Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre nous, je voudrais d’abord me féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat, alors que se tient actuellement, au bout de la rue de Vaugirard, le Congrès des maires. Les élus locaux dans toute leur diversité, représentants des collectivités de tailles différentes, y expriment différents points de vue, en souhaitant être entendus et obtenir les moyens de remplir leur mission, non pas pour le plaisir, mais parce qu’ils sont animés par la volonté, qu’ils ont chevillée au corps, de répondre aux besoins des femmes et des hommes qui vivent et qui travaillent sur les territoires qu’ils administrent.

Nous pourrions nous demander s’il est nécessaire de passer une heure à discuter, puisque nous sommes tous convaincus que la ruralité est une chance pour la France. Nous l’avons dit à de nombreuses reprises, au travers de diverses propositions de loi ou d’autres débats.

Au vu de l’actualité, toutefois, j’ai envie d’insister. La ruralité, c’est 35 % des Français répartis sur 90 % du territoire. C’est une chance, en effet, mais il faut la préserver et la sécuriser pour les années à venir.

Monsieur le ministre, je l’ai déjà dit ici, mais vous-même l’entendrez pour la première fois, car vous n’étiez pas présent durant la discussion précédente : nos territoires ruraux connaissent de vrais problèmes, liés à la disparition ou à la fragilisation de services publics, mais aussi privés.

La question de l’accès aux soins dans leur diversité se pose, par exemple. Aujourd’hui, les schémas régionaux de santé illustrent la volonté de réduire au minimum la présence en milieu hospitalier. Ils incitent donc les personnes malades à sortir le plus tôt possible et à poursuivre les soins à domicile, alors même que, dans certains territoires, les secteurs médical et paramédical rencontrent des difficultés pour accompagner les patients dans cette démarche en toute sécurité. J’en ai été témoin dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Il en va de même s’agissant du maintien des écoles rurales. Au-delà du slogan, une école, c’est plus que l’avenir d’un village, c’est la garantie d’un dynamisme susceptible d’assurer son renouvellement en accueillant de nouvelles populations qui s’investiront ensuite dans la vie associative.

Tout cela est aujourd’hui fragilisé.

Je voudrais également évoquer la question de la mobilité dans son ensemble : que deviendront, demain, les 9 000 kilomètres de lignes ferroviaires jugées non rentables ? On oblige de plus en plus souvent les collectivités à mettre la main à la poche pour assurer la continuité ferroviaire. La réouverture de la ligne entre Montbrison et Boën, par exemple, n’a été possible que parce que les communautés d’agglomération et la région ont participé aux coûts afin de restaurer la desserte.

Je pourrais évoquer également ces multiples guichets dont l’amplitude d’ouverture est réduite, quand ils ne sont pas tout simplement définitivement fermés. Leur liste s’allonge, en particulier dans les territoires ruraux.

Tout cela pose la question de la mobilité subie. La plupart des habitants sont contraints d’utiliser leur voiture et se voient stigmatisés, désignés comme responsables de tous les maux.

On demande beaucoup plus d’efforts fiscaux aux populations rurales qu’à celles qui ont suffisamment d’argent – je n’évoquerai pas le cas d’un grand patron, mis en examen aujourd’hui à quelques milliers de kilomètres d’ici ! Il faudrait tout de même savoir s’adresser aux Françaises et aux Français qui en ont le plus besoin. Après l’imposition des 80 kilomètres par heure, puisque, dans nos territoires, nous ne sommes pas à cinq minutes près, on culpabilise celles et ceux qui, faute d’autre possibilité, font le plein et remplissent la cuve de leur chaudière.

Cette situation résulte d’une course à la métropolisation qui a vidé petit à petit les territoires de leurs populations.

Les communes rurales doivent donc retrouver toute leur place pour permettre le maintien de territoires dynamique, de territoires vivants, de territoires d’innovation, puisque l’innovation est une opportunité de développement. L’ensemble des politiques publiques doit être mobilisé à cette fin, car les territoires ruraux, à tous les échelons, ont besoin d’aide, de moyens et donc d’argent public pour pouvoir investir. Les politiques des gouvernements successifs comme des majorités régionales ont manqué à leur devoir de les accompagner dans l’innovation, pourtant nécessaire.

Ce sont l’investissement public et l’ingénierie qui permettront, demain, à nos territoires ruraux de répondre aux besoins des femmes et des hommes qui y vivent et qui continueront d’y vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.

Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe du RDSE d’avoir proposé au Sénat ce débat. Cette approche originale attire notre attention sur une spécificité française.

En effet, poser la question de la ruralité, c’est s’intéresser à une somme de problématiques qui vont bien au-delà du portrait qu’on en faisait, il n’y a pas si longtemps encore, en désignant par ce vocable des territoires à l’activité majoritairement agricole.

Aujourd’hui, ces territoires dits « ruraux » ne peuvent plus faire l’objet d’une lecture aussi simpliste, car leur évolution démographique, économique ou territoriale renvoie à des caractérisations nouvelles.

Cependant, au-delà des mutations qu’il a connues, le monde rural reste une marque majeure de l’identité et de l’organisation du territoire national : il représente 80 % de la superficie de la France, une part importante de sa population y réside encore et de nombreux emplois s’y concentrent.

Non, la ruralité ne peut pas faire seulement l’objet de discours condescendants ponctuels ou de quelques mesures destinées à compenser les carences dont elle souffre depuis plusieurs années et qui ne font que s’amplifier, alors qu’elle est riche de tant de potentiel, de talents, de créativité et d’énergies.

Ces territoires sont d’abord des laboratoires de démocratie locale où la relation de proximité qui s’établit entre habitants et élus leur permet de débattre directement des choix et des projets.

Élue pendant vingt-trois ans, dont dix-sept ans comme maire, d’une commune comptant 900 habitants, j’ai apprécié d’échanger au quotidien directement avec les habitants, le milieu associatif, les entreprises, les parents d’élèves, les enseignants, toutes les forces vives qui garantissent une cohésion sociale rassurante et équilibrée. Personne ne reste sur le bord de la route dans ces espaces privilégiés de l’exercice de la démocratie.

Ainsi, la création des services d’aide à la personne en milieu rural et leur développement témoignent de la capacité de ce système participatif à répondre aux besoins de tous ses membres.

Ce n’est sans doute pas non plus par hasard que ces territoires sont également des laboratoires d’innovation qui génèrent des emplois dans des secteurs industriels nouveaux. Les visites d’entreprises que j’ai effectuées dans mon département, la Seine-Maritime, m’ont permis de découvrir, dans des communes d’où l’activité agricole a parfois presque entièrement disparu, des acteurs économiques travaillant dans des domaines très pointus et dont le rayonnement s’étend dans certains cas bien au-delà de nos frontières.

L’espace rural devient alors un lieu de production de nouvelles richesses, tourné vers les énergies renouvelables en développant la filière bois ou la fabrication de plastiques ménagers à partir de matières recyclées ; un lieu de production énergétique, en investissant dans les biocarburants ; un lieu de croissance de l’économie sociale et solidaire, en développant des conciergeries de service. Toutes ces activités sont à coup sûr créatrices d’emplois. Ces atouts intéressent nombre de nouveaux habitants, souvent jeunes, qui recherchent une meilleure qualité de vie, dans un environnement qui bénéficie d’un patrimoine naturel et de nombreux facteurs d’attractivité.

C’est précisément parce que notre territoire national dispose de ces richesses, qui lui confèrent son originalité, que nous devons leur permettre de s’exprimer et de prospérer, sans oublier d’aider ceux qui consacrent leur énergie à les valoriser, en particulier les élus locaux.

Or il faut bien constater que ces territoires ruraux – une partie de notre territoire national – se trouvent confrontés à une accumulation de handicaps : retrait de l’État et de ses services, tel que les bureaux de poste ou les trésoreries, mais aussi fermeture de maternités, inégalités de desserte ferroviaire, désertification médicale, difficultés financières, disparition des petits commerces de proximité, distances toujours plus importantes à parcourir pour accéder aux services minimums.

Alors que se tient le Congrès des maires, c’est l’écho de la désillusion des élus ruraux, pourtant si ambitieux pour leurs territoires, qui nous parvient. Comme leurs concitoyens, ils se sentent délaissés. Ils veulent bien croire aux discours qui leur promettent des lendemains meilleurs, grâce au développement de la télémédecine, par exemple, mais comment l’envisager quand, pour une trop grande majorité d’entre eux, l’accès au numérique et au haut débit s’inscrit encore dans un avenir indéterminé ?

