compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

M. Daniel Dubois.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisation des travaux

M. le président. Mes chers collègues, lors de sa réunion du 28 janvier dernier, la conférence des présidents a donné son accord pour que le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, inscrit à l’ordre du jour du mardi 3 mars, fasse l’objet de la procédure de législation en commission partielle.

Réuni le 18 février, le bureau de la commission spéciale a établi une liste de dix articles pouvant faire l’objet d’un examen selon cette procédure. Elle a été communiquée aux groupes politiques, qui n’ont pas formulé d’opposition.

Les articles 8, 9, 20, 22, 29, 31, 40, 47, 48 et 49 feront ainsi l’objet de la procédure de législation en commission.

Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de commission au lundi 24 février à douze heures, la date de réunion de la commission pour le rapport et le texte au mercredi 26 février à seize heures quinze, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance portant sur les articles du texte non concernés par la procédure de législation en commission au lundi 2 mars à douze heures, le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour les articles faisant l’objet de la procédure de législation en commission au vendredi 28 février à dix-sept heures.

Y a-t-il des observations ?...

Il en est ainsi décidé.

3

Action du Gouvernement en faveur de l’agriculture

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’action du Gouvernement en faveur de l’agriculture.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est important. Pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui, il faut revenir trois ans en arrière.

À l’arrivée au pouvoir du Président Macron, un espoir immense est né dans la profession agricole, celui de faire comprendre que cette profession avait une attente forte, une attente que nous pourrions résumer par un mot : la reconnaissance. Les États généraux de l’agriculture qui se sont tenus peu après ont amplifié cet espoir, car ils ont donné aux agriculteurs le sentiment d’être enfin compris, que la question de leurs revenus allait pouvoir être traitée.

Puis, il y a eu le discours de la Sorbonne, qui est passé totalement inaperçu, embué par le discours de Rungis. Pourtant, par ce discours, le Président de la République a porté un coup fatal à la PAC (politique agricole commune) : il y était question de créer et de financer d’autres politiques. Ainsi, l’espoir que serait maintenu le budget de la PAC disparaissait, puisque le financement de ces nouvelles politiques ne serait possible qu’en ponctionnant les budgets existants. Dans son discours, le Président de la République a également évoqué la subsidiarité, principe en faveur duquel la France n’a jamais véritablement poussé, contrairement à l’Allemagne. Possibilité a ainsi été laissée à la Commission européenne de formuler sa proposition actuelle.

Par la suite a été votée cette belle loi Égalim (loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), qui avait pour ambition d’améliorer le revenu des agriculteurs. Mais, voilà, elle a plutôt suscité de la déception. Certes, dans son titre Ier, une vraie réflexion a été engagée sur les relations commerciales, puisqu’il y est prévu de relever le seuil de revente à perte et de réduire la pression des promotions. En revanche, le titre II, au terme de l’examen des 2 500 amendements qui avaient été déposés sur ce texte à l’Assemblée nationale, a créé des contraintes supplémentaires pour notre agriculture, contraintes qui non seulement auront un coût, mais qui, surtout, amplifieront la stigmatisation dont elle fait l’objet.

À la suite de cette loi Égalim, notre agriculture a fait l’objet de messages sans cesse plus accusateurs, elle qui n’espérait que reconnaissance. Je pense notamment à la création des zones de non-traitement, dont mes collègues parleront, mais aussi à la stigmatisation du glyphosate et à sa future interdiction en France, contrairement à ce qu’on observe en Europe.

Dans le même temps, on ne se rend pas compte que la France, notre belle France agricole, perd de plus en plus de terrain, notamment si on en juge par l’accroissement des importations. Monsieur le ministre, vous le savez bien, plus d’un jour par semaine, les Français consomment uniquement des produits d’importation. Or plus d’un quart d’entre eux ne répondent pas aux normes que nous imposons aux agriculteurs français.

Et je ne parle même pas de la ratification, par l’Assemblée nationale, du CETA dans une période de plus grand doute pour les agriculteurs !

Tout ce temps perdu, au lieu de se poser la seule et vraie question qui vaille pour moi, celle d’avoir un vrai projet pour l’agriculture française et de le défendre à Bruxelles.

