Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous évoluons désormais dans un environnement stratégique marqué par l’affirmation de la puissance, le retour du fait accompli et la mise en cause du multilatéralisme et du droit.

Accélérateur de la globalisation des échanges, la mer redevient un espace de conflictualité où chacun fait valoir ses intérêts. Les fonds marins représentent un terrain de rapports de force, avec notamment les câbles sous-marins.

La mer, ce sont aussi des détroits vitaux : pas de Calais, Gibraltar, Bab el-Mandeb, Ormuz ou Malacca, dont il faut continuer à garantir le libre franchissement.

Ainsi, la valeur stratégique et économique de la mer s’est accrue.

En 2017, la revue stratégique relevait que « les espaces maritimes sont au cœur de tensions croissantes, par leur rôle central dans la mondialisation des flux de toutes natures, y compris numériques, les ressources qu’ils contiennent et le développement des capacités navales et aériennes de frappe à distance ».

La Russie, par exemple, est très présente sur et sous les mers. Ses sous-marins viennent régulièrement éprouver nos moyens et notre détermination sur nos approches maritimes.

Les capacités chinoises de production de bâtiments militaires, de garde-côtes, de navires de commerce et de pêche impressionnent et inquiètent. Les routes maritimes de la soie, aux objectifs multiples, sont une réalité incontournable.

La Turquie s’affirme comme une puissance navale entendant jouer un rôle économique et géopolitique majeur dans un espace qui nous est proche : la Méditerranée.

Après leur pivot asiatique, l’empressement des États-Unis à vouloir moderniser et renforcer leur flotte montre l’importance qu’ils accordent au nouveau « grand jeu » en mer. Avec le pacte Aukus – pour Australia, United Kingdom, United States –, ils concourent à la prolifération nucléaire dans le Pacifique.

Dans ce contexte, les autorités de la marine française soulignent régulièrement que ce qui n’est pas protégé est pillé puis contesté et prédisent, notamment, le retour du combat naval de haute intensité.

L’honneur, mais aussi la difficulté, de la France est de disposer d’une façade maritime importante et d’être présente sur presque toutes les mers du globe. Il s’agit donc de territoires, de populations, d’écosystèmes, de richesses naturelles à préserver face à des périls environnementaux, à des prédateurs désinhibés, et à des contestations de plus en plus fortes.

En particulier, nos territoires ultramarins sont en première ligne face au réchauffement climatique, à l’immigration clandestine, aux trafics et à la pêche illégale.

Nous devons aussi affronter une concurrence sérieuse en matière d’industrie navale, de transport maritime ou de ports.

Lors des débats sur la programmation militaire, nous nous inquiétions des moyens comptés affectés à la surveillance de nos zones et aux différentes opérations navales.

Les moyens ont certes évolué durant l’exécution de la LPM, mais le contexte s’est durci. L’évolution du monde s’accélère et nous sommes confrontés au « défi de la masse ». La question du format de la marine, mais aussi de sa disponibilité opérationnelle se pose. L’avenir du futur avion de patrouille maritime est aussi incertain.

Dans l’Océan indien et le Pacifique, nous déployons des bateaux anciens, faiblement armés, dépourvus d’équipements de guerre électronique et en nombre limité, qui sont en décalage avec les bâtiments récents des marines partenaires.

Cela nous renvoie à la stratégie indo-pacifique de la France. Ambitieuse sur le papier, celle-ci se heurte à l’immensité des espaces, aux réalités locales, au jeu et aux moyens des superpuissances. Le camouflet subi lors de l’annonce de l’annulation du contrat en Australie et de la conclusion du pacte Aukus a affecté notre crédibilité régionale et internationale. L’entrain mesuré des Européens à nous soutenir doit nous amener à nous interroger.

Et quelle sera la réelle effectivité de la stratégie indo-pacifique de l’Union européenne ? Personne ici ne souhaite que s’inscrive dans les esprits le principe selon lequel « la défense de l’Europe, c’est l’OTAN, et la défense de l’Indo-Pacifique, c’est l’Aukus ».

