M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant la crise sanitaire, la précarité étudiante était déjà une réalité. Près d’un étudiant sur deux travaillait pour financer ses études et subvenir à ses besoins. L’accès au logement, aux soins et à une alimentation saine constituait un défi quotidien pour bon nombre de nos étudiants.

L’action gouvernementale reposait alors sur trois leviers complémentaires : l’augmentation des bourses sur critères sociaux, la construction de nouveaux logements universitaires et la mobilisation d’aides pour les situations d’urgence.

Depuis le 14 mars 2020, la décision du Gouvernement de fermer les établissements d’enseignement supérieur pour protéger la population du covid-19 a changé la donne. Depuis lors, les situations de précarité que nous connaissions avant la crise s’aggravent et se multiplient. La moitié des étudiants qui travaillaient pour vivre ont perdu leur emploi. À cela s’ajoute la détresse psychologique liée à l’isolement social d’une grande partie de notre jeunesse. L’étude menée à ce sujet par l’Observatoire national de la vie étudiante en dit long : 31 % des étudiants interrogés ont connu une détresse psychologique lors du confinement.

S’y ajoutent aussi les incertitudes qui pèsent sur l’avenir des futurs diplômés. L’accès aux stages, dans un tel contexte de crise sanitaire et économique, est fortement menacé. La constitution des futurs réseaux professionnels l’est tout autant. Nous connaissons des risques accrus de décrochage scolaire, notamment en première année de licence.

Tout n’est pas perdu : l’apprentissage a connu un engouement inédit l’année dernière, malgré la crise, avec la signature de 500 000 contrats. Le plan de soutien à l’apprentissage du Gouvernement y est pour beaucoup. Notre groupe est très favorable à la prolongation de ce dispositif qu’a annoncée la ministre du travail, Mme Élisabeth Borne.

Les mesures palliatives prises par le Gouvernement constituent des gestes plus ou moins importants : les repas à 1 euro pour tous, l’accès au soutien psychologique et, surtout, le retour progressif aux cours en présentiel, puisque c’est bien le véritable sujet, madame la ministre.

Les étudiants demandent à étudier dans de bonnes conditions, à retrouver le lien avec leur université, leurs professeurs, leurs camarades. L’émulation qui se rencontre au sein des campus est irremplaçable. À cet égard, je partage l’avis du professeur Delfraissy : le retour en cours des étudiants est une question de santé publique.

Nous devons aussi veiller à la bonne lisibilité de l’action publique et, pour cela, assurer une cohérence entre les différentes décisions. Mes collègues ont déjà posé cette question : comment justifier la fermeture des universités, par prudence, alors que les classes préparatoires et les classes de BTS restent ouvertes ? Les étudiants demandent que leur avenir ne soit pas sacrifié ; ils demandent surtout à être écoutés et pris en considération.

À la fin du mois de janvier dernier, le Président de la République a annoncé une reprise partielle des cours en présentiel. Nous devons favoriser la souplesse des dispositifs. De nombreux étudiants ne pourront pas revenir étudier en présentiel un jour par semaine, faute de logement.

Alors, faisons confiance aux jeunes qui sont l’avenir de notre pays ! Ne les infantilisons pas, ne condamnons pas leur avenir ! Des milliers de jeunes enfants sont actuellement regroupés en classe maternelle ou en école élémentaire ; ils partagent la même table de restauration collective, sans masque. Les jeunes adultes qui peuplent nos campus universitaires et nos grandes écoles sont, à mon sens, capables d’être responsables et de respecter les gestes barrières. Si le risque n’est pas dans les amphithéâtres, où les étudiants seront masqués et distanciés, pourquoi ne pas limiter l’accès des restaurants universitaires aux repas à emporter ?

