M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme du long processus d’élaboration du projet de loi ÉLAN. Ce texte est porteur d’enjeux considérables, et son élaboration a fait l’objet d’un processus de concertation long inédit, que nous devons au président Gérard Larcher. Je veux l’en remercier.

Malgré cet intense travail préparatoire, le texte que nous examinons aujourd’hui ne répond pas de manière satisfaisante aux demandes exprimées par l’ensemble des acteurs, élus territoriaux comme professionnels de l’aménagement, du logement et de la construction, qui appelaient tous de leurs vœux la fin des stratégies nationales appliquées sans distinction, sans prise en compte des spécificités locales. Ce positionnement avait été repris au Sénat, au travers de nombreux amendements, émanant pour partie des sénateurs centristes, mais aussi de bien d’autres.

Considérant le logement comme un enjeu structurel majeur en termes d’aménagement équitable du territoire, nous attendions du projet de loi ÉLAN qu’il favorise davantage la place des collectivités. Au lieu de cela, les échelons de proximité se voient bien trop dépossédés de leurs capacités d’action sur la question du logement, qui est pourtant centrale. Nous assistons à une révolution.

En dépit des efforts que nous avons fournis, le texte issu de la commission mixte paritaire revient sur trop de dispositions introduites par le Sénat. Il s’inscrit, en effet, dans la droite ligne de la loi de finances pour 2018, qui consacre un changement de modèle, à travers un double mouvement de recentralisation de l’État et de mise en place d’une logique de marché appliquée au secteur du logement.

Mme Valérie Létard. Le prochain projet de loi de finances, qui, dans la continuité du précédent, prévoit une nouvelle ponction des bailleurs sociaux, à hauteur de 872 millions d’euros, ne fait que confirmer ces craintes.

La question de l’avenir du logement social est symptomatique de la menace que le texte fait peser sur les territoires. En effet, la CMP a acté plusieurs dispositions qui viennent bouleverser ce secteur et la logique de son fonctionnement actuel. C’est ainsi qu’a été voté le principe de double appartenance d’un organisme de logement social à un groupe et à une société anonyme de coordination. Or, si celle-ci conserve un certain ancrage territorial, le groupe n’a, pour sa part, aucune limitation géographique. Cette disposition consacre une rupture du lien des bailleurs avec leur territoire d’implantation, les stratégies se définissant désormais ailleurs, à l’échelle nationale, et non locale. C’est bien pour ces raisons que nous avions proposé que des volets territoriaux soient intégrés aux conventions signées avec les groupes, qui auraient remis les collectivités au cœur de la politique du logement.

De même, le texte sur lequel nous nous exprimons aujourd’hui accorde un droit de veto sur la vente de logements sociaux aux maires des communes en déficit de logements sociaux, soit 1 200 communes sur les 36 000 existantes. Les maires vertueux, eux, n’auront pas leur mot à dire sur les ventes réalisées dans leur commune. Ils disposeront donc de moins de maîtrise de leur parc social que ceux des communes déficitaires. C’est tout de même paradoxal ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

Enfin, la loi de finances 2018 et le présent projet de loi laissent penser que le produit de la vente du parc social pourrait très prochainement constituer l’une des principales sources de financement du logement social, étant donné la contraction des fonds propres des organismes. Comme vous le savez, mes chers collègues, j’ai plaidé pour la réaffectation du produit de la vente de ces logements, de manière que celui-ci soit fléché sur la commune et l’intercommunalité concernées. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.) Faute d’un tel dispositif, nous risquons de pénaliser fortement les politiques sociales et locales de l’habitat, sur lesquelles les élus n’ont plus la main. Je déplore que le texte actuel ne reprenne pas cette mesure, pourtant essentielle, que nous avions votée avec l’appui de Mme la rapporteur. De fait, rien dans l’organisation actuelle n’empêchera les groupes de réaffecter le produit de la vente à l’autre bout de la région, voire dans d’autres régions de notre pays ! (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)

Ensuite, quelle politique de prévention des risques est envisagée ? Le risque de copropriété dégradée généralisée est grand quand on prévoit de vendre 40 000 à 50 000 logements locatifs sociaux pour financer la construction de nouveaux. Mais où ? De quel type de logements s’agira-t-il ? Quid de la consultation des maires, alors que l’argent provient de leur territoire ? On vendra donc dans les zones les plus fragiles, pour reconstruire dans les zones tendues, ce qui contribuera, d’ailleurs, en l’absence de correctif, à renforcer le phénomène de métropolisation et à délaisser certains territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

