M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Reconnaissons-le, nous en sommes très loin !

Par ailleurs, ce type de conventions internationales, qui, sur le papier, ne lient pas la France, pourraient avoir des effets à court ou moyen terme, mais sont votées sans aucune consultation du Parlement, comme d’ailleurs l’ensemble des conventions internationales.

Le Parlement n’arrive dans ces matières qu’« à la fumée des cierges », comme on le dit dans ma Normandie, c’est-à-dire sans pouvoir amender, pour débattre – encore faut-il qu’il n’y ait pas de procédure simplifiée ! –, mais surtout pour approuver ou refuser la convention, laquelle est généralement acceptée.

Puisque c’est la période des réformes, des réformes constitutionnelles en particulier, il serait opportun qu’avant d’engager la France dans des accords aussi importants le Gouvernement consulte le Parlement.

Mme Nathalie Goulet. Cette remarque est aussi valable pour les conventions fiscales.

C’est une proposition que nous reprendrons dans le cadre de la réforme constitutionnelle, si elle est présentée au Sénat. Il faut tout de même réfléchir à ces questions. Nous avons bien des débats préalables au Conseil européen ; pourquoi ne pas avoir une discussion préalable à des conventions internationales qui ont un impact sur la loi nationale et sur notre quotidien ?

M. Gérard Longuet. Absolument !

Mme Nathalie Goulet. L’examen de la présente proposition de résolution était programmé bien avant l’adoption du pacte de Marrakech et il ne s’agit que d’un concours de circonstances. Mektoub, il n’y a pas de hasard ! (Sourires.)

Mais revenons au sujet de ce débat.

Au sein de cette maison, j’ai présidé, avec notre collègue André Reichardt, une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, qui a commencé à travailler six mois avant Charlie. Nous avions anticipé ces catastrophes et la dangerosité du phénomène. Puis nous avons mené de concert, avec le groupe Les Républicains et l’ensemble de la représentation sénatoriale, une mission d’information sur l’islam.

La démarche et la volonté de la France s’inscrivent dans un mouvement international convergent, qui s’oppose au port du voile intégral ou en réduit les possibilités.

Si l’on fait un point géographique de la situation, on constate que la liste des États dans lesquels le port du voile intégral, le niqab – je rappelle que la burqa n’est portée qu’en Afghanistan –, est prohibé et la tolérance accrue s’allonge.

Aux Émirats arabes unis, pour d’évidentes raisons de sécurité qui ont présidé au vote du texte de 2010, il est absolument interdit aux femmes travaillant dans certaines administrations de se couvrir le visage ; c’est le cas dans les aéroports, les centres stratégiques, etc.

Au Koweït, les femmes qui portent le niqab n’ont tout simplement pas le droit de conduire, ce qui paraît logique.

Plus près de nous, le Maroc et la Tunisie ont non seulement interdit le port du niqab, mais aussi sa fabrication. On a tout de même beaucoup progressé !

Il faut aussi citer les législations adoptées en Bulgarie, en Belgique et au Danemark.

Le Royaume-Uni et la Suède n’ont pas voté l’interdiction, mais ont des dispositifs qui permettent, notamment aux écoles, de la mettre en œuvre.

Cette proposition de résolution répond-elle à une impérieuse nécessité ?

Si nous considérons le problème sous l’angle de la sécurité, c’est une évidence et, de ce point de vue, il faut maintenir l’absolue prohibition du voile intégral. J’ajoute qu’il faut une tolérance zéro à l’égard de ceux qui encouragent la désobéissance civile en payant des amendes en lieu et place des contrevenantes qui portent le niqab.

Dimanche dernier, j’ai assisté, comme vous, monsieur le secrétaire d’État, au congrès du Conseil français du culte musulman. Je souhaite répéter les propos tenus par l’ensemble des orateurs, sous le contrôle de M. le ministre de l’intérieur et sous le vôtre : nos concitoyens français de confession musulmane sont des Français à part entière, et non des Français à part.

Par ailleurs, et nous remercions le président Retailleau de nous en donner l’occasion, nous devons réaffirmer que c’est à la religion de s’adapter à la République, et sûrement pas à la République de s’adapter aux religions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public concerne non pas quelques centaines ou quelques milliers de personnes, de façon anecdotique, mais notre société tout entière et l’idée que l’on peut se faire de la France.

Cette loi est d’autant plus fondée que les autorités religieuses musulmanes, au plus haut niveau, ne rangent pas le port du voile intégral parmi les prescriptions de l’islam, ce qui atteste que cette loi est dirigée non pas contre une religion, mais contre des dérives fondamentalistes, ce qui est totalement différent. (Mme Sophie Primas applaudit.)

