M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans moins de deux semaines, nous commencerons l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités. Pourtant, il faut croire que l’impatience de nos collègues du groupe CRCE était trop grande, puisque nous avons à débattre aujourd’hui d’un sujet essentiel s’agissant de mobilités, les autoroutes, même si notre discussion reste très arc-boutée sur le sujet des sociétés autoroutières.

Mme Éliane Assassi. La niche est programmée depuis décembre !

M. Frédéric Marchand. Le sujet des autoroutes est extrêmement sérieux, mais, pour démarrer cette intervention, vous me permettrez cette légèreté en citant un humoriste français à la gauloiserie bien connue : « C’est un scandale. J’ai pris l’autoroute à contresens et on ne m’a même pas remboursé. »

Mme Éliane Assassi. Très drôle…

M. Frédéric Marchand. Cette saillie comique illustre bien le débat qui existe aujourd’hui dans notre pays s’agissant des péages acquittés et du retour pour l’État.

Concernant les réseaux autoroutiers, vous le savez, l’État a commencé à céder ses parts en 2001, la privatisation s’imposant quant à elle en 2006 face à un bilan alarmant : il s’agissait alors de faire face à 30 milliards d’euros d’endettement. Le Gouvernement déclenchait la privatisation, pour un prix d’achat de 22,5 milliards d’euros. Il faut noter que, en 2009, un rapport de la Cour des comptes affirmait toutefois que ce prix avait été sous-évalué, non de 10 milliards d’euros comme cela nous est indiqué, mais de 1,5 milliard d’euros au regard d’une valeur estimée à 24 milliards d’euros.

Les entreprises qui ont remporté le marché ont connu une forte augmentation de leurs profits, non seulement au travers d’une augmentation des tarifs de péage dont on nous dit qu’elle est de 20 % en dix ans sans que ces chiffres aient été vérifiés, ce qui pose question, mais également grâce à l’automatisation massive des péages, avec pour conséquence l’augmentation du montant des redevances autoroutières.

Le financement de l’Afitf, sujet sur lequel nous reviendrons dans le cadre de l’examen du projet de loi LOM, a bien évidemment été touché par cette décision avec près de 15 milliards d’euros depuis sa création en 2005 fléchés en recettes.

Le droit des sociétés concessionnaires à percevoir le péage en contrepartie de la construction, de l’extension, de l’entretien et de l’exploitation de leur réseau constitue le fondement du contrat de concession autoroutière. Ce contrat qui lie le concessionnaire et l’État, en particulier le cahier des charges qui lui est annexé, définit le cadre strict d’évolution des tarifs. Ce système contractuel est établi sur la base d’un équilibre financier, prévoyant une évolution annuelle des tarifs de péages jusqu’à la fin de la concession.

À la suite des vifs débats qui ont visé le secteur autoroutier depuis 2013, un accord a été trouvé au mois d’avril 2015 pour rééquilibrer les relations entre les concessionnaires et l’État. Cet accord s’est notamment traduit par un gel des tarifs, mais avec un report de la hausse sur les années 2019 à 2023, le versement par les sociétés d’autoroutes d’un milliard d’euros au profit de l’amélioration des infrastructures de transport du pays et la réalisation par les sociétés d’autoroutes d’un programme de plus de 3 milliards d’euros de travaux afin d’améliorer le réseau autoroutier en échange d’un allongement de la durée des concessions de deux ans et demi en moyenne, parfois de cinq ans.

Cette même année, l’Araf, créée en 2009 pour veiller au bon fonctionnement du marché ferroviaire, a vu ses missions étendues au transport interurbain et aux autoroutes sous concessions, devenant ainsi l’Arafer.

Au mois de septembre 2016, le ministre chargé des transports annonçait un nouveau plan autoroutier, qui prévoyait un milliard d’euros d’investissements dans les infrastructures autoroutières moyennant une hausse de 0,4 % des péages entre 2018 et 2020. La mesure a été réétudiée par le Gouvernement après un avis sévère de l’Arafer.

Le projet est finalement lancé en 2018 : il s’agit d’un investissement de 700 millions d’euros, financé par une hausse tarifaire comprise entre 0,1 % et 0,4 %, mais aussi par les collectivités locales.