Quelle place voulez-vous, monsieur le ministre, pour l’agriculture française ? Est-ce, à l’horizon de 2035, comme votre ministère s’apprête à en faire la communication, le non-productivisme et la démondialisation ? Si tel était le cas, cela conduirait l’agriculture française à sa perte.

Quels sont les éléments essentiels que vous allez défendre à Bruxelles pour maintenir la PAC ? Quel budget ? J’espère que vous nous donnerez des indications sur ce budget, que vous allez enfin arrêter d’en parler avec des mots et que vous en parlerez avec des chiffres !

Que pensez-vous aussi de l’idée développée par le Président Macron sur la subsidiarité ? Pensez-vous aller plus loin encore dans cette voie, synonyme d’une politique agricole qui serait de moins en moins commune et qui sera, je vous le dis, un vrai danger pour la France ?

Quel verdissement attendez-vous ? Ce verdissement consistera-t-il encore une fois à entraver les agriculteurs ou bien sera-t-il plutôt l’occasion de valoriser les atouts de notre agriculture française pour en faire une force environnementale ?

Qu’allez-vous proposer sur les risques et les aléas ? Allez-vous défendre l’assurance récolte, le stockage de l’eau, l’irrigation, les progrès s’agissant des semences, alors même que le Conseil d’État, par exemple, vient de les classer OGM ?

Monsieur le ministre, je suis conscient que votre tâche est difficile. À mon modeste niveau, si j’étais à votre place, je ne me poserais qu’une seule question : quel projet agricole défendre ?

Plutôt que de formuler des critiques, ce qu’on a parfois trop souvent tendance à faire, je vais essayer de vous aider,…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Bruno Sido. Bonne idée !

M. Laurent Duplomb. … comme le Sénat le fait régulièrement en examinant avec un œil apaisé et expérimenté les lois qui lui sont soumises.

Je développerai six points.

Premièrement, soutenez que la production agricole française est diversifiée et arrêtez d’opposer les agriculteurs entre eux. Surtout, cessez de dire que vous voulez changer de modèle.

M. Laurent Duplomb. Notre modèle est fort quand il est fort à l’export et quand il est défendu par son ministre. Le savoir-faire français rayonne, il se vend. Profitons-en ! N’oublions jamais que 25 % du revenu des agriculteurs dépend de la capacité exportatrice de la France. Notre modèle agricole différencié est fort, en France, quand il est respecté, quand on allie proximité, circuits courts, restauration hors foyer, qualité des AOP, du bio, mais aussi du conventionnel et du traditionnel.

Deuxièmement, il faut lutter contre la suprématie des quatre centrales d’achat. La loi Égalim, et on le constate chaque jour, n’a pas réglé cette question. Lâchez du leste aux filières pour qu’elles s’entendent – au lieu d’être 20 000 face à ces quatre centrales –, pour qu’elles puissent peser contre leur suprématie et rétablir l’équilibre dans les négociations commerciales.

Troisièmement, et c’est sans doute l’un des points les plus importants, il faut favoriser le progrès. Celui-ci a toujours été la réponse aux maux agricoles. Si nous ne voulons pas voir ce que le progrès peut nous apporter, nous sombrerons dans l’obscurantisme.

Les craintes des consommateurs peuvent trouver leur réponse dans la recherche et dans l’innovation. Axema, par exemple, propose, grâce à l’intelligence artificielle embarquée, de réduire de près de 90 % le volume de produits phytosanitaires pour certaines cultures. Il faut également aider la recherche sur les semences afin d’améliorer leur résistance face au changement climatique.

Quatrièmement, il convient de soutenir, par un principe de suramortissement, les investissements en faveur d’actions fortes comme la prise en compte du bien-être animal, des aléas climatiques, avec une vraie politique de stockage de l’eau et de protection contre la grêle, ou une moindre utilisation de produits phytosanitaires.

Cinquièmement, il faut dresser un véritable état des lieux des charges qui pèsent sur les exploitations agricoles, qu’elles soient administratives, normatives ou autres, les différences étant importantes avec les autres pays.

Sixièmement, il faut se battre pour une PAC forte. Dites-nous aujourd’hui que vous défendrez un budget de 390 milliards d’euros, niveau auquel il faut le maintenir ; dites-nous que vous allez vous battre en faveur de l’ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels) ; dites-nous que vous allez vous battre pour soutenir réellement la politique agricole commune.