En mettant en cause la relation à autrui et la réciprocité d’un échange, la dissimulation du visage dans l’espace public s’oppose directement aux exigences du « savoir vivre ensemble », exigences qui s’imposent à chacun, quelle que soit sa confession.

Oui, l’échange social implique d’apparaître à visage découvert dans l’espace public, quand la dissimulation paraît contraire au principe de fraternité et, au-delà, au principe de civilité. Elle marque le refus d’entrer en relation avec autrui ou, plus exactement, d’accepter la réciprocité et l’échange, puisque cette dissimulation permet de voir sans être vu.

De plus, au-delà de la mise en cause de la relation à autrui, la dissimulation du visage porte directement atteinte à la dignité de la personne, ce qui constitue une base constitutionnelle incontestable pour l’interdiction prévue, d’autant qu’elle est limitée à l’espace public.

De même, le Conseil d’État a relevé que le respect de la dignité de la personne humaine fait partie intégrante de l’ordre public. Le 27 juin 2008, il avait ainsi rejeté la requête d’une Marocaine qui s’était vu refuser l’accès à la nationalité française en raison de sa pratique religieuse radicale, laquelle incluait le port de la burqa.

L’ordre public est également mis en cause du fait de l’impossibilité d’une identification, qui concerne d’ailleurs tous les modes possibles de dissimulation du visage et toutes les justifications, alors même que les préoccupations de sécurité sont maximales pour nos concitoyens.

Ainsi, en 2010, un choix de société a été fait. Aujourd’hui il paraît impérieusement nécessaire de le préserver et de le réaffirmer avec force, dans la mesure où celui-ci semble être menacé.

En effet, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a adopté, le 22 octobre 2018, des « constatations », à la suite de la plainte de deux femmes verbalisées en France pour leur port du voile intégral sur la voie publique.

Celui-ci a estimé que la loi de 2010 portait atteinte « au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion » et qu’elle constituait, dès lors, une discrimination à caractère religieux. Comme l’indiquent les auteurs de la proposition de résolution, « cette interprétation de la protection des droits de l’homme aboutit de fait à favoriser la négation des droits des femmes et remet frontalement en cause notre conception de leur place dans la société ».

Or, il faut ici le rappeler, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt S.A.S. c. France rendu le 1er juillet 2014, avait déjà statué sur la loi française et affirmé de façon très claire : « Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et […] se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et contextes locaux. »

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même prétendument volontaire ou accepté, le port du voile intégral ne consiste en vérité qu’en une forme de réclusion publique. Il n’existe aucune liberté dans le fait de dissimuler son visage. La dignité est l’une des premières libertés dans la patrie des droits de l’homme ; c’est notre héritage humaniste.

Aussi, à l’heure où les Français s’interrogent sur le devenir de la Nation et sur l’avenir de ce qu’ils sont, il est de notre responsabilité de faire preuve d’une extrême vigilance et de réaffirmer les valeurs que nous avons en partage et qui sont le fondement de notre volonté de construire un destin commun. Notre devoir est de parler d’une seule voix pour manifester notre attachement unanime à la République, à ses principes et à ses valeurs.

En tant que parlementaires, il nous revient aussi de garantir la pérennité de nos valeurs, lesquelles façonnent un modèle qui a fait notre pays et qui fait aussi son image, un modèle qui fonde notre pacte social et forge notre identité.

Il nous revient d’être dignes des exigences attachées à l’honneur d’être Français et au privilège de vivre en France.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du port du voile dans les lieux publics ne date pas d’aujourd’hui. En 2003, déjà, la commission Stasi l’examinait et concluait ainsi ses travaux : « Dans la conception française, la laïcité n’est pas un simple “garde-frontière” qui se limiterait à faire respecter la séparation entre l’État et les cultes, entre la politique et la sphère spirituelle ou religieuse. L’État permet la consolidation des valeurs communes qui fondent le lien social dans notre pays. »

Des pressions s’exercent sur des jeunes filles pour les contraindre à porter un signe religieux, parfois pour les enfermer dans un vêtement. La République ne peut rester sourde à leurs cris de détresse.

Aujourd’hui, la question est non plus la liberté de conscience, mais l’ordre public. La montée inexorable du communautarisme et de l’intégrisme dans les quartiers les plus fragiles de notre République, que j’ai pu constater quand j’étais ministre de la ville, a conduit en 2010 les parlementaires – on l’a dit – à voter une loi interdisant le port du voile intégral sur la voie publique. Dans une lettre de mission, le Premier ministre demandait au Conseil d’État d’étudier des solutions juridiques permettant de parvenir à une interdiction du port du voile intégral qui soit la plus large et la plus effective possible, tout en rappelant, bien sûr, la nécessité de ne pas blesser nos compatriotes de confession musulmane.

