M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Comme cela a été rappelé, cet article vient introduire des exceptions au principe extrêmement clair posé à l’article L. 2151-2 du code de la santé publique, à savoir que « la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ».

Pourquoi vouloir assouplir cette interdiction absolue ? Il me semble que la réponse à cette question est à chercher du côté de la technique des « ciseaux génétiques », scientifiquement dénommée CRISPR-Cas9.

Cette technique d’édition du génome a récemment bouleversé le monde de la recherche. Elle permet de mettre en œuvre, au niveau de la cellule, des ciseaux génétiques à base de protéines qui font automatiquement muter des séquences d’ADN, sans injection d’ADN extérieur. Autrement dit, cette technique permet d’introduire un gène à la place d’un autre, ou d’en supprimer.

Les ciseaux génétiques créent des mutations facilement et à un coût dérisoire par rapport aux anciennes techniques. Dès lors, on imagine aisément comment leur usage pourrait, à terme, devenir massif dans les laboratoires, même si tous leurs effets biologiques sont loin d’être maîtrisés.

Cette technique désormais bien connue révolutionne la fabrication d’OGM. Monsanto en possède une licence d’utilisation pour créer des semences génétiquement modifiées. Fin 2018, en Chine, elle a permis la naissance des premiers « bébés OGM », censément immunisés contre le virus du sida, et cela hors de tout cadre légal, provoquant un scandale planétaire. Le chercheur responsable vient d’ailleurs d’être condamné à trois ans de prison.

La levée, même partielle, de l’interdit chimérique et transgénique permettrait à CRISPR-Cas9 de passer officiellement de la semence agricole à l’humain. La nouvelle loi pourrait donc ouvrir la voie à l’industrialisation de la modification génétique des embryons humains à une vitesse encore jamais atteinte.

Considérant que cette technique n’a pas de portée médicale potentielle pour soigner des êtres humains déjà nés, on voit mal quelle finalité pourrait découler de cette autorisation de libéraliser la recherche, si ce n’est la possibilité d’engendrer des êtres humains génétiquement modifiés…

Un tel article mériterait à lui seul un débat philosophique et politique d’ampleur. Le voter à la va-vite dans cette loi ne nous paraît pas raisonnable.

Extrêmement mal à l’aise avec les dispositions potentiellement eugéniques de cet article, je plaide donc, avec les membres de mon groupe, pour sa suppression.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.

M. Bruno Retailleau. J’irai dans le même sens que M. Gontard.

Mes chers collègues, quoique nous pensions par ailleurs de ce texte, nous débattons là, comme Alain Milon l’a souligné, de deux lignes rouges qui n’ont jamais bougé depuis que les lois bioéthiques existent, à savoir la possibilité de créer des embryons transgéniques ou des embryons chimériques par introduction dans un embryon animal de cellules reprogrammées ou de cellules souches embryonnaires humaines – deux techniques équivalentes à mes yeux.

S’agissant des embryons transgéniques, on voit bien qu’il s’agit d’un désir des chercheurs de tester les fameux ciseaux CRISPR-Cas9, ou ciseaux moléculaires, pour modifier la descendance génétique. On toucherait en l’occurrence à un interdit qui n’est ni de droite ni de gauche. J’observe d’ailleurs que, dans une très belle tribune, José Bové et Jacques Testart, le père français de la FIV, la fécondation in vitro, s’y sont vivement opposés.

Quant aux embryons chimériques, ce serait un autre stade encore.

Dans son avis du 28 juin 2018, le Conseil d’État avait prévenu le législateur ; il avait suggéré de fermer l’angle mort de la législation, compte tenu de l’avancée des sciences et technologies.

Il avait alors décrit trois risques : celui de la transmission d’une zoonose de l’animal à l’homme, si l’expérimentation devait aller jusqu’à son terme ; celui d’une représentation humaine, l’Assemblée nationale ayant autorisé la transplantation d’embryons chimériques, tués juste avant la naissance, dans l’utérus d’une femelle ; enfin, celui, plus fondamental encore, de l’humanisation. Il s’agirait d’une sorte de conscience qui naîtrait dans le cerveau de l’animal par migration de cellules reprogrammées… Vous rendez-vous compte, mes chers amis, où nous en sommes ?

