M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à titre personnel, je suis favorable à ce projet de loi (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), et je tiens d’ailleurs à féliciter nos collègues parlementaires alsaciens pour leur pugnacité. Ils n’ont pas baissé les bras devant l’adversité, et je leur souhaite que ce texte puisse aboutir de manière concrète.

Si j’ai déposé cette motion, c’est parce que je voulais revenir sur la raison pour laquelle nous sommes ici à débattre de ce texte.

Si nous sommes ici, c’est parce que l’excellente loi qui avait été votée à l’époque du président Sarkozy, avec l’accord et le soutien de tous les parlementaires, sur toutes les travées – ce texte faisait l’unanimité – a finalement été torpillée. Et dans le rapport de la commission, il aurait fallu insister plus lourdement sur les responsabilités de ceux qui sont à l’origine de l’ambiguïté actuelle.

Ceux qui sont à l’origine de la suppression de cette loi, ceux à cause desquels nous sommes revenus au point de départ, ce ne sont pas seulement les « bonnets rouges » bretons. Ce sont surtout les parlementaires qui ont fait de la surenchère politicienne, à l’époque, en pourrissant littéralement la vie politique.

Je me souviens de la situation de l’époque : des parlementaires qui avaient voté à deux mains le texte soutenu par M. Sarkozy, sous prétexte que, soudain, ils se retrouvaient dans l’opposition, faisaient de l’agitation et dénaturaient cette loi.

Au fond, c’est par leur faute que nous en sommes là. Il aurait fallu le dire beaucoup plus fermement et le déplorer beaucoup plus clairement dans le rapport de la commission, car il y a eu de l’irresponsabilité de la part de ces parlementaires, et je le regrette très vivement.

C’est pourquoi j’ai déposé cette motion de renvoi à la commission. Si elle était adoptée, la commission pourrait clarifier les responsabilités en la matière.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, contre la motion.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis défavorable à cette motion tendant au renvoi à la commission, et cela pour trois raisons au moins.

Premièrement, notre collègue Jean Louis Masson vient de dire qu’il était lui-même favorable au projet de loi, félicitant les parlementaires alsaciens qui se sont battus pour la loi du 2 août 2019, dont découlent ces ordonnances. À quoi bon, dès lors, revenir en commission ?

Deuxièmement, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État, la ratification de ces ordonnances est vraiment indispensable à la mise en œuvre de la loi du 2 août 2019, dont l’article 13 vise précisément à créer, en Alsace, dans le fossé rhénan, une taxe sur le transit des poids lourds – je n’ose l’appeler « écotaxe »… Je le répète, il ne s’agit que d’appliquer une loi, celle du 2 août 2019, alors que nous sommes, mes chers collègues, en novembre 2021 ! Il est temps, donc. Je ne vois pas franchement l’intérêt de renvoyer le texte à la commission. Ce serait une nouvelle perte de temps.

Troisièmement, et enfin, cher Jean Louis Masson, vous savez bien que cela fait quinze ans que les Alsaciens attendent une telle taxe !

Sous l’impulsion d’Yves Bur, alors député, une taxe similaire avait été votée à l’Assemblée nationale, tard dans la nuit, après un long débat, et d’ailleurs contre l’avis du Gouvernement. Puis, elle avait été adoptée au Sénat. Le problème, monsieur le secrétaire d’État, c’est que vos prédécesseurs n’ont pas brillé par leur rapidité pour prendre les textes d’application…

Eh bien, il est temps, en novembre 2021, que cette taxe sur le transit des poids lourds voie le jour ! Travaillons sur ce texte aujourd’hui, mes chers collègues. Les Alsaciens auront, une fois de plus, ouvert une voie au niveau national. Ils auront montré qu’il est possible de mettre en œuvre une taxe sur le transit des poids lourds partout où c’est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. La commission n’a pu examiner cette motion de renvoi à la commission, qui a été déposée tardivement. Toutefois, je partage bien sûr le point de vue de notre collègue André Reichardt.

J’émets donc un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 23, tendant au renvoi à la commission.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si le Parlement doit rester l’acteur incontournable de la fabrique légistique, nous ne pouvons que nous réjouir de voir des habilitations prévues par des projets de loi soumises à ratification.