Aujourd’hui, le contexte terroriste a encore aggravé la situation.

Étant rapporteur pour la commission des lois du suivi de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, je suis bien placé – et vous aussi, monsieur le secrétaire d’État, de par vos fonctions antérieures et présentes – pour savoir que la menace terroriste n’a jamais été aussi présente sur notre territoire. Nous avons évité bien des attentats, grâce au courage des services de la République que vous avez, pour partie, dirigés.

La société française et ses représentants pensent que le voile intégral n’a rien à faire sur la voie publique, d’abord pour une raison d’ordre public – Bruno Retailleau l’a dit –, ensuite et surtout au nom de la dignité de la femme.

Ce comité Théodule des droits de l’homme des Nations unies, en estimant que la loi interdisant la dissimulation du visage est une atteinte à la liberté religieuse, fait un contresens total. Il méconnaît un élément important du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, qui prend en compte les spécificités des sociétés des pays signataires et précise que la liberté de religion peut être limitée dans un but de protection de l’ordre public, de la sécurité ou de la santé publique.

Le port du voile intégral n’est pas acceptable dans le pays des droits de l’homme, qui est aussi, on l’a dit, celui des droits de la femme.

Par la soumission de la femme qu’elle manifeste, cette pratique est contraire aux principes fondamentaux de notre identité nationale, au premier rang desquels figurent l’égale dignité de l’homme et de la femme et l’existence d’un espace public de dialogue.

L’idée qu’il puisse exister un vêtement du visage correspond à une conception des rapports humains qui n’est absolument pas tolérable sur notre sol. Cela reviendrait à considérer que les femmes ne sont pas dignes d’être vues ou d’entrer en relation avec les autres, au même titre que les hommes.

Laisser se développer une telle pratique conduirait à favoriser l’amalgame entre la religion musulmane et l’islamisme intégriste. On a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que plusieurs représentants de la religion musulmane avaient toujours été très clairs sur ce sujet.

Revenir sur cette législation après les crimes commis par Al-Qaïda, par Boko Haram ou par Daech, après le génocide et les viols commis sur les populations azéries, après l’attentat du Bataclan serait une insulte adressée à toutes les familles des victimes.

Monsieur le secrétaire d’État, dans ma commune de 30 000 habitants, un jeune homme de 29 ans a été assassiné au Bataclan. Je connaissais très bien ses parents, et je suis allé moi-même leur annoncer sa mort. Ils ne comprendraient en aucun cas que l’on puisse revenir sur une telle législation.

Revenir sur cette législation après de telles provocations, ce serait adresser à la nation française un message de tolérance face à l’intolérable.

Revenir sur cette législation, ce serait envoyer un signal profondément désespérant aux millions de femmes qui espèrent leur émancipation partout dans le monde.

Ce serait pour la France déchoir de son rôle de défenseur des droits fondamentaux.

C’est toute la République qui dit non au voile intégral. Voilà pourquoi nous soutenons pleinement la proposition de résolution de notre président Bruno Retailleau, et nous appelons, bien sûr, le Gouvernement à manifester son mécontentement et son indignation à l’égard de cette décision totalement incohérente ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.

M. Michel Amiel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a bien longtemps que le port du voile intégral ne s’était pas invité dans le débat politique. Avec cette proposition de résolution, il y refait son apparition.

Examinons les faits. La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public fut adoptée à la quasi-unanimité par les deux chambres. Le Conseil constitutionnel la jugea conforme à nos principes, en particulier à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. De même, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, déclara que cette loi respectait les principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950.

Or voilà que le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi par deux plaignantes, estime que cette loi de 2010 porte atteinte « au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion ».

Il faut tout de même le dire et le rappeler, ce comité ne constitue en rien une juridiction et que cette « constatation », pour reprendre le terme exact, ne saurait être ni contraignante ni obligatoire. De ce fait, l’État ne saurait en aucune manière être obligé de suivre cet avis.

Certes, dans le passé, ce comité s’était prononcé sur l’aspect discriminatoire des règles de neutralité religieuse dans la fameuse affaire de la crèche Baby Loup. Cet avis avait trouvé un écho au niveau juridictionnel, le premier président de la Cour de cassation, comme vous l’avez rappelé, monsieur Retailleau, ayant prévenu que l’institution qu’il dirigeait tiendrait compte de cette interprétation en raison de l’autorité qui s’y attachait de fait.

