Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d’excuser l’absence de Julien Denormandie, retenu à Bruxelles par la négociation finale de la PAC, une échéance majeure pour tous nos agriculteurs.

Chacun sait ici que le bien-être animal et le respect de l’environnement sont des sujets essentiels pour nos concitoyens.

Sur ces questions, les débats pointent trop souvent du doigt les éleveurs français, alors qu’ils sont les premiers à souhaiter plus de bien-être animal.

En faisant le pari de la modernisation des infrastructures d’élevage et d’abattage, le Gouvernement agit avec méthode et pragmatisme, aux côtés de nos éleveurs, pour leur donner les moyens de répondre aux attentes sociétales. Ces sujets de long terme nécessitent une politique d’accompagnement, et non des bouleversements radicaux.

Nous débattons aujourd’hui de la transition de l’élevage, que nos concitoyens attendent. Je sais que les membres de cet hémicycle n’aborderont pas cette question sous le seul prisme de l’émotion.

Madame la sénatrice Esther Benbassa, soyez en assurée, le Gouvernement partage votre ambition d’améliorer les conditions d’élevage, de transport ou d’abattage au sein de la grande ferme France. Il aborde ces enjeux de transition avec raison et pragmatisme.

Nous devons répondre aux impératifs biologiques des espèces et définir collectivement les modalités les plus adaptées pour répondre au bien-être des animaux, lutter contre la maltraitance animale et garantir des produits alimentaires sains et de qualité, car, in fine, ne l’oublions pas, l’élevage est là pour nous nourrir.

Si l’on peut comprendre le souhait de nombreux citoyens de permettre aux animaux d’élevage de vivre en plein air, les débats, trop souvent passionnés sur la question animale, doivent tenir compte des enjeux sanitaires et économiques, du foncier, de la reconversion et de la souveraineté nationale.

En premier lieu, je souhaite rappeler que les élevages français sont à taille humaine, bien loin des élevages industriels qui existent ailleurs dans le monde.

Ensuite, l’élevage français est l’un des plus durables au monde. Les filières mettent tout en œuvre pour assurer la transition agroécologique. Les plans de filière mis en place à partir de 2017 ont déjà prouvé leur efficacité.

Sur le plan sanitaire, prenons l’exemple de la lutte contre l’antibiorésistance : le plan porté par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a porté ses fruits, avec une réduction de 37 % des utilisations d’antibiotiques en cinq ans. L’exposition des animaux aux antibiotiques, en France, est inférieure à la moyenne européenne.

Assurer un minimum d’accès au plein air à tous les animaux d’élevage dès 2040 n’est pas raisonnable. Prenons quelques exemples factuels. Le plein air représente aujourd’hui 5 % de la production. Aujourd’hui, ce sont 82 % de la production de poulets de chair qu’il faudrait repenser.

En France, il n’y a pas un modèle unique d’élevage ; c’est d’ailleurs là notre richesse. Nous pouvons et nous devons tous soutenir l’ambition de montée en gamme portée au travers de la présente proposition de loi, car elle permettra une plus juste rémunération des producteurs. Cependant, laisser croire que, dans vingt ans, nous n’aurons plus aucun poulet ni porc standard dans nos fermes est faux et contreproductif si cette ambition n’est pas réfléchie à l’échelle du marché unique et des relations commerciales internationales.

Le temps de l’agriculture est long. Il faut assurer des transitions adaptées au marché, sans quoi nous serons rapidement confrontés à une augmentation de produits importés à moindre coût venant de pays qui ne respectent pas nos pratiques, notamment de viandes provenant d’élevages très intensifs.

Le débat sur le transport des animaux vivants doit également s’inscrire dans cette réflexion, laquelle doit avoir lieu à l’échelle au moins européenne, pour éviter tout effet de concurrence déloyale au détriment des opérateurs qui travaillent exclusivement sur le territoire national.

C’est d’ailleurs ainsi que la présidence actuelle de l’Union européenne l’envisage et que la stratégie Farm to Fork l’affirme. Nous allons par ailleurs améliorer, comme nous nous y sommes engagés au début de l’année 2020, les dispositions relatives au transport par voie maritime dans le courant de 2021, sans qu’une modification législative soit nécessaire.

