M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot. Ils s’appellent Pascal, Sébastien, Joël, Claude, Françoise, Muriel. Ils sont agricultrices et agriculteurs de nos zones de montagne du sud du Massif central et lancent aujourd’hui un véritable cri d’angoisse et de désespérance face à la situation sans précédent qu’ils vivent.

Ils étaient 105 000 agriculteurs en zone de montagne en 1995, puis 75 000 en 2005 et moins de 70 000 aujourd’hui. Cette situation de déprise est difficile et injuste, car l’agriculture de montagne et d’élevage est plus respectueuse de l’environnement : grâce à une moindre densité, elle produit souvent des produits de qualité.

Pourtant, lundi dernier, au marché de Valence-d’Albigeois, les veaux se sont vendus au même prix qu’il y a trente ans. C’est inacceptable ! Face à cette situation, les attentes de nos agriculteurs et de nos éleveurs sont particulièrement fortes.

Il faut maintenir l’ICHN et prévoir des mesures d’accompagnement permettant de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et de stopper cette véritable hémorragie.

Pouvez-vous nous rassurer, monsieur le ministre, sur les perspectives à moyen terme de cette agriculture ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Je vous remercie, monsieur le sénateur, pour l’hommage que vous avez rendu à nos éleveurs : ils contribuent à la souveraineté alimentaire de notre pays et forgent l’identité de beaucoup de nos territoires qui, additionnés, dessinent la physionomie de notre beau pays.

S’agissant de la rémunération, je ne reviendrai pas sur l’ICHN. Gardons juste en mémoire que, pour maintenir l’ensemble des éléments du second pilier, il faudrait que le budget national complète la solidarité européenne au titre de la PAC à hauteur de 140 millions d’euros par an pendant cinq ans, soit 700 millions d’euros. Maintenir ainsi l’intégralité du second pilier, qui se compose de l’ICHN, des MAEC, des aides au bio et de l’assurance récolte, témoignerait du choix stratégique de l’État d’accompagner fortement notre agriculture.

Sur les aides couplées, beaucoup a été dit. Ma conviction, assez largement partagée, est qu’il est pertinent de passer au modèle de l’unité de gros bétail (UGB). Toutefois, le diable se cache dans les détails, et il reste encore beaucoup de paramètres à définir. D’importants travaux sont en cours à ce sujet.

Le troisième élément concerne bien évidemment l’installation des jeunes agriculteurs. Celle-ci peut relever du premier ou du second pilier, et, dans ce dernier cas, elle sera désormais de la compétence des régions. Il est important que vous l’ayez en tête, car cela fera aussi partie des discussions à mener avec les régions sur la dotation jeune agriculteur (DJA).

Enfin, la question de la rémunération, notamment sur les marchés, relève de tous les travaux que nous avons entrepris en remettant sur le métier la loi Égalim, avec notamment cette fameuse proposition de loi Besson-Moreau, dite Égalim 2, dont nous aurons, je l’espère, l’occasion de discuter très rapidement au Sénat.

La loi Égalim était une avancée, mais la loi Égalim 2 doit aller au bout de la logique pour améliorer, enfin, la rétribution dans les cours de ferme.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour la réplique.

M. Philippe Folliot. Vous nous communiquez un élément particulièrement important, monsieur le ministre. Sachez toutefois que ce cri du cœur des agriculteurs est vraiment un cri de désespérance.

Tout se tient en effet dans nos secteurs de montagne et de ruralité. Lorsqu’il n’y a plus ni élevage ni agriculture, le reste s’effondre : emplois induits, services publics…

Or, pour des raisons physiques, nous n’avons à ce jour pas d’autres choix que l’élevage dans nos secteurs de montagne. Il est donc essentiel que nous soyons soutenus et appuyés dans le cadre d’une juste compensation des handicaps naturels. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le ministre, vous nous disiez, ici même, le 7 avril dernier, que le soutien à une agriculture de territoire de montagne avec une meilleure prise en compte des spécificités et le maintien de l’ICHN était l’une des priorités de la nouvelle PAC.