Cette position est finalement assez constante et les juges s’appuient volontiers sur des avis non contraignants pour interpréter la loi. Sauf que, dans le cas d’espèce, il ne s’agissait pas de l’espace public. Bref, ce magistrat aurait pu prendre une autre décision.

La loi est là, elle est issue d’une volonté démocratique forte établie par les représentants du peuple, la branche législative du pouvoir.

La CEDH avait reconnu et réaffirmé : « Il apparaît ainsi que la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public constitue un choix de société. » La jurisprudence n’est pas modifiée par la décision du Comité des droits de l’homme, l’ordonnancement juridique est intact, et la volonté de la société d’établir une règle du vivre ensemble dans l’espace public préservée.

Enfin, limiter nommément cette question d’application de la loi au seul voile islamique, alors que la loi du 11 octobre 2010 a permis d’affirmer et de sanctuariser le principe fondamental selon lequel « la République avance à visage découvert », me paraît constituer, mes chers collègues, une tentative de soulever un débat qui ne devrait plus avoir lieu d’être, à des fins qui risqueraient de s’éloigner de la préoccupation juridique pour glisser vers une intervention plus politique.

Pourquoi pas ? Puisque vous voulez parler du voile, parlons-en !

Le port du voile intégral est-il un mode d’expression d’une foi religieuse, à savoir l’islam, ou bien une simple tradition vestimentaire imposée, dans certaines terres d’islam, aux femmes contre leur gré, parfois même sous peine de mort ? En tout cas, si le Coran lui-même recommande une certaine pudeur vestimentaire pour les femmes, comme d’ailleurs pour les hommes, je n’y ai jamais lu une quelconque obligation du voile intégral ; il ne contient même pas le mot « hijab ».

Il n’y a d’ailleurs dans le Coran que quatre versets sur ce sujet. La seule partie du corps féminin qu’il est recommandé de couvrir est la poitrine.

Selon Asma Barlas, universitaire américaine d’origine pakistanaise, le port d’un voile intégral qui couvre le visage « est absolument contraire à l’esprit du Coran ». Elle poursuit : « J’en veux pour preuve que les femmes doivent accomplir le hadj, le pèlerinage rituel, à visage découvert. »

Selon Mme Barlas, la question du voile cristallise d’autres craintes ; si les femmes sont opprimées dans le monde islamique, c’est le fait des hommes, pas de la religion.

C’est bien là qu’est le problème de fond. L’islam n’impose pas le voile intégral. Ce dernier est devenu une marque identitaire, voire une provocation face à notre tolérance occidentale issue de la philosophie des Lumières.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Michel Amiel. Si c’est cela le retour du spirituel annoncé par Malraux… Permettez-moi de n’y voir qu’obscurantisme, rabaissement de la femme et intolérance ! Ce n’est pas comme cela que je vois l’islam de France et, au-delà, l’islam tout court.

M. Michel Amiel. Ce n’est pas parce que certains pays musulmans ont inventé le voile intégral, qu’on l’appelle burqa ou niqab suivant le « modèle » – passez-moi l’expression – et surtout le pays, que nous devons l’accepter dans notre pays laïc, lequel tolère, in fine, aussi le multiculturalisme, même si le mot peut avoir une consonance péjorative pour certains.

Restons ouverts à cette grande religion qu’est l’islam en lisant ou relisant le Coran avec le regretté Mohammed Arkoun, grande figure de l’islamologie contemporaine, ou en pensant le politique avec Abdou Filali-Ansary, directeur de l’Institut pour l’étude des civilisations musulmanes de Londres, qui réfute jusqu’à l’idée même d’un État islamique.

Soyons intraitables face à des dérives radicales, voire fanatiques, et de toute façon humiliantes pour les femmes. Disons-le, la présence dans l’espace public de femmes intégralement voilées a heurté la vision qu’avait notre pays de la place des femmes en son sein ; je pense à l’effigie de Marianne.

Aussi, pour ma part, je voterai cette proposition de résolution, même si son opportunité ne me paraissait pas évidente par les temps qui courent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une partie du groupe La République En Marche s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la laïcité française, dans ses principes et ses modalités d’application, demeure une spécificité de notre République et ses conceptions originales doivent être collectivement défendues, sur notre sol et dans les instances internationales.

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’ont jamais, dans leurs nombreuses décisions, contesté les législations ou les décisions judiciaires fondées sur de tels préceptes.

