M. le président. Je vous remercie d’avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, en remplacement de Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mme Doineau, affectée par un deuil familial qui la retient chez elle, vous prie de bien vouloir l’excuser de son absence.

L’année 2018 marque le retour à l’équilibre des comptes de la branche famille, avec un solde positif de 0,4 milliard d’euros qu’elle n’avait pas connu depuis dix ans. On ne peut que s’en féliciter. La résorption progressive des déficits de la branche s’est toutefois faite au prix d’importants efforts pour les familles depuis cinq ans, à l’image de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus, mise en place en 2015.

Pour 2019, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit un excédent significatif pour la branche famille de 1,2 milliard d’euros. Pour autant, cette situation financière favorable ne s’accompagne pas d’un véritable renforcement du soutien apporté aux familles. Au contraire, la principale mesure en dépenses de ce projet de loi concernant la branche famille vise à sous-revaloriser l’ensemble des prestations familiales à 0,3 % pour 2019 et 2020. Dans un contexte de reprise de l’inflation, cette mesure revient donc à baisser le montant des prestations familiales en euros constants.

La commission des affaires sociales s’est opposée à ce choix d’une sous-revalorisation au détriment du pouvoir d’achat des familles. Celles-ci ont déjà été affectées par les mesures successives qui ont limité les dépenses de la branche. Compte tenu des prévisions d’excédent, les prestations familiales pourraient être revalorisées en fonction de l’inflation sans compromettre l’équilibre financier de la branche. Afin de préserver le pouvoir d’achat des familles, la commission a donc adopté un amendement à l’article 44 qui permettra de revaloriser les prestations familiales en 2019 à hauteur de l’inflation.

Les autres mesures en dépenses de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale concernant la branche famille sont peu nombreuses et ont été approuvées par la commission. Elles portent principalement sur le complément de libre choix du mode de garde, qui sera majoré lorsqu’une famille bénéficie de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et qui sera versé à taux plein pour les enfants nés en début d’année et ayant atteint l’âge de trois ans avant leur entrée à l’école maternelle.

Cette année marque aussi la signature d’une nouvelle convention d’objectifs et de gestion pour la branche famille. Elle contient des mesures visant à développer l’accueil du jeune enfant pour les publics les plus fragiles, ce dont on peut se féliciter. Des bonus seront ainsi versés pour l’ouverture de places dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville et pour l’accueil en crèches d’enfants porteurs de handicap. L’objectif d’ouvrir 30 000 places de crèche supplémentaires reste toutefois limité par rapport aux besoins : il est bien moins ambitieux que celui de la précédente COG, qui, je le rappelle, était de 100 000 places.

De plus, alors que d’importants chantiers s’ouvriront dans les années à venir, ces objectifs seront à réaliser dans un contexte contraint pour les CAF : d’une part, la progression du Fonds national d’action sociale est limitée à 2 % et, d’autre part, les CAF seront tenues de réduire leurs effectifs et de diminuer leurs frais de gestion de 5 % par an.

Pour conclure, on peut donc se féliciter d’un retour à l’équilibre de la branche, fruit d’importants efforts financiers. Alors que le nombre de naissances diminue dans notre pays depuis 2011, on peut toutefois regretter que cette situation financière favorable ne soit pas l’occasion de soutenir davantage la politique familiale.

Compte tenu des mesures proposées et de la modification apportée visant à revaloriser les prestations familiales à hauteur de l’inflation en 2019, la commission a donné un avis favorable à l’objectif de dépenses fixé pour la branche famille.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le président, je me suis repris…

M. le président. Je vois en effet que vous avez rendu la minute que vous aviez prise précédemment. Nous en remercierons Mme Doineau. (Sourires.)

La parole est à M. Roger Karoutchi, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.

M. Roger Karoutchi, en remplacement de M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais être bref, car tout a été dit. (Sourires.)

La commission des finances souhaite appeler l’attention du Sénat sur quelques points.

En premier lieu, l’amélioration des soldes ne doit masquer ni la dégradation de la branche vieillesse, qui voit son excédent diminuer, ni le déficit persistant de la branche maladie, qui ne se réduirait que de 400 millions d’euros entre 2018 et 2019.

En second lieu, la réduction des déficits ne repose pas sur une diminution des dépenses, puisqu’en 2018 celles-ci augmentent de 2,4 %, dépassant de 900 millions d’euros le plafond prévu en loi de financement. Le redressement des comptes résulte donc entièrement de la forte progression des recettes de l’ordre de 3,5 % en 2018. Structurellement, plusieurs branches demeurent déficitaires, à commencer par les branches vieillesse et maladie.