Prévenons les risques de copropriétés dégradées plutôt que de voter des budgets pour les copropriétés dégradées futures ! Cela aurait plus de sens. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme Valérie Létard. Monsieur le ministre, oui à une révolution du logement ! Oui, bien évidemment, à la prise en considération des transformations nécessaires ! Mais, si nous devons vivre avec notre temps, nous devons moderniser en veillant à l’équité territoriale et en faisant en sorte que ceux qui agiront sont ceux qui sont tous les jours avec leurs concitoyens, à savoir les maires et les intercommunalités. Les choses ne doivent pas se décider à Paris. Dunkerque, ce n’est ni Nice, ni Paris, ni Laval ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Faisons en sorte que les collectivités reprennent toute leur place dans un secteur qui est au centre des politiques d’aménagement de nos territoires.

L’équité territoriale et la préservation de l’équilibre entre les territoires, voilà ce qui aurait dû nous guider dans l’examen du projet de loi ÉLAN ! Le compte n’y est évidemment pas en matière de logement, raison pour laquelle nous ne pourrons pas le voter. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)

Plusieurs sénateurs du groupe Union Centriste. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons parler aujourd’hui d’un sujet majeur pour nos concitoyens : le logement.

Ce texte est l’aboutissement d’un important travail de coconstruction, entamé depuis bientôt un an. Il traduit l’engagement du Gouvernement et des parlementaires de répondre aux attentes fortes des Français pour améliorer leur cadre de vie au quotidien, par le logement et le développement des territoires. En ce sens, il est d’ailleurs agréable de constater que ces questions sont au cœur des préoccupations du Gouvernement et que le logement ou la politique de la ville ne sont pas des variables d’ajustement.

Monsieur le ministre, vous avez été conforté dans vos fonctions. Je souhaite, au nom des sénateurs du groupe La République En Marche, vous exprimer toutes nos félicitations et nos vœux de réussite. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)

Revenons-en au projet de loi qui est soumis à notre vote cet après-midi. C’est le deuxième texte majeur examiné par la commission des affaires économiques depuis les élections de 2017.

Je me réjouis de m’exprimer à son sujet au nom de mon groupe, et je me félicite de son évolution durant tout l’examen parlementaire. Contrairement à d’autres textes sur lesquels j’ai pu me prononcer, celui-ci est le fruit d’un engagement collectif entre l’Assemblée nationale et le Sénat, d’un travail transpartisan mené depuis le début de la conférence de consensus qui s’est tenue voilà un an et d’une écoute sans relâche de Jacques Mézard et de Julien Denormandie, respectivement ministre et secrétaire d’État jusqu’à ce matin. Je tiens à les en remercier. Durant les débats qui se sont déroulés dans cet hémicycle, ils ont nourri l’espoir d’une commission mixte paritaire conclusive.

Les membres de la commission mixte paritaire nous proposent un texte équilibré et consensuel, qui ne perd pas de vue les objectifs initiaux du projet de loi : construire plus de logements, simplifier les normes, protéger les plus fragiles et mettre les transitions énergétique et numérique au service de tous les Français.

Sur certains sujets, les divergences entre nos projets étaient pourtant réelles : évolution de la loi SRU, simplification de la vente de logements sociaux, accroissement de la transparence dans les attributions de logements HLM, place du maire et du territoire dans la prise de décision, fixation de différents seuils…

Sur d’autres sujets, et parfois après de longs débats, le Sénat a précisé certaines dispositions, en s’inspirant notamment des travaux menés lors du premier semestre de 2018. Je pense à la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize ou encore à celle de Rémy Pointereau et Martial Bourquin, relative aux centres-villes.

Si nous partagions certains objectifs, comme libérer la construction et faciliter l’accès au logement de tous, tout en protégeant les plus fragiles, nous n’avions pas la même vision des moyens à mettre en œuvre. Pour autant, le débat parlementaire a eu lieu, et la rédaction issue de la CMP a abouti à un texte pondéré. C’est ce que vous avez pu et su rendre possible, madame la rapporteur, en collaboration avec nos collègues députés, après plus de sept heures de discussions et de négociations.