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Duplomb. Dites-nous aussi que l’Europe est forte quand la PAC est forte, parce qu’elle est le ciment de l’Europe.

Pour conclure,…

M. le président. Il le faut vraiment, mon cher collègue !

M. Laurent Duplomb. … je vous demande d’arrêter d’opposer les agriculteurs. Ne les combattez pas ! Au contraire, faites-en une force, avec une vision et un projet, et, vous verrez, ils vous surprendront. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Duplomb, vous disiez ce matin en commission qu’il fallait parler avec moins de passion, de façon éclairée, détendue et contribuer ensemble au débat. C’est ce que vous avez fait peu ou prou dans votre intervention…

Je ne pourrai pas répondre en huit minutes à toutes les questions que vous avez soulevées. Cela étant, je peux vous dire que la politique de ce gouvernement est claire : il s’agit de travailler pour les agriculteurs, de travailler pour les pêcheurs, pour les conchyliculteurs, pour l’ensemble du monde agricole, pour les forestiers, pour les entreprises agroalimentaires et pour l’agroalimentaire. Voilà l’enjeu de la politique menée par le Gouvernement ! Il s’agit d’abord d’écouter, de comprendre et d’accompagner les agriculteurs, parce que ce sont ceux qui font l’agriculture, ceux qui travaillent dans l’agriculture, ceux qui travaillent pour l’agriculture qui sont les plus à même de parler de l’agriculture, même s’il n’est pas forcément utile d’être agriculteur pour comprendre la dynamique agricole et pour travailler dans cette dynamique.

Je le réaffirme devant vous : l’agriculture n’est pas à bout de souffle et, pour lutter contre l’agribashing, il faut aussi parler positivement de l’agriculture et non pas toujours négativement.

Je crois que nos concitoyens commencent à prendre conscience du désarroi de nos paysans. Le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures pour lutter contre ce désarroi et contre cet agribashing. Je pense aux observatoires départementaux de lutte contre l’agribashing ou encore à la cellule Déméter du ministère de l’intérieur ou aux instructions données par la garde des sceaux pour lutter contre toutes les intrusions, contre le dénigrement, contre toutes les attaques dont font l’objet les agriculteurs.

Le premier engagement, c’est évidemment celui de la transition agroécologique. Nous ne voulons pas changer de modèle, nous voulons simplement le faire évoluer, parce qu’on sait très bien que la faille, la coupure, la fosse, l’abîme qui existe entre la société et l’agriculture, entre les citoyens et les agriculteurs, si l’on n’y prend garde, ne sera jamais comblé.

Il faut éviter d’opposer non pas les modèles agricoles entre eux, mais l’agriculture et la société civile, les réseaux sociaux et ceux qui travaillent la terre. Je le dis souvent : il faut ralentir le temps court et accélérer le temps long ; on ne fait pas muter l’agriculture au rythme des tweets, on fait muter l’agriculture au rythme des saisons, au rythme des pratiques culturales.

Dans cet hémicycle, comme à l’Assemblée nationale, vous n’avez pas tous les mêmes positions. C’est pour cela que le Gouvernement essaie d’adopter une position médiane, celle de la transition agroécologique, celle de la transition énergétique, celle, surtout, qui permettra demain de conférer à l’agriculture française plusieurs vertus : rémunérer ses paysans – le compte n’y est pas encore aujourd’hui – ; assurer notre autonomie alimentaire – c’est le cas – ; continuer à produire pour l’exportation.

Si nous voulons une agriculture forte, il faut que celle-ci s’appuie sur un triptyque : la compétitivité, la recherche et la transition agroécologique. Sans compétitivité, sans création de valeur, sans création de richesses, l’agriculture sera par terre. Mais cette agriculture ne pourra se faire que si l’enseignement supérieur et la recherche jouent tout leur rôle, indispensable.

On sait très bien qu’il faudra sortir de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques ou phytosanitaires. C’est ce à quoi s’efforcent tous les agriculteurs. Mais on ne peut pas les laisser sans solution. Certains dans cet hémicycle souhaiteraient que soit immédiatement interdit le recours à ces produits tandis que d’autres souhaiteraient que nous prolongions leur autorisation. La position du Gouvernement consiste à faire en sorte de mettre fin à cette dépendance en ne laissant aucune filière, aucun secteur sans solution.