Ce sont des centaines de milliers de jeunes qui baissent les bras et risquent d’abandonner leurs études. Nous devons trouver des solutions à court terme et à long terme pour faciliter la résilience de la jeunesse et éviter qu’elle ne paie, sous une autre forme, un lourd tribut à l’épidémie. N’oublions pas qu’elle est la richesse de la France de demain !

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Monique de Marco vous a présenté, dans sa globalité, l’analyse et le regard des écologistes sur la crise majeure qui bouleverse le monde étudiant de notre pays.

Pour ma part, je m’attarderai sur un point particulier qui me semble essentiel : la santé mentale des étudiants.

La détresse psychologique des étudiants a été une dimension sous-estimée de la crise que traverse la jeunesse. De récentes tentatives de suicide ont jeté une lumière crue sur la détresse qui frappe de nombreux étudiants et étudiantes.

On le sait, la série de restrictions que nous impose la crise sanitaire frappe durement la jeunesse : absence de vie sociale, arrêt des cours en présentiel, cantonnement des étudiants dans leurs logements parfois vétustes, impossibilité de mener d’autres activités ou de travailler, autant de difficultés qui viennent sérieusement amplifier les problématiques de santé mentale.

Reste que tout mettre sur le dos du covid-19 serait se voiler la face ! Nous sommes en fait devant une réalité qui dure depuis des années.

En réalité, les universités publiques manquent tellement de moyens et de personnel que parler de délabrement n’est parfois plus qu’un euphémisme.

En réalité, la jeunesse compte plus d’un million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

En réalité, une génération entière voit ses perspectives disparaître à l’ombre des crises économiques, sociales et, bien sûr, climatiques.

Il nous faut répondre à toutes ces réalités, aujourd’hui, mais aussi sur le long terme.

Il faut y répondre, tout d’abord, avec des solutions matérielles à fournir d’urgence aux étudiants, en revalorisant les bourses et en engageant la création d’une allocation minimale étudiante.

Il faut y répondre, ensuite, avec une réflexion sur la présence des étudiants en cours. Il y a un an, il était tout à fait nécessaire de prendre des règles de confinement d’urgence. Tous les campus ont été fermés, comme le reste du pays. Un an plus tard, il est temps de travailler à des protocoles sanitaires de crise adaptés, à des protocoles pensés en fonction des campus, des universités et de leurs capacités, et non plus fixés uniformément pour toute la France, à des protocoles qui doivent permettre le retour d’étudiantes et étudiants en présentiel, même partiellement.

Trouvons enfin des solutions, maintenant, pour celles et ceux qui sont en détresse psychique, pour celles et ceux qui ne peuvent plus continuer leur vie comme avant !

Les conséquences du 100 % distanciel sur l’état psychologique des étudiants ont été largement sous-estimées. Il faut de l’accompagnement humain.

Or, dans ce domaine, la France est en queue de classement par rapport aux autres pays développés, et de très loin ! À la fin de l’année dernière, notre pays comptait 1 psychologue universitaire pour 30 000 étudiants, contre 1 pour 7 300 en Autriche, 1 pour 4 000 en Australie, 1 pour 2 600 en Irlande, 1 pour 1 600 aux États-Unis. La Charte de l’accréditation internationale des services de santé mentale universitaire recommande de viser un taux de 1 psychologue pour 1 000 à 1 500 étudiants.

Si aucun pays n’atteint à ce jour ce chiffre ambitieux, force est de constater que la France en est loin, très loin. En janvier dernier, le Gouvernement a annoncé vouloir doubler ce chiffre, en recrutant 80 psychologues universitaires, portant ainsi le ratio à 1 psychologue pour 15 000 étudiants.

Cet effort doit être salué, bien sûr, mais comme de nombreuses réformes entreprises par ce gouvernement en direction de la jeunesse, nous avons un souci d’échelle. Ainsi, la création d’un « chèque psy » s’inscrit dans cette même démarche. Ce chèque, qui porte mal son nom puisqu’il s’agit en réalité de séances gratuites, permettra aux étudiants de bénéficier de trois rendez-vous chez un psychologue. Mais comment satisfaire cet objectif louable alors que notre pays est si dramatiquement sous-doté en termes de personnel qualifié ?

