Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous souhaitons également, à partir de 2021, rendre les plateformes redevables de la TVA, en lieu et place du vendeur ou de l’importateur,…

M. Philippe Dallier. Bonne idée !

M. Gérald Darmanin, ministre. … dès lors qu’elles facilitent les transactions ; nous prévoyons d’établir une liste noire des plateformes non coopératives, où seront inscrites celles qui ne respectent pas leurs obligations.

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous allons permettre à l’administration de demander aux entrepôts logistiques des informations sur la provenance et la destination des colis, comme l’ont fait nos amis Britanniques.

Comme l’Espagne ou l’Italie, nous mettrons également en place la facturation électronique – cela évitera la fraude à la TVA – d’ici à 2023, afin notamment de laisser aux PME le temps de s’organiser. Le Gouvernement tient particulièrement à cette disposition, qui permettra sans doute de répondre aux interrogations de la Commission européenne. Cette dernière estime à plus de 10 milliards d’euros la fraude à la TVA pour la France. Nous savons tous que la fraude est un coup de poignard au pacte républicain.

Nous travaillerons sur la liste des États non coopératifs en cas d’évasion fiscale. Nous proposerons une disposition très intéressante sur la domiciliation fiscale des dirigeants, qui entraînera sans doute un certain nombre de discussions. Cette disposition est conforme à l’engagement du Président de la République. Payer ses impôts en France n’est pas honteux, bien au contraire ! La richesse étant créée en France, les dirigeants d’entreprise doivent payer leurs impôts en France.

L’article 57 du projet de loi de finances nous donnera l’occasion de débattre de l’utilisation de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux pour confondre les fraudeurs. Les discussions sur ce sujet ont été intéressantes et vives à l’Assemblée nationale, qui, à la quasi-unanimité, a souhaité encourager le Gouvernement à mener son expérimentation. J’imagine que nous aurons un débat similaire au Sénat sur les moyens donnés à l’administration fiscale pour lutter contre la fraude, comme l’ont fait d’autres pays, tels les États-Unis ou la Grande-Bretagne.

Enfin, nous simplifierons la vie des Français, notamment avec la suppression de la déclaration sociale des indépendants – aujourd’hui les indépendants font trois déclarations, demain ils n’en feront plus qu’une – ou la contemporanéisation des crédits d’impôt et des aides sociales, en particulier les APL, sans parler de la déclaration tacite pour l’impôt sur le revenu. Les Français ne rempliront plus leur déclaration de revenus comme ils le faisaient jusqu’à maintenant : cette simplification permettra d’éviter un certain nombre d’erreurs. Nous améliorerons par ailleurs notre fiscalité par la suppression de petites taxes et la rationalisation des dépenses fiscales inefficientes. Le Gouvernement est bien sûr à l’écoute des propositions du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de discuter de ce projet de loi de finances pour 2020 avec vous. C’est un projet de loi qui diminue le déficit, réduit les impôts, garantit la croissance, lutte contre la fraude fiscale, simplifie la vie des Français, réforme la fiscalité locale. (Exclamations amusées sur diverses travées.)

M. Jean Bizet. Le rêve !

M. Laurent Duplomb. On se demande pourquoi il y a des manifestations, finalement !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pourquoi nous réunissons-nous ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Julien Bargeton. Vous êtes jaloux !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous constatons que le chômage recule et que les impôts baissent. La politique fiscale du Gouvernement y est sans doute un peu pour quelque chose, monsieur le rapporteur général ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, Gérald Darmanin a ouvert la discussion de ce projet de loi de finances en rappelant l’historique. Il a souligné que c’est le troisième PLF qu’il a le plaisir de présenter. Que s’est-il passé à l’automne 2017, lors de l’examen du PLF pour 2018 ? Jean-François Husson avait alerté sur le risque qu’il y avait à prévoir de manière pluriannuelle une augmentation de la fiscalité sur l’énergie, sans l’assortir d’aucune compensation pour les Français. À l’époque, il avait évoqué les « bonnets rouges ».