Élu d’un territoire de montagne, je ne peux que souscrire à cette volonté, qui permet de maintenir un maillage d’actifs agricoles et une présence humaine dans ces territoires. C’est le plus sûr moyen d’empêcher l’abandon des terres et leurs conséquences négatives en termes de paysage, de biodiversité et de développement, notamment touristique.

La PAC 2023-2029 introduira une innovation en termes de gouvernance, à travers les PSN, qui renvoient à chaque État membre le soin de définir les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle nationale. Vous aurez donc, monsieur le ministre, à décider du soutien que vous accorderez à l’agriculture de montagne.

Bruxelles a d’ores et déjà annoncé une baisse de 10 % de l’enveloppe pour l’ICHN. L’État français abondera-t-il de 10 % l’enveloppe consacrée à l’ICHN pour compenser la baisse européenne annoncée ? J’ai entendu que vous vous engagiez à hauteur de 140 millions d’euros par an. J’espère que cette promesse sera tenue !

Pouvez-vous aussi nous confirmer que les surcoûts des exploitations de montagne liés aux handicaps naturels continueront d’être compensés au moins à leur niveau actuel, au travers d’une ICHN forte qui ne subira pas de baisse ? Et qu’en est-il de possibles extensions à certaines productions végétales ?

Enfin, monsieur le ministre, si nous appelons de nos vœux une meilleure gestion et prise en charge des risques climatiques, il ne faudrait pas non plus que de nouvelles mesures viennent diminuer les aides existantes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur, j’ai déjà eu l’occasion de répondre à plusieurs reprises sur le volet ICHN. Aujourd’hui, nous sommes en train de finaliser la recherche du meilleur équilibre.

Il me semble que nous pouvons collectivement nous satisfaire de la négociation budgétaire : c’est véritablement grâce à la France, et singulièrement au Président de la République, que nous avons réussi à maintenir des budgets conséquents.

Mais, encore une fois, si nous voulons maintenir toutes les ambitions du second pilier, il faut l’abonder par des crédits nationaux à hauteur de 140 millions d’euros par an. Sauf à opérer des transferts du premier vers le second pilier – mais cela aurait alors des conséquences très importantes sur un grand nombre de cultures présentes sur le territoire représenté par votre voisin… (Sourires.) –, cet abondement est nécessaire. Nous sommes en train de discuter de ces différents éléments, mais ma vision est très claire, et je me battrai pour la faire prévaloir : il s’agit d’allier une PAC à la fois compétitive, de production, à une PAC qui prenne aussi en compte les spécificités des territoires.

Enfin, pour reprendre les propos de certains de vos collègues, il ne me semble pas que le problème réside vraiment dans une opposition entre l’assurance récolte et les normes.

Mettons-nous à la place d’un jeune agriculteur. Comment pourra-t-il s’installer en ayant cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, à savoir le risque de perdre sa récolte une année sur deux, comme cela a malheureusement été le cas dernièrement avec le gel dans le territoire que vous représentez ? Si l’on ne prévoit pas de filet de sécurité, il sera très compliqué de convaincre la jeune génération de s’installer, alors que 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite dans les cinq à sept prochaines années.

Réussir à refonder le modèle de l’assurance récolte, c’est donc aussi une question de souveraineté. C’est un sacré chantier, mais on s’y attelle depuis des mois et j’espère bien le faire aboutir.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.

M. Jean-Jacques Michau. Ne sacrifiez pas l’agriculture de montagne, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Vivette Lopez. Monsieur le ministre, aux yeux des Français et des principaux concernés eux-mêmes, les agriculteurs, la PAC reste complexe, mal comprise. Pourtant, chacun s’accorde à dire combien elle est nécessaire pour répondre aux enjeux complémentaires et parfois contradictoires qui permettent d’assurer notre sécurité alimentaire, tout en renforçant les actions favorables à l’environnement mais aussi au tissu socioéconomique des zones rurales.

À cet égard, une évidence se fait jour : la France doit effectuer des propositions qui vont dans le sens de la simplification, en rendant la PAC plus accessible et plus lisible. Dans cette perspective, elle se doit de construire l’architecture des PSN autour de celui qui fait l’agriculture : l’agriculteur. Ce dernier doit être au centre de nos préoccupations pour redonner du bon sens aux politiques européennes.