Afin de commencer à avoir un accompagnement correct dans tous les services universitaires, encore nous faudrait-il atteindre le ratio de 1 psychologue pour 4 000 étudiants, ce qui implique le recrutement de 520 psychologues. Nous en sommes loin !

Il s’agit non pas d’appeler à une dépense inconsidérée ni de céder à un caprice électoraliste, mais, au contraire, de répondre à l’urgence réelle et terrifiante des files d’attente qui s’allongent devant les bureaux des psychologues universitaires, et à celle des 22 % d’étudiants qui ont eu des pensées suicidaires. Il s’agit d’investir d’urgence dans l’avenir de notre jeunesse !

Cette dernière est bord du gouffre, madame la ministre : cessez alors la politique des petits pas, des aides ponctuelles insuffisantes et trop ciblées, et engagez, dès maintenant, un plan massif de l’État pour aider toute une génération à maintenir la tête hors de l’eau !

Investissez dans les campus afin de permettre le retour des étudiants en présentiel, investissez dans les aides matérielles et financières indispensables à la poursuite des études, investissez dans la création de postes de psychologues !

Regardez enfin la jeunesse en face, permettez-lui d’envisager son avenir avec espoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation de la jeunesse est inquiétante dans notre pays en cette crise du covid-19 ; nous en faisons tous le constat. La détresse exprimée est forte, nous avons tous été bouleversés et touchés par ces files d’attente s’allongeant devant les centres de distribution alimentaire, par les signaux envoyés et les tentatives de suicide, qui parfois ont malheureusement conduit à la mort de certains jeunes, comme cela s’est produit à Lyon.

En revanche, je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement n’a pas pris acte de tout cela. Au contraire, des mesures extrêmement puissantes et globales ont été prises. Elles reposent sur quatre piliers.

Le premier pilier est la lutte contre la précarité alimentaire, au titre de laquelle le Gouvernement a annoncé la possibilité pour tous les étudiants de prendre un repas à un euro deux fois par jour. C’est une mesure inédite et extrêmement importante !

Le deuxième pilier a trait au soutien psychologique, lequel s’est manifesté non seulement par l’attribution d’un « chèque psy », mais aussi par le recrutement de psychologues et de personnels pour accompagner les étudiants dans les universités.

Le troisième pilier consiste en l’attribution d’aides sociales, notamment de l’aide de 150 euros pour les étudiants boursiers, annoncée en novembre dernier. Je rappelle également qu’a été décidé le gel des loyers dans les résidences étudiantes, et des tarifs d’inscription.

Enfin, le quatrième pilier est le retour des étudiants en présentiel, le constat ayant été fait que l’enseignement à distance contribuait à la fragilité psychologique des jeunes, et qu’il était difficile de commencer une première ou une deuxième année sans avoir la possibilité de rencontrer en personne ses camarades et ses enseignants. Cette désocialisation pèse beaucoup sur le moral des étudiants, et donc sur leur capacité à se projeter et à réussir.

Le retour en présentiel doit, bien entendu, se faire de façon progressive, en fonction des lieux, et en tenant compte des spécificités de chaque établissement. Des protocoles clairs ont déjà été mis au point – encore faut-il les adapter !

Vous avez visité hier, madame la ministre, le restaurant universitaire Mabillon, à Paris ; vous avez pu vous rendre compte, en écoutant les étudiants de certaines universités et écoles, de la façon dont ils s’étaient adaptés à la situation.

Chaque établissement a décidé de mesures qui lui sont propres concernant le retour des étudiants dans les locaux. Ainsi, à l’École du Louvre, les travaux dirigés devant les œuvres, organisés dans les salles du musée auxquelles seuls les étudiants ont accès, se tiennent toujours afin d’assurer la poursuite du cursus en histoire de l’art.