Notre ruralité est belle, certes, et le nombre de touristes qui la parcourent chaque année confirme l’attrait qu’elle exerce et l’intérêt qu’elle suscite, mais elle ne saurait se contenter de devenir un musée à ciel ouvert !

Pour conclure, monsieur le ministre, nous ne cherchons pas à opposer le rural et l’urbain, mais nous rappelons que l’égalité des territoires est indispensable à l’équilibre du territoire national et qu’il ne peut y avoir de sous-territoire comme il ne peut y avoir de sous-citoyen. La richesse est présente partout dans l’Hexagone, c’est une chance qu’il ne faut pas laisser passer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’opportunité de ce débat, avant l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances pour 2019. J’espère sincèrement qu’il sera possible d’adopter un changement de perspective et donc de politique publique à l’égard du monde rural.

Depuis plusieurs années déjà, la ruralité constitue, selon l’expression du sociologue Jean Viard, une société vivante en passe de proposer son propre modèle de développement économique et social, qu’il faut impérativement identifier et accompagner.

Je rappelle que l’article 4 de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne dispose que « dans leur principe, la dotation globale de fonctionnement et le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales intègrent les surcoûts spécifiques induits par des conditions climatiques et géophysiques particulières ».

Or cette mesure n’a été ni mise en œuvre ni même testée, alors que les élus de montagne l’attendent.

Quelle est aujourd’hui la préoccupation principale des élus ruraux ? Ici, la préservation de l’école ou du collège, là, de l’institution publique, ailleurs, de la petite entreprise, partout, le combat permanent contre les mouvements de centralisation vers de trop grandes intercommunalités.

En visitant les élus de mon département, je suis frappé par leur envie de construire un autre mode de développement, plus autonome, plus humain qui s’appuie sur nos ressources propres et qui s’inscrit dans une stratégie nationale d’innovation et d’expérimentation.

Mes chers collègues, pour cela, nous avons besoin que des infrastructures minimales soient présentes dans tous les territoires. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous demandons ainsi depuis plusieurs années le désenclavement de la préfecture du département, Digne-les-Bains.

Concernant la couverture mobile et le numérique, nous n’avons plus de temps à perdre au risque de voir partir des populations pourtant séduites par la vie rurale. Nous plaidons pour une couverture plus rapide, mieux priorisée, qui utilise les infrastructures existantes, comme les pylônes TDF, notamment, ainsi que les bornes 3G actuelles, qui pourraient être mobilisés maintenant, sans attendre une hypothétique 5G, partout où la fibre est déployée uniformément.

S’agissant des médecins, nous souhaitons des assouplissements réglementaires pour l’ouverture de maisons de santé, mais aussi pour régler la question des médecins retraités ou celle des stages en milieu rural.

En ce qui concerne les écoles, nous demandons la garantie des postes de conseiller principal d’éducation, ou CPE, dans les collèges multisites et l’adaptation en conséquence des contrats de ruralité.

Je plaide ici, enfin, pour la mise en place d’un contrat de service public comprenant l’obligation de proposer à moins de quinze minutes des services de base redéfinis, de bonne qualité, disposant des moyens humains indispensables. Je souhaite, à ce titre, que les maisons de services au public bénéficient de ressources moins disparates, de permanences équivalentes et d’effectifs humains comparables afin de renforcer les usages.

Nous pourrions ainsi mettre en place un maillage plus cohérent de ces services au public. Les longues distances quotidiennes ne doivent plus être une fatalité pour la ruralité.

Monsieur le ministre, nous avons besoin d’infrastructures adaptées. En retour, les élus ruraux sont prêts à agir en autonomie, à expérimenter et à innover. Il faut s’appuyer sur eux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à chaque déplacement dans mon département de l’Aveyron, je ne cesse de répéter à tous mes concitoyens : « Soyez très fiers, vraiment très fiers, d’être des ruraux ! »

En Aveyron, monsieur le ministre, nous en sommes convaincus : la ruralité est bien évidemment une chance pour la France.

Notre ruralité d’aujourd’hui est le fruit de générations qui ont œuvré sur les terres de France, pour alimenter et bâtir le pays. Bien sûr, il y a toujours eu des moqueries – nous nous les rappelons tous – sur les ruraux, qui ne seraient pas assez distingués, et l’exode rural est massif dans l’espoir de trouver un travail plus rémunérateur ailleurs.