Le présent projet de loi, loin de porter sur des sujets mineurs, a été grandement amélioré par le Sénat dès son passage en commission. Je tiens d’ailleurs à féliciter les rapporteurs du travail qu’ils ont fourni sur ce texte. Je salue également l’ensemble des membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, notamment son excellent président, Jean-François Longeot.

Les ajouts de la commission encadrent davantage les dispositions contenues dans les ordonnances. C’était nécessaire dans plusieurs cas précis, certaines des dispositions prises pour la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) pouvant à terme être dupliquées sur d’autres territoires, à des degrés différents.

Je pense évidemment à la question de l’écotaxe, cœur névralgique du texte. C’est en tout cas le point qui a soulevé le plus d’interrogations, de modifications et de recherches de solutions. Nous sommes parvenus, me semble-t-il, à trouver une flexibilité et des équilibres intéressants, qui permettront d’appréhender l’avenir sereinement.

Cependant, malgré les efforts qui ont été fournis ici, des incertitudes demeurent sur plusieurs points.

La première concerne certainement le risque d’effets de bord sur les territoires limitrophes. C’est bien ce point crucial qui a été identifié au sein du groupe Les Indépendant – République et Territoires, parce qu’il inquiète nos élus et, surtout, nos concitoyens, qui subiraient de plein fouet de tels effets.

Les conséquences seraient des pollutions sonores, mais également des pollutions de l’air et de l’environnement résultant d’un probable et problématique engorgement routier. Ce sera sûrement le cas du sillon mosellan. Ce territoire devra sans aucun doute s’adapter et trouver des solutions, afin d’atténuer les effets de bord. Idem s’agissant des autres territoires qui pourraient être touchés.

À ce titre, je me réjouis de l’ajout en commission de l’article 1er septdecies, qui prévoit une évaluation des reports de trafic sur les territoires voisins à la suite de la mise en œuvre de l’écotaxe au sein de la CEA.

Cependant, je m’interroge sur les mesures qui seront prises en conséquence. Que faire une fois que nous aurons constaté les effets de bord ? Et surtout, comment en atténuer rapidement les conséquences néfastes ?

L’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et résilience », prévoit la possibilité pour les régions de mettre en place un système similaire de taxe. Nous attendons d’être saisis en temps voulu pour ratifier les ordonnances qui pourraient être prises à cet égard.

Dans l’immédiat, celles que nous examinons aujourd’hui et les solutions que nous proposons constitueront un exemple crucial. Nous avons déjà dégagé les points positifs, et nous pourrons appréhender facilement les conséquences négatives.

Il faudra toutefois faire attention à ne pas déplacer infiniment le problème. C’est pour cela qu’une coordination nationale et européenne devrait in fine être engagée dans le même sens de ce qui a été fait sur la directive Eurovignette. Je me félicite d’ailleurs que la nouvelle version de cette dernière, censée entrer en vigueur dès 2023, soit prise en compte dans ce projet de loi.

Je suis tout de même conscient que le sujet des taxes et, plus largement, de la fiscalité, est particulièrement sensible à l’échelon européen, en termes à la fois de vision commune et de prise de décision.

D’une manière générale, les trois ordonnances proposent un rythme d’organisation cohérent concernant la compétence des routes et des autoroutes que récupère la CEA.

L’exercice nous rappelle que la subsidiarité, la décentralisation et les relations entre États et collectivités territoriales sont indispensables et que les questions autoroutières n’ont pas fini de nous remuer les méninges. Nous serons vigilants et nous surveillerons avec une attention particulière l’application de ces textes. Les bonnes pratiques doivent, dans la mesure du possible, être mises en lumière et dupliquées.

Les blocages et les ratés devront être analysés pour en tirer tous les enseignements si nous ne souhaitons pas en voir d’autres.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, tout en restant attentif aux suites qui seront révélées en pratique, votera en faveur du texte.

M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen comprend vingt-quatre articles. Je crois utile de le resituer dans un contexte plus global.

Ce projet de loi de ratification d’ordonnances, dont le point central est l’instauration de contributions face au trafic routier de marchandises, arrive quelques mois après l’examen de la loi Climat et résilience.