En même temps, nous devons rassurer les paysans en leur permettant de vivre décemment de leur activité et de poursuivre leurs pratiques si celles-ci évoluent. Mais il faut aussi rassurer les consommateurs et leur dire clairement que l’agriculture française est l’une des plus durables du monde et qu’on peut avoir confiance dans les produits alimentaires français, qui sont de qualité.

Aujourd’hui, il y a trop de violence dans notre monde, il y a trop de violence à l’encontre des agriculteurs, et nous travaillons pour tenter d’y remédier.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué plusieurs sujets. Vous avez notamment dit que le discours du Président de la République avait porté un coup fatal à la PAC. Regardez la réalité ! Parlons de la PAC non pas abstraitement, mais avec des chiffres, comme l’a très bien fait le Président de la République.

J’ai lu hier que vous et certains de vos amis des Républicains, sous la houlette du président Christian Jacob, alliez faire à l’occasion du salon de l’agriculture des propositions. Ce qui compte, ce sont non pas les effets d’annonce, mais les choses concrètes. Vous me dites que la France ne se bat pas pour l’agriculture : il se trouve que le Président de la République est cet après-midi à Bruxelles avec, comme il l’a clairement annoncé, un seul mandat de négociation, à savoir le maintien de la politique agricole commune. Si son périmètre devait être réduit, alors des centaines et des centaines d’exploitations agricoles disparaîtraient.

M. Laurent Duplomb. Des chiffres !

M. Didier Guillaume, ministre. Je vais vous les donner.

Cette politique agricole, ce n’est pas celle de la subsidiarité, c’est une politique agricole commune à tous les pays, sur une base d’égalité.

Sur ce point, nous avons d’ores et déjà gagné. C’est la réalité ! Nous voulons que pas un euro ne soit soustrait du premier pilier, le plus important et le plus indispensable. Dans le cadre de la transition agroécologique, ce qu’on appelle les éco-schémas seront obligatoires pour tous les États, mais facultatifs pour les agriculteurs.

Voilà clairement ce pour quoi nous nous battons aujourd’hui.

Je ne sais pas d’où sort votre chiffre de 390 milliards d’euros ; il n’existe même pas en rêve ! Je vais vous citer trois chiffres.

Le premier : 370 milliards d’euros. C’était le montant proposé par la Commission. Il était hors de question de retenir une telle enveloppe. Nous nous y sommes donc opposés. Vingt pays de l’Union ont fait plier la Commission, laquelle a alors proposé 375 milliards d’euros, soit le montant qui a été dépensé au cours de la précédente programmation. Si nous sommes parvenus à ce chiffre, c’est parce que vingt pays ont tenu et parce que l’Allemagne a évolué, estimant qu’il n’était pas possible de réduire le montant de la PAC.

J’ai réuni hier après-midi l’ensemble des syndicats agricoles pour m’entretenir de ce sujet avec eux. Le Président de la République, je le répète, part pour Bruxelles avec un mandat de négociation non pas à 375 milliards d’euros, mais à 380 milliards d’euros. Voilà la position que va défendre la France pendant ces discussions, qui vont durer deux, voire trois nuits. Cela correspond, en euros courants, au montant de l’enveloppe précédente.

Jamais le chiffre de 390 milliards d’euros n’a été évoqué. Les syndicats agricoles sont tombés d’accord pour dire que nous avons dépensé 375 milliards d’euros. La programmation était à 380 milliards d’euros : c’est ce que nous allons essayer d’obtenir. Le Président de la République va se battre dans ce sens. Si la PAC devait baisser ou se disloquer pour devenir vingt-sept PAC, alors il n’y aurait plus de politique agricole commune.

Je terminerai en évoquant la question de la convergence externe. Le Président de la République est aujourd’hui à Bruxelles pour dire oui à la convergence externe, notamment pour les pays de l’Est, mais à condition que ça ne fasse pas baisser le montant de notre enveloppe. Nous voulons bien aider les pays de l’Est à se développer, mais on ne peut pas aider les pays de l’Est à se développer contre les paysans français. Les distorsions de concurrence et la concurrence sociale n’ont pas disparu !