J’ajoute que le plan de relance et son volet relatif à la modernisation des abattoirs favoriseront aussi des filières locales et auront donc un effet indirect bénéfique sur le transport des animaux vivants.

En ce qui concerne les transitions et l’amélioration du bien-être animal, la fin du broyage des poussins est un exemple concret des enjeux auxquels nous devons répondre. La filière œufs et les couvoirs, principaux impactés par cette transition, ont bien intégré l’objectif et l’attente des citoyens en la matière.

La question de la formalisation de l’interdiction est finalement secondaire aujourd’hui, car des méthodes opérationnelles existent. L’enjeu est de savoir qui paie le coût de cette transition. L’État, au travers du plan de relance, peut engager des changements en finançant une partie des investissements, mais un modèle pérenne ne peut pas reposer exclusivement sur lui. Le coût de la transition implique également des changements de pratiques au quotidien. La filière travaille sur une feuille de route opérationnelle.

En outre, inscrire une mesure d’interdiction dans la loi ne permettrait pas d’accompagner financièrement les filières, ce que nous pouvons par ailleurs d’ores et déjà faire sur le plan réglementaire, au travers d’un décret.

Même si je sais que beaucoup ici en ont conscience, je tiens à rappeler que, au cours des dernières années, nous avons imposé énormément de nouvelles contraintes aux éleveurs français pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Restons sur l’exemple criant de la filière poules pondeuses : en 2012, les éleveurs ont investi massivement pour se mettre aux normes, et certains d’entre eux n’ont pas fini de payer les traites de leurs emprunts. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, ou loi Égalim, ainsi que les plans de filière qui en découlent ont interdit la mise en production de tout bâtiment d’élevage en cage, et plus de 53 % des poules pondeuses sont déjà élevées en système alternatif à la cage.

Les transitions que nous imposons à l’agriculture ont toujours des coûts, que les éleveurs ne peuvent assumer seuls. Il faut les accompagner, pour ne pas mettre des éleveurs en grande difficulté sur les plans économique et psychologique.

La clé réside dans la montée en gamme, car elle seule permet de répondre aux attentes sociétales tout en offrant une meilleure rémunération aux éleveurs. C’est tout le sens de notre action.

Les États généraux de l’alimentation ont permis d’améliorer la structuration des filières, avec des exigences accrues en termes de respect de l’environnement et du bien-être animal, reposant sur des signes de qualité. Je tiens ici à saluer la responsabilisation des professionnels, qui se sont organisés autour de plans de filière et de chartes de bonnes pratiques, pour répondre aux attentes sociétales. Une véritable transition est en marche.

Toute transition a un coût et nécessite un accompagnement réfléchi. Le plan France Relance consacre ainsi près de 300 millions d’euros à la modernisation de nos élevages et de nos abattoirs et à la structuration des filières, afin d’accélérer cette transformation.

Toutefois, cette montée en gamme ne peut pas uniquement reposer sur la responsabilisation des professionnels et l’accompagnement du Gouvernement.

Les injonctions des citoyens doivent se traduire dans leurs actes d’achats. C’est tout le sens de la loi Égalim, dont l’objectif est d’aboutir à une meilleure rémunération des agriculteurs. Nous devons sortir de la guerre des prix bas. Il n’est pas possible de demander toujours plus aux éleveurs sans leur en donner les moyens.

C’est l’esprit qui anime les travaux de Serge Papin sur la contractualisation et la pluriannualité, ainsi que de la proposition de loi modifiant la loi Égalim, présentée par Grégory Besson-Moreau. C’est seulement en accompagnant nos éleveurs que ces derniers pourront créer de la valeur et faire face aux grands enjeux de société. Comme toute transition, celle-ci n’aura pas lieu sans un changement profond des mentalités, c’est-à-dire tant que les éleveurs seront forcés de produire toujours moins cher.

Le Gouvernement est mobilisé aux côtés des professionnels. À ce titre, je veux répondre à certaines critiques et à certaines interpellations concernant l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée à l’Assemblée nationale.

Je tiens à vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : même si l’agenda du Sénat est particulièrement chargé – vous le savez mieux que moi –, je vous confirme l’intention du Gouvernement de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour de vos travaux avant la fin de l’année.