La France mise beaucoup sur le partenariat stratégique avec l’Inde. Mais l’Inde mise aussi sur la Russie, et sur les autres membres du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD), au premier rang desquels les États-Unis.

Comment parler de souveraineté au bout du monde lorsque l’on éprouve les plus grandes difficultés à exercer ses droits face au voisin britannique ?

Alors que la présidence française de l’Union européenne commence, et bientôt le cycle électoral en France, nous sommes face à des défis immenses. Il nous faudra les relever rapidement, sous peine d’un déclassement irréversible et d’un pillage de nos ressources. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous, Français, entendons par « souveraineté » la capacité d’agir en toute indépendance, sans avoir à nous aligner sur d’autres pays ou de devoir obtenir leur aval, et d’appliquer le droit français sur tous nos territoires.

Dotée d’un domaine maritime de plus de 10 millions de kilomètres carrés, la France doit surveiller et protéger d’immenses étendues sur tous les océans : celles qui jouxtent nos frontières hexagonales, c’est-à-dire la Méditerranée et l’Atlantique, où se situent les Antilles françaises et la Guyane, mais aussi l’Indo-Pacifique, où vivent près de deux millions de Français.

Le Gouvernement a pris, dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, des engagements en faveur de la modernisation des capacités de la marine. Cet objectif a été en partie atteint, mais notre dispositif aéromaritime demeure doté de moyens vieillissants.

Or, au rythme actuel des investissements, leur renouvellement s’étalera jusqu’à 2030, voire au-delà pour les frégates de surveillance.

Il existe une tension constante entre les moyens que nous devons engager pour le maintien de notre souveraineté sur nos espaces maritimes et la garantie de la liberté de circulation dans les espaces communs en temps de paix et ceux qui seraient nécessaires pour la haute intensité dans une action menée en coalition.

Aujourd’hui, cependant, nos moyens sont sous tension pour faire face à certaines marines étrangères et leur faible militarisation risque de nous conduire à une incapacité à participer aux postures défensives mises en place par nos alliés, avec un risque élevé de déclassement militaire.

Le cadre budgétaire à venir sera forcément contraint au vu de l’état de nos finances publiques. Qu’est-ce qui guidera alors nos choix entre la livraison de torpilles, de ravitailleurs, de frégates de défense et d’intervention (FDI), de corvettes, de nouveaux patrouilleurs ou la construction d’un nouveau porte-avions ?

Pour faire face à la multiplication des engagements, trois grandes priorités semblent émerger.

La première consiste en la poursuite des livraisons de nouveaux équipements afin de renforcer nos capacités amphibies intrathéâtre, qui sont actuellement très limitées, de remplacer nos frégates de surveillance inadaptées à l’évolution de la conflictualité et de poursuivre la réalisation du programme d’avion de surveillance et d’intervention maritime (Avsimar), essentiel pour le contrôle des zones économiques exclusives.

Il est difficile d’assurer la discrétion d’une flotte en action au vu de la lenteur des déplacements des bâtiments. Leur supervision par la 3D – espace aérien, capteurs électroniques, radars et optiques aéroportés – est aussi compliquée par l’étendue des espaces maritimes.

Ces bâtiments de surface sont des proies faciles pour les systèmes A2/AD – pour Anti-Access/Area Denial – qui ont été développés en Chine et en Russie. Ainsi, il serait nécessaire de renouveler la composante de surveillance maritime, en la combinant avec un programme de surveillance spatial plus ambitieux.

La deuxième priorité est le respect du droit maritime international, à l’heure où celui-ci est de plus en plus contesté et bafoué, alors que son socle, la convention de Montego Bay, dont nous fêtons cette année les 40 ans, est de plus en plus remis en cause. L’Europe peut et doit faire entendre sa voix dans ce domaine.