Par ailleurs, le contrat passé en 2006 avec les sociétés autoroutières ne prévoyait aucune réactualisation des tarifs. En d’autres termes, il n’y avait pas de mécanisme de régulation des tarifs : ceux-ci augmentaient en fonction de l’inflation. Sans doute faudra-t-il insister sur la nécessaire négociation des tarifs avec les sociétés autoroutières dans le cadre établi.

S’agissant de la proposition qui nous est soumise, les estimations du coût de la renationalisation immédiate des sociétés d’autoroutes oscillent entre 30 milliards et 50 milliards d’euros, sans parler des nombreux contentieux qui ne manqueraient pas d’être intentés par les sociétés autoroutières. Autant dire que, pour le budget de l’État, cela n’aurait aucun sens ; soyons réalistes.

D’ailleurs, dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », qui est né des contestations du coût élevé des transports, la ministre des transports a appelé les concessionnaires à des gestes commerciaux. Cependant, il s’agit d’un appel à la bonne volonté. Rien de contraignant n’a été mis en place pour le moment, mais c’est sans doute une piste qu’il ne faut pas s’interdire de creuser.

De même, la renationalisation pose aussi la question des collaborateurs du ministère de l’équipement, qui ont quitté le giron de l’État et qu’il faudrait réintégrer. Il faudrait des années pour résoudre les difficultés ainsi soulevées. (Mme Éliane Assassi sexclame.)

Il nous faut collectivement poursuivre cette réflexion en nous appuyant notamment sur l’expertise de l’Arafer. En définitive, il serait véritablement contre-productif de vouloir renationaliser aujourd’hui.

En revanche, il nous faut avoir à l’esprit l’échéance de 2033 et imaginer d’ores et déjà les scénarios et solutions pour trouver les réponses les plus pertinentes pour l’État, pour nos concitoyens, sans oublier bien évidemment les sociétés autoroutières.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que le groupe La République En Marche votera contre ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà quelques semaines, une large majorité s’est dégagée ici, indépendamment des clivages politiques, pour s’opposer à la privatisation d’Aéroports de Paris. Ce vote a été largement salué dans le pays. L’exemple de la privatisation des autoroutes était alors dans toutes les têtes et son échec sur toutes les lèvres.

Je me souviens que, du côté droit de l’hémicycle, on a même fort justement affirmé que cette privatisation avait été une expérience « catastrophique ».

En cohérence, notre groupe a souhaité remettre le sujet de la nationalisation des autoroutes au cœur de nos discussions. La proposition de loi que nous proposons mérite d’être examinée sans a priori idéologique. Elle invite d’abord à s’interroger sur le rôle de l’État dans l’aménagement du territoire. L’État n’est aujourd’hui plus en mesure de faire prévaloir l’intérêt général face à la puissance des sociétés concessionnaires : le droit des contrats passés devient plus fort que la souveraineté politique.

Dernier exemple en date, à mes yeux parmi les plus choquants, l’exonération de péages votée pour les véhicules de secours devrait, selon ces contrats, conduire à une indemnisation par l’État des sociétés concessionnaires. Pour cette raison, cette exonération ne sera pas appliquée et les véhicules de police, des pompiers ou du SAMU continueront de s’acquitter des péages !

Avec la privatisation, l’État a renoncé à un levier politique puissant. Oui, mes chers collègues, les autoroutes sont tout aussi stratégiques que les aéroports franciliens au regard des défis écologiques et des défis de désenclavement et d’égalité territoriale. L’État a organisé sa propre incapacité à mettre en place une tarification sociale ou environnementale, à œuvrer en faveur de la complémentarité entre modes de transport et à réaliser le report modal du routier vers le ferroviaire.

La privatisation est aussi une aberration économique aux conséquences lourdes.