Le Gouvernement est mobilisé et souhaite préserver notre modèle d’élevage équilibré, qui se distingue par des exigences parmi les plus fortes au monde. Mais là où certains mènent une campagne de dénonciation et de stigmatisation généralisant trop souvent des cas isolés, nous revendiquons une politique de mesures concrètes, en agissant sans trembler quand cela s’impose, mais sans jamais jeter injustement l’opprobre sur tout un secteur ou toute une filière.

À cet égard, le Gouvernement tient à saluer le travail mené par Henri Cabanel et Françoise Férat sur l’accompagnement de la détresse, longtemps ignorée, des agriculteurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons rejeter la radicalité qui mettrait fin à l’élevage français par excès d’exigence. Je le répète, nous partageons la volonté de poursuivre l’amélioration des bonnes pratiques, mais je vous invite à faire preuve de raison et de bon sens.

La question de l’avenir de l’élevage suppose beaucoup d’ambition et de pragmatisme, mais aussi et surtout de confiance en nos éleveurs, qui sont indiscutablement les premiers à souhaiter agir pour le bien-être des animaux et pour l’environnement.

Ils travaillent chaque jour pour nous fournir la meilleure alimentation possible. Ce n’est pas en les stigmatisant que nous aboutirons à un élevage plus durable, mais en leur donnant les clés pour mener des transitions ambitieuses.

C’est seulement en mettant la question de la rémunération des éleveurs au centre des discussions que nous pourrons accélérer le changement durable que nous appelons de tous nos vœux. Refuser cet état de fait, c’est condamner nos éleveurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (M. Joël Labbé applaudit.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une proposition de loi peut-elle, en quelques bonnes intentions, changer le monde ?

C’est la question que je me pose souvent lors de l’examen de textes touchant à des enjeux sociétaux. Ce débat qui nous réunit aujourd’hui en fait partie : comment être contre des objectifs d’élevage éthique, rémunérateur, socialement juste et soucieux du bien-être animal ? Comment être contre l’interdiction de l’élimination de poussins mâles et de canetons femelles vivants ?

Je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et territoires de porter au débat des objectifs aussi nobles. Cependant, je m’interroge sur l’opportunité de ce texte, alors que le mal-être des agriculteurs n’a jamais atteint un tel paroxysme : deux agriculteurs se suicident chaque jour ; ne les oublions pas.

Si vous l’évoquez dans l’exposé des motifs en pointant un élevage intensif, qui ne respecte ni les agriculteurs ni les animaux, les mettant ainsi au même niveau, je souhaite poser ici un préambule : la nuance.

Ma collègue Françoise Férat et moi-même avons pu faire adopter à l’unanimité des membres de la commission des affaires économiques notre rapport sur la détresse des agriculteurs grâce à une posture de nuance, loin des partis pris idéologiques.

Notre société ne parvient plus aujourd’hui – plus encore avec les réseaux sociaux, qui réduisent les débats à néant, qui sclérosent la pensée, qui la congestionnent en un « pour ou contre » – à comprendre les enjeux et les conséquences de décisions parfois irrémédiables.

L’agriculture focalise les tensions, les incompréhensions et les fausses informations. En nous nourrissant et en aménageant nos territoires, elle se trouve au cœur de nos vies et en vient souvent à opposer idéologies et modèles.

Cette posture ne mènera à rien, sinon à l’ascension des extrêmes. C’est la raison pour laquelle il faut appréhender les problèmes de façon globale, réunir toutes les parties prenantes et agir avec l’ensemble des postulats, loin des passions et des fantasmes.

J’aime répéter que l’agriculture, ce n’est pas un enjeu, mais un faisceau d’enjeux – environnementaux, économiques, sociaux, sociétaux, mais aussi de santé publique, d’indépendance alimentaire… –, qu’il faut traiter de façon transversale. Privilégier un axe plutôt qu’un autre déséquilibre nos filières déjà bien fragilisées par les crises sanitaires, climatiques et économiques successives, ainsi que par une perte de compétitivité due à une surtransposition des règles européennes.

Je m’inquiète réellement des effets des lois qui n’ont de conséquences que sur les paysans français. J’estime que les enjeux légitimes que vous posez doivent être examinés et votés au niveau européen.

En effet, limiter les mesures aux éleveurs français équivaut à instaurer, de fait, une concurrence déloyale entre les filières des États membres. Toute interdiction de mode de production va isoler nos agriculteurs dans un marché européen déjà très concurrentiel et, a fortiori, au sein d’un marché mondial libéral, où le prix le plus bas s’oppose aux modes de production durables.