Dans d’autres cas, le retour des étudiants en présentiel pour les travaux dirigés n’est pas permis, ou la réouverture graduelle des amphithéâtres est prévue… Quoi qu’il en soit, il est normal que le retour des étudiants se fasse de manière progressive.

La situation est assez paradoxale : d’un côté, certains médecins et spécialistes qui interviennent à la télévision poussent au reconfinement de la population, ou du moins s’interrogent sur l’utilité que cela présenterait, et de l’autre, s’exprime une demande de rouvrir tout, assez rapidement. Aussi, il est compliqué de devoir répondre en même temps au souhait manifesté d’un retour en présentiel, du jour au lendemain, des étudiants dans nos universités, alors que d’autres envisagent déjà une nouvelle mesure de confinement en mars prochain ! Je pense qu’il faut entendre ces paradoxes qui nous traversent – ce sont d’ailleurs ceux de la société…

Comment alors mieux accompagner les présidents et les services des universités, ainsi que les étudiants, afin d’organiser un retour en présentiel rapidement ?

Je rappelle que des étudiants suivent toujours des cours à distance, tandis que d’autres sont autorisés à y assister physiquement. C’est bien cette difficulté-là que doivent gérer nos universités ; c’est dans ce travail que nous devons les accompagner.

Au-delà de toute considération sur la crise sanitaire, les études sont fondamentales dans la vie ; c’est le moment où l’on apprend, et bien plus. Dans Les Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau écrivait : « La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer ». Je ne suis pas certain que la vieillesse soit toujours l’occasion de pratiquer la sagesse, mais en tout cas les études sont fondamentales pour construire sa vie, pour être, tout simplement.

Il y a lieu pour nous de savoir, non pas seulement de quelle manière les cours peuvent être organisés, mais comment permettre aux étudiants de se projeter. À cet égard, vous avez entendu, madame la ministre, les doutes exprimés par ces derniers sur leurs examens, sur la façon dont ils seront évalués compte tenu de critères inhabituels de notation, sur leur réussite…

Bref, tel est l’ensemble de questions auquel nous avons à faire face. Nous devons, au-delà de la crise, tirer des enseignements plus larges pour l’avenir, en conservant à l’esprit deux problématiques essentielles : celle du soutien psychologique aux étudiants, qui continuera de se poser, et celle du soutien social, lequel s’est déjà manifesté par l’attribution d’aides puissantes, mais dont l’organisation et la structuration à long terme restent à améliorer.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le lundi 1er février 2021, nous vous recevions, madame la ministre, sur le domaine universitaire de Bordeaux, pour vivre ensemble la rentrée d’une poignée d’étudiants qui faisaient leur retour sur un campus bien désert.

Ces initiatives sont encourageantes ; elles sont importantes pour le moral de certains jeunes, mais tous ne peuvent y accéder. En effet, beaucoup de jeunes, malgré l’aide de leur famille, n’ont pas eu les moyens de continuer à louer un appartement et assumer le coût de la vie dans nos grandes villes, ce dès le mois de décembre.

Un retour obligatoire en présentiel doit être organisé à l’avance, pour ne pas créer de nouvelles difficultés. L’année universitaire étant désormais sérieusement avancée, il serait raisonnable de donner des perspectives claires à nos étudiants. Il conviendrait surtout que vous leur annonciez que c’est avec eux que vous allez construire les conditions de leur retour. Avec eux, parce que nos jeunes font preuve de responsabilité ; ils n’ont jamais été aussi conscients de la gravité de la situation, aussi respectueux des règles établies, aussi volontaires dans l’effort.

Mais ils n’ont jamais été aussi mal… Ils ne se sont jamais sentis aussi exclus – même s’ils ne le sont pas sciemment –, oubliés et marginalisés dans le projet de société qui est le nôtre. Mais quel est donc ce projet, et que devient-il face aux épreuves que nous traversons ?