L’agriculteur, qu’il soit entrepreneur ou paysan, est en effet un professionnel qui produit, et qui aménage le territoire avec des approches et des pratiques différentes. Il se doit d’être accompagné dans la réalité de son métier pour percevoir une juste rémunération. Il en va de la reconnaissance de la valeur travail comme du nécessaire renouvellement des générations.

Au regard de l’évolution du métier, du revenu, de la main-d’œuvre occupée sur l’exploitation et de l’objet social, au regard de ceux qui exercent non seulement une véritable activité agricole, mais aussi des activités non agricoles en dehors de leur exploitation, au regard des spécificités des surfaces et des territoires – je pense là aux zones de châtaigneraies, de chênaies, ou encore aux zones humides de Camargue, dans le département du Gard, qui sont encore soumises à dérogation –, pourrions-nous définir, afin de le protéger, un statut de l’agriculteur ?

Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre, pour porter l’exigence de cette clarification et intégrer cette question dans les prochaines échéances ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, vous évoquez un sujet très important, dont la spécificité est double. Ce n’est pas votre cas, mais on a parfois tendance dans les débats à assimiler les actifs et les agriculteurs véritables, alors que ce sont deux sujets très différents.

La question des actifs est un premier sujet au niveau européen. Aujourd’hui, les aides de la PAC sont fondées sur les hectares des exploitations, et non sur le nombre de personnes qui y travaillent. D’ailleurs, un de vos collègues se demandait précédemment s’il ne fallait pas revenir sur un système « à l’actif », plutôt qu’à l’hectare.

Soyons très clairs : si nous faisions cela, la France y perdrait beaucoup. En effet, toutes choses égales par ailleurs, il y a davantage d’actifs dans certains pays de l’Union européenne qu’en France, et des niveaux de salaires qui ne sont pas comparables. Si la répartition des aides se faisait sur le nombre d’actifs, la somme totale dont la France bénéficierait au titre de la PAC serait bien inférieure à celle dont elle dispose aujourd’hui, notamment parce qu’on ne s’est jamais entendu au niveau européen sur la définition de l’actif.

Je comprends que certains veuillent avancer sur ce sujet, mais si c’est pour réduire l’enveloppe globale que la France perçoit de la PAC, personne n’y a intérêt. Nous devons donc avancer au niveau européen sur cette définition de l’actif, en tenant compte des spécificités des uns et des autres.

Le deuxième sujet, porté notamment par les jeunes agriculteurs, concerne l’agriculteur véritable. Je suis prêt à travailler sur cette question, une fois que nous nous serons entendus sur les répartitions, notamment pour éviter les cas que vous soulevez dans votre question, madame la sénatrice. Nous aurons d’ailleurs un peu de temps pour le faire, puisque ce thème n’est pas à proprement parler inclus dans les maquettes financières.

M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour la réplique.

Mme Vivette Lopez. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre et, à l’instar de mon collègue Alain Marc, je vous renouvelle mon invitation à venir déguster les produits locaux de nos agriculteurs gardois !

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crises sanitaires et les dérèglements climatiques mettent en évidence la nécessité de repenser nos modèles économiques et de développement.

Construire des circuits courts, économes en énergie, de la production à l’assiette du consommateur, élaborer des process de qualité, entretenir et améliorer chaque jour le cadre naturel et environnemental, tels sont aujourd’hui les principaux axes de travail pour tous les États membres de l’Union européenne, à l’heure où nous discutons de la réforme de la politique agricole commune.

Le modèle d’exploitation agricole français s’est construit à partir d’unités de production de taille modeste, souvent familiales et transmises sur plusieurs générations. Alors que beaucoup jugeaient ce modèle dépassé au profit de plus grandes unités, il retrouve sa pertinence dans le cadre de la mutation nécessaire vers un véritable Green Deal.

