M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Assouline, vous préjugez l’avis que nous allons rendre, et je ne vais pas vous décevoir !

Votre amendement a pour objet d’exclure la presse du champ d’application de cette proposition de loi. Mais le régime de responsabilité des éditeurs en ligne n’est pas modifié : le présent texte concerne certains hébergeurs qui dépassent un seuil d’activité.

En outre, sur le fond, la rédaction de votre amendement n’est pas véritablement opérante juridiquement : la loi pour la confiance dans l’économie numérique vise non pas la notion de « presse », mais celles, plus précises, d’« éditeur » et d’« hébergeur ».

De plus, l’exclusion générale que vous proposez se fonde sur la nature économique de l’activité visée, à savoir la presse, et non sur la nature technique de la prestation fournie par l’hébergeur ou par l’éditeur : en conséquence, elle poserait des problèmes d’égalité devant la loi.

Selon la commission des lois, il s’agit d’un amendement d’appel. Je me tourne donc vers le Gouvernement, qui va probablement vous rassurer, ainsi que les éditeurs de presse en ligne, quant au sort qui leur est fait à travers cette proposition de loi !

Nous demandons le retrait de cet amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’idée d’accorder un traitement spécifique aux entreprises de presse soulève effectivement des problèmes juridiques, notamment au regard du principe d’égalité.

M. le rapporteur vient de le dire : la loi de 1881 sur la liberté de la presse institue un régime de responsabilité valant pour tous ceux qui tiennent des propos publics, même si l’existence de règles déontologiques limite, en principe, le risque de diffusion de contenus haineux par les entreprises de presse.

Il serait donc, me semble-t-il, difficilement justifiable de traiter différemment un contenu haineux selon qu’il a été ou non émis par un journaliste. Voilà pourquoi je demande à mon tour le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la garde des sceaux, ce que vous venez de dire est extrêmement préoccupant.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La loi du 29 juillet 1881 a une richesse : de manière extrêmement structurée, elle organise la possibilité de poursuivre différents types de propos – en l’occurrence, des injures ou des diffamations –, notamment devant une juridiction pénale.

Mes chers collègues, ce pan du droit est très formel – certains d’entre vous l’ont peut-être pratiqué. Il faut prendre en compte des éléments de preuve, des délais, qui sont plus resserrés en période électorale, etc.

Si j’ai bien compris ce qu’a dit Mme la garde des sceaux, une fois que le présent texte sera entré en application, une plateforme privée pourrait décider de retirer des propos en l’espace de vingt-quatre heures, sans intervention du juge. En effet, ces dispositions engloberaient le champ de la presse.

Or, en droit français de la presse, le retrait de parutions est rarissime, pour ne pas dire inexistant. Il suppose des atteintes graves à la vie privée. Nous avons tous en tête un certain nombre d’affaires qui ont pu se produire en la matière : elles n’ont que rarement abouti au retrait de parutions.

Je le dis très solennellement : je ne m’attendais pas du tout à cette réponse de la part de Mme la garde des sceaux. David Assouline non plus, visiblement. Selon nous, le Gouvernement indiquerait que, la loi de 1881 étant une loi spéciale, elle primait une loi générale. (M. David Assouline acquiesce.) Aussi, nous proposions que ce principe soit écrit, afin de prévenir toute confusion. Or ce n’est pas du tout l’avis formulé !

De toute évidence, cette situation suscite beaucoup d’inquiétudes. Je ne sais pas si M. le rapporteur avait anticipé cette réponse de la garde des sceaux.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous ne nous sommes pas téléphoné…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Qu’il s’agisse de la forme ou du fond, nous sommes face à un débat capital : les dispositions de cette proposition de loi s’appliquent-elles à la presse ? Pour nous, la réponse est évidemment non, et je vous encourage vivement à voter cet amendement !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Mes chers collègues, nous assistons à un coup de théâtre, et j’espère que tout le monde est attentif à ce qui a été dit.