Une telle échéance calendaire représente une opportunité : opportunité tout d’abord de mettre en exergue les craintes liées à cette réforme, qui existent et méritent d’être prises en compte ; opportunité ensuite pour le Sénat de faire ce qu’il fait de mieux, c’est-à-dire prôner l’échange et le dialogue dans le respect de tous les territoires.

Ce texte est d’abord est une étape de vérité : la vérité des avis exprimés, des craintes ressenties. Le droit à l’alternative doit avoir le mérite d’exister.

Le principe décliné dans le présent projet de loi de ratification, dont les contours ont été dessinés par la loi Climat et résilience, est issu d’un processus de long terme. Nous avons pris le temps nécessaire. Oui, chaque acteur avait le droit d’exprimer des inquiétudes qui étaient légitimes !

Je veux tout d’abord parler de la crainte d’un report de trafic, ainsi que des difficultés créées en termes d’interopérabilité des systèmes.

Je veux ensuite parler de la crainte de duplication d’un tel dispositif dans des régions où le transport de marchandises est un déterminant économique majeur.

Je veux enfin parler de la position défendue par les territoires limitrophes, refusant d’être spectateurs des décisions de la Collectivité européenne d’Alsace.

Voilà des inquiétudes pour lesquelles on ne saurait passer outre, sous peine de voir surgir une légitime levée de boucliers.

Sur la base de ce travail de longue haleine, nous avons cherché le meilleur compromis possible tout en restant fidèles aux principes d’acceptabilité des mesures et d’effectivité sur le terrain, qui nous ont toujours guidés au Sénat et qui font l’honneur de la Haute Assemblée.

En tant que rapporteur, avec mes collègues Marta de Cidrac et Pascal Martin, du projet de loi Climat et résilience, j’ai souhaité m’inscrire dans cette lignée, en prônant comme solution la concertation.

Je rappelle bien volontiers l’apport, durement gagné en commission mixte paritaire, que constitue le deuxième alinéa de l’article 137 de la loi Climat et résilience : « Les départements concernés ainsi que les régions et départements limitrophes des régions volontaires mentionnées au premier alinéa sont consultés pour la mise en place de ces contributions. » Cette solution a été partagée par tous mes collègues voilà maintenant quatre mois. Nous pouvons nous réjouir qu’elle conditionne le présent texte.

En effet, nous nous sommes entendus, et cette position partagée a mené les excellents rapporteurs Jean-Claude Anglars et Stéphane Le Rudulier à décliner les modalités de la concertation.

Désormais, le texte prévoit un cadre institutionnel favorisant la concertation de toutes les parties prenantes limitrophes de la Collectivité européenne d’Alsace, par l’intermédiaire d’un comité en amont de la mise en place du dispositif sur le transport routier de marchandises.

Pourquoi un tel article et une telle concertation, me demanderez-vous ?

Personne ici – je l’imagine – ne conteste la faculté accordée à la Collectivité européenne d’Alsace de mettre en place le dispositif prévu. Personne ici – j’en suis certain – n’a oublié le cheminement qui a conduit à l’octroi de cette faculté, notamment la situation du report de trafic de l’Allemagne vers l’Alsace. En effet, entre 160 000 et 180 000 véhicules traversent cette région, dont 16 500 poids lourds qui cherchent à échapper à la taxe allemande sur les poids lourds mise en place en 2005.

L’amendement de nos rapporteurs ne fait donc que se calquer sur ce que le Sénat a voté voilà quelques mois, en introduisant une concertation pour associer les territoires, notamment ceux de la région Grand Est.

Je ne m’étendrai pas sur les articles 2 et 5, dont les enjeux politiques sont manifestement moins prégnants. Selon moi, l’article qui met en place la concertation reste le plus important, tant il conditionne le mécanisme prévu tout en redonnant aux collectivités territoriales le pouvoir qui leur est dû.

Je veux donc à ce stade féliciter sincèrement le rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-Claude Anglars, dont l’écoute et l’impartialité, de même que celles de son collègue de la commission des lois, ont été décisives. Je ne doute pas un seul instant que le texte voté par la commission – il est, je l’imagine, proche de celui que nous adopterons ce soir – donne le sentiment que chaque territoire a été respecté et écouté, comme il appartient au Sénat de le garantir.