Le recul de l’âge légal de la retraite mis en œuvre par la réforme de 2010 ayant cessé de produire ses effets, les dépenses de la branche vieillesse devraient fortement augmenter dans les années à venir. De la même manière, les dépenses de la branche maladie demeurent extrêmement dynamiques. En 2019, avant les mesures prévues par le présent projet de loi de financement, cette hausse des dépenses devait entraîner une dégradation de 3 milliards d’euros du solde de la sécurité sociale.

Les deux tiers des économies présentées par le Gouvernement, soit 3,8 milliards d’euros, proviendront de l’ONDAM. Plus du tiers des économies restantes, soit 2,2 milliards d’euros, résultera du quasi-gel des prestations sociales – je n’entrerai pas dans le détail, puisque mon collègue Savary a excellemment exposé la situation, tant le gel et la hausse de la CSG que leur impact sur près de 10 millions de retraités, même si, au travers de ce texte, vous comptez atténuer la mesure pour 350 000 foyers.

Parallèlement, deux mesures emblématiques en recettes sont présentées par le Gouvernement. Il s’agit, d’une part, de la bascule du CICE en allégements généraux de charges et, d’autre part, de l’exonération de cotisations salariales vieillesse sur les heures supplémentaires.

L’entrée en vigueur des allégements généraux a pour conséquence de rendre comparativement moins attractifs plusieurs dispositifs. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale supprime ou modifie un certain nombre d’entre eux, dont ceux qui sont applicables aux travailleurs occasionnels et aux demandeurs d’emploi. La commission des finances a adopté un amendement visant à pérenniser le dispositif d’exonérations spécifiques rétabli par l’Assemblée nationale pour ces travailleurs occasionnels.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale instaure par ailleurs une exonération de cotisations sociales salariales vieillesse sur les heures supplémentaires et complémentaires. Si cette mesure va dans le bon sens, la commission des finances a adopté un certain nombre d’amendements ayant pour objet la défiscalisation totale des heures supplémentaires, qui a fait la preuve de son efficacité.

Par ailleurs, le présent projet de loi tire les conséquences du rapport Charpy-Dubertret et esquisse plusieurs pistes quant au devenir des excédents dégagés par la sécurité sociale.

Tout d’abord, ces excédents futurs permettraient de résorber définitivement la dette sociale. Dans cette perspective, le projet de loi de financement de la sécurité sociale organise le transfert à la CADES de 15 milliards d’euros de la dette résiduelle détenue par l’ACOSS, le résidu de dette non transféré à la CADES ayant vocation à être amorti par les excédents futurs de la sécurité sociale. Toutefois, la commission des finances est plus prudente et appelle à ne voir que l’aspect hypothétique de ces excédents : on ne peut pas considérer que, dans les cinq ou dix ans qui viennent, nous serons certains des excédents en question.

Ensuite, les nouvelles relations financières entre l’État et la sécurité sociale s’articuleraient autour du principe de solidarité financière entre les deux sphères. Cela aurait deux conséquences majeures.

En premier lieu, cette solidarité financière impliquerait un partage du coût des allégements de charges entre l’État et la sécurité sociale.

En second lieu, les excédents de la sécurité sociale auraient vocation à être restitués à l’État. Cette restitution serait réalisée dans le cadre d’une réduction progressive de la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale.

La commission des finances a appelé à plusieurs reprises l’attention du Gouvernement sur cette vision extrêmement optimiste liée à un calcul d’excédents excessif par rapport à ce qui est probable.

Malgré cela, la commission des finances et la commission des affaires sociales ayant proposé un certain nombre d’amendements, la commission des finances appellera à un vote positif sur ce texte si, bien sûr, ces amendements sont adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, alors que débute l’examen en séance du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, je voudrais, si vous me le permettez, m’extraire du contenu strict de ce texte pour vous faire part d’une réflexion plus globale. En effet, derrière la technicité apparente et avérée, les chiffres et termes abscons pour tout non-initié se pose la question du modèle social que nous souhaitons maintenir, amoindrir ou refonder.

Depuis plusieurs années, par touches successives et insidieuses, nous modifions, nous transformons, nous dénaturons ce modèle voulu par les pères fondateurs, et nous glissons par approche comptable prééminente vers un système hybride, peu satisfaisant à en juger par le désarroi des professionnels de santé et la déshumanisation ressentie par les patients dans leur relation avec les soignants.