Nous avons pleinement joué notre rôle de législateur : alors que le texte du Gouvernement contenait initialement 65 articles, il en compte plus de 230 à présent. Ainsi, certaines dispositions ont été revues, afin qu’elles correspondent au mieux à la diversité de nos territoires, tout en impliquant davantage nos maires. Je pense ainsi à l’élaboration d’un projet partenarial d’aménagement et aux grandes opérations d’urbanisme, deux nouveaux outils pour dynamiser l’aménagement de nos territoires.

S’agissant de divers seuils, un équilibre responsable a été trouvé pour moderniser les règles de construction pour l’accessibilité des logements. Il en va de même pour la réorganisation en profondeur du secteur des bailleurs sociaux.

Enfin, nous avons adopté des mesures permettant d’assurer que 100 % des logements pourront être raccordés au très haut débit d’ici à 2022. Ce désenclavement numérique permettra un désenclavement économique et social indispensable à la cohésion de nos territoires. L’égalité d’accès aux réseaux est un impératif que nous devons constamment réaffirmer.

Élue de l’Yonne, qui compte bien des zones blanches, je me félicite des avancées en la matière, monsieur le ministre.

Pour conclure, je souhaite simplement rappeler que ce texte n’ajoute pas de contraintes supplémentaires. Au contraire, il lève certains blocages de manière pragmatique. Il facilite et accélère l’action de ceux qui construisent, rénovent et aménagent, au service de nos concitoyens et de nos territoires. Nous redonnons confiance aux acteurs du marché, nous facilitons la mobilité résidentielle, nous luttons contre les marchands de sommeil. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter le texte de compromis qui nous est proposé cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous clôturons aujourd’hui la discussion parlementaire du projet de loi ÉLAN, qui concerne un sujet essentiel pour nos concitoyens : le droit pour tous d’accéder à un logement et de s’y maintenir.

Ce texte, loin de répondre à l’urgence sociale et aux besoins, apporte une nouvelle pierre à l’entreprise de démolition du secteur social engagée par le Gouvernement – sa nouvelle composition n’y changera rien – depuis la dernière loi de finances.

Ce texte apporte également une nouvelle pierre à la volonté de déréglementation et de marchandisation de ce secteur d’intérêt général, dans la droite ligne des politiques menées depuis près de cinquante ans.

Pour ces raisons, nous nous y sommes opposés frontalement, en faisant des propositions inverses : renforcement des droits des locataires, marges supplémentaires pour les bailleurs et respect des dynamiques territoriales. Nous avons formulé des propositions pour la qualité du bâti, le renforcement des circuits courts dans le bâtiment et la prise en compte des enjeux de réhabilitation. Je vous rappelle, à ce titre, que les récents travaux du GIEC ont fait état d’une augmentation de 22,7 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment.

Au final, quel bilan tirer des différentes étapes de construction du projet de loi ?

Certes, la lecture au Sénat puis la CMP auront permis des avancées concernant les prérogatives des maires, qui, je le rappelle, portent au premier chef l’effort de construction. Ainsi, leur rôle est reconnu dans les nouveaux outils d’urbanisme et leur voix de nouveau prépondérante au sein des commissions d’attribution. Nous sommes satisfaits, comme d’un moindre mal, que leur avis devienne une condition sine qua non pour la vente des logements dans les communes carencées.

L’attention portée aux centres-villes et leur dynamisation sont aussi un élément positif, tout comme l’encadrement des pratiques des plateformes de type Airbnb, dans le sens d’une proposition de loi que nous avions déposée sur le sujet.

Cependant, ces avancées, conservées lors de la commission mixte paritaire, le sont au prix de reculs considérables et inacceptables. Je pense aux lois Littoral et SRU, longtemps apparues comme des totems du progrès et de l’avancée des droits. Après des décennies de consensus, ces lois sont aujourd’hui sacrifiées, non pas pour satisfaire aux évolutions sociétales, mais parce que les lobbies de la promotion privée ont eu l’oreille très attentive – trop attentive – du Gouvernement.

S’incarne ainsi, dans ce texte, une volonté de déréglementation de toute norme, quand bien même celle-ci relève de l’intérêt général, bafoué au nom de la fameuse incitation à « construire plus, mieux et moins cher » – entendez, mes chers collègues, le droit de bétonner partout et en toute tranquillité !