Vous vous en doutez, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi, qui nous semble désormais équilibré et respectueux de tous les territoires.

Il n’en reste pas moins que, lus conjointement, ce texte et la loi Climat et résilience laissent transparaître un enjeu plus global que la seule taxation comme réponse unique à la transition écologique.

Je me dois de vous rappeler, mes chers collègues, que nous ne saurions nous contenter d’une échelle seulement punitive sur la voie de la décarbonation des transports de marchandises. Instaurer une écotaxe ou une taxe poids lourds, aussi tentant ou nécessaire que cela puisse paraître, ne doit pas être une fin en soi.

Nous avons toujours prôné une transition juste faisant de l’accompagnement et du soutien à la décarbonation un vecteur plus vertueux du changement de paradigme sur le transport.

C’est un chemin bien plus difficile, qui nous détourne de la voie plus aisée de la taxation. Mais il a le mérite de rendre plus acceptable la transition du secteur routier vers un modèle plus vert, ainsi que de rendre désormais possible – j’y tiens tout particulièrement – l’utilisation du fret ferroviaire et du fret fluvial, pour lesquels nous avons désormais de grandes ambitions dans notre pays.

Cette mise en perspective étant faite, la route est désormais tracée. Il ne nous reste qu’à nous y tenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est temps ! Merci aux rapporteurs d’avoir bien entendu l’exaspération accumulée en Alsace.

Il est temps ! Depuis une vingtaine d’années, le bassin rhénan est marqué par un total déséquilibre, dont pâtit lourdement la dorsale routière d’Alsace. Alors que les Suisses ont leur redevance poids lourds depuis 2001 et que les Allemands ont leur LKW-Maut depuis 2005, notre pays n’a pas de dispositif similaire. L’Alsace, en tant qu’itinéraire pratique d’évitement, subit jour après jour depuis seize ans les conséquences de la présence de plus de 6 300 camions supplémentaires sur ses routes.

Ainsi, au droit de Strasbourg, ce sont près de 14 000 poids lourds qui aggravent chaque jour les dégâts : congestion, pollution, atteintes à la santé, nuisances sonores, dégradation forte de la voirie, insécurité routière, concurrence faussée plombant toute chance de développement au fret ferroviaire…

Le contraste est accablant avec nos voisins européens de l’autre rive, qui ont su, eux, actionner le principe « pollueur-payeur », permettant de maîtriser mieux le flux de poids lourds, d’optimiser les charges transportées, de réduire les nuisances et d’assurer un fret ferroviaire significatif. Leur logistique s’est modernisée, et sa performance économique s’est améliorée. Les résultats avérés de ces politiques en font des pionnières en Europe. Le fret ferroviaire allemand est quatre fois plus important que le nôtre.

L’effet de bord est massif, et c’est l’Alsace qui déguste : l’Alsace désarmée ! Il y a eu des tentatives pour réagir. Je pense à la bonne intention de la loi de 2006, arrachée par les élus d’Alsace, mais sans cesse décalée, sabotée, avant d’être balayée. Il y a eu l’ambition de l’écotaxe issue du Grenelle de l’environnement, ambition qui s’est fracassée de la manière que l’on sait…

Ce qu’en ont – hélas ! – retenu nombre de nos concitoyens d’Alsace, c’est l’incapacité des politiques publiques, la procrastination chronique et les renoncements successifs. Il faut en prendre la mesure : ces files continues de camions alimentent la déception populaire vis-à-vis d’une Europe qui n’arrive pas à réguler dans la cohésion, ainsi que la perte de confiance dans les capacités de notre démocratie à entendre les citoyens, à décider et à mettre en œuvre.

Il est donc temps d’entendre les citoyens et de ne plus laisser l’Alsace désarmée. C’était la volonté inscrite dans la loi instituant la CEA. Il s’agit maintenant de décider.