Rien ne justifie d’enfreindre cette ligne rouge, et nous pouvons, me semble-t-il, au-delà de nos attaches partisanes, nous réunir autour de cet interdit fondamental. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre. Il est effectivement très important d’aborder ce titre IV par cet article. Je prendrai donc quelques instants pour préciser la position du Gouvernement sur la question des embryons chimériques et sur la portée de leur interdiction inscrite à l’article 17 du projet de loi.

J’ai écouté attentivement, lors de la discussion générale, l’intervention de Mme la sénatrice Imbert sur l’intention initiale du législateur. Il ne m’appartient pas de trancher ce débat d’interprétation sur une discussion intervenue voilà neuf ans. En revanche, la réalité, c’est que le droit interdit actuellement l’agglomération de matériel cellulaire animal sur un embryon humain.

C’est précisément ce qui justifie que la disposition adoptée en 2011 ait été insérée dans une partie du code de la santé publique relative à l’embryon humain, comme l’a confirmé l’avis du Conseil d’État. Naturellement, il n’est pas question de revenir sur cette interdiction.

Toutefois, la réalité du droit actuel, c’est aussi qu’il ne fixe aucun cadre interdisant de conduire des recherches sur des embryons animaux chimériques. Il n’existe aucun protocole de recherche de ce type en France à ce jour, mais aucune norme de bioéthique non plus dans ce domaine.

Les députés et le Gouvernement ont donc souhaité intégrer cette question au débat, afin qu’un cadre adapté à la conduite de ces recherches soit fixé et que le droit de la bioéthique soit réactualisé, à la lumière des perspectives scientifiques qui se sont ouvertes durant ces neuf dernières années.

C’est pourquoi il est vraiment très important que nous puissions débattre ouvertement de l’opportunité, ou non, de conduire des recherches sur des embryons animaux chimériques, celles-ci, je le rappelle, n’étant nullement interdites aujourd’hui par notre droit.

Ces recherches offrent des perspectives scientifiques intéressantes, pour deux raisons.

Premièrement, de nombreux mécanismes physiologiques ou pathologiques ne peuvent être compris que par l’utilisation de ce type de techniques, lorsqu’elles deviendront définitivement possibles, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. En effet, sur le plan scientifique, nous sommes encore très loin des perspectives de xénogreffes qui ont été évoquées, et la question sanitaire est bien évidemment essentielle.

Deuxièmement, nous sommes passés d’une époque où le caractère tout génétique prévalait à une époque où nous avons besoin de comprendre plus finement les mécanismes cellulaires fondamentaux, notamment les impacts environnementaux sur ces derniers.

Il est important que nous puissions le faire sur des embryons chimériques constitués d’agglomérations de cellules souches sur des embryons d’animaux. Soyons parfaitement clairs : nous nous plaçons bien entendu dans le cadre d’une recherche fondamentale, et absolument pas dans celui d’une recherche clinique.

Je veux être très clair avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il est totalement interdit, et cela le restera, de créer des embryons à des fins de recherche. De même, il est totalement interdit de réimplanter des embryons qui auraient été manipulés génétiquement, de quelque façon que ce soit. La loi est très claire à cet égard, et nous ne revenons pas sur ce point.

L’apparition de nouvelles formes de cellules pluripotentes, dérivées de cellules humaines adultes, a aussi été évoquée.

Il s’agit d’une véritable petite révolution scientifique, et nous avons besoin de démontrer la pluripotence réelle de ces cellules. Pour ce faire, de manière très classique, il faut les agglomérer à ces embryons animaux pour vérifier que, effectivement, elles sont capables de constituer au moins les différents feuillets embryonnaires, c’est-à-dire d’être pluripotentes. Et pour en être sûrs, nous devons aussi pouvoir les comparer aux cellules souches « étalons », si je puis dire, c’est-à-dire aux cellules souches embryonnaires.

Tels sont les objets des recherches qui commencent à être envisagées dans les laboratoires. Aussi, il nous est apparu important que les protocoles de recherche relatifs à ces embryons chimériques constitués de cellules souches – que celles-ci soient induites ou embryonnaires, agglomérées à des embryons animaux – soient soumis à déclaration pour contrôle auprès de l’Agence de la biomédecine (ABM) et respectent la cadre propre aux expérimentations animales, ce qui nous semble apporter une garantie supplémentaire.