À l’instar de ce jeu, auquel nombre d’entre nous ont joué enfant, qui consistait à retirer délicatement une baguette sans déséquilibrer, a priori, le reste du jeu, les gouvernements successifs ont appliqué à notre système de santé ce jeu de mikado. Le projet proposé cette année s’inscrit dans cette « dynamique » de toujours davantage d’administration et moins de liberté pour les soignants et les patients.

Nous voici parvenus au terme d’un cycle qui doit nous conduire à nous interroger sur le fondement de notre système de santé. Sans cette mise à plat, nous le condamnerons et mettrons en péril son devenir avec tout ce que cela entraîne comme répercussion sur l’évolution de la médecine, des soins, des professionnels de santé et tout l’environnement médico-social, qui permettent une prise en charge satisfaisante de l’individu au cours des différentes étapes de sa vie. C’est bien de cela qu’il s’agit !

Aujourd’hui, la crise de l’hôpital public est telle qu’il ne parvient plus ni à attirer ni même à fidéliser. Et que dire des EHPAD, de la désertification médicale et de la déshumanisation ressentie par tout patient ? À qui la faute ? À personne pris individuellement, chaque intervenant faisant au mieux dans son domaine, mais à une perte de sens due à l’absence de questionnement sur ce que nous pouvons faire et sur ce que nous voulons faire.

La société de ce XXIe siècle débutant n’a plus grand-chose en commun avec celle de l’après-guerre. Les évolutions démographiques, épidémiologiques et technologiques entraînent des mutations irréversibles. Nous changeons de paradigme, et nous ne pouvons continuer à faire comme s’il ne s’agissait que d’apporter des ajustements mineurs.

Si nous n’intégrons pas cette dimension, le modèle républicain qui fonde notre système de santé va s’étioler, se désagréger pour insidieusement laisser place à un système à deux vitesses dont on perçoit déjà les prémices, y compris, paradoxalement, à travers la réforme du « reste à charge zéro ».

L’approche essentiellement comptable, certes nécessaire pour enrayer les dérapages, a atteint ses limites. Il est temps de proposer un autre pacte social. Or la réponse portée par le Gouvernement de « bercyser » la politique sociale est loin d’être à la hauteur des enjeux.

M. Bernard Jomier. Joli néologisme !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En analysant ce projet de loi de financement de la sécurité sociale au prisme de la refondation à conduire, nous pouvons constater, comme le fait Frédéric Bizard dans une tribune fort pertinente, que « le moment est historique : après dix-huit ans dans le rouge, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit un retour à l’équilibre des comptes. Sur le plan économique, la sécurité sociale serait donc sortie de sa longue convalescence. Il n’en demeure pas moins que ce rétablissement est fragile, et les fonctions sociales et politiques originelles de la sécurité sociale sont considérablement affaiblies ».

En effet, ce rétablissement est fragile, car il est fondé sur une dynamique de recettes et sur un transfert d’une partie du financement, non par les cotisations sociales résultant de l’activité économique, mais par l’impôt. Il est également fondé sur une économie de 3 milliards d’euros sur deux ans réalisée au détriment du pouvoir d’achat des retraités soumis à une double peine : augmentation de la CSG, d’une part, et non revalorisation de leur pension à hauteur de l’inflation, d’autre part. Cette mesure, difficilement explicable en période de croissance du PIB, impacte aussi les allocations familiales déjà atteintes dans leur « universalité » par François Hollande. Ainsi, les classes moyennes avec enfant et les personnes âgées se voient lourdement affectées par les mesures gouvernementales.

Pour défendre sa position, le Gouvernement s’efforce de mettre en exergue le volet « social » de son budget. Pour argumenter sa position, il évoque la hausse des minima sociaux, réduisant la sécurité sociale à un plan de lutte contre la pauvreté, argument peu audible par une majeure partie de la population, très attachée au modèle social « à la française » et peu attirée par le modèle anglo-saxon de protection minimaliste et attentatoire à la liberté de choix et l’égalité de traitement.

L’autre danger, plus grave encore sur le moyen et le long terme, réside dans l’absence de dispositions notoires – je ne dis même pas ambitieuses – en matière de prévention et d’innovation. Or il s’agit des deux axes majeurs pour la refondation de notre système. Les dépenses de prévention représentent 2 % en France, contre 3 % en Europe ; elles ont diminué en valeur réelle depuis dix ans.