Troisième priorité : le développement d’une stratégie maritime civile et militaire dans un cadre européen. Notre domaine maritime national donne à lui seul à l’Europe une dimension et une présence mondiales. Le réarmement naval au niveau mondial prend une ampleur considérable : la Chine a fait croître le tonnage de sa flotte de 138 % entre 2018 et 2030, l’Inde l’augmentera de 40 %, la Corée de 101 %, la France de 3,5 %. Au vu de ces chiffres, une coopération européenne renforcée s’impose.

Le programme European Patrol Corvette paraît répondre à la problématique en Indo-Pacifique, qui nécessite le prépositionnement des bateaux dans cette zone. C’est pourquoi la Nouvelle-Calédonie a une importance stratégique pour leur mouillage.

Le pacte Aukus est un autre exemple de la nécessité de se regrouper pour être plus forts, s’agissant même de puissances mondiales de tout premier plan.

Pour conclure, s’il est bon d’être ambitieux, écoutons nos militaires, qui sont partout en première ligne et agissent de plus en plus au sein de coalitions rendues nécessaires par les moyens engagés face à la montée en puissance technologique et matérielle de pays qui ne partagent pas nos valeurs et tendent à vouloir s’imposer par la force.

La réalité est que si nous voulons conserver notre influence, nous devons mettre en adéquation nos ambitions et nos moyens.

Je forme le vœu que le Parlement soit intimement associé à l’avenir aux futures décisions prises dans le cadre d’un processus mûrement réfléchi pour tout ce qui relève de notre souveraineté et du domaine de la défense. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, madame ministre, mes chers collègues, « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée. » Cette citation du cardinal de Richelieu résonne plus que jamais aux oreilles de ceux qui aiment la mer.

Du fait du développement des échanges et des énergies renouvelables, mais aussi du potentiel des fonds marins, la mer est devenue l’objet de convoitises et de stratégies de conquête de la part des grandes nations.

Présents sur l’ensemble des océans, les espaces maritimes sous juridiction française s’étendent sur plus de 10 millions de kilomètres carrés – les orateurs précédents l’ont indiqué. Ainsi, notre pays dispose du deuxième domaine maritime le plus vaste au monde, derrière celui des États-Unis, ce qui lui permet de disposer d’avantages économiques et géostratégiques.

Malgré cette situation exceptionnelle, notre pays a progressivement tourné le dos à la mer. J’en veux pour preuve l’absence d’un ministère de la mer pendant près de trente ans. La création d’un ministère de plein exercice est une première étape indispensable pour la mise en place et le suivi d’une politique maritime à moyen et long termes, c’est pourquoi j’appelle de mes vœux – et j’adresse ce message à tous les candidats – l’installation définitive de ce ministère.

Être souverain de son domaine maritime, c’est avoir la capacité de le défendre contre toute forme d’intrusion qui menacerait notre espace ou nos infrastructures économiques et militaires. Je souhaite évoquer rapidement quelques sujets de préoccupation.

Le groupe d’études « Mer et littoral », que je préside, a mené une série d’auditions mettant en lumière des menaces pressantes sur notre souveraineté portuaire.

Nous savons désormais que la Chine – cela a également été évoqué précédemment –, avec sa stratégie des nouvelles routes de la soie, cherche à développer les interconnexions avec le reste du continent eurasiatique, notamment par des investissements d’entreprises chinoises dans les ports d’Europe. Cette présence est ainsi de plus en plus visible dans les ports européens, notamment en Grèce ou en Italie.

Face à cette menace qui pèse sur l’indépendance de nos infrastructures, aucune proposition ne figure dans la stratégie nationale portuaire portée par le Gouvernement. La protection de notre souveraineté portuaire sera pourtant l’un des enjeux majeurs des années à venir. J’appelle donc de mes vœux la commande d’un rapport sur la réalité de la stratégie chinoise et de l’influence de ce pays sur notre secteur maritime et portuaire, comme le demandait la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français déposée par Michel Vaspart et adoptée par le Sénat en décembre 2020.

Par ailleurs, nous devons continuer de porter un regard vigilant sur l’Arctique. Symbole des désastres du réchauffement climatique, nous regardons cette partie du monde disparaître peu à peu sous nos yeux. Tandis que nous observons cette situation, d’autres nations comme la Chine, la Russie ou les États-Unis réfléchissent déjà à l’exploitation de ces nouvelles routes maritimes.