Enfin, pour les chercheurs, il est très important que ce type de recherche soit sécurisé dans une loi de bioéthique. En effet, ils sont tout à fait conscients de la nécessité de disposer d’un cadre législatif clair pour mener leurs travaux et de penser des protocoles de recherche, dans leurs laboratoires, en sachant que ceux-ci sont admis par le législateur.

Je comprends tout à fait la position de la commission spéciale. J’entends les débats et l’appel à la vigilance extrême qu’a lancée le président Retailleau. Je partage l’idée qu’il est inadmissible de créer des embryons à des fins de recherche, tout comme il est inadmissible de réimplanter des embryons génétiquement modifiés, de quelque façon que ce soit.

Néanmoins, si nous voulons mieux comprendre ce qui nous apparaît aujourd’hui comme étant à côté de la génétique, notamment les impacts environnementaux, il faut que la recherche fondamentale, qui, en réalité, est encore très éloignée d’éventuelles applications pour l’homme, nous en donne la capacité.

M. le président. L’amendement n° 214 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cohen, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement de suppression a été excellemment défendu par Guillaume Gontard.

Le groupe CRCE veut surtout marquer son opposition à ces modifications majeures de la législation en matière de bioéthique, qui était l’une des plus encadrantes jusqu’à présent. Outre les arguments évoqués par M. Gontard, c’est aussi cet élément qui nous pousse à inviter à supprimer cet article. Mais place au débat !

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Olivier Henno, rapporteur. M. le président de la commission spéciale a présenté un certain nombre d’arguments, voisins de ceux de Mme la ministre. À mon tour, je vais vous présenter les raisons qui ont conduit la commission spéciale à adopter cet article 17, lequel appelle des clarifications sur deux sujets à bien distinguer, chacun d’eux méritant d’être analysé et débattu : les embryons transgéniques, d’une part, et les embryons chimériques, d’autre part.

S’agissant de la recherche sur les embryons transgéniques, le Conseil d’État et le CCNE ont donc jugé les dispositions obsolètes. Soit dit entre parenthèses, j’ai beaucoup, peut-être trop, si l’on en croit certains de mes collègues, tenu compte des avis du CCNE et de son président. À entendre les différents orateurs, y compris le Gouvernement, je me suis parfois demandé si le CCNE avait une réelle utilité… Je vous taquine, mes chers collègues, mais je me permets de le dire.

L’objectif de la suppression de cette interdiction est de permettre d’évaluer les effets des techniques d’édition génomique, dont CRISPR-Cas9.

L’utilisation de cette technique conduira-t-elle, puisque telle est la question, à des bébés génétiquement modifiés en France ? La réponse est non ! En effet, le transfert à des fins de gestation des embryons faisant l’objet de recherches est interdit. Cette interdiction figure d’ailleurs à l’alinéa 19 de l’article 14 du projet de loi, que nous aborderons tout à l’heure.

Pour ce qui concerne à présent les embryons chimériques, les seules expérimentations aujourd’hui possibles en France sont celles qui consistent à introduire dans un embryon animal quelques cellules iPS humaines. En France, les laboratoires se sont limités à introduire de telles cellules, Mme la ministre l’a rappelé, dans des embryons de lapin et de singe. Ceux-ci ont été cultivés pendant trois jours, puis ont été détruits. Ils n’ont jamais été transférés.

Il s’agit non pas de verser dans la science-fiction, mais plutôt de nous interroger sur la raison pour laquelle les chercheurs souhaitent s’engager dans des expérimentations de ce type.

Lors de nos auditions, j’ai été marqué par le constat suivant : nos chercheurs ne sont pas des apprentis sorciers ! Ils ont aussi une conscience très forte, tout aussi légitime que la nôtre, mes chers collègues. Ils font d’abord ces recherches pour améliorer la santé humaine ; ce serait leur faire un bien mauvais procès que de penser le contraire.