Vous le savez, je prône les circuits courts et les signes de qualité. Mais, alors que nos agriculteurs travaillent en moyenne 55 heures par semaine pour un salaire mensuel de 1 036 euros, soit 4,7 euros de l’heure, je pense qu’il faut nous poser avant de trancher dans le vif. Un grand nombre d’agriculteurs s’est d’ailleurs déjà tourné vers des pratiques vertueuses.

Avez-vous analysé l’impact de votre texte sur la compétitivité des filières ? Avez-vous analysé l’impact financier des mesures d’accompagnement ? Avez-vous réellement analysé l’impact sur le bien-être animal ?

En effet, les consommateurs qui mangent de la viande à bas prix se tourneront vers des produits étrangers. Nous n’aurons alors aucune possibilité de connaître les conditions de vie et d’abattage des animaux, ce qui réduira quasiment à néant l’objectif premier de cette proposition de loi.

Je suis sincèrement persuadé que c’est non pas une loi, mais bien une évolution des mentalités qui changera le monde. Associer le consommateur à l’acte d’achat, lui faire prendre conscience que son choix n’est pas anodin et qu’il peut agir sur les modes de production : tout cela est fondamental.

Aucune loi ne pourra remplacer ce libre arbitre. Il faut donc accompagner le consommateur. L’étiquetage lui fournit les informations dont il a besoin. Les applications, les QR codes, le Nutriscore se développent, et la filière agroalimentaire répond à la poussée sociétale à laquelle les agriculteurs s’adaptent déjà.

Dans le titre V, intitulé « Se nourrir », du projet de loi Climat et résilience, que nous examinerons prochainement, des avancées seront proposées pour une agriculture durable et de qualité. Ce véhicule législatif me semble plus légitime ; nous pourrons l’amender collectivement.

C’est pourquoi la majorité du groupe RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi. La conscience et la raison ont aussi force de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du bien-être animal comporte des dimensions scientifiques, éthiques, économiques, culturelles, sociales, religieuses et politiques. Elle transcende tous les courants de pensée.

Nos concitoyens et concitoyennes y sont de plus en plus sensibles. Nous ne pouvons nier les alertes lancées sur la violence des conditions d’élevage, de transport et d’abattage dans certains endroits, même si certains ne voudraient pas le voir, quand d’autres voudraient le cacher.

La maltraitance dans certains abattoirs,…

M. Arnaud Bazin. Certains !

M. Fabien Gay. … l’élevage en batterie et le broyage des poussins interrogent notre modèle agro-industriel, mais aussi, plus largement, notre modèle de société.

En effet, ce que nous infligeons aux animaux est un miroir sombre, sur lequel il ne fait pas bon se pencher. La pression productiviste et les inégalités s’intensifient pour les humains comme pour les animaux. Songeons à la violence subie par les animaux d’élevage intensif. Mais songeons aussi à la violence subie par le personnel des abattoirs ou à celle des licenciements massifs par des groupes peu scrupuleux lancés dans la course au profit. Je pourrais égrener de nombreux exemples.

Accepter la possibilité de maltraiter, quel que soit l’être maltraité, c’est ouvrir une brèche vouée à se creuser ; c’est créer un précédent dans la violence et l’aliénation ; c’est vouloir détruire l’altérité.

L’alimentation est à la fois une nécessité vitale, un plaisir et un moment de convivialité avec nos proches. Mais à l’heure de la crise environnementale et de l’industrialisation de l’élevage, nous n’avons d’autre choix que d’intégrer aussi sa dimension éthique. Repenser le rapport de l’humain à la nature et au monde animal, est une nécessité.

Toutefois, nous pensons qu’il faut sortir de la vision binaire « pour ou contre » l’élevage ou la viande, pour poser la question du modèle d’élevage et d’agriculture que nous voulons.

L’émergence de la question du bien-être animal frappe un secteur déjà fragilisé par les crises sanitaires et économiques de ces dernières décennies. Mais défendre l’élevage, c’est reconnaître les dérives entraînées par le modèle hyperproductiviste, soit 80 % de l’élevage en France, qui nuit à l’ensemble des éleveurs.

En 2019, le Conseil économique, social et environnemental alertait sur ces transformations et sur la baisse de rémunération qui les accompagne.