Cette situation pose de nombreux défis et j’appelle à ce que, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, la France puisse construire une véritable stratégie avec les pays riverains afin de garantir la stabilité de la zone – c’était d’ailleurs l’une des quatre orientations que vous aviez définies en 2017, madame la ministre.

Enfin, la souveraineté économique et militaire doit être également environnementale. Nous possédons plus de 57 000 kilomètres carrés de récifs coralliens – ce qui place la France au deuxième rang mondial en ce domaine –, à la fois en Nouvelle-Calédonie, où se situe la deuxième plus grande barrière récifale au monde, et en Polynésie, qui accueille 20 % des atolls coralliens de la planète. Ces récifs coralliens sont des zones de reproduction des espèces et de reconstitution des stocks de pêche, et donc, de préservation d’une biodiversité par ailleurs menacée vis-à-vis de laquelle nous avons une responsabilité.

Concernant l’érosion du trait de côte, les collectivités locales du littoral attendent de véritables propositions, en particulier sur le plan des financements.

Madame la ministre, tels sont – rapidement évoqués – les enjeux et défis auxquels notre pays est confronté. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour conforter, mais surtout renforcer sa place sur ces théâtres d’action. La souveraineté maritime doit être l’expression de la grandeur de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée. Cela prouve que la stratégie maritime française reprend la place qu’elle mérite parmi les enjeux nationaux, et j’en suis ravie. Ces trois derniers mois, j’ai d’ailleurs été auditionnée à trois reprises par le Sénat, ce qui montre toute l’importance que revêtent les questions maritimes dans cette maison.

Vous avez abordé de nombreux sujets. Dans le temps qui m’est imparti, je ne pourrai répondre à chacun. Aborder un sujet tel que les clauses miroirs, par exemple, suppose davantage de temps. Cela étant, madame la sénatrice Nadège Havet, soyez assurée que Julien Denormandie et moi-même sommes en total accord quant au combat que nous devons mener dans le cadre des accords de libre-échange de l’Union européenne sur les clauses miroirs.

Des informations particulières vous seront communiquées en réponse à vos questions, au-delà des éléments que j’ai déjà évoqués lors de mes auditions du 9 décembre sur le Brexit et la pêche et du 21 octobre sur la place des outre-mer dans les politiques maritimes de la France. Par ailleurs, je reviendrai au Sénat le 18 janvier prochain pour être auditionnée par la mission d’information sur la protection, l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.

Je souhaite ce soir vous présenter la stratégie maritime française que je m’attache à promouvoir. Conforter notre souveraineté et garantir nos intérêts stratégiques et économiques sur les mers et les océans du globe, c’est inscrire pleinement la France dans ce XXIe siècle maritime, cher au Président de la République comme à mon ministère.

Vous le savez, la France assure la présidence de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2022 : c’est l’occasion de réaffirmer la dimension maritime de l’Union européenne, particulièrement dans un monde qui se durcit – plusieurs orateurs l’ont indiqué : les arsenaux militaires se développent pour affirmer les souverainetés avec force, les zones de contestation du droit de la mer se multiplient et dans le même temps, la lutte contre les activités illicites, la pêche illégale ou encore la piraterie nécessitent une attention constante. Alors que les océans sont plus que jamais les supports du commerce mondial, ces menaces affectent et fragilisent la géopolitique des mers.

La politique maritime du Gouvernement, forte du retour d’un ministère de la mer de plein exercice, gravite autour de trois axes forts : notre souveraineté, nos intérêts stratégiques et nos intérêts économiques.

Le premier axe de notre politique maritime est l’affirmation sereine de notre souveraineté. La France reste attachée à l’application pleine et entière de la convention de Montego Bay, dont nous fêtons les 40 ans – vous avez raison de le saluer, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret. Cette convention est pour moi la pierre angulaire du développement pacifique des activités des États en mer.