Néanmoins, la ruralité d’aujourd’hui n’est plus celle qui est fantasmée par les uns, dénigrée par les autres. Nous nous sommes développés, et la réalité est bien différente aujourd’hui : nous aussi, nous disposons d’entreprises innovantes et performantes ; et, bien sûr, la qualité de la vie est, pour nous ruraux, bien supérieure – je le dis ici, à Paris – à ce qu’elle est dans d’autres endroits.

En effet, nous avons un espace sain – il suffit de nous voir… –, nous respirons un air pur et nous pouvons trouver des produits de qualité à proximité. En outre, les campagnes sont généralement plus sécurisées et, selon moi – mais je me trompe peut-être –, la vie de famille y est très épanouissante.

Toutefois, aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de plaider pour la vie rurale. Les bienfaits de la campagne, nous en sommes convaincus. Le défi majeur de la ruralité est démographique ; c’est notamment celui de la jeunesse et du renouvellement des générations.

En effet, nos départements ruraux vieillissent. Il nous appartient donc à tous de conserver toutes les qualités de notre territoire et d’attirer de nouvelles populations, surtout des entreprises qui créeront des emplois.

Par exemple, il est nécessaire que les départements de moins de 300 000 habitants bénéficient d’actions spécifiques pour compenser leurs handicaps naturels : le relief, les conditions météorologiques, la faible densité de population, l’éloignement des services, tous sujets sur lesquels nous devons réfléchir ensemble.

La réalisation d’infrastructures en Aveyron et à Paris a le même prix, bien évidemment, mais pas le même coût. Ainsi, pourquoi les taux de fiscalité locale – je pose cette question au moment du Congrès des maires – sont-ils plus élevés en province qu’à Paris ? Pourquoi la majeure partie des collectivités locales – communes, communautés de communes et départements – de province ont-elles une dette plus élevée que les métropoles ? Autant de sujets dont je pourrais parler longtemps.

Il est vraiment nécessaire d’établir une péréquation financière et de services pour rendre le milieu rural attractif.

Car c’est bien de l’attractivité qu’il s’agit. Alors que les métropoles et les départements urbains ne cessent de voir leur population progresser, le milieu rural, lui, se désertifie. Il est absolument impératif de rétablir cet équilibre. Les départements ruraux ne sont pas faits spécifiquement pour accueillir les touristes aux mois de juillet et août… Les ruraux ont le droit de vivre chez eux toute l’année !

Monsieur le ministre, nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle à avoir des idées. Aidez-nous à construire un nouvel espace rural, dynamique, attractif et plus jeune ! Il faut une volonté et une véritable politique d’aménagement du territoire.

Mes chers collègues, inventons un nouveau milieu rural : ainsi, certaines mesures ou certaines lois ne peuvent pas s’appliquer de la même manière à Paris et dans nos départements ruraux, car elles n’y ont ni la même signification, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes effets.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Luche. Je suis persuadé que vous m’avez entendu. Je le répète encore une fois à cette tribune, ô combien symbolique : je suis très fier d’être un rural, car le monde rural est une chance pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le concept de ruralité a toujours fait les délices des géographes et des parlementaires. Songeons à la diagonale du vide, ce vide dont Aristote disait que la nature a horreur, comme une sorte de French bashing avant l’heure, si vous me permettez cet anglicisme…

La ruralité est devenue le creuset d’idéologies qui inquiètent, à la suite de son abandon par les politiques publiques. Et vous me demandez d’en parler comme d’une chance ? Vaste programme, au surplus dans un temps si bref que j’en frémis.

Aujourd’hui, beaucoup définissent la ruralité par la négative, comme ce qui n’est pas la ville. Les travaux qu’elle inspire reposent sur une définition victimaire : la ruralité qui s’est conceptualisée est celle qui subit. Il est certain que la souffrance de nos campagnes est réelle, mais ce discours est-il une base saine pour défendre un projet de développement positif pour une ruralité du XXIe siècle ?

Alors que la ville a assis son rôle culturel, politique et économique, notamment dans son affirmation continuelle vers la métropole, la ruralité se cherche toujours un avenir dans notre époque. En d’autres termes, l’urbanité est un fait, quand la ruralité est un souhait.

Il faut donc lui construire une vision et un projet pour qu’elle constitue une alternative. Elle doit cesser d’être une victime, bien sûr, mais aussi une utopie ou un objet désirable, pour devenir conquérante et se développer pour et par elle-même.