M. Jean Bizet. Il s’était trompé de couleur ! (Sourires.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Son seul tort a effectivement été de se tromper de couleur et de vêtement : nous avons finalement eu droit aux « gilets jaunes » !

Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas écouté le Sénat, messieurs les ministres. Il en fut de même lors de l’examen du PLF pour 2019, au cours duquel Sénat avait supprimé cette hausse de la fiscalité que les Français ne pouvaient pas supporter. Ils commençaient déjà à manifester, mais, là encore, vous avez été sourds et aveugles. Finalement, dans la douleur, à la dernière minute, vous avez été conduits à accepter la proposition du Sénat.

Je forme donc le vœu, à cet instant, que le Gouvernement soit davantage à l’écoute du Sénat. Nous n’en serions pas là si les messages que nous vous avons envoyés sur la CSG des retraités, la fiscalité de l’énergie et bien d’autres sujets avaient été entendus.

Le présent projet de loi de finances comporte des baisses d’impôts, c’est vrai, mais aussi un certain nombre de hausses, notamment en ce qui concerne l’énergie. Nous serons appelés à en discuter lundi.

À mi-quinquennat, le bilan, du point de vue des finances publiques, n’est pas très brillant. Vous avez avancé des chiffres, messieurs les ministres, mais la réalité, confirmée par des déclarations au plus haut niveau de l’État, est que le redressement des comptes publics est purement et simplement abandonné. La France vit à crédit et voit ses marges de manœuvre réduites, surtout dans l’hypothèse d’une nouvelle crise.

Vous me direz que mes propos ne sont guère différents de ceux que je tenais à l’été, lors du débat d’orientation des finances publiques. C’est parce que les grandes masses n’évoluent guère. Vous vous félicitez de vos prétendus « bons résultats », mais plusieurs éléments peuvent nous inquiéter à ce stade.

Tout d’abord, si le scénario macroéconomique paraît cette année encore constituer une base crédible pour construire le budget, il est entouré de fortes incertitudes, comme vous l’avez vous-mêmes reconnu.

Vos hypothèses de croissance sont revues à la baisse, du fait notamment du faible dynamisme du commerce extérieur. Après 1,4 % en 2019, la hausse du produit intérieur brut serait limitée à 1,3 % en 2020 comme en 2021, contre une prévision de 1,4 % annoncée dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques.

Le scénario de remontée des taux d’intérêt est significativement revu à la baisse par rapport au programme de stabilité d’avril, dont nous avions souligné le caractère conservateur. Toutefois, vous restez très prudent sur ce point, avec l’anticipation d’une remontée du taux de l’OAT à dix ans à 0,7 % en fin d’année 2020. Très concrètement, cela signifie sans doute que vous espérez qu’une « bonne nouvelle » surviendra une nouvelle fois en exécution sur ce plan.

Cependant, de nombreuses incertitudes, notamment d’ordre macroéconomique, pèsent sur votre scénario de croissance. Je pense, en particulier, au Brexit, à l’importante montée des tensions protectionnistes ou encore au risque de ralentissement en zone euro.

Si l’on teste la sensibilité de votre trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques sous-tendant les prévisions les plus pessimistes, il apparaît que le niveau du déficit se trouverait dégradé à hauteur de 0,5 point de PIB en 2020. Sur le plan de l’endettement, nous dépasserions le seuil fatidique des 100 % du PIB, et ce dès 2020 !

Malheureusement, il apparaît clairement que, au lieu de vous montrer prudents, vous avez abandonné toute ambition de redresser les comptes publics, au risque de rendre l’économie française plus vulnérable. Les chiffres sont là : le solde public devrait présenter un déficit de 2,2 % pour 2020, quand le programme de stabilité, qui remonte à seulement dix-huit mois, visait un déficit de 0,9 % du PIB ! Pis encore, alors que, à l’horizon du quinquennat, le Gouvernement anticipait un solde public excédentaire de 0,3 % du PIB, il prévoit désormais un déficit de 1,5 % du PIB à cette même échéance. On a donc un peu de mal à vous croire quand vous affirmez que vous tiendrez votre objectif.