Je m’attendais à ce que l’on me réponde : « Votre amendement est satisfait. La loi de 1881 prime tout. » D’ailleurs, on m’a déjà donné cette réponse, et M. le rapporteur me l’apporte une nouvelle fois, tout en faisant preuve de prudence : nos débats ont une valeur juridique, ils peuvent être invoqués dans le cadre de recours. Aussi, M. le rapporteur se tourne vers Mme la garde des sceaux, qui, elle, répond : « Non. La presse entre dans ce champ. »

Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, répond à M. le rapporteur l’inverse de ce qu’il voulait entendre : ce faisant, elle me donne raison ! On a pu me reprocher de couper les cheveux en quatre, mais j’avais bien raison de procéder ainsi !

Depuis le début, j’ai suivi les débats relatifs à cette réforme. Je sais ce qui se passe d’ores et déjà sur internet : certaines plateformes ont censuré des articles de presse faute d’avoir évalué la contextualisation opérée par les journalistes. Il ne s’agissait pas de propager tel ou tel propos haineux, mais de le critiquer ! Or les algorithmes ont tout mis dans le même panier…

Madame la garde des sceaux, vous nous dites que la presse en ligne peut être censurée. Je vois que les différents collaborateurs du Gouvernement s’agitent beaucoup, qu’ils vous remettent note sur note… (Mme la garde des sceaux sourit.) Peut-être a-t-on assisté à un dérapage ; peut-être nous direz-vous dans un instant que l’on a mal interprété nos propos. Mais ils ont révélé que ce débat n’était pas anodin ; ils prouvent que je n’ai pas, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, tenté de poser un faux problème.

Ce problème existe. Il y aura des recours. Il y aura des contentieux. Je préfère que l’on prévienne ces difficultés en écrivant d’emblée que la presse est régie par la loi de 1881, et non par le présent texte : ce dernier en est la conséquence, et il ne peut pas la remettre en cause !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la garde des sceaux, votre réponse est très choquante. Au cours de la discussion générale, plusieurs collègues ont réaffirmé leur attachement à la loi de 1881, qui a construit notre liberté d’expression en encadrant les abus auxquels celle-ci pouvait donner lieu. À présent, on nous dit que ces dispositions vont être supplantées par cette proposition de loi.

Ce cadre est vieux de plus de cent ans. On n’y touche que d’une main tremblante, car il y va de notre capacité à user de notre liberté d’expression. Il aurait mieux valu se demander comment, sur la base des principes contenus dans la loi de 1881, adapter notre législation à la révolution numérique.

Personne n’aurait prétendu rendre les nouvelles messageries de la presse parisienne responsables de ce qu’elles transportaient. Pourtant, c’est exactement ce que l’on est en train de faire ! La révolution numérique bouleverse la manière d’être citoyen ; elle recompose toute la pratique démocratique, mais les citoyens doivent être responsables. En conséquence, l’enjeu fondamental, c’est la responsabilité de ceux qui écrivent et de ceux qui publient.

C’est cela, la liberté de la presse. C’est cela, la loi de 1881. Si nous devons l’adapter à la révolution numérique, c’est sur ses principes qu’il faut s’appuyer, pas sur autre chose.

Commençons par rappeler cette règle, puis construisons sur cette base, celle de la responsabilité individuelle. On ne peut pas dire aux citoyens : « Fermez les yeux. On s’occupe des plateformes et l’information circulant sur internet sera toujours régulée. » C’est ainsi que l’on fabrique des non-citoyens et que l’on détraque la démocratie !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Pour répondre à Mme de la Gontrie, j’ai moi-même pratiqué le droit de la presse de manière approfondie, et je le confirme : la loi de 1881 n’est pas sur le même plan que cette proposition de loi. Je ne sais pas comment ces deux textes vont se conjuguer, comment on déterminera quelle disposition appliquer.

Qu’il s’agisse des poursuites ou des délais d’action, la loi de 1881 fixe des conditions extrêmement strictes. Je pense au retrait, à la conservation des contenus et, surtout, à leur qualification : à cet égard, la loi de 1881 est extrêmement claire. L’atteinte aux biens, l’injure, ou encore la diffamation sont définies avec la plus grande précision.