Enfin, parmi les orientations que j’ai fixées et qui sont validées par le Gouvernement, il y a le maintien de l’ICHN. C’est absolument indispensable pour les territoires en difficulté.

Dans la suite du débat, j’aurai l’occasion d’apporter d’autres précisions.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, et le Gouvernement d’une durée équivalente pour y répondre.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Depuis près de deux ans, dans un contexte agricole national comme international très problématique – je pense à la question des prix et des revenus, que la loi Égalim n’a pas résolue, et à la crise profonde dans laquelle la viticulture est en train de s’enfoncer –, le Sénat, par le moyen de propositions de résolution européenne communes aux commissions des affaires européennes et des affaires économiques, a fait des propositions au Gouvernement et à la Commission européenne sur le budget et les règles de la prochaine PAC.

Le cadre financier pluriannuel de la nouvelle Commission européenne va se traduire par des diminutions budgétaires très sensibles pour les aides directes : de l’ordre de 15 % pour le premier pilier et de 25 % pour le développement territorial, qui comprend les aides à l’installation, à la conversion au bio et l’accompagnement des territoires ruraux.

Par ailleurs, la nouvelle gouvernance de la PAC nécessitera que les États membres présentent à la Commission leur plan stratégique.

Ma question est simple, monsieur le ministre : sur quels principes ou dispositifs allez-vous construire le plan stratégique agricole de la France afin d’améliorer le niveau et la stabilité du revenu des agriculteurs et de renforcer la compétitivité des entreprises agroalimentaires, de mettre en œuvre les 40 % des budgets du P1 et du P2 qui devront être consacrés aux problématiques environnementales et climatiques – je pense notamment au Green New Deal de Mme von der Leyen – et pour soutenir le niveau du marché du bio, qui s’accroît en volume mais qui baissera inéluctablement en valeur, donc en termes de revenus pour les producteurs ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Montaugé, arrêtez de dire que le budget de la PAC va baisser de 15 % pour le premier pilier et de 25 % pour le deuxième pilier, à moins que vous ne soyez le porte-parole de la Commission ! C’est ce que veut la Commission, mais, nous, nous n’y sommes pas favorables, et ça n’arrivera pas !

Comme je l’ai déjà dit, nous sommes désormais à 375 milliards d’euros après les négociations bilatérales menées cette semaine. Nous ne sommes donc déjà plus à moins 15 % et à moins 25 %. Notre objectif est d’arriver à zéro en budget exécuté – nous l’avons obtenu – comme en budget programmé.

Avec Renaud Muselier, président de Régions de France, nous coprésidons l’élaboration du plan stratégique national pour la future PAC. Nous avons rédigé un document de base d’environ deux cents pages auquel ont travaillé l’ensemble des acteurs. Nous allons poursuivre dans cette direction, afin, notamment, de préserver les ICHN – je l’ai dit dans ma réponse à M. Duplomb –, qui sont absolument indispensables pour certaines régions, ainsi que les aides couplées, comme la prime à la vache allaitante, qui visent des secteurs en difficulté.

Notre plan stratégique national s’appuiera sur le cadre de la politique agricole commune nationale et intégrera les nécessaires flexibilités et sensibilités régionales. Nous allons travailler sur les zones intermédiaires, grandes absentes de la précédente PAC ; nous voulons aussi consacrer une partie des moyens du deuxième pilier à l’aide à l’installation.

Monsieur Duplomb, vous m’avez interrogé sur l’assurance. Or vous connaissez ma position : nous allons lancer une assurance généralisée et mutualisée pour l’ensemble des filières pour répondre aux aléas climatiques. Nous avons l’intention de mobiliser les fonds du deuxième pilier pour la mettre en place.

Monsieur Montaugé, rassurez-vous, la PAC ne baissera pas de 15 % !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, avec l’ensemble des viticulteurs de mon département du Gers, je souhaite que vous preniez la mesure des difficultés auxquelles ces viticulteurs sont confrontés malgré les efforts considérables qu’ils font pour répondre aux marchés nationaux comme lointains – je pense notamment aux labels HVE 3 et aux conversions au bio.