Ainsi, en trente ans, le nombre d’éleveurs a chuté de 57 % dans le secteur des porcs et volailles et de 70 % dans celui des vaches laitières. Cet effondrement n’a pas empêché les cheptels d’augmenter, ni les animaux d’être abattus en masse. C’est l’agriculture paysanne qui est la première victime, au profit de fermes des « mille vaches ». (M. Laurent Duplomb sexclame.)

France Nature Environnement pointe la concentration croissante, qui entraîne des risques sanitaires, et l’impact environnemental. La multiplication des accords de libre-échange, pression supplémentaire pour nos agriculteurs, et sur eux, exacerbera encore ce phénomène.

C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender la proposition de loi du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui vise à trouver un équilibre entre les impératifs des éleveurs, sans les stigmatiser, et la recherche de meilleures conditions d’élevage.

La plupart des réglementations et cahiers des charges nationaux et européens visant à protéger les animaux sont basés sur les cinq libertés du rapport Brambell, qui date déjà de 1965. Il s’agit d’assurer l’absence de faim et de soif, d’inconfort, de douleur, de blessures et de maladie, de peur et de détresse, ainsi que de garantir un espace suffisant et adapté et la compagnie d’autres congénères.

Néanmoins, ces principes ne sont pas contraignants et les moyens manquent pour assurer les contrôles et permettre à nos éleveurs de réaliser cette transition. C’est tout l’intérêt de l’article 4, qui propose un fonds dédié à cette transition, dans une vision longue.

Il faut aller plus loin et passer d’un élevage intensif, industriel et destructeur, à un élevage respectueux de l’environnement, de l’humain et de la planète.

Pour ces raisons, nous voterons cette proposition de loi et interviendrons pour défendre un certain nombre d’amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement de nombreuses associations de défense des animaux et les actions « coup de poing » qu’elles ont pu mener ces dernières années sont des manifestations de l’importance que revêt le bien-être des animaux dans l’opinion publique.

Nous avons vu les images choquantes de certains abattoirs, diffusées sur les réseaux sociaux, et nous n’y sommes pas insensibles, mais permettez-moi également de penser aux hommes qui y travaillent.

Le constat posé par cette proposition de loi met en lumière de véritables enjeux sociétaux, que nous ne devons pas négliger.

Rappelons que les éleveurs, dans leur très grande majorité, réprouvent ces traitements ignobles. Ils respectent au quotidien le bien-être de leurs animaux, que les exploitations soient petites ou grandes. Ils appliquent scrupuleusement les normes européennes et nationales, pour assurer de bonnes conditions à leurs bêtes. Ils ont investi des centaines de milliers d’euros pour adapter leurs étables et leurs porcheries – jusqu’à la prochaine norme…

Soyons clairs : s’ils sont avérés, les manquements au bien-être animal doivent être sanctionnés. Les intentions de ce texte sont louables, et l’Union Centriste partage la volonté d’améliorer les conditions de travail des éleveurs et le bien-être des animaux de ferme.

Malheureusement, les solutions avancées dans cette proposition de loi ne répondent pas aux problématiques profondes de la filière. Ce texte risque de mettre un peu plus à genoux financièrement nos producteurs qui respectent les règles.

Le dispositif proposé n’est pas applicable. La mise en œuvre de l’article 1er, par exemple, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. D’un point de vue technique, le tout plein air n’est pas faisable : l’accès au foncier sera un facteur limitant pour nombre d’éleveurs.

Ces mesures vont fragiliser les filières, et les agriculteurs qui ne parviendront pas à réaliser les investissements nécessaires cesseront leur activité, sans repreneur. Il ne faut pas que la généralisation du plein air en fasse le nouveau standard, au détriment de la rémunération du producteur. Sans consentement du consommateur à payer le coût du changement de pratiques, cette mesure encouragera les importations.

« Plein air » ne signifie pas toujours bien-être, notamment lorsque le milieu – portance des sols, pente… – et les conditions climatiques – neige, fortes chaleurs … – ne sont pas adaptés à la sortie des animaux.

De plus, si nous rendons l’élevage en plein air systématique, nous faciliterons la diffusion d’épidémies animales. Quelles dispositions seront prises pour contrer la propagation éventuelle de la peste porcine ? Comment empêcher les contacts avec la faune sauvage, vecteur de grippe aviaire ?