D’ailleurs, la forte baisse du déficit prévue pour l’an prochain – celui-ci passerait de 3,1 % du PIB à 2,2 % – s’explique entièrement par la conjoncture et le contrecoup de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Si l’on considère le solde structurel, c’est-à-dire non lié à la conjoncture, prévu pour 2020, on s’aperçoit qu’il est strictement identique à celui attendu pour 2019 !

En réalité, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a profité de la conjoncture et de la baisse des taux pour réduire le déficit nominal, sans produire d’effort structurel.

En ce qui concerne l’endettement, il est prévu à 98,7 % du PIB, avec une réduction de seulement 0,7 point de PIB, soit un niveau dix fois inférieur à celui attendu dans le cadre du programme de stabilité de 2018 !

Alors que la France, l’Allemagne et les Pays-Bas étaient endettés à des niveaux comparables en 1998, à savoir 60 % du PIB, l’écart d’endettement devrait atteindre 54 points de PIB entre la France et les Pays-Bas et 47 points de PIB entre la France et l’Allemagne d’ici à la fin du quinquennat. La France a donc continué à s’endetter, contrairement à ses deux voisins.

Selon le Gouvernement, cette absence d’amélioration de la situation structurelle des comptes publics s’expliquerait par la nécessité de financer les mesures de diminution des prélèvements obligatoires. Hélas, cette thèse résiste mal à l’analyse. En effet, l’effort de maîtrise de la dépense est finalement aussi faible que sous le précédent quinquennat, une fois la diminution de la charge de la dette neutralisée.

Cette stratégie budgétaire, que l’on peut qualifier d’attentiste et de peu ambitieuse, n’est pas exempte de risques, tant sur le plan politique que sur le plan économique.

Sans surprise, la nouvelle Commission européenne a confirmé nos craintes, estimant que les prévisions budgétaires de la France pour 2020 présentaient « un risque de non-conformité » avec les règles européennes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Effectivement, le scénario budgétaire gouvernemental n’a jamais été aussi éloigné de ces règles !

Cher Bruno Le Maire, lors de l’examen du PLF pour 2018 – là encore, cela ne remonte pas à la préhistoire ! –, vous aviez pourtant affirmé : « La France qui se moque de ses engagements européens, c’est fini ! La France qui balaie d’un revers de la main les critiques de ses partenaires européens, c’est fini ! […] La France qui ne se soucie pas de la bonne tenue de ses comptes publics, c’est fini ! »

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Il faut se méfier des verbatim !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Comment voulez-vous être crédible quand vous demandez à nos voisins Allemands de dépenser plus si la France ne respecte pas ses engagements européens et ne tient pas ses promesses a minima ?

On pourrait se dire que tout cela n’est finalement pas si grave et que l’on n’a pas à se fixer des objectifs si rigides. Le Président de la République ne disait-il pas lui-même que la règle des 3 % était « d’un autre siècle » ?

Mais la réalité est tout autre : la France est un pays très endetté. En cas de crise, elle ne pourrait pas compter sur l’arme monétaire, qui a déjà été très largement utilisée, ni sur l’arme budgétaire, car on ne prête pas à un pays endetté à hauteur de 100 % du PIB comme à un pays endetté à moins de 60 %, comme l’Allemagne. Vous jouez donc avec le feu !

L’on constate aussi que les efforts en termes de maîtrise de la dépense sont principalement supportés par la sphère sociale et surtout par la sphère locale. Là encore, les chiffres sont parlants : le déficit prévisionnel pour l’État s’établit à 93 milliards d’euros, avec une amélioration de 3 milliards d’euros permise par une hausse spontanée des recettes qui permet de « couvrir » une augmentation de 7,7 milliards d’euros de la norme de dépenses pilotables et des investissements d’avenir ; la dette négociable de l’État, elle, devrait s’alourdir de 81 milliards d’euros pour atteindre 1 915 milliards d’euros, sans compter la reprise par l’État d’une partie de la dette de SNCF Réseau.