On peut débattre à l’infini des chiffres des bénéfices et des dividendes perçus et distribués par les sociétés concessionnaires. Il reste qu’il y a bien un consensus sur la « rentabilité exceptionnelle » des autoroutes, pour reprendre les termes de l’Autorité de la concurrence, rentabilité – certains d’entre vous ont parlé à juste titre de « rente » – qui ne cesse de croître et qui a rapidement permis aux sociétés en question de récupérer leur mise de départ. Les autoroutes sont donc un bien économiquement viable permettant, sans prise de risques, d’obtenir d’importants bénéfices.

Or cet argent ne tombe pas de nulle part. C’est celui des Français, qui subissent la hausse des tarifs, laquelle, après une accalmie, a repris au mois de février.

L’État lui aussi continue d’être mis à contribution, tout comme les collectivités territoriales. Ces dernières participent notamment aux investissements lorsqu’il s’agit de construire de nouvelles bretelles raccordant les territoires au réseau autoroutier. J’en connais des exemples en Normandie, mais chacun d’entre nous pourrait en citer concernant son territoire.

Nationaliser les autoroutes permettrait donc d’utiliser ces bénéfices pour l’intérêt général en permettant à l’État de trouver de nouvelles ressources pour le financement des infrastructures. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France a en effet été privée de ressources pérennes par la privatisation, ce qui l’empêche d’assumer son rôle, aussi bien pour favoriser la mobilité sur tout le territoire que pour permettre le report modal nécessaire à l’urgence écologique et à la sécurité routière.

Alors que nous nous apprêtons à débattre dans les prochains jours du projet de loi d’orientation des mobilités, dont la programmation est totalement sous-financée, il serait judicieux de s’appuyer sur une source pérenne de financement plutôt que sur un doublement des recettes des radars, comme l’ont évoqué certains de nos collègues.

Enfin, et peut-être surtout, il est nécessaire d’assumer le caractère politique de cette question. Les « gilets jaunes », à la suite de nombreuses associations d’usagers qui agissent en ce sens depuis des années, se sont chargés de nous le rappeler. La nationalisation des autoroutes fait partie de leurs principales revendications, comme en témoignent les nombreuses opérations « péage gratuit ».

Ce que les « gilets jaunes » ont aussi rappelé, c’est que l’organisation actuelle du système autoroutier ne fonctionnait pas : entre ceux qui ne peuvent se permettre d’emprunter les autoroutes trop chères, ceux pour qui ces dépenses ne cessent de peser dans le budget et ceux qui sont tout simplement exclus du réseau autoroutier, les Français ont tordu le cou à cette conception technocratique et coupée des réalités sociales selon laquelle tout va bien tant que les autoroutes sont bien entretenues.

Je précise d’ailleurs que la comparaison entre l’état des autoroutes et celui des routes secondaires plaide, elle aussi, pour la nationalisation. En effet, si les sociétés gestionnaires ont les moyens de réaliser les travaux nécessaires, c’est bien parce qu’elles bénéficient d’une source de financement que n’ont pas les routes secondaires. La nationalisation permettrait donc une redistribution plus favorable au réseau secondaire.

Les revendications de la population sont très claires : on ne veut pas d’une renationalisation dans dix, vingt ou trente ans, au risque très probable que les contrats actuels soient reconduits jusqu’à constituer une privatisation indéfinie de fait. Non ! On veut simplement arrêter de payer dès maintenant pour un service qui devrait être public et qui sert des intérêts particuliers.

Mes chers collègues, montrons, montrez à nos concitoyens que vous n’êtes pas sourds à leurs revendications et que vous souhaitez répondre au vent de colère qui souffle dans notre pays. Avec nous, votez la nationalisation des autoroutes ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Patrice Joly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de faire vivre le débat sur les concessions d’autoroutes au travers de cette proposition de loi.

M. Éric Bocquet. Cela commence très bien ! (Sourires.)

M. Vincent Delahaye. C’est un sujet qui suscite – à juste titre – de nombreuses interrogations, voire de la défiance chez nos concitoyens.

Le groupe Union Centriste avait proposé un débat parlementaire sur ce sujet qui, malheureusement, a dû être reporté en raison de la manifestation contre l’antisémitisme.