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres, sans esprit de polémique ni volonté de minimiser les enjeux sanitaires, notamment en ce qui concerne la capacité d’accueil de nos services de réanimation. Depuis un an, 64 décès dus à la covid-19 ont été constatés chez les adultes de 18 ans à 44 ans, alors que l’âge médian des décès est évalué à 85 ans.

Ce sont autant de réalités qui doivent nous faire prendre conscience que nous ne pouvons pas mettre notre jeunesse sous cloche une année de plus – nous ne pourrons pas le justifier, nous le pourrons plus !

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Nathalie Delattre. C’est le prix de notre responsabilité vis-à-vis d’une classe d’âge qui se morfond. Madame la ministre, vous disiez à ces jeunes qu’ils pourraient raconter, dans quelques années, qu’ils ont participé à un effort nécessaire pour le pays, et vous aviez raison.

Nous leur en sommes bien sûr reconnaissants, mais au prix de quels renoncements ? Celui de voir notre jeunesse inemployée, paupérisée, isolée et dépressive ! Nous sommes à la limite de créer les conditions d’un affaiblissement durable de notre nation, en effritant la résilience de ce qui fait son corps social, à savoir l’énergie jusqu’alors inébranlable des hommes et des femmes qui nous entourent, leur capacité à affronter le réel, à surmonter les crises, à prendre conscience que les pandémies et les guerres existent, et que ce n’est pas encore la fin de l’histoire.

Nos jeunes ne disposeront pas de ces clefs si nous les laissons durablement dans l’éther d’un monde figé face au risque. La plus grande preuve d’amour que nous puissions leur donner est de leur permettre de « revenir du familier à l’étrange et, dans l’étrange, affronter le réel », comme l’écrivait Paul Valéry.

Car, en attendant, leur réel est moins l’exposition au virus que l’isolement, la désolation et la rupture. L’accompagnement psychologique que nous avons vu s’exercer à Bordeaux, lors de votre venue, est indispensable. Le modèle des « sentinelles », ces jeunes qui sont formés pour accompagner les autres en détectant les signes pathologiques faibles, est un bon modèle, quoique insuffisant à ce stade.

Vous engagez-vous à renforcer partout en France l’accompagnement psychologique ? L’accompagnement, même à Bordeaux, où l’un des plus grands campus de France ne dispose que d’une seule psychologue, est notoirement insuffisant !

Enfin, notre jeunesse est paupérisée. Toutes celles et tous ceux qui avaient un job étudiant en plus de leurs études se trouvent pénalisés par la fermeture de nombreux établissements et l’annulation d’événements. Aussi, je tiens à saluer les initiatives locales prises par les municipalités, les universités, les Crous et les banques alimentaires, ainsi que par tant de bénévoles des associations !

Pourquoi ne pas imaginer la création d’un chèque « jeune covid-19 » pour récompenser – un peu plus que symboliquement ! – nos jeunes, compte tenu des efforts consentis au bénéfice de leurs aînés ? Nous pouvons être fiers de cette jeunesse, qui continue à faire bloc avec tant de courage, et la gratifier. Ce serait le moyen de ne pas creuser un fossé entre nos enfants et nos parents ; c’est un mécanisme de solidarité nationale que nous leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, samedi dernier, à Bagneux, je participais à une collecte alimentaire au profit des étudiants de cette commune populaire de mon département. Des personnes aux revenus très modestes donnaient ce qu’elles pouvaient, émues par les images de ces longues files d’étudiants attendant une pitance devenue leur seul repas quotidien.

La solidarité est souvent exercée par les pauvres pour les plus pauvres qu’eux. Je garde en mémoire l’image de cette femme au panier de courses à peine rempli, offrant un paquet de pâtes, en me demandant comment il était possible que, dans notre pays, une personne accédant à l’université puisse souffrir de la faim.