Elle ne possède pas les mêmes atouts que la métropole, mais elle a les siens. Elle doit donc se donner la juste ambition de cesser d’être définie comme un legs du passé qui se contente de s’incarner dans le présent, pour devenir un projet d’avenir inscrit dans la modernité.

Pourquoi miser sur ces territoires perdus et vouloir y vivre, malgré des dynamiques de développement plus faibles ? Parce que nos territoires sont davantage que des subjectiles dans le contexte de la rareté et de la préservation de notre environnement : ils sont un enjeu vital dans la guerre des ressources qui commence et doivent être vus, eux qui ont jadis bénéficié d’investissements lourds, mais parfois dépassés, comme les vecteurs du développement sur le temps long, en ces temps d’immédiateté.

À cet égard, la ruralité du XXIe siècle sera interconnectée ou ne sera pas. Le web 2.0, voire le 4.0, a révolutionné la géographie et les distances.

S’il n’y a plus de terra incognita ni d’Amérique à découvrir, les grands moments de développement se font ailleurs, et l’avenir des pionniers se situera toujours dans les marges abandonnées ou inexploitées.

Le préalable incontournable est de renverser le paradigme de la fiscalité locale, conceptualisée voilà plus d’un demi-siècle et fondée sur la territorialisation de la ressource et une affectation de celle-ci guidée par le nombre d’habitants. Cette approche, n’ayant plus aucune réalité contemporaine, constitue une véritable spirale du déclin, qui a vocation à fermer le spectre des dynamiques dans un conformisme réducteur et qui conduira à la sclérose de notre pays, si nous persistons.

Mes chers collègues, la loi de finances exceptionnelle prévue au printemps prochain sera pour nous l’occasion de renouveler notre force créatrice et de saisir la chance offerte à cet égard, pour peu que nous sortions de nos sempiternels lieux communs et de l’écosystème fiscal actuel, en osant appréhender les charges réelles et en refondant une nouvelle gouvernance systémique. Je vous y donne rendez-vous !

Si la cité semble avoir fondu son destin dans celui de la ville, nous proposons d’imaginer la cité rurale : elle n’est pas un destin, une voie tracée, mais un projet, un défi collectif de reconstruction des espaces et des usages, auquel il nous faudra retravailler.

Ne nous trompons pas, la ruralité n’est ni vraiment une chance ni un boulet : elle est l’avenir de notre pays, pour peu que nous souhaitions conserver ses valeurs, qui nous ont portés du premier sacre de Reims jusqu’à Charles de Gaulle, en passant par les Lumières et la Commune, des valeurs qu’une insidieuse société de consommation voudrait déconstruire.

C’est la tâche que nous nous sommes fixée, à quelques-uns, en brûlant les images d’Épinal pour libérer la ruralité et élaborer ensuite des outils dans une architecture nouvelle permettant aux acteurs de se prendre en main.

En dépassant la simple réflexion, autour d’un jeune homme plein de talent, nous avons décliné un mode d’action en soixante-trois préconisations pour la cité rurale. Elles ont vocation à ouvrir le champ des possibles. Je les tiens à votre disposition.

Notre cité rurale, plutôt qu’une réponse définitive, vous propose un mode de réponse, en accord avec l’invite de Gérard Larcher : « La nation française constitue un héritage à partager, qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre. » La cité rurale est de ces espaces qui engagent à ce partage.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons miser sur cette touche française qu’on nous envie, en prenant la ruralité comme un atout, une potentialité, et en y investissant, plutôt que d’y acheter temporairement une paix sociétale. Faire le contraire serait renoncer à rester nous-mêmes et à notre ressource du troisième millénaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Yvon Collin applaudissent également.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cette chambre haute qui représente au Parlement les territoires, le thème de ce débat sonne à la fois comme une espérance, une nécessité et une ambition politique.

Disons-le sans ambages : la Nation se délitera, le pays se balkanisera, si nous continuons tous à tout miser sur les métropoles de notre pays pour répondre aux attentes de nos concitoyens vivant en zone rurale. Étant entendu qu’il nous faut aussi des métropoles dynamiques à taille européenne pour être présents dans la compétition internationale.

Quelle place entendons-nous donner aux ruralités françaises pour la création de richesses économiques, sociales, environnementales et culturelles et pour un développement durable dont le bien-être de chacun et l’intérêt général national doivent être les motifs premiers ?