Une baisse des prix de 1,2 milliard d’euros des produits de santé aura un impact négatif inévitable sur l’innovation. En effet, le Gouvernement privilégie son plan de reste à charge zéro en optique, dentaire et prothèses auditives. Cette promesse présidentielle va coûter pas moins de 700 millions d’euros sur trois ans à l’assurance maladie pour rendre gratuit l’accès à un panier de soins dit « 100 % santé » de produits et services de faible qualité, puisque sans innovation. C’est ainsi que la couronne métallique sera gratuite, mais pas les prothèses beaucoup plus innovantes.

Le résultat ne peut être autre qu’une tendance à la surconsommation de produits et services de faible qualité par la classe moyenne et un accès à la qualité limité à la classe supérieure, qui paiera en direct ou par une surcomplémentaire santé. Les assureurs privés vont renforcer leur rente en finançant 100 % des prestations de faible qualité,…

Mme Laurence Cohen. Tout à fait !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … en démutualisant la qualité tout en augmentant significativement leurs primes. Là aussi, le Gouvernement défend, avec une vision du social bien éloignée des fondements de la sécurité sociale, de garantir une égalité des droits à la qualité en santé et pas seulement un accès aux soins pour tous.

Malgré un retour à l’équilibre fragile dans les dépenses comme dans les recettes, le Gouvernement annonce la fin d’une règle d’or : la compensation intégrale des allégements de charges par l’État. Ainsi, les 3,5 milliards d’euros en année pleine que coûtent la suppression du forfait social pour l’intéressement des PME et les exonérations de charges sociales pour les heures supplémentaires ne seront pas compensés par l’État en 2019. Sauf à considérer que la paupérisation des retraités et des familles s’inscrit dans la durée du « nouvel État providence », ce choix de non-compensation condamne un équilibre financier durable pour la sécurité sociale et même son autonomie du giron de l’État.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 sera peut-être historique non pas du fait du retour à l’équilibre financier, mais par la fin assumée des missions sociales et politiques de la sécurité sociale. En évoluant vers un modèle anglo-saxon qui limite la protection sociale publique à un filet de sécurité pour les plus démunis, le Gouvernement enterre la sécurité sociale de 1945 sans proposer d’alternative pour solidariser l’ensemble de la société.

M. Bernard Jomier. Tout à fait !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En attendant, l’État pourrait fusionner dès 2020, comme le prévoit le projet de loi constitutionnelle, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances.

Au regard de tous ces éléments, je crains que le « nouveau monde » annoncé ne soit qu’un slogan et qu’il génère une régression sociale et sociétale, faute d’innovation indispensable à tout développement et de réflexion globale sur le système social. Pourquoi ne pas envisager des états généraux de la santé avec un vrai débat public et démocratique sur les orientations et les financements ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Daniel Chasseing applaudit également. )

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 608.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2019 (n° 106, 2018-2019).

En application du dernier aliéna de l’article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, ainsi que le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons la discussion de ce que nous redoutons être le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. La réforme constitutionnelle prévoit en effet d’examiner de manière concomitante le budget de la sécurité sociale et celui de la Nation. L’article 7 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace prévoit cette discussion commune afin de noyer le budget de la sécurité sociale dans l’ensemble des mesures d’austérité. L’objectif, à terme, est de soumettre la sécurité sociale aux mêmes règles de discipline budgétaire imposées par le pacte de stabilité dans la zone euro et donc d’interdire un déficit supérieur à 3 %.

Cette volonté non assumée par le Gouvernement a été défendue par le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui a proposé de modifier dans la Constitution la référence aux lois de « financement de la sécurité sociale » par celle de « financement de la protection sociale » et ainsi de diluer encore davantage l’autonomie de la sécurité sociale.

Si certains rêvent, à Bercy, de fondre les deux lois de finances, c’est avant tout pour mettre la sécurité sociale sous la férule de l’État en faisant fi du paritarisme, de l’esprit et de la lettre de son concepteur, le ministre communiste Ambroise Croizat.

Cette évolution majeure a été annoncée par le Président de la République lors de son discours, devant le Congrès réuni à Versailles, où il a fait part de son intention de « construire l’État providence du XXIe siècle ».

Cette réforme annoncée de la sécurité sociale vers une protection minimale des plus précaires n’est que l’aboutissement de décennies de politiques de remise en cause de notre système social. Depuis trente ans, les gouvernements successifs et le patronat n’ont eu de cesse de stigmatiser le « trou abyssal de la sécurité sociale », pourtant sciemment entretenu, et d’enchaîner les plans de restrictions budgétaires pour amoindrir les comptes de la sécurité sociale tout en développant les exonérations de cotisations sociales pour les entreprises, affaiblissant par là même les politiques de solidarité ainsi que les services publics. Depuis trente ans, les politiques, fondées sur la baisse de ce que vous appelez « coût du travail », alors que le travail produit des richesses, ont contribué à réduire les ressources de la sécurité sociale tout en diminuant les droits des assurés sociaux.

