il ne faut rien changer et que tout va bien dans l’information et l’orientation.

M. Michel Forissier, rapporteur. En réalité, nous cherchons tous des améliorations.

Nous en avons débattu en commission : l’article 10 renforce le rôle des régions en matière d’informations sur les métiers et les formations à destination des élèves et de leurs familles, ainsi que des étudiants.

La connaissance par les régions des bassins d’emploi et leurs compétences en matière de développement économique leur permettra de fédérer les acteurs économiques sur tous les territoires régionaux au service d’actions d’information proches du milieu professionnel.

Pour autant, à la lecture de l’article, la compétence de l’État en matière d’orientation et d’affectation des élèves et des étudiants n’est pas remise en cause.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale. Je souscris tout à fait aux propos du rapporteur et j’en profite pour répondre aux différents arguments qui ont été avancés.

Je commencerai par faire montre d’humilité : il ne s’agit que d’un article dans un projet de loi, ce n’est certainement pas la grande réforme de l’orientation, je vous l’accorde bien volontiers, mesdames, messieurs les sénateurs !

En revanche, par ce biais, une philosophie s’exprime, que je vais rappeler dans un instant. J’ai déjà eu l’occasion de le faire, c’est pourquoi il serait bon de ne pas faire semblant de ne pas l’avoir entendue, à seule fin de nourrir des angoisses inutiles.

Comme vient de le souligner le rapporteur, l’objectif est de donner plus de pouvoirs aux régions dans ce domaine. Nous ne nous en cachons pas et je serais surpris que le Sénat qui, ici même, dans différents débats, nous soupçonne très souvent de vouloir donner trop de poids à l’État par rapport aux collectivités s’en offusque. Oui, le but est d’aller plus loin, de le faire d’ailleurs en cohérence avec les précédents dispositifs législatifs, y compris celui qui a été adopté lors du quinquennat précédent et qui a très officiellement reconnu aux régions un rôle en matière d’orientation.

Il n’y a donc ni grandes ruptures ni changements brusques. Au contraire, nous faisons un pas dans une direction dont la philosophie est partagée par la plupart d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Que prévoit l’article 10 ? Une disposition concrète et simple : le transfert des DRONISEP aux régions.

Monsieur le sénateur, vous avez déclaré, comme d’autres, que cela créerait une distorsion entre les DRONISEP et l’ONISEP, en d’autres termes entre la région et l’État.

Ce raisonnement me semble absurde,…

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … puisque le but est de créer une coopération entre l’État et les régions.

Sur un sujet comme l’orientation, la seule bonne formule, c’est de créer un lien entre l’État et les régions : il n’y aura jamais une compétence absolue de l’un ou de l’autre. En effet, l’éducation nationale, en tant qu’institution d’État, a pour mission l’affectation des élèves et cette mission lui incombera toujours ; de même, les régions ont un rôle que leur confère la loi et qui s’approfondira à l’avenir.

Nous devons créer les conditions d’une coopération permanente. C’est très concret. Ainsi, l’année prochaine, en classe de seconde, à la faveur de la réforme du baccalauréat et du lycée, chaque élève bénéficiera de cinquante-quatre heures d’orientation ; cela ne relève pas du domaine législatif, mais nous aurons l’occasion d’en reparler. Cela obligera – dans le meilleur sens du terme ! –, régions et État, régions et éducation nationale à travailler ensemble sur les contenus de cette information.

Par conséquent, que les DRONISEP travaillent avec les régions pour de l’information de nature locale en lien avec un ONISEP qui garantit le caractère national de l’information et de la vision stratégique d’ensemble des enjeux d’orientation avec tous les enjeux d’évolution numérique que la masse critique nationale permet est très cohérent et fait sens.

J’en viens à ce qui a été dit sur les CIO.

L’article 10 n’épuise pas la problématique de l’orientation, puisque ce n’est pas le cœur de cet article. Toutefois, je réponds bien volontiers aux craintes qui ont été exprimées, craintes qu’il ne me semble pas nécessaire de nourrir, alors même que je n’ai à aucun moment affirmé que la fonction d’orientation devait diminuer. Le rapporteur l’a rappelé : je n’ai cessé de dire que nous avions de grands progrès à accomplir.

Ce n’est faire offense à personne que de le dire, me semble-t-il : il y a aujourd’hui d’immenses frustrations en matière d’orientation, que ce soit de la part des personnels d’orientation, des élèves ou des familles. Il serait très hypocrite de faire comme si nous ne le savions pas. Dans ce contexte, la loi doit nous permettre d’avancer dans un état d’esprit de compétence partagée, non seulement entre l’État et les régions, mais aussi entre les catégories de personnels. En effet, les principaux responsables de l’orientation, ce sont l’ensemble des adultes qui travaillent autour des élèves.

L’orientation n’est jamais un moment magique, où, à un instant t, une personne trouve la solution pour l’élève : il s’agit d’un continuum qui suppose des conseils dispensés non par une personne, mais par plusieurs, à commencer par les professeurs principaux dont le rôle en matière d’orientation est parfaitement reconnu par les textes depuis fort longtemps. C’est exactement ce qui s’est passé cette année en classe de terminale : un second professeur principal a été nommé pour aider les élèves à s’orienter et cela s’est extrêmement bien passé.

Dans ce contexte, les personnels d’orientation ont vocation à voir évoluer leur profession dans un sens favorable à leurs intérêts, qui les mette en pointe des enjeux de l’orientation, mais certainement pas de façon solitaire, ce qui est trop souvent le cas aujourd’hui et les met mal à l’aise.