Il y a deux semaines, dans le cadre d’une procédure un peu surprenante, le Gouvernement a soumis à notre examen la proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, laissant entendre qu’il défend une ambition politique en matière de cohésion des territoires. Or, sur le fond, ce texte technique a davantage traité du « comment » que du « quoi » ou du « pourquoi ».

Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à regretter que le remarquable travail du commissaire général à l’égalité des territoires, M. Morvan, ne soit pas exploité ou ne constitue pas le point d’entrée d’un vaste débat national sur la place et le rôle des ruralités en France.

Pour l’avoir appréciée en tant que responsable d’exécutifs locaux hier, de sénateur aujourd’hui, je tiens à souligner la qualité du travail mené par le Commissariat général à l’égalité des territoires pour les contrats de ville, par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine en matière de renouvellement urbain. Nous jugerons dans la longue durée les effets de ces politiques, mais je pense que les principes structurants retenus sont adaptés aux enjeux.

Dans la ruralité comme ailleurs, c’est l’économie qui fait la vitalité, le dynamisme du territoire.

Or, tout au long des décennies passées, la productivité agricole a fait son œuvre. Si l’objectif d’autosuffisance alimentaire à coût abordable pour le consommateur a été atteint, c’est au prix d’un double sacrifice : celui du revenu pour les agriculteurs, celui de la démographie pour les territoires.

Dans notre République, où l’attachement des Français à l’égalité et à la justice se manifeste en ce moment de manière préoccupante, le darwinisme territorial et social n’est pas une option. Le sentiment d’abandon est une réalité dans de nombreuses campagnes.

Que disait le Président de la République en juillet dernier devant le Congrès de Versailles ? Il en appelait à « une réorganisation de l’État à travers plus de présence sur les territoires », ajoutant : « Surtout, il faut enrayer un mode d’action publique qui a toujours procédé aux économies en réduisant sa présence sur les territoires. » Il nous disait croire à « l’installation de nouveaux projets », à un « rééquilibrage des territoires, par l’installation d’activités économiques, accompagnées, aménagées avec l’ensemble des élus locaux par le Gouvernement » et « un accompagnement des services de l’État dans le cadre de ce projet ».

Sur le terrain, en réalité, nous constatons trop souvent l’inverse… Tout, ou presque, reste à faire !

Dans quelque temps, nous examinerons le projet de loi sur les mobilités. Il faut que des réponses concrètes soient apportées aux Français des territoires ruraux qui sont et resteront captifs de la voiture pour vivre au quotidien.

Je mesure tous les jours, au contact des entreprises installées dans le Gers ou qui voudraient s’y installer, combien les voies rapides et le rail restent des infrastructures majeures pour le développement économique et social. En particulier, il faut que l’État termine le plus vite possible les routes nationales, par lesquelles l’influence métropolitaine vitalise les territoires ruraux.

Dès lors, monsieur le ministre, quelle est votre conception de la justice spatiale, un concept de plus en plus employé ? Quelle est votre définition de la cohésion des territoires, et sur quels critères la fondez-vous ?

Comment, concrètement, doit se manifester la solidarité réciproque entre des territoires aux dynamiques très dissemblables, par exemple entre les métropoles et leurs zones rurales d’influence directe ou plus lointaine ?

Quel rôle l’État doit-il jouer, dans le respect des principes de la décentralisation ? Souscrivez-vous à tout ou partie des propositions du rapport Morvan ?

Bref, quels sont vos objectifs quantifiés pour gagner en cohésion territoriale ? Quelle est votre stratégie pour y parvenir, et suivant quel calendrier ? Quel processus au fil de l’eau prévoyez-vous pour évaluer l’efficacité de cette politique de cohésion des territoires ? Avec quelle implication – c’est une question importante – des élus et des citoyens ?

Les élus locaux, tout particulièrement ceux des campagnes, désespèrent de pouvoir mener une action publique efficace et reconnue par leurs administrés. Ils ont besoin de respect, de visibilité, de stabilité, de moyens financiers propres et d’accompagnements divers, celui de l’État n’étant pas le moindre.

Monsieur le ministre, pour que la ruralité soit une chance pour la France, je vous invite à nous soumettre sans tarder un projet de loi de programmation visant – tous les mots ont leur importance – à la reconnaissance et au développement des ruralités françaises ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)