De son côté, le présent texte mentionne des « contenus manifestement illicites », ou « manifestement haineux » : ces termes sont loin de présenter la précision exigée par la loi de 1881 !

Évidemment, j’aurais préféré que le Gouvernement réponde : les entreprises de presse, régies par la loi de 1881, ne sont pas visées par ces dispositions. Dès lors, l’amendement aurait été considéré comme satisfait. Mais Mme la garde des sceaux nous indique que tel n’est pas le cas. Aussi, à moins qu’elle n’apporte une clarification, je voterai l’amendement de M. Assouline.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la garde des sceaux, je le confirme, une clarification s’impose ! Si, comme vous nous le dites à présent, ce texte peut concerner la presse, notre travail législatif n’est plus du tout le même. On change complètement de registre et d’échelle ! Vous devez absolument nous donner des explications.

Monsieur le secrétaire d’État, vous savez, au Sénat, on sait bien lire ! (Sourires.) C’est précisément la valeur ajoutée du Sénat dans le bicaméralisme. Aussi, j’ai lu dans le détail la proposition de loi Avia. Il m’a semblé qu’elle ne concernait que les hébergeurs, au sens de la directive e-commerce.

Aujourd’hui, le Gouvernement reprend ce texte à son compte pour élargir considérablement son champ. Vous devez nous dire pourquoi : vous devez assumer l’élargissement de cette proposition de loi à la totalité de la presse !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute n’ai-je pas été assez claire : je vous prie de bien vouloir m’en excuser.

Le texte dont nous débattons a pour seul objet les grands opérateurs de plateformes en ligne – Facebook, Twitter, etc. La loi de 1881, elle, n’est pas atteinte.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais il s’agit de la presse !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous ne parlons pas de la loi de 1881, dont l’écriture n’est clairement pas modifiée.

En revanche, comme je l’ai précisé il y a un instant, il ne paraît pas possible de prévoir, pour les opérateurs de plateformes, des obligations différentes selon que l’auteur est un journaliste ou une personne privée. À ce titre, il n’y a rien d’extrêmement complexe à comprendre !

M. Pierre Ouzoulias. Si, c’est un problème !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Madame la garde des sceaux, malgré ces précisions, vous ne répondez pas à la question de la presse en ligne. Or nous avons besoin de connaître votre position précise. L’amendement de David Assouline a justement pour objet de nous rassurer sur ce point, étant donné l’importance de la loi de 1881 pour notre vie démocratique !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 40 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 40 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
Article additionnel après l'article 1er - Amendement  n° 53

Article 1er

I. – Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa, les mots : « ou identité sexuelle » sont remplacés par les mots : « sexuelle, de leur identité de genre » et, après la référence : « article 24 », sont insérées les références : « , à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 » ;

2° Après le quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu’un contenu mentionné au troisième alinéa du présent 7 a fait l’objet d’un retrait, les personnes mentionnées au 2 substituent à celui-ci un message indiquant qu’il a été retiré.

« Les contenus illicites retirés peuvent être conservés pendant une durée maximale d’un an pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de mettre ces informations à la disposition de l’autorité judiciaire. »

II. – Au dernier alinéa du 7 du I et au 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée, la référence : « cinquième » est remplacée par la référence : « antépénultième ».

M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l’article.

M. René Danesi. Cette proposition de loi s’inscrit dans le droit fil de l’inflation législative et de la posture. À chaque type d’événement sa loi, même si les textes en vigueur permettent d’y répondre !

Dans le cas présent, il y a la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qu’il suffisait d’adapter. Il y a surtout l’inoxydable loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Les associations militantes l’utilisent sans modération devant la justice, ce qui prouve l’efficacité du monde ancien pour protéger la liberté d’expression et réprimer ses abus.