Voilà maintenant plus de douze ans, l’État privatisait ses autoroutes pour des concessions de trente ans en moyenne. On nous indiquait à l’époque qu’il s’agissait d’une « bonne affaire » pour l’État, donc pour le contribuable. L’ensemble des privatisations rapportait 14,8 milliards d’euros. Or, en douze ans, les sociétés d’autoroutes ont déjà versé à leurs actionnaires 14,9 milliards d’euros.

En 2017, l’ensemble de ces sociétés ont dégagé 73 % de marge brute ! Je serais curieux de savoir s’il existe, en France, une entreprise qui peut en faire autant.

La renationalisation proposée aujourd’hui est estimée à 50 milliards d’euros, vous l’avez souligné, madame la ministre, soit le triple de ce qu’ont rapporté les privatisations… Une bonne affaire pour le contribuable ? Certainement pas !

Où est également la bonne affaire pour les usagers de l’autoroute ?

Selon les chiffres à notre disposition, dont on ne peut pas dire qu’ils soient marqués du sceau de la transparence, le chiffre d’affaires de ces sociétés augmente beaucoup plus vite que le trafic. Son augmentation découle donc essentiellement de l’augmentation du tarif des péages.

Les usagers ont vu les prix des péages s’envoler ; les augmentations ont été plus fortes que l’inflation. L’usager a donc perdu du pouvoir d’achat. En plus, l’évolution des tarifs des péages ne semble pas prise en compte dans l’indice de l’Insee de calcul de l’inflation. Résultat, les automobilistes dépensent désormais autant en péage qu’en carburant sur un nombre de plus en plus grand de trajets.

Pourtant, si le service fourni est bon, il ne s’est pas nettement amélioré. Ce qui est certain, c’est que l’on n’a jamais construit aussi peu d’autoroutes que depuis la privatisation. Entre 2007 et 2013, seulement 167 nouveaux kilomètres ont été réalisés, alors que le réseau autoroutier s’étend sur plus de 9 000 kilomètres.

Comme s’il n’était pas suffisant de vendre la poule aux œufs d’or et de l’alimenter au détriment de l’usager, on organise ce jeu de dupe dans le dos des Français. Je veux parler ici de l’accord secret conclu en 2015 entre Mme Royal et les sociétés d’autoroutes. En contrepartie d’un pseudo-gel des tarifs pour 2015, les sociétés autoroutières ont obtenu de nouvelles hausses tarifaires jusqu’en 2032, l’engagement de l’État de compenser toute modification fiscale ou obligation nouvelle, la prolongation des concessions de deux à cinq ans.

Certes, cet accord comporte un mécanisme permettant à l’État de demander une rétrocession des surprofits, mécanisme intégré dans la loi Macron. Madame la ministre, pourquoi ce mécanisme est-il aussi facilement contourné par ces sociétés ? Sera-t-il mis en œuvre à un moment donné ? D’après mes informations, ce ne sera pas le cas. Par ailleurs, j’ai récemment interrogé le Gouvernement pour savoir si les sociétés d’autoroutes allaient faire un geste à l’égard des usagers et quelle en serait l’ampleur par rapport à l’augmentation des tarifs. J’attends toujours une réponse.

En tout cas, l’accord de 2015 est toujours officiellement secret, en attendant que le Conseil d’État ne se prononce sur le bien-fondé de sa confidentialité. Pourquoi un tel secret ? Était-ce pour cacher aux Français que, en matière d’autoroutes, leurs intérêts étaient, une fois de plus, sacrifiés au profit de ceux des sociétés d’autoroutes ?

Malgré les lourdes critiques que je viens d’énoncer, une renationalisation anticipée des autoroutes me semble juridiquement dangereuse et très lourde financièrement. Il est d’ailleurs complètement incohérent de faire supporter ce coût aux entreprises via un relèvement de l’impôt sur les sociétés : c’est là un contresens économique.

En outre, nous ne sommes pas certains que l’État serait en capacité d’assurer un entretien des autoroutes équivalent à ce qui se fait aujourd’hui. N’oublions pas que les autoroutes sont l’une des vitrines de la France et que l’État ne se révèle pas souvent bon gestionnaire. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Jean-Pierre Grand. C’est pour cela qu’il faut laisser les autoroutes au privé !