Il en est également ainsi de l’avis des architectes des Bâtiments de France et du respect des règles des marchés publics, dont le poids est jugé trop lourd. Le concours d’architecture est quant à lui purement supprimé.

Cette démarche de libéralisation prépare de lourdes difficultés. Le bâti d’aujourd’hui, c’est le patrimoine de demain. Or, avec ce texte, nous allons vers un patrimoine de mauvaise qualité et périssable, donc vers des copropriétés dégradées et l’aggravation de l’insalubrité. Pourtant, notre bâti dit aussi des choses sur notre société, sur les conditions du vivre ensemble et sur notre capacité à faire République. Ce projet de loi reste donc, au final, par un accord entre la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale, un énième texte de déréglementation.

Premièrement, il lève les entraves aux marchés pour le secteur dit « libre ». Je pense à la suppression de la GUL, la garantie universelle des loyers, et à la transformation de l’encadrement des loyers en simple expérimentation.

Deuxièmement, il entame très clairement un démantèlement du parc social et une financiarisation de son fonctionnement. Il organise ainsi la création de mastodontes permettant de générer des flux financiers importants, lesquels produisent une gestion déshumanisée qui casse le lien entre territoire et logement, entre locataires et élus de proximité. Un accord a été trouvé sur une taille de 12 000 logements pour pouvoir constituer un organisme. Nous en prenons acte, tout en continuant de considérer que la taille des organismes d’HLM ne dit rien de leur efficacité, au service des habitants et des territoires. Je le dis très clairement : ce sont les territoires ruraux et les territoires en politique de la ville qui vont le plus souffrir de ces réformes.

Le projet de loi fait de la vente des logements sociaux l’alpha et l’oméga de la politique publique visant à compenser les désengagements de l’État, dont témoigne, dans le projet de loi de finances, la suppression pure et simple des aides à la pierre. Il prévoit ainsi la vente des logements par lots à la promotion privée, organisant, de fait, sa privatisation.

Enfin, il s’agira d’une énième loi contre le droit au logement, avec la mise à mal des logements accessibles aux personnes handicapées, puisque le taux de compromis a été fixé à 20 %, ce qui semble toujours absolument déraisonnable et contraire au principe d’égalité et aux conventions de l’ONU. La Commission européenne a d’ailleurs alerté la France sur ce point durant l’été. Nous espérons que le Conseil constitutionnel censurera cette disposition.

Comme nous l’avons dit lors de la première lecture, nous regrettons la création du bail mobilité, qui pourra être conjugué avec les locations de courte durée, ce qui représente un bail de seconde zone et une précarisation des locataires. Les amendements « anti-squats » ont été confirmés. Autant de reculs pour les droits des locataires…

Finalement, l’erreur initiale du projet de loi ÉLAN est qu’il est fait non sous le prisme des usagers du logement, mais sous celui des constructeurs et des investisseurs. Il parle non pas d’un droit au logement, mais du droit de faire de l’argent avec le logement. À nos yeux, il ne fait pas primer la dimension humaine, pourtant fondamentale, dans nos politiques d’aménagement et de logement.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est nécessaire de rappeler que la législation sur le logement a une incidence directe et parfois vitale sur les 4 millions de Françaises et de Français qui souffrent du mal-logement.

Quand vous parlez d’urgence sur ces questions, je vous rejoins, monsieur le ministre. Mais, à l’issue de cette CMP conclusive, je sais que nous ne parlons pas de la même urgence : votre urgence est budgétaire, quand la nôtre est sociale et économique. Votre présupposé est que la politique du logement coûte trop cher à l’État, sans regarder ce qu’elle apporte sur le plan humain comme en termes d’investissement et d’emploi. Je le rappelle, le secteur du bâtiment est le premier employeur de France.

La baisse des aides personnalisées au logement, actée dans la loi de finances pour 2018 et prolongée par le PLF pour 2019 – du jamais-vu depuis 1970 ! –, a entraîné l’affaiblissement de la capacité d’investissement des organismes d’HLM. Cette politique se traduit déjà sur le terrain par une baisse significative de la production de logements, puisque les ventes ont déjà diminué de 4 %.

Les conclusions de la commission mixte paritaire portent plusieurs atteintes à la mixité sociale.