C’est ce que va faire la présente loi de ratification. C’est aussi ce qu’aura à faire, en bonne subsidiarité et en bonne concertation, la Collectivité européenne d’Alsace, au travers de ses délibérations précisant les tonnages, les catégories, le réseau taxable, les dispositifs technologiques retenus, les taux kilométriques, les majorations pour coûts externes, les réductions, les exonérations…

Il reste ainsi beaucoup à accomplir. L’entrée en vigueur ne sera pas immédiate. Il y a encore des étapes à franchir. Compte tenu des marges de manœuvre qui sont prévues, la main est laissée à certains acteurs pour prendre des décisions qui ne seront pas faciles et qui pourraient n’être pas à la hauteur des enjeux et des attentes.

En l’occurrence, deux impératifs devraient servir de guides.

Premièrement, la taxe alsacienne doit être d’un niveau équivalent à celui de la taxe allemande. Si elle devait viser clairement plus bas, nous aurions largement échoué à juguler les reports frontaliers.

Deuxièmement, il ne faut plus perdre de temps ni retomber dans les travers qui ont tué la loi d’expérimentation régionale de 2006, puis la loi d’écotaxe nationale de 2008. Je me souviens comment, de 2006 à 2012, le préfet se présentait chaque année devant le conseil régional d’Alsace pour promettre que ce serait pour l’année suivante.

M. Jacques Fernique. La taxe alsacienne était devenue l’Arlésienne !

M. André Reichardt. Absolument !

M. Jacques Fernique. À cet égard, l’article 56 de l’ordonnance est quelque peu inquiétant. Un délai de six ans, c’est long, bien long, trop long.

Ce délai maximum pour l’entrée en vigueur risque de jouer comme une incitation à décaler, à reporter, à déresponsabiliser avec le temps les nouveaux conseillers d’Alsace, qui ont pourtant été institués en premier lieu pour cette compétence et ce mandat explicites.

Voilà pourquoi nous proposons de ramener ce délai à trois ans. C’est une échéance de cet ordre qui a été annoncée à nos concitoyens par l’exécutif de la Collectivité européenne d’Alsace.

Pour gagner efficacité et crédibilité, il s’agit faire au mieux sans traîner dans ce créneau. La mise en place de la taxe en Alsace a d’autant plus besoin d’un rythme fiable qu’elle est appelée à précéder une perspective similaire pour le Grand Est ouverte par la loi Climat et résilience, et peut-être ensuite d’autres élargissements suscités par l’évolution à venir de la directive Eurovignette, voire – pourquoi pas ? – une progression de cette loi au cours du prochain quinquennat.

Bien entendu, c’est compliqué. Il y aura des effets de bord à prendre en compte. On entend l’inquiétude des riverains de l’autre dorsale routière, de l’autre côté des Vosges. Il y a des transitions différenciées, des imbrications délicates à préparer, une évolution à anticiper du droit européen. Mais faut-il que toutes ces difficultés soient des prétextes à l’immobilité ? N’est-ce pas au contraire l’occasion d’expérimenter en Alsace au bénéfice des autres collectivités territoriales et de l’État ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jacques Fernique. Il s’agit aujourd’hui d’avancer. Il est vraiment temps ! Quinze ans de renoncement, cela suffit ! En alsacien, cela se dit Jetzt langts ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes donc invités à émettre un avis sur les ordonnances gouvernementales visant à permettre d’instaurer une écotaxe régionalisée en Alsace.

Nonobstant le travail de qualité, que je veux souligner à mon tour, de nos rapporteurs et de toutes celles et de tous ceux qui ont travaillé sur les amendements déjà évoqués ici, nous considérons que le projet pose des questions fondamentales sur lesquelles il n’est pas superflu de s’attarder.

En effet, si l’on peut comprendre que les collectivités qui subissent quotidiennement les nuisances découlant de la circulation d’un trop grand nombre de camions, il n’en reste pas moins que toutes les régions de France ne sont pas confrontées aux mêmes réalités ni aux mêmes dynamiques économiques découlant de telles circulations de transit !

Par exemple, si l’Alsace et la Bretagne, qui se trouvent presque sur la même latitude, ont beaucoup de points communs, les circulations de transit ne sont pas exactement les mêmes. À mon sens, le jour où on l’aura compris, on aura aussi commencé à saisir la signification de la révolte des « bonnets rouges », qui a eu lieu en Bretagne voilà quelques années.

Pour autant, je ne perds pas de vue que, entre l’Alsace et la Bretagne, il y a, si j’ose dire, la France.