Il en va de même des modifications proposées pour les transports d’animaux à l’article 2 : si nous limitons à quatre heures les transports dans l’Hexagone, comment s’assurer que les camions ne feront pas de détours par l’étranger ? Quelle sera la facture carbone de telles dérives ?

Sur le papier, tout est très simple ; mais sur le terrain, ces solutions ne sont pas fonctionnelles. L’enjeu prioritaire pour assurer le temps de transport le plus réduit possible est de renforcer un maillage d’abattoirs de proximité économiquement viables et sanitairement fiables.

En outre, le dispositif proposé n’est pas viable financièrement. Dans la filière porcine, la construction de bâtiments offrant un accès au plein air – courettes, différent d’élevage plein air – coûterait 13 milliards d’euros pour l’ensemble du cheptel. Le budget nécessaire pour accompagner la transition par rapport aux moyens disponibles rend ces mesures irréalistes.

À titre de comparaison, le plan de relance prévoit une enveloppe de 100 millions d’euros pour l’ensemble de la mesure « Biosécurité et bien-être animal ». Tout cela est bien insuffisant pour une telle transition. La France devra-t-elle créer une nouvelle taxe et pénaliser la compétitivité de notre filière nationale ?

Ce dispositif n’est pas viable non plus pour les éleveurs. N’oublions pas en effet que ces restructurations ont un prix et que tous les producteurs ne seront pas éligibles aux aides du fonds de soutien. Pour ces derniers, ce sera la double peine : ils devront s’endetter pour financer des investissements qu’ils n’amortiront pas à court terme et augmenter le prix de leurs produits, déjà peu compétitifs sur le marché international.

Sachant qu’un Français sur sept saute des repas pour des raisons financières, vous comprendrez aisément que le consommateur moyen pourrait encore plus facilement porter son choix vers le porc espagnol, deux fois moins cher que le porc français.

Les éleveurs ont déjà consenti de nombreux efforts financiers et des solutions alternatives au broyage des poussins se développent : recherche de nouveaux marchés en France et à l’export pour les poussins actuellement éliminés – les coquelets, par exemple – ou quête de solutions permettant le sexage dans l’œuf à couver avant l’éclosion des poussins. La France a présenté un travail commun avec l’Allemagne pour parvenir à une solution viable pour la filière d’ici à la fin de 2021, date d’interdiction de cette pratique.

Enfin, chers collègues, n’oublions pas les efforts déjà consentis en matière environnementale et sociétale par l’agriculture en général et l’élevage en particulier, efforts trop souvent oubliés au profit d’un agribashing grandissant et agressif.

Je témoigne ici, au nom du groupe Union Centriste, que la ferme France est la meilleure du monde. Contraindre une fois de plus l’élevage français aggravera la situation de détresse à laquelle certains sont confrontés. L’élevage français souffre ! Les chiffres que notre collègue Henri Cabanel a rappelés voilà quelques instants font mal.

Travaillons de concert avec les éleveurs pour leur assurer un revenu décent. Travaillons pour convaincre nos compatriotes qu’une viande de qualité, respectant le bien-être animal, requiert un prix d’achat décent.

En votant contre ce texte, le groupe UC entend réaffirmer l’excellence de la filière française et se montrer solidaire des éleveurs, grands oubliés de la proposition de loi et pourtant si attentifs aux conditions de vie de leurs animaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le néolithique, qui vit la sédentarisation se développer et l’élevage apparaître dans de nombreuses régions du monde, l’homme a évolué dans une relation à la fois constructive et problématique avec l’animal, que ce dernier soit mythique, sauvage ou élevé à des fins nourricières ou d’auxiliaire de travail.

Portée par la pensée, de l’Antiquité à nos jours, la nature de cette relation a été interrogée dans le cadre de la religion, de l’éthique et de la morale, de l’économie et du droit en général, de la nature et des droits particuliers que nous lui avons progressivement reconnus.

Je ne rappellerai pas les grandes étapes de ce cheminement intellectuel, mais on sait qu’il était déjà présent dans l’Antiquité, que d’aucuns considèrent, chimériquement peut-être, comme l’âge d’or de la relation entre l’homme et l’animal.