Le poids du besoin de financement de l’État est considérable, puisque vous prévoyez d’émettre l’an prochain un montant record de 205 milliards d’euros d’OAT : pour la première fois, l’État empruntera sur les marchés une somme supérieure aux recettes qu’il tire de la TVA et de l’impôt sur le revenu. Un tel scénario est-il soutenable ? Actuellement oui, au regard des marchés, mais quid en cas de retournement de conjoncture ?

Les dépenses des ministères dépassent tous les objectifs fixés précédemment. Vous affirmez que les dépenses sont inférieures à ce qui était prévu en loi de finances initiale : c’est exact, mais vous oubliez de dire que la cible fixée était nettement plus élevée que celle prévue un an plus tôt par la loi de programmation des finances publiques. Le nouveau triennal que vous proposez au travers du PLF pour 2020 s’écarte ainsi de 8 milliards d’euros des objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques.

Seule la mission « Cohésion des territoires » connaît une baisse significative de crédits, sous l’effet du report à l’an prochain du versement contemporain des aides au logement, mais aussi grâce à une vieille ficelle, que Philippe Dallier dénoncera sans doute, je veux parler du prélèvement opéré sur la trésorerie d’Action logement.

Cette totale déconnexion entre l’évolution des dépenses et la trajectoire fixée en loi de programmation se traduit, au niveau des crédits des missions, par de forts dépassements.

L’abandon des ambitions du Gouvernement n’est nulle part aussi patent qu’en matière d’objectifs de réduction des effectifs de l’État. Alors que vous vous étiez fixé un objectif de diminution de 50 000 emplois, celui très modeste de 1 600 emplois supprimés en 2018 n’a pas été atteint. Pour 2020, l’objectif se réduit à 47 emplois supprimés… Vous auriez aussi bien pu nous en communiquer la liste ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ajoute que seuls les opérateurs de l’État sont concernés, ce dernier voyant ses effectifs augmenter !

Lors de l’examen de la loi de programmation des finances publiques, Gérald Darmanin avait affirmé des ambitions auxquelles nous pouvions souscrire. Elles sont aujourd’hui abandonnées. Le ministre indiquait que la trajectoire alors définie avait « le mérite de la clarté, qu’il s’agisse des équivalents temps plein d’agents publics ou des crédits budgétaires : il faut dépenser moins d’argent public et le dépenser mieux ». Nous sommes aujourd’hui très loin du compte !

Le projet de loi de finances qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale comprend pas moins de 200 articles, d’importance inégale.

Certes, vous réduisez la pression fiscale sur les ménages, avec notamment la réforme de l’impôt sur le revenu, mais vous revenez aussi, encore une fois, sur vos engagements dans un objectif de pur rendement.

La pente de l’impôt sur les sociétés est révisée pour la seconde fois en moins d’un an, ce qui laisse à penser qu’il sera bien difficile d’atteindre réellement le taux de 25 % en 2022. Surtout, la création de nouvelles taxes et une fiscalité prétendument écologique cachent la recherche de nouvelles recettes. Nous sommes très loin du « verdissement » du budget annoncé pour l’an prochain !

Le Sénat a à cet égard une position simple : une fiscalité environnementale ne sera pas acceptée si son seul objectif est de rapporter des recettes à l’État ; elle ne doit pas se tromper de cible et viser des secteurs économiques de première importance ; elle doit surtout être juste et prendre en compte les contraintes qui pèsent sur certaines catégories de personnes et sur certains territoires, en particulier les zones rurales ; enfin, les pouvoirs publics doivent être en mesure de rendre clairement compte de l’utilisation de son produit.

J’achèverai mon propos en abordant la réforme de la fiscalité locale inscrite à l’article 5. Je ne reviendrai pas sur la suppression complète de la taxe d’habitation, que nous n’approuvons pas, mais l’application du schéma de compensation financière nous paraît prématurée. C’est la raison pour laquelle la commission des finances souhaite le décalage d’un an de l’entrée en vigueur de la réforme. Aujourd’hui, de votre propre aveu, celle-ci ne fonctionne pas : elle aurait notamment des conséquences totalement délirantes en matière de calcul du potentiel fiscal. Plutôt que de voter une réforme à l’aveugle, non accompagnée de simulations, nous préférons essayer d’en corriger les effets et d’en mesurer les conséquences, quitte à en différer l’entrée en vigueur. C’est tout le contraire de ce que vous nous proposez. Le délai supplémentaire proposé par le Sénat nous permettrait de mieux apprécier les effets de cette réforme. Ce décalage dans le temps permettrait notamment au Gouvernement de faire tourner « à blanc » sa réforme. Nous proposerons donc lundi après-midi un certain nombre d’amendements en ce sens.