En réalité, les embryons chimériques impliquant des cellules iPS présentent un intérêt particulier. Il s’agit d’expérimenter la régénération d’organes ciblés. Le président du CCNE est allé jusqu’à prédire la possible fin de l’orthopédie froide. C’est tout de même un défi !

Or, si nous ne sommes pas en capacité de mener ce type de recherche, je crains, mes chers collègues, que cela ne pose un problème de souveraineté et ne contrevienne au principe de l’égal accès aux soins. En effet, que va-t-il se passer ? Les États-Unis ne nous attendront pas,…

M. Bruno Retailleau. Comme d’habitude !

M. Olivier Henno, rapporteur. … et les gens les plus aisés iront se soigner dans ce pays.

M. Bruno Retailleau. C’est comme pour la GPA !

M. Olivier Henno, rapporteur. Eh oui ! Pour moi, c’est un risque, j’ose le dire.

Ce débat est tout à fait intéressant. Il s’agit d’expérimenter la régénération d’organes ciblés. Cela consiste à désactiver dans l’embryon animal le gène lié à la formation d’un organe particulier et à introduire quelques cellules iPS dans l’embryon animal capable de produire l’organe recherché. C’est ce que l’on fait déjà avec les greffes d’organes.

M. Olivier Henno, rapporteur. Il s’agit simplement d’aller un plus loin.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Olivier Henno, rapporteur. Je ne reprendrai pas tous les arguments avancés par M. le président de la commission spéciale, mais, naturellement, j’émets un avis défavorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Madame la ministre, nous avons un point de désaccord.

Vous nous laissez entendre que, en l’état actuel du droit, la création d’embryons chimériques à partir de cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal est possible, en faisant référence au titre V du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. Vous ne parlez que d’embryon.

Pourtant, l’intitulé du titre V est « Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Ce titre ne contient qu’un chapitre, et l’article L. 2151-2 est très clair : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. » Il concerne donc bien des chimères à partir de cellules souches embryonnaires qui seraient introduites dans un embryon animal. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)

Madame la ministre, je ne fais que lire le code de la santé publique !

M. Roger Karoutchi. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Vous avez raison !

Mme Corinne Imbert, rapporteure. C’est pour cette raison que, à l’article 14, la commission spéciale est revenue sur une disposition introduite par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je voterai bien entendu cet amendement, que j’ai cosigné avec les membres de mon groupe.

Comme cela a été rappelé dans les interventions liminaires, il s’agit non pas seulement d’appeler à la vigilance, mais de marquer des interdits. Non, la recherche ne peut tout justifier dans nos rapports avec le vivant et, au-delà, dans le mélange et la rencontre des espèces !

Monsieur Henno, je vous entends, mais il est heureux que les chercheurs que vous avez auditionnés aient pris l’engagement devant la commission spéciale de ne pas se comporter en savants fous sur le point de créer des monstres ! Il est heureux qu’ils aient pris l’engagement de respecter le cadre !

Cependant, cela vaut pour ceux qui s’expriment aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans quelques années, quand ils seront commandités par on ne sait qui. Et ensuite, mes chers collègues ? Une fois que la loi aura autorisé cette petite dérogation, qui, vous avez raison, est pour l’instant très limitée, quelle sera demain, puis après-demain, les autres petits pas ? Et dans dix ans, où en serons-nous dans ces autorisations qui seront données, ou non, au nom de la science, de la recherche et, sans aucun doute, de la santé publique ?

In fine, que faisons-nous au travers de ce texte ? Devons-nous défendre une recherche, qui, à terme, même si personne n’utilise le mot, tend vers l’eugénisme et vers une certaine uniformité ?

Bien sûr, madame la ministre, j’ai conscience d’être un peu caricaturale quand j’utilise cette expression, à ce moment-là, compte tenu de ce que le texte prévoit, mais je n’ai pas de garanties pour dans dix, vingt, trente ou quarante ans. Ce que je sais, c’est que, aujourd’hui, en fonction de ce que nous allons voter, ou non, nous ouvrons, ou non, le champ des possibles pour dans dix, vingt, trente ou quarante ans.

Je voterai donc cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Moi aussi, je voterai cet amendement.