En revanche, le Comité du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a parfois manifesté de l’incompréhension ou de l’opposition à l’égard de la laïcité française. Cette proposition de résolution aurait pu être l’occasion de lui rappeler notre attachement collectif à cet élément fondamental de notre socle républicain, d’en défendre les principes et d’en promouvoir la valeur universaliste. Nous regrettons donc vivement que le mot « laïcité » n’y soit jamais cité, ni dans l’exposé des motifs ni dans le texte même.

À propos des constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies publiées le 22 octobre 2018, il convient, en préambule, de préciser qu’elles n’ont aucune conséquence juridique sur le droit français. En aucune façon, elles ne modifient l’ordonnancement juridique national ou n’atténuent la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les mesures proposées aux alinéas 14 et 15 de la présente proposition de résolution sont donc sans objet.

Néanmoins, je pense qu’il aurait été utile pour nos débats de reprendre ici certaines des observations présentées par la majorité des membres de ce comité. En effet, plusieurs d’entre eux partagent l’idée que le voile dissimulant totalement le visage, appelé niqab, est « discriminatoire ». Ils estiment que « le port du voile intégral est une pratique traditionnelle par laquelle les hommes ont asservi les femmes sous couvert de préserver leur “pudeur”, les empêchant ainsi d’occuper l’espace public au même titre que les hommes ». De même, le Comité, dans sa décision, reconnaît à l’État français le droit de « promouvoir la sociabilité et le respect mutuel entre les individus, dans toute leur diversité, sur son territoire, et conçoit que la dissimulation du visage puisse être perçue comme un obstacle potentiel à cette interaction ». In fine, ce qui est contesté par ce comité, c’est moins la mesure elle-même, l’interdiction du voile intégral, que la disproportion de la restriction de circulation, par rapport à un objectif qu’il estime mal défini par la loi.

Sur ce dernier point, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public aurait pu, il est vrai, être plus explicite. Son premier article dispose : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». En revanche, l’exposé des motifs est beaucoup plus précis puisqu’il considère, avec justesse, que « la dissimulation du visage dans l’espace public est porteuse d’une violence symbolique et déshumanisante, qui heurte le corps social » et que le voile revient « à nier l’appartenance à la société des personnes » qui le portent.

Fondamentalement, l’objet même de la loi est non pas la nature du bout de tissu porté par un individu, mais la position politique qui dénie à une femme ses droits de citoyenne, conformément à des traditions religieuses qui s’imposeraient à l’ordre républicain. Il s’agit non pas de réglementer la dissimulation du visage, qui pourrait concerner, de la même façon, la femme intégralement voilée et l’individu qui souhaiterait cacher son identité aux forces de sécurité, mais de réaffirmer, dans l’exercice de la citoyenneté à laquelle nul ne peut renoncer, la primauté des lois de la République sur les croyances ou les systèmes de pensée qui lui sont extérieurs. Là est bien l’essence de la laïcité.

À ce propos, j’aimerais rendre hommage au courage de M. Yadh Ben Achour, juriste tunisien et membre du Comité aux droits de l’homme, qui a souhaité exprimer avec force son opposition à la décision de cette instance.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Ses arguments ont été repris en annexe de la décision et méritent d’être cités de nouveau : « L’ordre, en France, par l’effet de la Constitution, est un ordre républicain, laïque et démocratique. L’égalité des hommes et des femmes fait partie des principes les plus fondamentaux de cet ordre […]. Or, en soi, le niqab est un symbole de stigmatisation et d’infériorisation des femmes, par conséquent contraire à l’ordre républicain […]. Les défenseurs du niqab enferment la femme dans son statut biologique primaire de femelle, objet sexuel, chair sans esprit ni raison, responsable potentiel du désordre cosmique et du désordre moral, et qui doit donc se rendre invisible au regard masculin et être pour cela quasiment interdite de l’espace public. Un État démocratique ne peut permettre une telle stigmatisation […]. »

M. Yadh Ben Achour, en tant que Tunisien et professeur de droit public, observe que les droits de l’homme se heurtent à « l’arc référentiel » de la croyance islamique, selon laquelle l’ordre du monde ici-bas est comme subordonné à celui de l’au-delà et que les droits de Dieu sont supérieurs à ceux des individus. Pour lui, la religion ne peut être autoréférentielle. Elle doit se soumettre à la raison universelle.

Alors que nous allons peut-être débattre prochainement des lois de bioéthique, notre assemblée est-elle prête à reconnaître entièrement cette soumission ? Êtes-vous prêts, chers collègues, à considérer que la laïcité est la condition première de l’émancipation des femmes et de l’affirmation de leur liberté à disposer librement de leur corps, y compris lors de la procréation ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)