Nos amendements, messieurs les ministres, sont raisonnables. Ils relèvent non pas d’une opposition systématique, mais d’une volonté de parvenir à des dispositions équilibrées. Je pense notamment à la fiscalité sur l’énergie. Je ne vous adresserai qu’un seul message, inspiré par l’expérience de ces deux dernières années : si vous voulez que le pays se porte mieux, écoutez le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2020, après un long temps de travail en commission.

Je veux souligner, en préambule, l’implication de mes collègues de la commission des finances, du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux, qui, depuis plusieurs semaines, étudient en détail les mesures budgétaires et fiscales de ce projet de loi de finances pour forger leurs convictions. Ils ont ainsi entendu 488 personnes au cours de plus de deux cents heures d’audition, la commission y consacrant plus de quarante heures de réunions plénières. Les commissions saisies pour avis ont également conduit des auditions diverses, en particulier ministérielles. Tout ce travail préparatoire sera particulièrement utile pour éclairer nos débats, dans le respect du délai constitutionnel contraint de vingt jours.

J’en viens à quelques observations sur ce projet de loi de finances.

Il faut tout d’abord considérer qu’il s’inscrit dans un contexte de ralentissement économique marqué. Alors que la croissance avait atteint 2,3 % en 2017, elle ne serait plus que de 1,4 % en 2019 et de 1,3 % l’an prochain. De plus, les incertitudes tant internationales qu’européennes, avec la perspective du choc lié au Brexit – sans parler des risques internes liés à d’éventuels conflits sociaux, comme notre pays a pu en connaître avec la crise des « gilets jaunes » et comme il s’en profile encore –, pèsent incontestablement sur cette prévision de croissance. Elles devraient nous inciter à la prudence, tant un retournement de conjoncture exposerait nos finances publiques.

Or, de la prudence, ce projet de loi de finances en manque considérablement. Il ne laisse aucune marge de manœuvre en cas d’évolution négative du contexte économique national, européen ou mondial.

Comme je l’ai déjà souligné, le Gouvernement s’écarte de la loi de programmation des finances publiques qu’il avait fait adopter à l’automne 2017 et choisit de ne pas la réviser pour ne pas souligner l’ampleur de ses renoncements et son manque d’ambition pour nos finances publiques.

Malgré des taux d’intérêt très bas, qui allègent considérablement la charge de la dette – elle devrait diminuer de 3 milliards d’euros en deux ans –, l’endettement public frôlera les 100 % du produit intérieur brut en 2020, à rebours de la réduction qui avait été annoncée. C’est donc un budget de renoncement, puisque l’objectif de retour à l’équilibre de nos comptes publics pour la fin du quinquennat est définitivement abandonné.

Nous ne respectons pas non plus le minimum de redressement demandé par nos partenaires européens. L’effort structurel est réduit à néant, le Président de la République estimant d’ailleurs que la règle des 3 % du PIB pour notre déficit public relève d’« un débat d’un autre siècle », sans toutefois indiquer quel est son objectif dans ce domaine. Paradoxalement, la France appelle son principal partenaire européen, l’Allemagne, à renoncer à ses objectifs d’équilibre budgétaire, sans s’engager sur ses propres efforts de redressement et sans témoigner de son sérieux budgétaire.

Le Gouvernement, qui se targuait, à l’été 2017, d’engager un mouvement sans précédent de baisse de la dépense publique et de réduire les effectifs de l’État de 50 000 postes a dû finalement se confronter à la dure réalité et aux contraintes de l’exercice. Nos concitoyens demandent un véritable socle de services publics, de présence de l’État dans les territoires et de solidarité nationale. Après un budget pour 2019 présenté comme le « budget du pouvoir d’achat », dont on a vu qu’il correspondait bien mal à cet affichage, le budget pour 2020 est surtout celui du renoncement et du statu quo en matière de déséquilibres !