En 2019, par la loi de finances rectificative, votre gouvernement avait supprimé 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, ce sont 100 millions d’euros de crédits votés par le Parlement qui n’ont finalement pas été affectés à la vie étudiante, toujours par ce gouvernement.

J’avais, l’an passé, à l’occasion de la discussion des quatre projets de loi de finances rectificative, déposé des amendements visant à apporter aux universités et aux Crous des moyens d’urgence leur permettant d’aider rapidement les étudiants. Par la voix de M. Darmanin, alors ministre de l’action et des comptes publics, le Gouvernement m’avait expliqué que des crédits budgétaires supplémentaires n’étaient pas nécessaires. La politique du « quoi qu’il en coûte » a ignoré les campus et la détresse estudiantine.

Cet automne, nous avons discuté d’une loi de programmation de la recherche, qui nous a été présentée par le Gouvernement comme le plus gros effort budgétaire depuis la Libération. L’université n’a bénéficié dans ce cadre d’aucune aide budgétaire supplémentaire, comme si les étudiants d’aujourd’hui n’étaient pas les chercheurs de demain…

J’entends en ce moment les déclarations compassionnelles du Gouvernement, qui s’alarme du mal-vivre des étudiants. La pandémie n’en est pas l’unique cause : dans les universités, comme à l’hôpital, la crise sanitaire est révélatrice d’une situation de sous-investissement chronique, qui a fragilisé tout le service public de l’enseignement supérieur.

Certes, l’état de carence de l’université n’est pas imputable à votre seul gouvernement. Cela fait une vingtaine d’années que l’État n’investit plus dans l’enseignement supérieur, et que l’université est soumise aux ciseaux malthusiens d’une hausse continue du nombre d’étudiants et d’une stagnation de ses budgets. Le budget moyen alloué à chaque étudiant ne cesse de baisser depuis dix ans ; cette année, il devrait même passer sous le seuil symbolique des 10 000 euros. En revanche, le budget moyen consacré aux étudiants des classes préparatoires n’a cessé d’augmenter, atteignant bientôt 16 000 euros per capita. Voilà votre choix politique !

Cela fera bientôt quatre ans que votre gouvernement gère, avec tous les pouvoirs, les affaires de notre pays : l’heure des bilans est donc venue. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la politique menée par votre ministère ne se distingue en rien de celle menée par tous ceux qui vous ont précédée. Elle n’a fait qu’accompagner un progressif, mais irrépressible, désengagement de l’État.

L’université n’a pas été une priorité politique de votre gouvernement !

Les premières victimes de ce sous-investissement chronique sont les étudiants. Avant la crise, leur situation matérielle ne leur permettait pas de poursuivre leur cursus dans de bonnes conditions pédagogiques ; avec la crise, ils souffrent d’une paupérisation dramatique, qui s’ajoute à l’isolement, à la privation de vie sociale, à l’absence de toute perspective, avec une inquiétude grandissante sur la valeur qui sera attribuée à leur diplôme.

Avant la crise, 40 % des étudiants travaillaient pour financer leurs études ; avec la crise, près de 60 % d’entre eux ont été privés de toute activité salariale. Le Président de la République a affirmé qu’un étudiant devait avoir les mêmes droits qu’un salarié. Pourquoi ne profitent-ils donc pas des mesures de chômage partiel pour toutes ces activités salariées qui les faisaient vivre et qu’ils ne peuvent plus exercer ?

Les étudiants n’en peuvent plus de souffrir de la faim, de la réclusion, du sentiment d’abandon, de la privation de tout ce qui faisait le bonheur d’être jeune, et plus encore de cette impression terrible que votre gouvernement n’a pour eux aucun projet d’avenir !