Lorsqu’on énumère et que, dès lors, on sélectionne les haines, la situation devient plus grave encore. On retrouve là le défaut de la loi du 21 janvier 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Ce texte énumère les traites des noirs en oubliant celles vers les pays arabo-musulmans, pourtant plus longues et plus importantes en nombre que la traite transatlantique.

Mais, dans notre cas, le problème de fond, c’est que le mot « haine » ne signifie plus grand-chose à force d’être galvaudé ! Aussi en arrive-t-on à énumérer des haines à tour de bras, en ajoutant à la liste toutes les peurs habituellement captées par la « lèpre populiste », selon les termes de M. le Président de la République.

Expression de la pensée dominante, le présent texte sera, dans son application, focalisé sur les haines contre les minorités ethniques, religieuses et sexuelles, mais négligera à coup sûr les haines contre la majorité et la haine ordinaire entre les individus, celle dont on parle le moins, alors qu’elle est la plus courante !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Mes chers collègues, gardons à l’esprit le contexte culturel qui, en réalité, constitue le soubassement de notre débat et de cette proposition de loi.

Nous assistons à l’affrontement de deux cultures.

D’une part, il y a le freedom of speech, institué par le premier amendement de la Constitution américaine il y a bien longtemps, et qui a valeur de principe, en particulier pour les grandes entreprises qui ont conquis le monde via internet – c’est notamment le cas de la plupart des hébergeurs.

De l’autre, il y a la liberté d’expression, s’exerçant dans le cadre d’une loi protectrice : c’est notre culture française, et je dirai même européenne.

Je souhaite que le présent texte nous permette de progresser, au sujet de la liberté d’expression, dans le cadre de la loi républicaine. Or je m’interroge quant aux dispositions supprimées par la commission à l’article 1er. Dans quelques instants, Marie-Pierre de la Gontrie présentera, à cet égard, un amendement équilibré : j’espère qu’il recueillera l’assentiment de la Haute Assemblée.

Ce texte doit nous permettre d’affirmer l’ambition politique de la France pour lutter contre la haine et la violence dans notre société. À cette fin, l’on peut également s’appuyer sur la démarche de régulation par la donnée. C’est précisément ce qu’a préconisé la commission d’enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique – je vous renvoie au rapport de notre collègue Gérard Longuet, que je salue.

On peut soumettre les algorithmes à nos valeurs humanistes et libérales, au sens philosophique du mot : donnons-nous les moyens humains et financiers d’y parvenir.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez annoncé devant notre commission d’enquête : vous allez consacrer des moyens importants au recrutement de scientifiques de très haut niveau, qui pourront entrer dans le détail de ces mécanismes. (M. le secrétaire dÉtat le confirme.) À mon sens, il faut en passer par là. Ne négligeons pas la technique : elle peut également nous aider à progresser.

Enfin, ne soyons pas naïfs : il s’agit là d’un espace de luttes, d’affrontements culturels, et nous devons nous saisir du présent texte pour progresser dans le sens des libertés !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Au-delà du débat qui vient d’avoir lieu et qui – je le répète – est très préoccupant, rappelons que, face aux propos haineux, un certain nombre de sanctions existent déjà : elles mériteraient d’être plus connues et mieux appliquées. En effet, beaucoup de personnes souffrent aujourd’hui de ce type de propos sans bénéficier de protection. Il n’y a pas besoin de changer la loi pour leur venir en aide.

Je l’indique à mon tour : plutôt que d’adopter de nouvelles dispositions, qui viennent percuter la loi de 1881, mieux vaut nous inspirer des principes de ce texte fondateur pour construire un dispositif adapté à notre époque, en nous appuyant sur la responsabilité individuelle de ceux qui écrivent et de ceux qui publient.

Cette proposition de loi a pour ambition d’interdire : mais, avant tout, il faut se demander si l’on peut interdire !

Nous venons de débattre de la légitimité de l’interdiction. Aujourd’hui, nous connaissons les conséquences de telles mesures pour des plateformes basées en France. Mais, au-delà, sont-elles réellement effectives ? Les techniques vont toujours plus vite que la loi ; l’imagination humaine dépassera toujours les algorithmes ; et, sur de tels sujets, l’extraterritorialité est un facteur plus prégnant que tout autre.