De ce long cheminement, qui a connu des inflexions importantes en Angleterre, au XVIIe siècle, et en France au moment des Lumières, avec Condillac et son prémonitoire Traité des animaux, deux concepts différents ont émergé : celui du « droit de l’animal » et celui du « bien-être animal ».

Je remercie nos collègues du groupe écologiste, qui souhaitent, avec ce texte, faire avancer concrètement le bien-être animal.

La loi de 2015 reconnaissait que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », ouvrant ainsi la voie d’un fondement juridique de la notion de bien-être animal – je laisse de côté la question du droit de l’animal, car nous souscrivons aux exigences et critères du « bien-être animal ». Mais y souscrire ne laisse pas entendre que rien n’est fait aujourd’hui en ce sens ou que les éleveurs et industriels français ne s’en soucient pas.

Comme beaucoup ici, j’ai pu comprendre, au sein de ma famille, quelle peut être la relation affective – je pèse le mot – d’un éleveur responsable envers ses bêtes. Les jours où on les voit partir à l’abattoir sont des jours moralement difficiles, voire très difficiles.

Les abattoirs, parlons-en : ceux qui les gèrent, et peut-être plus encore quand ce sont des industriels responsables – la plupart le sont –, savent qu’il faut être irréprochable sur les règles à respecter pour les animaux. Ils sont attendus par une grande partie de la société et ils le savent. Comme le montrent les études, le sujet est sociétal et prend de plus en plus d’importance dans les consciences des citoyens et des consommateurs. En conséquence, c’est l’image ou la marque et le chiffre d’affaires qui sont affectés.

Je le dis au Gouvernement : nous nous interrogeons sur les mesures prévues dans la loi Égalim de 2018, en termes d’efficacité et même d’effectivité. Dans le cadre juridique actuel, il faut se donner les moyens de contrôler et de sanctionner comme il se doit les fautifs. Monsieur le ministre, c’est votre rôle et votre responsabilité.

De la même manière, nous nous interrogeons sur les suites données aux « mesures pour la protection et l’amélioration du bien-être animal », proposées aux interprofessions par le Gouvernement en janvier 2020. Il s’agissait d’un plan en six objectifs : aller vers la fin des pratiques douloureuses en élevage ; renforcer la sensibilisation et la formation au bien-être animal ; améliorer la qualité de vie des animaux d’élevage ; améliorer les conditions de transport des animaux ; améliorer l’information des consommateurs ; responsabiliser les propriétaires d’animaux de compagnie.

Monsieur le ministre, quel bilan en tirez-vous ? Ce plan est-il toujours d’actualité ? C’est le flou complet.

C’est la raison pour laquelle nous proposons d’insérer un article additionnel avant l’article 1er, demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un bilan, un état des lieux exhaustif de l’ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France, pour évaluer leur efficacité. Ce bilan informera sur les actions mises en œuvre dans le monde de l’élevage, mais aussi sur celles qui sont portées par la société civile ou les entreprises.

Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics, mais également à l’ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et de déterminer les mesures proportionnées à mettre en œuvre pour accompagner et, si nécessaire, accélérer ce mouvement.

Pour avoir un débat apaisé sur la question du bien-être animal, nous devons savoir précisément d’où nous partons, réellement et objectivement, pour mettre en œuvre des actions ou des politiques ciblées et efficaces.

Enfin, nous tenons à rappeler notre attachement à l’élevage, à ce qu’il représente pour nos territoires – je viens moi-même du Gers, une zone de polyculture et d’élevage qui souffre beaucoup –, et à nos éleveurs. Je ne connais guère de métier plus difficile : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année, pour un revenu misérable, et même de plus en plus misérable !

Quelles seront les conséquences de la PAC, dès 2022 ou 2023, sur l’élevage en France ? Une loi Égalim II est aussi attendue, et le plus vite sera le mieux, même si en réalité, plus grand monde n’y croit…

Parce qu’ils sont en première ligne de la souffrance, nous proposerons, à l’article 4, que les aides prévues servent également à la mise en œuvre de mesures de soutien et d’accompagnement psychologique pour les agriculteurs, sans oublier les opérateurs de l’abattage, afin de leur apporter une écoute et de leur proposer des mesures améliorant leur « bien-être au travail » et leur bien-être tout court d’hommes et de femmes, de travailleurs dignes de respect et de considération. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)