Le Gouvernement a en effet dû renoncer à nombre de baisses de dépenses qu’il avait envisagées. Pour autant, les dépenses sur lesquelles il choisit d’agir concernent d’abord les politiques sociales, notamment les contrats aidés, le logement social et les aides au logement, ou encore – pour sortir du strict champ de l’État – l’assurance chômage. Seules des manifestations d’ampleur l’amènent à répondre aux demandes sociales au cas par cas, de manière brouillonne et improvisée, comme on a pu le constater avec l’annonce, hier même, d’un prétendu plan Hôpital. Aucune vision d’ensemble n’est en fait proposée.

Dans le même temps, s’il ne parvient pas à tenir les objectifs de maîtrise de la dépense qu’il avait lui-même fixés, le Gouvernement n’a pas renoncé à baisser les impôts, mais il entend le faire à crédit, en alourdissant le déficit budgétaire ou en espérant des recettes budgétaires des procédures de privatisation d’entreprises publiques – Aéroports de Paris ou Française des jeux – qui, demain, ne produiront donc plus de dividendes pour l’État. On privilégie des intérêts de court terme au détriment des intérêts de long terme de la Nation.

Les baisses d’impôts ont visé par priorité les entreprises et les ménages les plus aisés, sans que l’on puisse estimer l’impact de ces mesures, pourtant coûteuses, sur l’activité économique et l’emploi.

J’ai conduit, avec le rapporteur général, une étude sur la réforme de la fiscalité du capital, dont il ressort que rien ne permet de mesurer le fameux « ruissellement » qui devait découler de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), voire de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

M. Julien Bargeton. Ça fonctionne pourtant !

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Au total, les contribuables les plus fortunés auront nettement profité de ces réformes sans rien donner en retour. Même en prenant en compte les mesures post-« gilets jaunes », une étude de l’Institut des politiques publiques sur l’effet cumulé des budgets 2018-2020 montre qu’il n’y a eu aucun gain, ou presque, pour les 20 % les plus pauvres, mais qu’il y a eu une hausse de 4 % des revenus disponibles pour le premier centile des contribuables les plus riches. Ce mardi, l’Insee vient de faire paraître une note qui confirme cette analyse.

Je proposerai de revenir sur ces réformes néfastes, sans rétablir tel quel le système fiscal antérieur, mais en le modernisant pour qu’il réponde à l’objectif d’équité fiscale auquel nos concitoyens sont très attachés. Tous les contribuables, y compris les plus aisés, doivent participer à la solidarité nationale.

La suppression de la taxe d’habitation, qui concernera, à terme, tous les ménages, ne changera pas la situation pour les redevables les plus modestes, qui en étaient, pour bon nombre d’entre eux, exonérés. Selon les données fournies par le ministère de l’économie et des finances lui-même, la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés représentera par ailleurs, à elle seule 44,6 % du coût de la réforme, qui s’élève à 17,6 milliards d’euros !

En revanche, cette réforme non financée risque de mettre en péril les recettes de nos collectivités territoriales, qui demandent des garanties sur la pérennité de leurs ressources et une réelle étude de l’impact de ces mesures. Nous en reparlerons lors de la discussion de l’article 5.

Enfin, nous attendons du Gouvernement qu’il définisse une stratégie en matière de fiscalité environnementale. Entre la renonciation précipitée à la trajectoire de hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui faisait porter un coût excessif sur les ménages, notamment les plus modestes, comme nous étions nombreux ici à le souligner, pour ne pas dire à le dénoncer, et les dernières péripéties concernant la fiscalité des biocarburants, le Gouvernement n’a pas établi de ligne claire sur ce point. Nous espérons que les débats sur la première partie du PLF seront l’occasion de le faire et, de façon plus générale, de rapprocher nos dispositifs fiscaux du double objectif d’équité sociale et d’utilité dans l’action publique que toute loi de finances se doit, me semble-t-il, de poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)