En invoquant ainsi la sévérité, l’on menace non seulement la liberté d’expression, mais aussi la crédibilité du législateur. Nous devons également examiner l’applicabilité d’un certain nombre de mesures.

En définitive, nous risquons fort de menacer tout à la fois les libertés et notre crédit. Avec un tel texte, on donnera l’illusion de mieux lutter contre les propos haineux, alors même que les dispositions actuelles nous fournissent beaucoup d’armes à cette fin.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Mes chers collègues, parmi nous, ce constat est presque unanime : confier ces responsabilités aux plateformes n’est franchement pas le bon moyen de lutter contre les propos haineux. Jusqu’à présent, ces plateformes n’ont pas brillé par leur respect des valeurs de la République, par leur vertu et même par leur morale…

Nous débattons dans un contexte particulier. Un texte de loi voté à l’unanimité par le Sénat et par l’Assemblée nationale, puis promulgué, oblige les GAFA à payer la production journalistique qu’ils utilisent ; et les GAFA ont répondu qu’ils s’asseyaient dessus ! Google a déclaré : « Nous n’appliquerons pas la loi. » Et, au même moment, on donnerait aux plateformes le soin de réguler les contenus, de réprimer et de censurer les propos haineux !

M. le rapporteur a totalement vidé l’article 1er de sa substance. En procédant ainsi, l’on se prive de tout moyen d’action, alors qu’il faut agir, sinon, le présent texte ne tient plus debout… C’est pourquoi, avec l’amendement dont nous allons débattre dans quelques instants, Marie-Pierre de la Gontrie propose, in fine, de confier cette responsabilité au juge.

Il s’agit là d’un enjeu régalien : aussi, les leviers d’action doivent rester entre les mains de la justice, par le biais de la procédure contradictoire.

J’insiste d’autant plus sur ces enjeux que le précédent débat y a fait écho. Ceux qui, malgré la loi française, refusent de payer la production de presse qu’ils utilisent pourraient obtenir le pouvoir de censurer des contenus de presse. Madame la garde des sceaux, c’est ce que vous avez dit.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Non !

M. David Assouline. Selon vous, on ne peut pas faire le tri entre les opérateurs. Dès lors, la presse pourrait être censurée…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Non !

M. David Assouline. Si ! Même si, bien sûr, des recours existent.

Aujourd’hui, la loi de 1881 encadre strictement la liberté de la presse en détaillant des sanctions spécifiques. Vous avez relancé le débat, et nous allons le poursuivre au cours de cette discussion !

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 19 rectifié est présenté par Mme Boulay-Espéronnier, M. Cambon, Mme Deroche, M. Mandelli, Mme Gruny et MM. Lefèvre et Laménie.

L’amendement n° 25 est présenté par M. Daudigny.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifiée :

1° Après l’article 6-1, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :

« Art. 6-2. – I. – Sans préjudice des dispositions du 2 du I de l’article 6 de la présente loi, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics ou sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus proposés ou mis en ligne par des tiers et dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils déterminés par décret sont tenus, au regard de l’intérêt général attaché au respect de la dignité humaine, à la lutte contre les contenus publiés sur internet faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, provoquant à la commission d’actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une incitation à la haine, à la violence, à la discrimination ou une injure envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l’origine, d’une prétendue race, de la religion, de l’ethnie, de la nationalité, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap, vrais ou supposés, ainsi qu’à la lutte contre la vente, l’acquisition et l’importation à distance de produits du tabac manufacturé, de retirer ou de rendre inaccessible, dans un délai de vingt-quatre heures après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu contrevenant manifestement aux infractions mentionnées au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la présente loi, aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l’article 568 ter du code général des impôts ou de faire cesser, dans le même délai, le référencement de ce contenu.

« Dans le cas où un contenu mentionné au premier alinéa du présent I a fait l’objet d’un retrait, les opérateurs substituent au contenu un message indiquant qu’il a été retiré.