Pourtant, ce modèle subit une érosion démographique très forte qui menace son existence même. La réforme de la PAC et le plan stratégique national, le PSN, qui l’accompagne nous semblent être l’occasion d’affirmer l’importance de ce modèle économique, qui a montré sa grande résilience. Nous souhaitons aujourd’hui nous assurer, monsieur le ministre, que telle est bien votre ambition.

Dans ce contexte, dans le dédale complexe de la PAC et du futur PSN, comment entendez-vous favoriser concrètement les exploitations petites et moyennes, ainsi que l’emploi en leur sein ?

Par quels mécanismes précis envisagez-vous de privilégier les aides à l’actif – j’ai entendu vos réticences sur ce point –, plutôt que la majoration des aides sur les premiers hectares, qui risque de pénaliser les zones intermédiaires ? Quel équilibre mettre en place pour favoriser les petites exploitations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, vous affirmez que le modèle français est fondé sur des exploitations petites et moyennes. Il est vrai que la taille des exploitations dans notre pays est souvent bien plus petite que chez nos partenaires européens, notamment en ce qui concerne l’élevage, qu’il soit bovin – allaitant ou laitier –, de volailles ou encore de truies. C’est encore plus vrai si nous procédons à des comparaisons internationales plus larges.

Pour autant, la réalité de la ferme France est nettement plus diverse en termes de taille d’exploitation. Nous en avons parlé tout à l’heure, cette diversité tient d’abord à nos territoires, qui sont eux-mêmes très divers : ils sont évidemment très différents, que nous nous situions en zone intermédiaire, en zone de montagne ou encore dans ma belle Normandie, que j’aime tant. C’est ce que l’on appelle le taux de chargement, c’est-à-dire le nombre d’animaux rapporté à la taille de l’exploitation.

Il n’existe donc pas un modèle unique en France, et ce serait une erreur de penser que nous devrions tendre vers un tel schéma. C’est aussi ce qui rend la recherche d’un équilibre si difficile.

En ce qui concerne les paiements redistributifs, je n’ai pas dit que j’y étais opposé ; j’ai simplement constaté que notre système est plus redistributif qu’en Allemagne : j’ai d’ailleurs vérifié ce point depuis nos échanges précédents et je puis vous indiquer que le taux de redistribution est de 10 % en France, contre 7 % en Allemagne.

Faut-il aller plus loin ? À cette question, je réponds que nous devons être prudents, parce que cela impliquerait une réduction significative de revenus pour certains exploitants.

Nous devons aussi trancher une autre question dans le cadre de la politique agricole commune : aujourd’hui, la taille moyenne des exploitations est de 63 hectares, et le paiement redistributif s’applique dans la limite de 52 hectares, ce qui est favorable aux exploitations de petite taille. Modifier ou non ce critère ne revient pas à toucher au taux global des paiements redistributifs, mais il nous faudra prendre une décision.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, je sais que les équilibres sont complexes et que les exploitations agricoles ont des tailles diverses.

Pour autant, nous avons absolument besoin d’une PAC sociale, pour soutenir les femmes et les hommes qui contribuent à nous fournir une alimentation de qualité et pour favoriser l’emploi et la création de valeur ajoutée.

Il faut aussi que la PAC soutienne notre souveraineté alimentaire, offre une plus grande attractivité aux territoires ruraux et permette de lutter contre l’accroissement endémique de la taille des exploitations.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, il y a quelques jours, vous en appeliez dans une tribune à « revenir à l’essentiel ». Naturellement, les conceptions gouvernementales en matière d’essentiel et de non essentiel peuvent parfois nous interpeller… (Sourires.)

En tout cas, en matière agricole, l’essentiel est aujourd’hui effectivement en jeu, notamment pour l’élevage bovin allaitant.

« Alors que les agriculteurs ont un genou à terre, nous devons les aider à se relever », écriviez-vous. La question que je souhaite vous poser ce soir est celle que se posent en fait les éleveurs de viande charolaise de mon département de la Saône-et-Loire : la nouvelle version de la politique agricole commune pour la période 2023-2027 va-t-elle les aider à se redresser, ou ne fera-t-elle, au contraire, qu’accentuer les difficultés actuelles, qui peu à peu dissuadent les éleveurs de poursuivre leur exploitation et les jeunes de s’installer ?