M. Gérard Lahellec. Dès lors, une question fondamentale se pose. Devons-nous soutenir une décentralisation dans la République ou une décentralisation de la République ?

J’avais cru comprendre, au travers notamment de nos débats lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « projet de loi 3DS », que l’option était plutôt de soutenir la décentralisation dans la République. Il faut bien le reconnaître, les auditions que nous avons eues depuis lors ne nous rassurent pas totalement. Nous avons d’ailleurs constaté déjà qu’un certain nombre de réserves s’exprimaient sur le sujet.

Cela tient au fait que plusieurs ambiguïtés ne sont pas levées.

Tout d’abord, n’est pas totalement levée l’ambiguïté de l’échelon de compétence territoriale au niveau duquel s’exerce l’autorité en matière d’infrastructures de transports et de mobilités.

À ce propos, la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) prévoit que la compétence transports et mobilités incombe aux régions dans l’hypothèse où les collectivités de base ne l’assumeraient pas. Cela revient à dire que les régions auront à faire tout ce que les autres ne font pas. On appelle cela gérer les restes ; ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile !

Une telle ambivalence – à tout le moins ! – n’est pas saine et risque de devenir très vite un sujet de controverses, voire de conflits entre différents échelons de collectivités. Si l’on y ajoute le fait que, en matière d’infrastructures routières, ce sont les départements qui restent les référents, il apparaît que nos lois récentes ont créé une forme d’incohérence dont nous pouvons déjà mesurer quelques effets compliqués.

N’est pas levée non plus la question du financement des infrastructures et services de substitution à l’utilisation de la route ! Ainsi, les ressources financières qui résulteraient de l’instauration d’écotaxes régionales risqueraient d’aller alimenter les budgets généraux des collectivités, peut-être même pour entretenir les routes. Or, en réalité, c’est l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) qui a besoin de moyens financiers si nous voulons développer le fret ferroviaire !

N’est pas levé enfin l’obstacle réglementaire européen qui, au nom de la concurrence « libre et non faussée », interdit de taxer les poids lourds étrangers et autres véhicules terrestres circulant en France. Il y a donc un risque très vraisemblable de taxation de tous camions, y compris de ceux qui assurent des trafics domestiques. C’est, me semble-t-il, une faiblesse des trois ordonnances, telles qu’elles sont prévues.

Plus fondamentalement, il apparaît que les dispositions envisagées consistent plus à répondre positivement à quelques demandes anciennes…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Gérard Lahellec. … qu’à définir un cadre vertueux au sein duquel une régionalisation véritable pourrait trouver sa place.

Ce sont autant de raisons qui nous conduisent à ne pas voter en faveur de la ratification des ordonnances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la « naissance » que nous avons actée voilà deux ans maintenant de la Collectivité européenne d’Alsace et de ses compétences allouées, avec le transfert des routes et autoroutes non concédées classées dans le domaine public routier national, nous permet aujourd’hui d’examiner une question particulièrement attendue en Alsace : la mise en place d’une taxe poids lourds.

Ce sont en effet désormais la CEA et l’Eurométropole de Strasbourg qui gèrent et exploitent sur leurs territoires respectifs ces routes et autoroutes non concédées. Auparavant, cela relevait de l’État.

Certes, le Parlement n’est évidemment que très rarement favorable a priori au recours aux ordonnances. Néanmoins, le présent projet de loi de ratification arrive opportunément quelques mois après l’examen de la loi Climat et résilience, qui permet la mise en place d’écotaxes régionales dans les régions subissant des reports significatifs de poids lourds sur les voies mises à leur disposition.

Enfin, oserais-je dire ! Car le sujet de la LKW-Maut nous occupe depuis plus de quinze ans maintenant. Voilà quinze ans que notre territoire alsacien subit mécaniquement un report important du trafic poids lourds sur l’axe nord-sud, l’A35, depuis la mise en place d’une taxe poids lourds sur l’A5 allemande le 1er janvier 2005.

Depuis cette date, ce sont des camions venus de toute l’Europe qui empruntent notre parallèle française gratuite et qui passent par Strasbourg, Colmar et Mulhouse.