J’emprunte ma conclusion à un étudiant qui livrait son désespoir au journal La Croix

M. Loïc Hervé. Bonne référence !

M. Pierre Ouzoulias. Je le lis tous les matins ! (Sourires.)

Cet étudiant disait : « La vraie honte, c’est de voir tant d’étudiants peinant à se nourrir, alors qu’en se formant, ils créent la richesse de demain. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « on veut un amphi, pas un psy ! » : tel est le cri des étudiants français en ce début d’année 2021, après un an de fonctionnement des universités sur un mode très dégradé. C’est en échangeant avec des étudiants, en écoutant leurs témoignages, que cette phrase a retenu toute mon attention, et a pris tout son sens.

Il y a un mois environ, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous interrogeais, madame la ministre, sur la détresse des étudiants, après que plusieurs d’entre eux ont tenté de mettre fin à leurs jours par des gestes désespérés. Vous m’aviez alors répondu que les universités n’étaient pas fermées ! Je dois reconnaître que vous aviez raison… Mais comme tout est affaire de détail, s’il est vrai que les universités n’étaient pas fermées, il n’y avait cependant quasiment pas de cours !

Certains étudiants parlent de « génération sacrifiée ». C’est une expression peut-être un peu forte, mais nous pouvons assurément parler de « génération distancielle », qui subit aujourd’hui les « 3 D » – à ne pas confondre avec un texte de loi que nous attendons de pied ferme –, à savoir : décrochage, détresse et désenchantement.

Décrochage, d’abord : au bout d’un an, l’apprentissage à distance n’est plus supportable pour de très nombreux étudiants. Certains abandonnent leur cursus universitaire. Je parle là, non pas seulement des étudiants de première année, mais aussi des étudiants de master, qui décrochent à leur tour…

En effet, comment apprendre dans de bonnes conditions lors d’une séance de travaux dirigés quand elle est suivie par 200 étudiants en visioconférence ? Comment bien apprendre lorsque des problèmes récurrents de connexion interrompent les travaux dirigés ou le cours ?

Détresse, ensuite : les étudiants se trouvent dans une grande détresse psychologique, car c’est toute leur vie sociale qui est devenue fantomatique, alors même qu’elle est importante dans la construction personnelle.

Les étudiants endurent également une détresse financière, car il n’y a plus de jobs étudiants, de petits boulots. Or environ 20 % des étudiants travaillent en temps normal pour financer leurs études ou compléter leurs revenus.

Le Président de la République a annoncé, il y a peu, le repas à un euro pour tous les étudiants ; nous ne pouvons que nous en féliciter ! Mais vous le savez bien, madame la ministre, tous les étudiants ne vivent pas à proximité d’un restaurant universitaire du Crous. Pourquoi ne pas avoir plutôt retenu cette proposition intéressante du syndicat étudiant Union nationale interuniversitaire (UNI) visant à mettre en place un ticket-restaurant étudiant ? C’est une idée novatrice, particulièrement adaptée aux réalités du moment, qui profiterait à tous les étudiants !

Enfin, désenchantement : beaucoup d’étudiants se posent la question du devenir de leurs diplômes et de leur valeur réelle. Pour y remédier, certaines universités ont fait le choix d’apposer à certains diplômes la mention « examens en présentiel ». Mais c’est une réelle disparité entre les universités pour un même diplôme qui se crée là ! Le désenchantement est d’autant plus grand que les étudiants en master vont entrer sur un marché du travail en crise, où la perspective d’une évolution sociale permise par l’accomplissement d’études supérieures s’amenuise.

Telles sont pour partie les problématiques étudiantes. Si nous ne voulons pas que l’expression de « génération sacrifiée » devienne la triste réalité, il nous faut agir vite et fort, madame la ministre, les mesures actuelles ne suffisant pas, ou du moins ne suffisant plus !

Je salue à cette occasion la décision du président de la commission de la culture, Laurent Lafon, de créer une mission d’information relative aux conditions de la vie étudiante en France. Nous en attendons beaucoup et resterons vigilants ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)