Trois ans après la loi Égalim, les éleveurs de bovins ont perdu 30 % de leurs revenus, pour se contenter désormais de moins de 700 euros par mois en moyenne, ces maigres revenus correspondant justement aux aides de la PAC qui leur sont versées… Diminuer ces aides signifierait réduire encore leurs revenus.

C’est cela l’essentiel, monsieur le ministre ! Dans ce contexte, vous engagez-vous à garantir à ces éleveurs, au minimum, le niveau d’aides actuel ? Pouvez-vous nous préciser votre projet de modification des aides couplées pour les bovins allaitants ?

L’aide à l’unité de gros bétail, l’UGB, que vous souhaitez instaurer sera-t-elle la même pour les bovins laitiers et les bovins allaitants ? Quel en sera le montant ? Allez-vous les plafonner à 100 UGB ? En effet, les plafonner, ce serait condamner plusieurs milliers d’exploitations de Bourgogne-Franche-Comté à une chute des aides de 30 % à 50 %.

En cas de baisse importante de ces aides, comment éviterez-vous une décapitalisation violente dans les élevages, avec les conséquences que l’on imagine sur les prix et la filière ?

Ce ne sont pas là, monsieur le ministre, des « carabistouilles », pour reprendre votre expression, mais des questions empreintes d’inquiétude, qui appellent des réponses précises et chiffrées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur, le département de la Saône-et-Loire, comme d’autres territoires de même nature ayant des zones intermédiaires, a une spécificité : il est plutôt bénéficiaire de la convergence, en particulier en ce qui concerne l’écorégime.

S’il peut être naturel de nourrir des inquiétudes dans le cadre d’une telle réforme, il me semble que tout le monde est convaincu que passer à un système d’UGB est une bonne idée.

Néanmoins, il est vrai que le diable se cache dans les détails et que plusieurs questions se posent. Par exemple, faut-il un UGB commun au secteur laitier et au secteur allaitant ? Cette piste avait été évoquée au début de nos discussions, mais je pense que nous devons mettre en place deux niveaux distincts, parce que les seuils sont très différents, si bien que les transferts seraient trop importants. Si une telle décision était prise, il resterait bien sûr à définir précisément ces deux UGB.

En ce qui concerne les paramètres, ceux-ci sont en fait plusieurs. Vous avez évoqué le plafond de 100 UGB, mais nous avons évalué différentes hypothèses à ce sujet, certaines à 120 UGB et d’autres plus élevées encore. Sur le taux de chargement, nous avons aussi considéré plusieurs hypothèses : 1,4, 1,5, 1,6, etc. Par ailleurs, devons-nous appliquer les mêmes critères à toutes les filières concernées ? Devons-nous mettre en place un dispositif mixte ?

Vous le voyez, bien des questions se posent. Elles nécessitent d’importantes et larges concertations ; ce ne sont pas les services du ministère qui vont inventer seuls les dispositifs permettant d’y répondre ; et ce sera encore moins le ministre tout seul… Ces concertations sont en cours.

Je suis plutôt convaincu à ce stade que nous devons mettre en place des niveaux différents, et pas un niveau unique. Nous devons être attentifs à la création de valeur et aux territoires dont nous avons déjà parlé, par exemple les zones intermédiaires. Il nous faut trouver un équilibre, ce qui constitue un véritable travail d’orfèvrerie. D’où la nécessité de réaliser des concertations et de prendre le temps nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.

M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, j’étais prêt à vous laisser mon temps de parole de réplique pour que vous puissiez nous donner des chiffres précis…

En effet, vous nous avez parlé de la problématique d’ensemble, mais pas des choses concrètes. Surtout, vous ne répondez pas à la question : allez-vous garantir le maintien du niveau d’aide, afin que le revenu des éleveurs ne baisse pas ?