Ne laissons pas cette filière, qui est l’un des fleurons de notre agriculture et de notre commerce extérieur, sans accompagnement immédiat. Réagissons sans attendre, en activant peut-être la réserve de crise européenne.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Nous connaissons bien les grandes mutations qui ont affecté l’agriculture française depuis la guerre et leurs conséquences. Parmi celles-ci, je souhaite évoquer la question de l’emploi agricole.

Aujourd’hui, devenir agriculteur n’est plus nécessairement une destinée. En outre, dans une France désormais largement urbaine, la vocation aux métiers agricoles n’est plus évidente, et ce d’autant moins qu’ils véhiculent une image de pénibilité et de faibles rémunérations, liée aussi à un agribashing dévastateur. Notre agriculture ne fait pas rêver nos jeunes, sans parler des suicides qui l’endeuillent chaque jour.

Aussi, si nous voulons porter une ambition forte pour notre agriculture, n’oublions pas l’essentiel : pourvoir le secteur en main-d’œuvre. Notre agriculture a besoin d’une main-d’œuvre adaptée aux nouveaux enjeux, en particulier ceux qui sont liés à l’innovation, à l’agroécologie, à la polyactivité, à l’évolution du cadre juridique de l’exploitation, à l’essor numérique ou simplement à la conduite d’engins agricoles.

Quel soutien public faut-il aujourd’hui pour que les exploitants ne se retrouvent pas confrontés à une pénurie de main-d’œuvre ? Près de 70 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues. Dans ces conditions, il faut nous interroger sur nos politiques publiques.

Je mesure régulièrement cette faiblesse sur le terrain : alors que la question du chômage est particulièrement prégnante au cœur de nos territoires ruraux, les agriculteurs doivent de plus en plus souvent recourir à de la main-d’œuvre étrangère organisée, avec tout ce qu’elle suppose de précarité pour les salariés étrangers. C’est désolant !

Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les actions concrètes que pourrait prendre le Gouvernement pour réconcilier au plus vite l’offre et la demande d’emploi dans l’agriculture et redorer son image. L’agriculture a besoin d’agriculteurs – de bras, oserai-je dire. J’attends vos réponses sur le volet de l’emploi, essentiel à la survie de l’agriculture française.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Cabanel, je vous répondrai en trois points.

Premier point : le Gouvernement a réformé l’assurance chômage afin d’inciter davantage les gens à travailler plutôt qu’à ne pas travailler pour percevoir une rémunération. Je ne sais pas si vous étiez d’accord avec cette réforme, mais elle vient d’être mise en place, elle est en train de porter ses fruits et pourrait contribuer à améliorer les difficultés que vous pointez.

Deuxième point : le TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi). Je sais que ce dispositif vous tient à cœur. Dès ma prise de fonction, j’ai souhaité qu’il soit maintenu ; nous le pérenniserons dans la prochaine loi de finances. Sans ce dispositif, certaines exploitations viticoles telles que la vôtre, qui ont des besoins importants de main-d’œuvre saisonnière, ne pourraient pas faire face aux charges liées aux rémunérations et, donc, à la concurrence. Le maintien du TO-DE est donc très important

Troisième point – nous pouvons en être fiers – : la formation. Depuis dix ans, nos lycées agricoles se vidaient. Ils ne tenaient que par les sections générales. Quand je suis arrivé au ministère, on estimait que la fermeture de dix à quinze lycées d’enseignement technique agricole était nécessaire. Or l’enseignement agricole est une pépite.

Nous avons lancé une grande campagne appelée « L’Aventure du vivant ». Nous avons demandé à M. Blanquer que la direction de l’enseignement scolaire mette les enseignements techniques agricoles au cœur du forum des métiers, au cœur des conseils d’administration, au cœur des orientations, ce qui ne se faisait absolument pas.

Nous sommes passés d’une dégradation du nombre d’élèves de plusieurs milliers par an à une hausse de 750 cette année. Nous avons inversé la courbe. Nous constatons que les sections d’enseignement technique agricole les plus chargées sont les sections d’élevage, secteur où on vit le moins bien, ce qui montre que la volonté d’équilibrer la relation travail-chômage, la pérennisation des TO-DE et l’accent mis sur la formation devraient permettre de faire de ce beau métier un primo choix.