Par l’article 10, comme à travers les déclarations sur l’orientation que j’ai pu faire récemment, nous avons cherché à ouvrir un espace de discussion. Il serait intéressant que cette discussion soit abordée avec sérénité, parce que personne n’est menacé de rien. La seule menace qui existe, c’est l’amélioration de l’orientation en France, ce qui ne me semble pas trop grave…

Nous nous sommes demandé dans quelle mesure nous pouvions rapatrier les CIO dans les établissements. Ce n’est pas forcément l’ensemble des CIO qui devraient disparaître de cette façon-là. D’ailleurs, plus que d’une disparition, il s’agit d’un déménagement.

D’aucuns répliquent que les CIO reçoivent quelquefois des publics qui ne sont pas des élèves.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ce n’est pas leur rôle ! D’autres institutions existent, souvent sous la responsabilité du ministère du travail ou des collectivités locales, qui sont faites pour cela.

Loin de nous dissuader, cet argument vient nous conforter dans notre projet, à savoir que les personnels d’orientation s’occupent des élèves – et c’est bien normal.

Reste que rien n’est définitif en la matière. Nous devons être très pragmatiques : lorsqu’un CIO joue un rôle très important localement, nous sommes capables de le voir ; lorsqu’il se trouve au fond d’une impasse et qu’il reçoit trois personnes par jour, nous devons regarder cette situation en face, sans hypocrisie.

À ce stade, c’est ce que nous ferons et ce n’est certainement pas l’article 10 qui touche en quoi que ce soit à cette réalité. Dans ce domaine, il sera utile que tout le monde se mette autour de la table pour envisager des pistes d’amélioration.

Pour résumer, l’article 10 constitue un pas intéressant dans la bonne direction. D’autres débats sur l’orientation auront lieu par la suite. Ce dispositif est cohérent avec la réforme de l’enseignement professionnel que j’ai présentée ces derniers temps – Mme la ministre du travail a eu largement l’occasion de le dire, lors de l’examen d’autres articles –, notamment avec le développement des campus professionnels qui permettront de dépasser le clivage inutile entre apprentissage et enseignement professionnel, avec toute une série de conséquences positives sur l’orientation.

Les premiers effets se voient déjà. En effet, l’une des conséquences de l’esprit de ce texte, dont l’article 10 ne constitue que l’un des éléments, c’est que, dès cette année, dès le mois de juin 2018 et même bien avant, j’ai pu dire à tous les principaux de collèges de France que nous ne considérerions plus comme un critère de qualité d’un collège le pourcentage d’élèves envoyés en enseignement général, en enseignement technologique et en enseignement professionnel. Là encore, nous vivions dans l’hypocrisie : en même temps que nous revendiquions une égale dignité des trois filières, nous jugions très mal d’envoyer des élèves en apprentissage ou en enseignement professionnel.

Seul l’intérêt de l’élève compte et nous devons avoir non une politique du chiffre, mais une politique de l’intérêt de l’élève. Eh bien, les premiers résultats sont en train d’apparaître : nous savons déjà que plus d’élèves ont choisi comme premier vœu d’aller en apprentissage ou d’intégrer l’enseignement professionnel l’année prochaine. Cela signifie plus d’élèves qui réussiront et moins d’hypocrisie, plus de réalisme.

De ce point de vue, l’article 10 correspond à cet esprit général, un esprit de coopération entre l’État et la région, mais aussi un esprit de pragmatisme. C’est un premier pas, avant d’autres, dans les différentes directions que je viens d’indiquer.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, vous venez d’indiquer que ce texte n’était pas la grande réforme de l’orientation. C’est d’autant plus regrettable que, voilà quelques mois, la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, n’a pas non plus été le rendez-vous de l’orientation qu’attendent tous ceux qui, quoi que vous en pensiez, considèrent que l’on ne peut pas se satisfaire aujourd’hui de l’orientation telle qu’elle est organisée dans notre pays et qu’il y a là un grand chantier à ouvrir.

Au contraire, la loi ORE s’est malheureusement résumée à la problématique de l’affectation via le dispositif Parcoursup, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, mais ce n’est ni le lieu ni le moment.

Je ne m’attarderai pas sur l’avenir des CIO, qui nous inquiète beaucoup en termes de maillage territorial, mes collègues l’ont dit, comme en termes d’égalité républicaine. En effet, l’on voit d’ores et déjà fleurir des officines privées se proposant d’épauler les familles et les jeunes dans leur orientation, ce qui constituera forcément, à terme, une rupture d’égalité républicaine.

Confier le travail d’orientation aux régions, au moment où notre société vit la mondialisation, est un peu contradictoire ! Comment considérer que l’orientation doive se résumer au bassin d’emploi régional ? Si vous me le permettez, monsieur le ministre, cela n’est pas tellement « nouveau monde » ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Enfin, les élus régionaux, départementaux et locaux savent que, chaque fois que de nouvelles missions nationales leur ont été confiées, celles-ci n’ont jamais été accompagnées des moyens permettant de les assumer convenablement.

Je conclurai en évoquant les DRONISEP. Les personnels sont très inquiets. Les messages très contradictoires qui sont envoyés aujourd’hui montrent que l’architecture globale de l’ONISEP et de ses délégations régionales est totalement inaboutie, quoi que l’on pense du contenu de cette réforme. Cela vaudrait vraiment le coup de la repenser.

C’est pourquoi nous voterons ces amendements de suppression.