À cette heure tardive de nos débats, méditons le vers de Jean de La Fontaine : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ! Il ne faudrait qu’il se transforme, pour nos éleveurs, en : « Moins tu auras »… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Kristina Pluchet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclinaison française de la politique agricole commune 2023-2027, au travers du plan stratégique national, inquiète les producteurs de grandes cultures, en particulier la filière betterave-sucre-alcool, qui requiert une attention particulière.

Fleuron de notre secteur agroalimentaire et de nos territoires ruraux, notamment dans l’Eure, cette filière connaît depuis 2017 une succession de crises.

Depuis trois ans, en effet, le prix du sucre se situe sous le seuil d’alerte, le revenu des betteraviers a reculé de plus de 30 % et la taille des surfaces françaises a diminué de près de 20 %, pour revenir à son niveau de 2016.

En 2019, la France a perdu quatre sucreries. En 2020, la crise de la jaunisse a fait perdre un tiers de la production betteravière nationale. Ces dernières semaines, c’est le gel qui affecte de manière inédite la filière : quelque 40 000 hectares de betteraves en cours de levée ont ainsi été détruits.

Enfin, le Brexit peut nous faire craindre une réorientation des flux commerciaux, ce qui fait peser des risques supplémentaires sur les débouchés.

Monsieur le ministre, la filière betteravière est aujourd’hui en réel danger. Vous insistez régulièrement sur la question de la souveraineté alimentaire de notre pays ; cette filière y participe, et les enjeux sont aussi agricoles qu’industriels. Il faut répondre à cette urgence, et il est essentiel que le plan stratégique national de la PAC comporte un volet de nature à sécuriser, conforter et relancer la filière de la betterave.

Au-delà de la question des dispositifs des premier et deuxième piliers et de l’accompagnement de la structuration des filières, les professionnels en appellent à une stratégie sectorielle de gestion des risques, complémentaire du développement de l’assurance récolte.

Ils soutiennent également la mise en œuvre d’un instrument de stabilisation qui serait de nature à conforter les revenus des betteraviers face au choc économique et aux sinistres sanitaires non éligibles au Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale, le FMSE, tels que la jaunisse.

Monsieur le ministre, que prévoit le Gouvernement, en termes de priorités, de dispositifs et de moyens, dans le cadre de la prochaine PAC, pour sauvegarder et relancer la filière betteravière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, je crois que je n’ai plus à démontrer mon amour pour la filière betteravière… Je resterai sans doute connu comme le ministre de la betterave, et j’en suis très fier ! (Sourires.)

Plusieurs questions de fond se posent aujourd’hui pour cette filière.

Tout d’abord, son accès à l’écorégime. Des concertations sont en cours à ce sujet, et elles abordent de manière très précise les sujets qui sont posés. Les modèles initiaux ne distinguaient pas entre les différents types de plantes ; il n’y avait pas de spécificité pour telle ou telle plante. Nous sommes en train de voir comment faire évoluer les choses.

Ensuite, la gestion des risques. La mise en place de fonds de stabilisation a été engagée dans plusieurs textes européens ; nous essayons de les mettre en œuvre et la filière betterave est très allante. D’autres systèmes peuvent également être envisagés.

Je rappelle d’ailleurs que les risques sanitaires et climatiques sont souvent intrinsèquement liés. C’est le cas par exemple pour les pucerons, puisque ces derniers se multiplient dès lors que les hivers n’ont pas été suffisamment froids. En tout cas, en ce qui concerne la refonte du système de gestion des risques, je vous renvoie à ce que j’ai déjà indiqué à l’occasion d’une question précédente.

Enfin, l’accompagnement des filières. La nouvelle politique agricole commune nous fournit des instruments, notamment les programmes opérationnels. Nous devons maintenant décider où nous mettons de l’argent et à quelle hauteur. Nous pouvons les financer soit par des aides couplées, soit par des droits au paiement unique, soit par les deux.

Néanmoins, nous retombons sur le problème que j’ai déjà évoqué : nous devons faire des choix, parce que chaque fois qu’il y a un plus quelque part, il y a un moins ailleurs. Autrement dit, si nous abondons un dispositif, nous prenons de l’argent à un autre. Nous devons tous avoir ce problème en tête.