J’entends bien les propos de notre rapporteur, Olivier Henno. Mais s’agissant du désaccord entre Mme Imbert, elle aussi rapporteure, et Mme la ministre, c’est la première qui a raison : la loi de 2011, dernière loi bioéthique, dit clairement qu’il est interdit de travailler et de faire des recherches sur les embryons transgéniques et sur les embryons chimériques. C’est écrit en toutes lettres ; si la loi a été modifiée sans que le Parlement le sache, prévenez-nous, cela fera un courrier intéressant ! (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)

Par ailleurs, même si nous sommes en République, nous ne sommes pas des dieux ! Or je commence à m’inquiéter d’entendre dire que les scientifiques et les chercheurs « veulent » telle ou telle technique. Dans leurs recherches pour le bien commun, par exemple pour mieux soigner chacun, ils ont des motifs légitimes de vouloir avancer, mais on a beaucoup entendu cet argument, pas seulement en 2020, mais au cours de l’Histoire. Et c’est rarement ce qui s’est produit finalement.

Je l’ai dit une fois dans cet hémicycle, ce qui m’a valu quelques remarques, je ne crois pas à la bonté fondamentale de l’être humain. Je crois que la pression sociale, sociétale et économique pousse à aller au-delà de ce que l’on voulait au départ.

Monsieur le rapporteur, bien sûr, il n’est pas question de créer des centaures. Bien sûr, on ne va pas rejouer La Planète des singes, et Le Monde de Narnia n’est pas pour nous. Très bien ! Pour autant, est-ce que le Parlement de la République ne peut pas dire aux scientifiques et aux chercheurs : « Oui, faites ce que vous pouvez pour le bien commun, mais, non, ne mettez pas l’espèce humaine dans une situation dangereuse » ?

Je ne m’adresse pas aux chercheurs d’aujourd’hui. Qui nous dit que, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, certains scientifiques n’outrepasseront pas toutes les limites que l’on a évoquées, en se disant que la loi le leur permet ? Je sais bien que c’est une position de crainte, qui n’est pas forcément tournée vers l’avenir, mais, j’y insiste, le Parlement est là pour préserver et pour protéger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Sur cette question, j’adopterai une position plus restrictive que celle du Gouvernement, à savoir celle qui figure dans le texte de la commission spéciale.

D’ailleurs, si vous votez l’amendement de suppression, mes chers collègues, le texte qui repartira à l’Assemblée nationale ne comportera plus cet article, et c’est la version du Gouvernement qui sera réintroduite à l’Assemblée nationale. (M. Roger Karoutchi sexclame.) Je ne suis pas sûr que cela assurera un meilleur encadrement…

Je voudrais surtout dire, à cet instant, à la suite de l’intervention de Roger Karoutchi, que je suis marqué par la défiance qui s’exprime à l’égard du monde scientifique.

M. Roger Karoutchi. Non, pas celui d’aujourd’hui !

M. Bernard Jomier. Mes chers collègues, sachez que la naissance d’Amandine, en 1982, n’aurait pas été possible avec nos lois actuelles. Toutes les recherches qui ont mené à la naissance d’Amandine auraient été impossibles avec nos lois de 2020 ! C’est tout de même problématique.

Les chercheurs, les scientifiques et les médecins sont ici, non pas vilipendés – je ne veux pas utiliser un terme trop fort –, mais traités comme des gens incontrôlables…

M. Roger Karoutchi. Il y en a eu !

M. Bernard Jomier. Ils n’ont pourtant pas attendu 1994 et le Parlement pour réfléchir aux enjeux éthiques. Respectons chacun ! En 1982, on faisait de la recherche sur la FIV, et il n’y a pas eu de dérapage. Il n’y a eu aucun eugénisme dans notre pays, que je sache !

On ne nous a pas attendus. Ils ne nous attendent pas. Des comités d’éthique, il y en a partout ; des réflexions, il y en a partout. Nous avons maintenant des corps intermédiaires en la matière, notamment le CCNE et l’Agence de la biomédecine, avec son conseil d’orientation. Ces acteurs intermédiaires, soudain, on ne les écoute plus. On est persuadé qu’ils vont se transformer en savants fous.