M. Vincent Delahaye. Nous continuerons toutefois de demander au Gouvernement de faire la lumière sur les relations entre l’État et les sociétés autoroutières. Il est temps d’arrêter les accords secrets contre des allongements injustifiés de concession. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au risque de surprendre, je me montrerai d’abord bienveillant à l’endroit de cette proposition de loi et de ses auteurs.

Les vicissitudes de la vie parlementaire que nous connaissons avec plus ou moins d’acuité nous amènent trop souvent à examiner des dispositions non normatives ou qui ne relèvent pas du domaine de la loi. Dans d’autres cas, le Gouvernement, comme il le fait désormais à chacun de ses grands textes, nous enjoint de consacrer dans la loi des objectifs dont nous savons qu’ils ne seront jamais atteints. Puis, il y a toutes ces fois où nous sommes contraints de voter des dispositions parce que tel décret d’application ou telle interprétation jurisprudentielle nous y aura conduits.

Difficile dans ces conditions d’être trop ambitieux et difficile, surtout, de faire de la politique. Avec cette proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, je peux dire que nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste n’ont pas renoncé à faire de la politique, et ils ont bien raison !

M. Pierre-Yves Collombat. Très bien ! Il faut faire de la politique !

M. Patrick Chaize. Le groupe Les Républicains entend bien lui aussi faire de la politique, mais pas tout à fait la même…

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas le grand débat !

M. Patrick Chaize. Je rappelle que notre commission n’a pas adopté cette proposition de loi. En effet, contrairement à son titre, son objet ne porte que sur la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes : comme mon collègue Jean-Pierre Grand le rappelle dans son amendement, l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France est une affirmation de principe sans aucun fondement législatif.

S’agissant de l’exposé des motifs, je peux m’associer à nombre de postulats qui y sont formulés.

Je souscris à l’insécurité engendrée par les privatisations sur les ressources de l’Afitf. Je souscris à l’analyse qui est faite sur l’utilisation du produit de la vente, produit qui a été utilisé en vue du désendettement de l’État. Je souscris à l’analyse relative au gel des tarifs décidé en 2015. Je souscris enfin à l’analyse sur la rentabilité financière des sociétés concessionnaires, analyse adossée au rapport de la Cour des comptes de 2013 et à l’avis de l’Autorité de la concurrence de 2014.

Je rappelle au passage que ces deux institutions n’ont pas exactement la même appréciation. Je ne compte pas entrer dans le débat sur le rachat des contrats de concession, car telle est la question en dernier ressort de ce texte. Encore une fois, je comprends la démarche intellectuelle qui consiste à dire que l’exercice politique ne doit pas systématiquement conduire à l’impuissance publique, mais je ne veux pas entrer dans un débat sur l’évaluation économique d’une opération de rachat que les auteurs de la proposition de loi et que plusieurs d’entre nous évaluent entre 28 et 50 milliards d’euros et que le Sénat évaluait, pour sa part, entre 30 et 40 milliards d’euros.

Je pense ici au groupe de travail de 2014 sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes présidé par nos collègues Louis-Jean de Nicolaÿ et Jean-Jacques Filleul, dont j’ai eu l’honneur de faire partie avec notre collègue Évelyne Didier, qui était membre du groupe CRCE. À l’époque déjà, nos analyses étaient convergentes.

Je ne souhaite pas non plus alimenter un débat sur l’état de la jurisprudence en matière de libéralités. Compte tenu de l’ampleur de l’opération, nous avancerions en plein brouillard.

La position de notre groupe est simple. Nous en avons fait part en commission voilà maintenant deux semaines. Elle est parfaitement cohérente avec celles que nous avons précédemment exprimées lors de la table ronde sur l’état des infrastructures routières et autoroutières du 8 février 2017, organisée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, lors des conclusions du groupe de travail de notre commission sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes le 17 décembre 2014, et même lors de l’examen de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France déposée le 25 octobre 2011 et rejetée par le Sénat le 19 juin 2014.

Nous sommes hostiles au rachat des contrats de concession existants, mais une fois que ces concessions seront arrivées à échéance, dans les années 2030, nous voulons que l’État puisse étudier l’ensemble des possibilités qui s’offriront alors à lui.