Résultat, l’Alsace subit une dégradation importante de ses infrastructures routières, assortie d’une paralysie élevée à certaines heures qui se traduit par voie de conséquence par une accidentologie élevée, sans parler des effets délétères en termes de santé publique, en raison de la forte augmentation de la pollution de l’air et du bruit.

Lassé de voir les reports de poids lourds d’Allemagne – comme cela a été indiqué, il y a plus de 3 500 poids lourds supplémentaires par jour – sur les axes alsaciens, Adrien Zeller avait déjà multiplié les démarches voilà vingt ans pour appuyer l’instauration d’un tel dispositif sur notre territoire. Il plaidait pour une expérimentation en Alsace, avant une généralisation dans le reste du pays.

En 2005, notre collègue, le député Yves Bur avait bien tenté de proposer une solution, avec la création d’une taxe poids lourds en Alsace. Cela avait d’ailleurs nourri les velléités de création d’une écotaxe nationale, option abandonnée en 2013 à la suite de la contestation des « bonnets rouges ».

Une première loi avait d’ailleurs été votée dans les conditions que l’on sait : la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, instituant cette taxe à titre expérimental. Elle a par la suite connu de nombreux revirements. On se souvient à cet égard de la gabegie financière prévalant sous d’autres majorités, qui avaient remis en cause la taxe alors que les portiques visant à identifier les poids lourds avaient déjà été installés ; cela avait été fortement coûteux.

Je me réjouis donc de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui et j’apporte bien évidemment mon entier soutien au projet de loi de ratification, qui représente un premier test susceptible d’être généralisé aux régions volontaires avec la loi de décentralisation en cours de discussion.

Je salue à cet égard les travaux des commissions saisies, ainsi que des rapporteurs, sur l’ensemble du périmètre que sous-tend la mise en œuvre de cette écotaxe. Ils ont su en adapter par voie d’amendements les modalités pratiques.

Ce soutien n’est cependant pas exclusif de certaines problématiques qui ne manqueront pas d’alimenter durement les débats. Je pense notamment aux transporteurs locaux français, qui seront fortement pénalisés, mais également aux reports vers des axes secondaires gratuits, qui auront naturellement et inexorablement lieu.

Sur le premier point, malgré un champ d’action particulièrement mince eu égard aux dispositions européennes, qui n’autorisent pas de différence de traitement entre les transporteurs en fonction de leur nationalité, de quelle marge de manœuvre disposons-nous en termes de dérogations et/ou de compensations, afin de ne pas dégrader plus avant leur situation économique, leur compétitivité et, en bout de chaîne – nous le savons –, les finances des consommateurs ?

Des systèmes peuvent être mis en place. Je pense par exemple aux modalités de remboursement ou de compensation en faveur des transporteurs nationaux.

Sur le second point – je fais référence au report sur le réseau secondaire du trafic des poids lourds qui choisissent d’éviter les autoroutes à péage –, nos travaux de qualité au Sénat ont permis de dégager des solutions pragmatiques qu’il serait judicieux de mettre en œuvre sans délai.

Le récent rapport que mes collègues Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau ont remis au nom de la commission du développement durable a en effet parfaitement restitué les tenants et aboutissants d’un tel phénomène, ainsi que les moyens de lutter contre ses externalités négatives : cartographier les principaux « itinéraires de fuite » et permettre aux élus locaux d’actionner des leviers de réduction des nuisances de manière différenciée, agir sur les motorisations du parc de poids lourds en permettant un « verdissement » efficace et dépasser les divergences actuelles, équilibrer la fiscalité du transport de marchandises en définissant un cadre national harmonisé et prenant en compte une tarification kilométrique, appliquée avec pragmatisme.

Traiter de manière pragmatique l’ensemble des situations qui vont découler de la mise en place de cette taxation des poids lourds est la condition sine qua non de son acceptabilité et in fine de son efficacité.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en l’état, le groupe Union Centriste, au nom duquel j’interviens, votera dans sa grande majorité en faveur de la ratification de ces ordonnances, qui représentent une avancée importante à l’heure de la COP26 et des préoccupations de nos citoyens relativement au changement climatique.

Je voudrais également saluer le travail remarquable des deux rapporteurs, Jean-Claude Anglars et Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)