« Les contenus illicites supprimés doivent être conservés pendant une durée maximale d’un an pour les besoins de recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, et seulement afin de mettre des informations à la disposition de l’autorité judiciaire.

« Le fait de ne pas respecter l’obligation définie au premier alinéa du I du présent article est puni des peines prévues au 1 du VI de l’article 6 de la présente loi.

« Toute association mentionnée aux articles 48-1 à 48-6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée peut, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles prévues aux mêmes articles 48-1 à 48-6, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit mentionné à l’avant-dernier alinéa du I du présent article lorsque ce délit porte sur un contenu qui constitue une infraction pour laquelle l’association peut exercer les mêmes droits. »

2° Au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6, les mots : « ou identité sexuelle » sont remplacés par les mots : « sexuelle, de leur identité de genre ».

L’amendement n° 19 rectifié n’est pas soutenu.

La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l’amendement n° 25.

M. Yves Daudigny. La vente en ligne de produits du tabac contrefaits à des mineurs dont l’âge est difficilement vérifiable sur internet soulève des enjeux de santé publique. Par ailleurs, étant absolue, l’interdiction de vendre du tabac en ligne ne requiert aucune appréciation de licéité de la part des opérateurs de plateforme en ligne. Le retrait de ce type de contenus ne risque donc de porter atteinte ni à la liberté d’expression ni au commerce en ligne licite.

C’est pourquoi nous proposons que l’obligation de retirer ou de rendre inaccessibles, sous vingt-quatre heures après notification, certains contenus manifestement illégaux soit appliquée aux infractions de vente et d’achat à distance de produits du tabac manufacturés.

Certes, la proposition de loi concerne la lutte contre les contenus haineux sur internet, mais il me semble que le combat dont je parle doit être mené avec détermination en toute circonstance et via tous les supports d’action publique.

M. le président. L’amendement n° 51, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :

« Art. 6-2. – I. – Sans préjudice des dispositions du 2 du I de l’article 6 de la présente loi, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics, proposés ou mis en ligne par des tiers et dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils déterminés par décret sont tenus, au regard de l’intérêt général attaché au respect de la dignité humaine, de retirer ou de rendre inaccessible, dans un délai de vingt-quatre heures après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu qui contrevient manifestement aux infractions mentionnées aux cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24, à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 227-23, 227-24 et 421-5 du code pénal.

« Les opérateurs mentionnés au 1° du I du de l’article L. 111-7 du code de la consommation dont l’activité repose sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus proposés ou mis en ligne par des tiers sont tenus, dans le même délai après notification, de retirer ces mêmes contenus de la page de résultats de recherche qu’ils renvoient en réponse à une requête.

« Le délai de vingt-quatre heures mentionné au premier alinéa du présent I court à compter de la réception par l’opérateur d’une notification comprenant les éléments mentionnés aux deuxième à cinquième alinéas du 5 du I de l’article 6 de la présente loi.

« Dans le cas où un contenu mentionné au premier alinéa du présent I a fait l’objet d’un retrait, les opérateurs substituent au contenu un message indiquant qu’il a été retiré.

« Les contenus retirés au titre du même premier alinéa doivent être conservés pendant la durée de prescription de l’action publique pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de mettre ces informations à la disposition de l’autorité judiciaire.

« II. – Le fait de ne pas respecter l’obligation définie aux premier et deuxième alinéa du I du présent article est puni des peines prévues au 1 du VI de l’article 6 de la présente loi.

« Toute association mentionnée aux articles 48-1 à 48-6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée peut, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles prévues aux mêmes articles 48-1 à 48-6, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit mentionné au présent II lorsque ce délit porte sur un contenu qui constitue une infraction pour laquelle l’association peut exercer les mêmes droits.

« III. – Le fait, pour toute personne, de présenter aux opérateurs mentionnés au premier alinéa du I du présent article un contenu ou une activité comme étant illicite au sens du même I dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

La parole est à Mme la garde des sceaux.