Monsieur le ministre, vous avez cédé à la majorité sénatoriale en touchant à l’intégrité de la loi SRU. Certes, ce n’est pas un détricotage complet, mais cela envoie un très mauvais signal sur votre volonté de corriger réellement les inégalités.

La loi SRU n’est plus maximaliste depuis longtemps. Voilà déjà quelques années qu’elle est pragmatique. Le précédent gouvernement avait apporté de la souplesse au dispositif, par un recentrage sur les territoires où la demande de logement social est forte. Pourtant, le texte issu de la CMP prévoit de comptabiliser les baux réels solidaires et les contrats de location-accession dans le décompte de la loi SRU, de repousser à 2030 l’obligation d’atteindre le taux légal pour les villes nouvellement entrantes ou encore de mutualiser le reste à construire à l’échelle des EPCI. C’est continuer de foncer tête baissée dans l’impasse d’une cohabitation durable entre ghettos de riches et ghettos de pauvres. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Pour ce qui concerne l’accessibilité des logements, monsieur le ministre, vous vous êtes prévalu de pragmatisme en faisant passer de 100 % à 20 % la part de logements accessibles dans les nouveaux bâtiments d’habitation collectifs. Mais vous n’avez pas pris en compte la réalité du vieillissement de la population ni celle du nombre de logements accessibles déjà construits. Le cadre législatif actuel impose l’accessibilité aux seules constructions d’immeubles de quatre étages et plus, qui représentent 40 % des constructions. Autrement dit, seulement 40 % des nouvelles constructions répondent actuellement aux normes d’accessibilité. Le cadre n’est donc pas dogmatique : avec l’article 18 du projet de loi, ce sont seulement 5 % des nouvelles constructions qui seront accessibles !

Mais, en réalité, l’accessibilité ne peut pas être réduite à des considérations techniques. Elle ne peut pas faire l’objet de solutions de compromis. En effet, on ne négocie pas quand seulement 6 % des logements sont accessibles aux personnes en situation de handicap !

Nous avions proposé la possibilité, pour les personnes à mobilité réduite occupant un logement non adapté, d’être reconnues prioritaires dans le cadre du DALO et la mise en place d’une plateforme de recensement des logements adaptés et accessibles. Ces propositions ont été adoptées au Sénat, mais supprimées lors de la CMP. Nous condamnons ce recul sans précédent pour les droits des personnes à mobilité réduite.

Enfin, s’agissant de la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, véritable enjeu d’équilibre territorial, plusieurs mesures importantes issues de la proposition de loi sénatoriale portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, portée par Rémy Pointereau et Martial Bourquin et votée à l’unanimité, ont bien été prises en compte : favoriser le maintien des services publics, assurer la présence et l’expertise des représentants des réseaux consulaires au sein des CDAC, même si la mise en œuvre de cette disposition vient d’être repoussée au 1er janvier 2019, renforcer la contrainte sur les propriétaires et le préfet dans la procédure de démantèlement des terrains inexploités, prendre en compte la notion d’impact sur le tissu commercial dans l’évaluation des projets d’implantation commerciale ou encore renforcer le dispositif de contrôle du respect des autorisations d’exploitation commerciale. Nous devons cependant aller beaucoup plus loin, car nos communes souffrent de la dévitalisation commerciale, du déclin de l’habitat, de la déprise démographique et de la disparition progressive d’espaces publics propices au maintien du lien social.

Certains compromis ont permis d’infléchir les orientations gouvernementales et de faire entendre la voix du Sénat, notamment sur le rôle des maires, les enjeux territoriaux de la politique de l’habitat ou encore l’urgence à intervenir pour les centres-villes. Il demeure que le projet de loi ÉLAN s’inscrit dans une logique de centralisme, de privatisation et de financiarisation du patrimoine français du logement social, au détriment de la mixité sociale et de l’accès au logement pour tous.

Vous comprendrez bien, monsieur le ministre, que, pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail considérable qui a été accompli par le ministre Jacques Mézard tout au long des débats parlementaires (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) pour parvenir à une CMP conclusive et au texte équilibré que nous examinons aujourd’hui. La conférence de consensus qui s’est déroulée en septembre dernier et l’excellent travail des rapporteurs de nos deux assemblées ont également permis d’aboutir à cette conclusion, dans le contexte d’une crise du logement au long cours, frappant près de 12 millions de personnes dans notre pays.