Aux termes de cette convention, la France est dotée de trente et un voisins avec lesquels elle doit s’entendre pour délimiter ses espaces maritimes.

J’en profite d’ailleurs pour saluer l’immense travail accompli depuis dix ans pour moderniser nos décrets de délimitation. Ils comprennent désormais pour la plupart les coordonnées géographiques précises de nos espaces maritimes, dont vous pouvez facilement visualiser les contours sur le portail national des limites maritimes, www.limitesmaritimes.gouv.fr.

Quelque onze délimitations – certains orateurs les ont évoquées – ne font pas encore l’objet d’un accord finalisé. La France reste toujours ouverte au dialogue avec ses voisins, c’est important, mais dans les cas les plus compliqués, notamment autour de certaines îles françaises – je dis bien françaises, car il n’y a pour moi aucun doute sur ce point –, il faut avoir le courage d’un dialogue franc avec les États – sur ce point je rejoins les propos de MM. Cadec et Cigolotti. Pour autant, ces États restent nos partenaires, et le mépris ne saurait être une option pour la France.

Enfin, pour assurer la surveillance et la maîtrise des activités dans ces espaces maritimes, la France déploie sa fonction garde-côtes, avec des unités et aéronefs de la marine nationale, des affaires maritimes, de la douane, des forces de police et, bien sûr, de gendarmerie.

Ces capacités physiques d’interception voient leurs actions de plus en plus dirigées par le développement des moyens de surveillance satellitaire – les signaux radioélectriques, ou encore l’imagerie radar, voire optique.

Certains d’entre vous m’ont déjà interrogée sur la suffisance de nos moyens pour assurer la surveillance du deuxième espace maritime mondial.

Justement, ces dernières années, les capacités de la marine nationale ont été accrues de manière inédite dans le cadre de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Après une décroissance qui n’a été stoppée qu’en 2015, le budget de la mission « Défense » a connu depuis 2017 une remise à niveau sans précédent, passant de 32,3 milliards d’euros à 40,9 milliards d’euros pour 2022. Entre 2021 et 2022, le budget de la marine augmente de 9 % – cela a été rappelé.

Je le redis avec force : ce quinquennat est celui qui a fait le plus pour le renouvellement de nos moyens de surveillance en mer, toutes administrations confondues : six patrouilleurs ont été commandés pour les outre-mer, huit pour la métropole et huit bâtiments d’assistance, ainsi que dix vedettes côtières des douanes, doivent être livrés en métropole et dans les outre-mer.

Ce sont autant de preuves concrètes de notre action. Tout cela figure dans le schéma directeur de la fonction garde-côtes approuvé par le Premier ministre lors du comité interministériel de la mer qui s’est tenu en 2019.

Le deuxième axe de notre politique maritime est la garantie de nos intérêts stratégiques dans une approche multilatérale. Je l’ai dit, la France reste très attachée aux équilibres de la convention de Montego Bay. Je souhaite réaffirmer devant votre assemblée que la liberté de navigation doit rester un principe fort – je rejoins sur ce point les propos de Joël Guerriau.

Par ailleurs, il est de l’intérêt de la France de conserver sa place dans l’industrie câblière. Nous soutenons nos deux fleurons français – Alcatel Submarine Networks et Orange Marine – afin de conserver notre souveraineté et d’exporter notre savoir-faire.

Si la haute mer offre des droits, elle impose aussi des devoirs – j’ai eu l’occasion de rappeler régulièrement les nôtres. C’est pourquoi dans le cadre des négociations relatives au traité de la biodiversité en haute mer (BBNJ), la France soutient le concept d’océan comme bien commun – je souhaite l’indiquer au sénateur Jacques Fernique, et nous le redirons à Brest en février lors du sommet « Un océan » dont le Président de la République a souhaité la tenue.

Ici comme ailleurs, les connaissances scientifiques sont le préalable incontournable pour déterminer raisonnablement notamment des aires marines protégées efficaces en haute mer.

Mais la responsabilité, c’est aussi le respect du rôle de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour fixer les règles d’exploration, voire d’exploitation dans la zone des fonds marins sous la haute mer.