Un chercheur chinois a inséré un CCR5, un gène qui est censé protéger du VIH, chez un enfant. Il est en prison et mis au ban de la communauté internationale. Un Russe a annoncé qu’il allait faire la même chose, mais, comme le pouvoir de son pays lui a dit de faire attention, visiblement, il n’est pas passé à l’acte. Il se méfie ; il a raison ! (Sourires.)

Bien sûr, nous faisons la loi et nous devons garantir qu’il n’y aura pas de dérives, mais, si l’on refuse d’accorder la moindre confiance à nos chercheurs, l’on rejette tout projet. La recherche française en médecine de la reproduction a dégringolé du podium. Elle n’existe quasiment plus au niveau international. Il n’y a pas de quoi être fier !

Pour ma part, je le répète, sur cette question des chimères, je suivrai la position la plus restrictive, mais je ne soutiens certainement pas la suppression de l’article. (Mme Michelle Meunier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je pense que le législateur doit prendre ses responsabilités.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. Il n’appartient pas aux chercheurs de faire la loi.

M. Bernard Jomier. Ils ne le demandent pas !

M. Bruno Retailleau. Nous discutons d’une loi relative à la bioéthique, et non d’une loi qui vise la compétitivité de la France par rapport au reste du monde, ce qui justifierait tous les alignements possibles sur le moins-disant éthique. Je voterai, bien sûr, l’amendement qui a été proposé par le groupe CRCE.

Deux aspects ont été soulignés en défense, notamment par le rapporteur, M. Henno.

Premièrement, sur les embryons transgéniques, vous avez dit, grosso modo, que cela se limiterait aux laboratoires, sans aller au-delà. Je suis désolé, mais le laboratoire ouvre la porte vers une autre étape. Si le Gouvernement, du reste, se limite aujourd’hui aux laboratoires, c’est pour deux raisons.

Tout d’abord, il veut laisser penser que sa disposition est conforme à la convention internationale d’Oviedo, qui proscrit justement de modifier la descendance.

M. Bruno Retailleau. Or j’affirme que cette disposition est anti-conventionnelle, et le Gouvernement tente de s’en tirer en précisant que l’expérimentation se limite aux laboratoires.

Ensuite, il essaie de tromper l’opinion publique en proclamant que la France n’est pas la Chine, un pays où, effectivement, on a eu récemment recours à cette expérimentation, notamment pour essayer de protéger des jumelles contre le virus du VIH. J’affirme que ces éléments ne sont pas suffisants pour justifier vos dispositions sur les embryons transgéniques.

Deuxièmement, sur les chimères, mes chers collègues, de quoi est-il question ? Avec ce projet de loi, y compris dans le texte de la commission spéciale, vous permettrez la création d’embryons chimériques à partir de cellules reprogrammées iPS.

Ensuite, l’embryon, c’est-à-dire la chimère animal-homme, sera implanté dans l’utérus de la femelle et se développera jusqu’avant la naissance, puisqu’il sera détruit juste avant la parturition. C’est cela que l’on vous propose ! Est-ce que les Français sont d’accord avec ce brouillage des espèces ?

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ce n’est pas rien, monsieur Jomier. Il s’agit non pas d’élus, mais de scientifiques. Or ils parlent de « brouillage des espèces », celui-ci constituant une menace pour « notre identité et l’intégrité de notre humanité ». On parle d’une loi bioéthique et on oublierait ces éléments-là ?

Dans une revue anglophone chinoise, le Pekin National Science Review, a été publié en mars 2009 le résultat d’une expérimentation sur un singe dont les gènes du cerveau avaient été modifiés. Qu’a-t-il été constaté sur la descendance ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Bruno Retailleau. Un retard de développement du cerveau, comme chez l’homme, et de meilleurs résultats aux tests de mémoire.

La question est là, mes chers collègues : cherche-t-on à humaniser l’animal ou à animaliser l’homme ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Pour ma part, je défendrai la position de M. le rapporteur.

La commission spéciale a encadré et clarifié la constitution d’embryons chimériques, en la rendant impossible avec des cellules souches embryonnaires humaines. En effet, le texte de la commission spéciale vise à interdire l’insertion de cellules d’autres espèces dans l’embryon humain, mais aussi l’insertion de cellules souches humaines dans un embryon animal, alors que le projet de loi initial prévoyait cette possibilité. C’est très clair.