Doit-il conserver un régime concessionnaire en introduisant des garanties, comme celles qu’a proposées le groupe de travail précité, en mettant fin à la pratique des contrats de plan, en abaissant le seuil de mise en concurrence des marchés de passation de travaux ou en élargissant les compétences de l’Arafer ? Si de telles garanties ne peuvent être apportées, pourquoi l’État ne reprendrait-il pas la main ?

En tout cas, il ne faudra rien s’interdire. La politique étant l’art du choix, cela tombe très bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un rapport de juillet 2013 portant sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, la Cour des comptes consacrait un chapitre entier à l’insuffisante régulation des hausses de tarifs. Elle relevait notamment que le décret de 1995 relatif aux péages autoroutiers ne garantissait pas une protection suffisante des intérêts du concédant et des usagers. Elle jugeait par ailleurs que l’État avait accordé aux concessionnaires de compenser par des hausses de tarifs un grand nombre d’investissements de faible ampleur, dont l’utilité pour l’usager n’était pas toujours avérée, ou qui relevaient de leurs obligations normales.

Dans un avis du 17 septembre 2014, après avoir constaté que le chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes avait augmenté beaucoup plus fortement que la progression du trafic, l’Autorité de la concurrence formulait plusieurs préconisations pour une meilleure régulation du secteur, portant notamment sur les modalités de fixation des tarifs des péages et sur une amélioration des conditions de la concurrence dans les appels d’offres pour les travaux de rénovation et d’extension du réseau.

Les articles 5 et 6 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques sont venus renforcer les prérogatives de l’Arafer sur l’ensemble de ces sujets. En effet, un mécanisme correcteur en cas de bénéfices supérieurs aux estimations a été introduit. La transparence a été améliorée avec la publication des contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes.

L’Arafer a publié en juillet 2018 son rapport annuel sur les marchés et les contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes en 2017, soit la première année de pleine d’application du nouveau cadre régulatoire. Elle constate que « la majorité des achats – en montant – des sociétés concessionnaires fait aujourd’hui l’objet d’une procédure transparente et objective de mise en concurrence au bénéfice de l’ensemble des opérateurs économiques ».

Dans son rapport annuel de novembre 2018 sur la synthèse des comptes des concessions autoroutières, l’Arafer relève à propos des hausses tarifaires que : « L’effet des hausses spécifiques – liées à la compensation de la redevance domaniale ou à la compensation d’investissements supplémentaires prévus par les contrats de plan – s’est atténué sur la période. Les hausses tarifaires restent toutefois plus dynamiques que l’inflation de référence. »

Ce rappel historique illustre à quel point il est important de prévoir un cadre régulatoire précis et contraignant concomitamment à la décision de privatiser des actifs publics, d’autant plus lorsqu’ils sont en situation de monopole. Alors que l’Assemblée nationale débat en seconde lecture du projet de loi Pacte, je ne peux manquer d’attirer l’attention des députés sur le renforcement de la régulation du secteur aérien prévu aux articles 47 et 48, tels qu’ils ont été votés par le Sénat sur l’initiative du rapporteur Jean-François Husson.

Si les dispositions de l’article 48 issues des travaux de l’Assemblée nationale ont quelque peu renforcé les pouvoirs de l’État à l’occasion de la renégociation de ces contrats ou en leur absence, ceux-ci demeurent insuffisants pour faire prévaloir l’intérêt général en cas de conflit avec le futur propriétaire privé d’Aéroports de Paris. C’est pourquoi le Sénat a prévu de donner la possibilité à l’État d’adopter unilatéralement un quasi-contrat de régulation économique en cas de désaccord persistant avec ADP ou encore d’imposer à ADP la réalisation d’investissements nécessaires au respect des obligations de service public.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, à l’instar de mon groupe, je voterai contre cette proposition de loi visant à renationaliser les autoroutes. Laissons le temps faire son œuvre avant de vouloir de nouveau rebattre les cartes : le nouveau cadre régulatoire est encore bien récent. Ayons en tête cette expérience, au moment où il est envisagé de privatiser d’autres infrastructures de transport. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)