Bien sûr, le « choc de l’offre » est un effort de long terme, et notre groupe est très majoritairement convaincu que ce texte apporte des outils performants pour améliorer l’accès de tous au logement.

Le coût du logement est aujourd’hui le résultat d’une accumulation incontrôlée de normes, de la rareté du foncier et d’une politique d’aménagement du territoire concentrant toutes les activités dans les zones les plus attractives. Le projet de loi apporte des réponses à ces défaillances.

Tout d’abord, le travail de simplification du droit de l’urbanisme et du droit de la construction, amené à se poursuivre, était très attendu par les acteurs du logement, sans toutefois céder à une déréglementation aveugle.

L’accélération des procédures a notamment fait l’objet d’un consensus, dès le départ, et nous mesurons ici combien il était important de poursuivre la lutte contre les recours abusifs entamée avec le rapport Labetoulle en 2013.

Sur la loi Littoral, nous considérons que les adaptations opérées par ce texte en préservent l’esprit : le comblement des « dents creuses », les constructions et installations nécessaires aux activités agricoles et forestières ou le développement des énergies renouvelables dans les petites îles.

Ces dérogations ont été conditionnées à l’existence de garde-fous, tels que la consultation de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et le refus de l’autorisation d’urbanisme lorsque les projets portent atteinte à l’environnement ou aux paysages.

En revanche, nous étions opposés à certaines dispositions introduites au Sénat visant à relancer la construction en milieu rural. Je pense, en particulier, à celles qui autorisaient les constructions liées à l’exploitation agricole et aux activités touristiques accessoires dans les zones naturelles. Nous saluons donc le compromis adopté par la commission mixte paritaire.

La libération de l’acte de construire ne doit pas se faire au détriment de l’égal accès au logement. En rendant l’ensemble des logements évolutifs, le projet de loi apporte de la souplesse pour une meilleure adaptabilité au handicap. Le seuil de 20 % de logements immédiatement accessibles – une proposition que nous avions formulée en première lecture, ce seuil étant bien plus pragmatique – a été retenu ; nous nous en réjouissons. Je soulignerai encore le progrès considérable accompli avec l’obligation d’installer un ascenseur dès que l’immeuble compte trois étages.

Répondant à un marché défaillant, qui entrave le droit au logement de nos concitoyens les plus fragiles, le logement social doit continuer à remplir le rôle qui est le sien, celui d’accueillir les ménages ne disposant pas des ressources suffisantes pour se loger dans le parc privé.

C’est le sens de la réforme de la politique des loyers du parc social et de la généralisation de la cotation de la demande dans les grandes agglomérations, réintroduites par la CMP. C’est également l’objectif de facilitation de la vente des HLM, qui répond à la volonté des ménages d’accéder à la propriété.

En parallèle, l’obligation de regroupement des bailleurs sociaux à 12 000 logements, un seuil que nous avions également proposé par amendement, étendra leur capacité d’intervention dans l’objectif de relancer la construction et la réhabilitation des logements sociaux et, par conséquent, d’augmenter l’offre.

Sur la loi SRU, si les aménagements de calendrier pour les communes entrantes en 2015 répondaient à une véritable préoccupation, le Sénat était allé bien trop loin dans les décomptes de logements ou le report des objectifs pour les autres communes. C’était l’une des raisons qui nous avait empêchés d’approuver le texte en première lecture.

La solution retenue en CMP est bien plus mesurée. Elle donne la possibilité à des communes volontaires ayant atteint le quota de 20 % d’expérimenter la mutualisation des obligations de production au niveau de l’intercommunalité.

Par ailleurs, nous considérons comme une avancée les dispositions visant à renforcer le contrôle et les sanctions contre les abus de propriétaires qui décident de louer leur bien uniquement en meublé touristique sur des plateformes en ligne. Ce phénomène a des conséquences dommageables dans de nombreuses villes.

Ces mesures, comme d’autres en matière de logement indigne, participeront à la régulation du marché immobilier.

Enfin, le projet de loi engage des transformations essentielles en termes d’aménagement du territoire avec le déploiement du numérique, les grandes opérations d’urbanisme ou la revitalisation des centres-villes. Les collectivités seront mieux associées que par le passé à ces opérations.

Pour toutes ces raisons, et sans grande surprise, le groupe du RDSE, à deux exceptions près, votera les conclusions de la commission mixte paritaire.