Parallèlement, les allégements et les exonérations de cotisations sociales se sont multipliés : ce sont près de 42 milliards d’euros prévus dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec la pérennisation du CICE et son intégration sous forme d’exonérations de cotisations sociales patronales. Mais, visiblement ces cadeaux sont insuffisants pour vous, puisque désormais les patrons ne paieront plus de cotisations sociales au niveau du SMIC, à l’exception de la cotisation AT-MP. À qui ferez-vous croire que c’est dans l’objectif de favoriser l’emploi ? C’est tout au contraire un encouragement à ne pas augmenter les salaires !

Ces dramatiques et successives décisions politiques ont fortement déséquilibré le financement de la sécurité sociale, dont les cotisations sociales, qui représentaient 77 % des ressources sociales en 1959, ne représentaient plus que 61,1 % en 2015. La fiscalité occupe désormais une part majeure du financement de la protection sociale.

En réalité, le nouveau monde promis par le candidat Macron ne fait pas autre chose que d’appliquer les vieilles « lunes » libérales. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale franchit une ligne rouge, ce qu’aucun gouvernement n’avait osé jusqu’alors.

En effet, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 avait prévu, en son article 27, la remise d’un rapport pour rénover les relations entre l’État et la sécurité sociale. Ce rapport recommande que, pour l’avenir, les baisses de prélèvements obligatoires soient supportées par l’État ou la sécurité sociale, en fonction de l’affectation de ces derniers, sans qu’il soit nécessaire ensuite de procéder à des transferts de compensation dans un sens ou dans l’autre.

L’obligation de procéder à des transferts de compensation est pourtant prévue à l’actuel article L. 131-7 du code de la sécurité sociale. Notre système de protection sociale trouve ses fondements dans son financement à partir de la cotisation sociale, qui est la part socialisée du salaire mutualisée entre les salariés pour répondre aux besoins sociaux, comme les dépenses nécessaires pour se soigner ou demeurer en bonne santé, les allocations familiales ou les pensions de retraite. C’est un système dont le principe est simple : « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. »

Évidemment, notre système de protection sociale, fondé sur la création de richesses par le travail dans le cadre de l’entreprise, doit s’adapter à la révolution numérique et au développement de l’auto-entrepreneuriat. Mais adapter un système ne veut pas dire le vider de son sens et lui retirer son autonomie, comme le prévoit le Gouvernement.

Comment ne pas s’interroger sur les raisons profondes qui vous poussent à rendre ces deux budgets fongibles ? Il faut reconnaître que le budget de la sécurité sociale est une manne d’argent extraordinaire soustraite au marché et qui permet pourtant d’ouvrir des droits solidaires et universels. C’est insupportable dans un système capitaliste mondialisé ! C’est insupportable pour le privé, qui voit dans la santé une marchandise !

La sécurité sociale est un bouclier social qui ne demande qu’à être amélioré pour répondre, dans une situation différente de celle des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, aux besoins de santé et de protection sociale de nos concitoyennes et concitoyens. C’est une haute ambition qui ne peut être atteinte en appliquant vos recettes, madame la ministre.

Il faut tout au contraire renoncer aux exonérations patronales, lutter contre la fraude patronale et supprimer la taxe sur les salaires dans les hôpitaux et les EHPAD publics, pour ne prendre que ces exemples. Autant de moyens dégagés pour non seulement mettre en œuvre un plan d’urgence pour ces établissements publics de santé, mais également appliquer pour toutes et tous le « 100 % Sécu » avec zéro reste à charge ! Ma collègue y reviendra plus longuement.

De plus, l’autonomie de la sécurité sociale repose, outre son autonomie de gestion et financière, sur une indépendance juridique. La sécurité sociale dispose de son propre code et de ses propres juridictions sociales. Elle est gérée par des entités autonomes de droit privé. Son financement relève de recettes spécifiques, propres et affectées au financement des différents risques qu’elle couvre.

Cette autonomie a été encadrée par l’État, qui, à l’image de la grenouille de la fable de Jean de La Fontaine, veut aujourd’hui se faire plus gros que le bœuf et engloutir la sécurité sociale dans son budget propre.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1996, le Parlement intervient dans le pilotage financier au travers des lois de financement de la sécurité sociale.

Dans sa décision n° 2001-453 DC, le Conseil constitutionnel a précisé que le législateur méconnaîtrait probablement l’exigence d’équilibre s’il mettait un régime, particulièrement le régime général, en déséquilibre financier durable. Certes, l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale sur les compensations n’a pas de valeur constitutionnelle. Mais on peut déduire du raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel que la compensation par l’État des mesures d’exonération de cotisations est la garantie de l’exigence constitutionnelle d’équilibre financier de la sécurité sociale.

Une mesure comme la fin des compensations financières de l’État peut donc remettre en cause, par son ampleur ou sa durée, le principe posé par la loi Veil du 25 juillet 1994.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit ainsi que l’État ne compensera pas 2,3 milliards de pertes de recettes. Il s’agit notamment du lissage de la hausse de la CSG pour les retraités modestes. Ainsi donc, l’annonce faite de ne pas augmenter la CSG à 350 000 retraités modestes pour un montant de 340 millions d’euros de pertes de recettes de la sécurité sociale ne sera pas compensée par l’État. Le Premier ministre va en réalité faire payer aux assurés sociaux la hausse de la CSG ; c’est la double peine ! Voilà les véritables dangers de la fin du principe de compensation !

L’annexe B du PLFSS prévoit l’apurement total de la dette de la sécurité sociale à partir de 2024. Par conséquent, les excédents des branches de la sécurité sociale pourront être transférés pour combler les déficits des dépenses sociales de l’État. Nous assistons à une étatisation forcée de la sécurité sociale, qui devient une variable d’ajustement du budget de l’État.

Apurement de la dette, mais à quel prix, madame la ministre ? Grâce à de nouvelles restrictions budgétaires, à hauteur de 5,7 milliards d’euros, dont 3,8 milliards d’euros sur les dépenses de santé, sans parler du déficit des hôpitaux, qui ne peut que s’aggraver ! Quant à l’ONDAM, même desserré, il est notoirement insuffisant, et vous le savez !

Derrière ces chiffres, ce sont autant de souffrances et de drames humains parmi les personnels de santé, qui tiennent les établissements à bout de bras, les patients, les retraités, les personnes en situation de handicap ou encore les personnes en perte d’autonomie.

Lors du tour de France des hôpitaux et des EHPAD publics que nous réalisons avec mon groupe et nos collègues députés du groupe GDR depuis neuf mois, nous avons pu constater partout la même situation d’urgence absolue, qui demande, contrairement à la philosophie de ce PLFSS, plus de moyens humains et financiers, la mise en œuvre d’une démocratie sanitaire. Cela exige une véritable participation dans toutes les instances des actrices et des acteurs du système de santé, ainsi que des élus, et ce jusqu’aux prises de décisions.

De ces rencontres riches est montée très fortement l’exigence d’un plan d’urgence pour l’hôpital public, qui comporte l’arrêt des fermetures d’hôpitaux de proximité.

« Pas de fermetures », avez-vous promis, madame la ministre. Mais toutes vos décisions conduisent à dégrader des services, afin d’aboutir à la fermeture, à plus ou moins long terme, des établissements visés. Je pense à l’Hôtel-Dieu, où la demi-garde en radiologie a été supprimée aux urgences, ou encore à la maternité du Blanc, où le personnel a été évacué manu militari ! Je ne cite que deux exemples très récents, mais il y en a de très nombreux sur tout sur le territoire.

Les attaques sont multiples et d’une gravité sans précédent, d’où les alertes lancées par toutes les catégories des personnels de santé et par les quatre fédérations hospitalières, ainsi que, pour la première fois, le vote négatif de toutes les caisses de la sécurité sociale sur ce PLFSS.

Ce budget n’est pas bon, madame la ministre. Il faut changer d’orientation budgétaire et surtout ne pas fondre le budget de la sécurité sociale dans celui de la Nation !

Notre groupe a donc déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, afin de dénoncer la mise en cause du principe constitutionnel d’autonomie des finances sociales. Nous réaffirmons notre hostilité totale face à cette entreprise de démolition de la sécurité sociale en tant que pilier de notre fraternité républicaine.

J’appelle toutes les sénatrices et les sénateurs sensibles à l’avenir de la sécurité sociale – j’ai constaté que vous y êtes sensibles, puisque vous avez applaudi Alain Milon, dont je salue l’intervention – à voter notre motion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et quelques travées du groupe Les Républicains.)