Vous le savez, la ZEE est également en question. Je suis ravie que France 2030 fasse la part belle à la connaissance maritime future, car nous avons en la matière de grands défis à relever.

Enfin, notre approche multilatérale de ces questions implique de développer des relations de coopération régionale. La France accroît par exemple son influence dans l’océan Indien et sur l’axe indo-pacifique – cela a été évoqué. Elle a ainsi intégré en 2021, après un vote acquis à l’unanimité, le Forum des garde-côtes asiatiques.

Plus largement, nous mettons en œuvre le 14e objectif de développement durable – ADN de mon ministère –, qui vise à l’exploitation durable et à la préservation des ressources des océans, au sein des douze organisations régionales de gestion de la pêche dans lesquelles nous siégeons, aux côtés de l’Europe, grâce à nos territoires ultramarins.

Pour atteindre cet objectif, il nous faut d’abord connaître précisément nos ressources. Il paraît indispensable que, au XXIe siècle, l’Europe soit en mesure de connaître précisément l’état de tous ses stocks, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il nous faut donc une véritable politique de gestion des ressources halieutiques. Nous devrons faire avancer ce sujet à l’échelon européen, mais nous devons aussi faire mieux du côté français.

C’est l’un des grands objectifs du plan d’action pour une pêche durable que j’ai proposé au Président de la République et qui a été annoncé le 17 décembre dernier à l’Élysée devant les professionnels de la filière pêche. Ce plan qui sera finalisé d’ici la fin du quinquennat concernera l’ensemble des façades maritimes, y compris l’outre-mer – je m’y suis engagée ce matin devant l’ensemble des organisations professionnelles.

J’ai également l’intention de mettre en avant ce sujet à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), pour partager cette vision avec nos partenaires européens.

Le dernier axe de notre politique maritime a trait à nos intérêts dans l’économie bleue. La dynamique du Fontenoy du maritime, lancé avec les armateurs il y a maintenant un an, porte déjà ses fruits. La compétitivité du pavillon France repose – vous le savez – sur une stratégie de flotte, pour faciliter son financement et la rendre plus écologique, avec le déploiement du « suramortissement vert », ou encore la possibilité de coupler le recours au crédit-bail avec la garantie interne ou la garantie de projet stratégique en fonction du positionnement du projet.

Cette compétitivité repose également sur une action résolue en matière d’emploi. L’objectif est bien d’améliorer le parcours et la carrière des marins français par la création d’une aide à l’emploi maritime pour trois ans et par le doublement du nombre d’officiers formés par l’École nationale supérieure maritime (ENSM) d’ici quelques années.

Enfin, le second levier du développement économique est la consolidation des atouts stratégiques que constituent nos ports dans toutes leurs dimensions. Martine Filleul et Didier Mandelli ont d’ailleurs insisté sur cette stratégie portuaire.

Je le redis : j’ai pour objectif de faire de la France le premier port européen dans toutes les dimensions que cela implique. Pour cela, il faut d’abord penser « collectif » et adopter une stratégie globale – celle-ci doit encore être affinée.

Je n’oublie pas la croisière, qui traverse une période très difficile à cause du covid-19.

Les enjeux de l’Hexagone et ceux de l’outre-mer ont pleinement été pris en compte dans la stratégie nationale portuaire. La reconquête de parts de marché sur les ports concurrents étrangers se fera uniquement par un développement industriel et logistique durable – cela a été dit : j’entends renforcer leur complémentarité en favorisant une démarche collective et une logique de façade.

Pour conclure, je souhaite rappeler qu’en mer il n’existe pas de frontières, mais bien des limites, à l’intérieur desquelles l’État côtier développe ses activités dans le respect des libertés des autres.

En mer, l’immobilisme n’est pas permis et je pense vous avoir aujourd’hui, sinon rassurés, du moins assurés de la détermination du Gouvernement dans l’action qu’il mène en faveur de sa souveraineté maritime au regard des enjeux stratégiques et économiques. (Mme Nadège Havet applaudit.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques.