Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure de la commission des affaires sociales. « Aux combattants, à ces hommes, à ces femmes, j’exprime la reconnaissance de la Nation. C’est pour la France une question de dignité et de fidélité. La République ne laissera pas l’injure raviver les douleurs du passé. Elle ne laissera pas l’abandon s’ajouter au sacrifice. Elle ne laissera pas l’oubli recouvrir la mort et la souffrance. » Par ces mots prononcés le 25 septembre 2001, le Président Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la Nation dans l’abandon des harkis et des autres supplétifs qui avaient fait le choix de la France, au péril de leur vie.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’engagement des harkis, leur abandon, les traumatismes et les difficultés qu’ils ont subis, j’en ai reçu le témoignage en entendant, pour l’examen de ce projet de loi, des harkis et des membres de leurs familles. Leur parole est poignante, bouleversante, et leur histoire est celle de la France. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam acquiesce.)

Aux côtés de l’armée, la France a pu compter sur l’engagement de milliers de supplétifs d’origine algérienne : harkis, moghaznis, auxiliaires de la gendarmerie, groupes d’autodéfense, groupes mobiles de police rurale. S’y ajoutent plusieurs catégories de personnes assimilées aux membres des formations supplétives, à l’instar des agents de renseignements, des gardes champêtres ou des auxiliaires médico-sociaux des armées.

À la fin de la guerre, le plan général de rapatriement du Gouvernement ne permet de rapatrier qu’une partie des anciens supplétifs, accompagnés de leur famille, dont la sécurité était menacée en Algérie. Nombre de ceux qui sont restés en Algérie, abandonnés, livrés à leur sort, considérés comme des traîtres, sont alors victimes d’exactions indescriptibles et assassinés malgré les engagements du Front de libération nationale (FLN).

Sur les 82 000 rapatriés d’origine algérienne qui sont arrivés en France, 42 000 anciens supplétifs et membres de leurs familles ont été accueillis dans des camps de transit et de reclassement, ainsi que dans des hameaux de forestage, où ils ont été engagés sur des chantiers d’aménagement de zones forestières.

Les résidents de ces structures administrées par l’État ont subi des conditions de vie indignes et précaires : promiscuité, difficultés d’accès à la nourriture, brimades, humiliations, privations, déscolarisation des enfants, restrictions de circulation.

Dans ces camps, le quotidien des harkis et de leurs familles est fait de souffrances et de traumatismes durables. Sous la responsabilité de l’État, ces structures, auxquelles il est difficile d’accoler le mot d’accueil, imposent des conditions de vie contraires aux lois et aux valeurs de la République.

Après une révolte menée par les enfants de harkis, la fermeture administrative des derniers camps est décidée en conseil des ministres le 6 août 1975. Toutefois, nombre de familles de harkis y sont demeurées pendant plusieurs décennies, parfois jusqu’à aujourd’hui, notamment au camp de Bias. (Mme la ministre déléguée manifeste son désaccord.)

On ne peut le nier : depuis lors, de nombreuses mesures d’aide, de reconnaissance et d’indemnisation ont été déployées pour les anciens supplétifs et leurs ayants droit. Aides sociales à la réinstallation, indemnisation des biens perdus en Algérie, mesures de désendettement, aides au logement, possibilité de rachat de trimestres de retraite pour les enfants ayant séjourné dans les camps, emplois réservés dans l’administration : tous ces dispositifs ont bénéficié à des milliers d’anciens harkis et à leurs familles, en complément de l’aide sociale de droit commun.

En parallèle, le devoir de reconnaissance et de mémoire envers les harkis s’est traduit depuis 2001 dans la parole présidentielle. Les Présidents Chirac, Sarkozy et Hollande ont successivement rendu hommage à l’engagement des harkis et reconnu que la République les avait abandonnés. Le 20 septembre dernier, le Président Macron a réaffirmé cette reconnaissance envers les harkis, en leur présentant, au nom de la Nation, une demande de pardon et en annonçant des mesures de reconnaissance et de réparation qui trouvent leur traduction dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

La reconnaissance de la Nation, exprimée à l’article 1er, recouvre deux aspects.

D’une part, cet article réaffirme la reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés. Cette reconnaissance avait déjà été exprimée par la loi en 1994 et en 2005. Elle est complétée à l’article 1er bis par l’inscription dans la loi de la journée nationale d’hommage aux harkis, fixée au 25 septembre.

D’autre part, l’article 1er reconnaît la responsabilité de l’État du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire qui ont été réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles hébergés dans des structures fermées où ils ont subi des conditions de vie précaires et des atteintes aux libertés individuelles, à savoir les camps de transit et les hameaux de forestage.

Tirant la conséquence de cette responsabilité de l’État, l’article 2 institue un mécanisme de réparation financière en faveur des rapatriés ayant transité par un camp ou un hameau entre la publication des accords d’Évian, le 20 mars 1962, et la fin de l’année de la fermeture administrative des camps et des hameaux, le 31 décembre 1975. Pourront bénéficier de cette réparation les anciens supplétifs et les membres de leurs familles ayant séjourné dans l’une de ces structures entre 1962 et 1975. Seule la preuve du séjour sera à apporter par les demandeurs, le préjudice qu’ils ont subi dans ces structures étant présumé.

Une somme forfaitaire, versée selon un barème fixé par décret, tiendra lieu de réparation. Le montant maximal devrait ainsi s’élever à 15 000 euros pour un séjour de 1962 à 1975, soit la somme au paiement de laquelle l’État a été condamné par le Conseil d’État en 2018 pour un séjour d’une durée comparable.

La liste des structures concernées, fixée par décret, devrait être identique à celle des camps et hameaux retenus dans le cadre du fonds de solidarité envers les enfants de harkis créé à la fin de l’année 2018. La commission a précisé à l’article 1er qu’étaient concernées des structures de toute nature, afin que certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés puissent également être comprises dans la liste des structures retenues.

Le champ de la réparation prévue par le texte n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie étaient également précaires, mais moins attentatoires aux libertés et droits fondamentaux. En effet, ces cités n’étaient pas soumises à un régime administratif dérogatoire du droit commun, contrairement aux structures fermées. On ne peut donc pas imputer à l’État la même responsabilité que celle qui est reconnue pour son administration des camps. Une telle extension créerait en outre une rupture d’égalité envers les autres personnes ayant séjourné dans ces cités au cours de la même période.

Pour autant, une part importante des rapatriés ayant séjourné dans ces cités y ont été orientés après un passage en camp et pourront, à ce titre, bénéficier du droit à réparation.

Les demandes de réparation seront soumises à une commission de reconnaissance et de réparation, créée par l’article 3, qui aura également la charge de recueillir et de transmettre la mémoire des harkis. L’histoire de ces citoyens français, la tragédie qu’ils ont vécue, la souffrance de leurs enfants et la douleur de leurs petits-enfants doivent être connues de tous.

S’appuyant sur les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour l’instruction des dossiers, cette commission aura un rôle majeur, ce qui explique aussi la méfiance, voire les suspicions, qu’elle suscite. Sa création montre également que rien n’est figé. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a souhaité renforcer les garanties de son indépendance.

Enfin, l’article 7, très attendu par la population harkie, lève plusieurs délais de forclusion applicables à l’allocation viagère, servie depuis 2016 aux conjoints et ex-conjoints survivants d’anciens supplétifs ayant fixé leur domicile en France. La commission vous proposera, en accord avec le Gouvernement, d’étendre de quatre ans à six ans la période au titre de laquelle les veuves des anciens harkis pourront solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère. (Mme la ministre le confirme.) Je remercie Mme la ministre d’avoir accepté notre demande, qui permettra la récupération des montants de l’allocation depuis sa date de création.

Au total, si le texte qui nous est soumis comporte des avancées importantes pour améliorer la reconnaissance et la réparation envers les anciens supplétifs et les membres de leurs familles, ce projet de loi garde un goût d’inachevé.

D’une part, je comprends parfaitement ceux qui considèrent qu’une somme de 15 000 euros n’est pas à la hauteur des souffrances endurées. Aucun montant ne permettrait de réparer intégralement un tel préjudice.

D’autre part, le texte porte à titre principal sur un préjudice bien spécifique, subi par une partie des harkis et de leurs familles. Dès lors, il donne à certains le sentiment que la reconnaissance ainsi proclamée n’est pas la reconnaissance due à l’ensemble des harkis. Le texte ne parvient donc pas pleinement à apaiser et à réunir la communauté harkie. « La douleur est énorme et si irrépressible qu’il est impossible de la combler » : tels sont les mots de l’historien Gilles Manceron, que j’ai auditionné ; je souscris pleinement à ces propos.

C’est la raison pour laquelle la commission a considéré que, s’il contenait des avancées, ce projet de loi ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte ». Notre discussion permettra – je le crois – de préciser que la réflexion doit se poursuivre sur l’opportunité d’instaurer de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation envers les harkis.

La commission estime donc qu’adopter ce projet de loi permet de réaffirmer la reconnaissance de la Nation envers les harkis et de prévoir la réparation du préjudice subi par bon nombre d’entre eux. Sur ce long chemin de mémoire et de réconciliation, il porte reconnaissance d’une partie – je dis bien une partie – de la dette d’honneur que la France doit à ces citoyens français. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI. – Mmes Colette Mélot et Émilienne Poumirol ainsi que M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

Mme la présidente. Je tiens à rappeler aux personnes présentes en tribune qu’elles ne doivent pas émettre d’observations pendant les débats.

La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a bientôt soixante ans, après huit années d’affrontement, la guerre d’Algérie prenait fin. Ce conflit terrible a fait des centaines de milliers de morts, dont 25 000 soldats français.

La présence française en Algérie remontait à plus d’un siècle et les destins de nos populations s’étaient mêlés. La lutte qui a conduit à l’indépendance de notre ancienne colonie a revêtu une dimension de guerre civile, charriant les atrocités inhérentes à ces conflits particulièrement cruels.

Des Algériens avaient pris fait et cause pour la France : les harkis, les moghaznis et autres supplétifs. Au péril de leur vie, tout comme les soldats de métropole, mais sans bénéficier du même statut que ces forces régulières, ils ont servi notre pays.

Pour eux, la souffrance, ne s’est, hélas ! pas arrêtée avec la fin des combats. Une fois le cessez-le-feu signé le 19 mars 1962, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été torturées et assassinées en Algérie. Je veux rendre hommage à la mémoire de ceux qui ont servi la France et qui ont payé cet engagement de leur vie et de celles des membres de leur famille. Nous ne devons pas les oublier.

Parmi les 82 000 personnes qui ont pu être rapatriées, certaines ont connu un sort douloureux. Elles ont été accueillies dans des conditions indignes. Mme la ministre et Mme la rapporteure l’ont rappelé : on les a envoyées dans des camps d’internement, des hameaux de forestage ou encore des prisons reconverties pour la circonstance.

La France les a abandonnées. Elle n’a pas traité ceux qui se sont battus pour elle comme ses enfants. Ainsi a-t-elle manqué à son devoir.

Le Gouvernement soumet aujourd’hui à notre examen un projet de loi dont l’objet est double.

Il s’agit tout d’abord d’inscrire dans la loi la reconnaissance de la Nation envers ceux qui ont servi la France et d’admettre que les personnes accueillies dans des conditions indignes ont subi un préjudice.

Cette reconnaissance s’inscrit dans la lignée des déclarations que les Présidents de la République successifs ont pu faire. Elle n’en est pas moins importante, qu’il s’agisse des personnes concernées ou de notre travail de mémoire.

Il s’agit, ensuite, d’entreprendre la réparation du préjudice subi par ces populations, tâche délicate s’il en est, car la douleur et le temps perdu se convertissent mal en sommes d’argent. Les réparations sont par essence imparfaites : elles n’ont pas le pouvoir d’effacer la souffrance.

Les montants prévus ne satisferont bien sûr pas tout le monde. Ils ont néanmoins le mérite d’exister. Non seulement ils ne nous semblent pas dérisoires, mais ils seront exonérés d’impôts et de contributions sociales.

Le dispositif prévu par le Gouvernement présente en outre l’avantage de la simplicité. L’indemnisation sera fonction du temps passé dans l’une des structures indignes qui furent destinées à les accueillir, et le préjudice sera présumé. Cette dernière disposition dispensera les quelque 50 000 bénéficiaires potentiels de démontrer la réalité et l’étendue d’un dommage subi voilà maintenant un demi-siècle.

Ce projet de loi modifie également les modalités d’attribution de l’allocation viagère afin que les quelque 200 personnes qui doivent encore en bénéficier soient en mesure d’y prétendre.

Il s’agit là de mesures de justice dont nous nous réjouissons.

Par ailleurs, nous nous félicitons qu’une commission nationale indépendante soit constituée au sein de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Elle aura pour mission spécifique de s’assurer que les démarches engagées sur le fondement de ce texte aboutissent. Elle aura aussi pour mission de contribuer à faire évoluer, le cas échéant, la liste des structures d’accueil au sein desquelles un séjour ouvre droit à indemnisation.

Il est important de regarder le passé en face. C’est la grandeur de la République française que de reconnaître les erreurs qu’elle a pu commettre et de tenter de les réparer. Tous les États ne font pas preuve de la même hauteur de vue.

Nous tenons à saluer notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, qui a accompli un excellent travail. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce projet de loi, tel qu’il a été modifié en commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Marie-Pierre Richer, rapporteure de ce texte, pour le travail appliqué et consciencieux qu’elle a mené.

Comment ne pas penser, en cet instant, à ces hommes et à ces femmes qui, nous écoutant, attendent et espèrent ? Ils n’ont rien oublié de ces heures où l’indépendance de l’Algérie a soudain fait basculer plus d’un siècle d’histoire.

S’agissant de moments troubles à propos desquels aucun manichéisme n’est de mise et d’une mémoire officielle et collective qu’aucun oubli ne doit entacher, il faut dire la responsabilité de la France dans ce qui fut un drame français.

Ne rien oublier, c’est se souvenir que les harkis ont toujours cru en la France, s’acquittant de leur devoir envers elle dans les crises et les guerres. Des bords de la Marne au Mont-Cassin, le sang versé par les Algériens a souvent contribué à la destinée de notre pays.

Ne rien oublier, c’est rappeler le courage qu’il fallut aux harkis pour faire ce choix au moment de l’indépendance de l’Algérie : le choix de la France.

Ne rien oublier, enfin et surtout, c’est prendre conscience des conditions difficiles et même dramatiques dans lesquelles arrivèrent un million de femmes, d’enfants et d’hommes, contraints à un exil forcé, douloureux et sans retour. Loin d’un accueil heureux sur le sol métropolitain, c’est bel et bien, malheureusement, d’un exil long et triste de la terre d’Algérie qu’il fut avant tout question.

La France, alors, aurait pu aider les arrivants en soulageant les vicissitudes d’une installation déjà difficile. En tant que parlementaire de Lot-et-Garonne, département au cœur duquel se trouve le camp de Bias, je peux aisément vous dire combien ces lieux d’infortune furent précaires, honteux et misérables. Quel contraste terrible entre ce confinement au long cours et le prétendu confort moderne des Trente Glorieuses !

Dans les deux chambres, l’examen de ce projet de loi a donné lieu à nombre de travaux, débats, auditions et échanges, et aujourd’hui nous nous accordons sur un point : il s’agit là pour la France d’une question d’honneur.

Malgré le temps passé, réparons les erreurs commises ; les harkis ont longtemps attendu une politique publique à la hauteur de ce qu’exigeait, notamment, leur insertion dans notre société métropolitaine.

Certes, la France a mis en place des régimes d’indemnisation ; elle a aidé les veuves des anciens combattants et contribué à l’essor professionnel des enfants de harkis. Mais que l’on considère la force du symbole ou que l’on évalue de façon réaliste le montant de la juste rétribution financière, le compte n’y est pas. La République ne peut s’en satisfaire !

Au fond, mes chers collègues, donner plus à ceux qui ont moins pour compenser le déterminisme social et économique, n’est-ce pas, précisément, être fidèle à l’idéal républicain ?

C’est la raison pour laquelle j’estime que ce texte a le mérite d’exister : il constitue une pièce importante de cette œuvre de réparation. Je regrette néanmoins qu’il s’adresse aux seuls occupants des camps, comme celui de Bias, ou des hameaux de forestage, et non à toutes les victimes – je pense à celles qui arrivèrent ici, sur le sol métropolitain, par leurs propres moyens. Tel est d’ailleurs le sens d’un des amendements que j’ai déposés : il ne faut pas créer une injustice pour en réparer une autre.

Madame la ministre, je salue l’intention du Gouvernement, ainsi que le travail accompli pour rouvrir un chapitre douloureux de notre histoire, dans le cadre d’un projet de loi qui ne saurait en aucun cas en constituer l’épilogue. Le Président de la République a demandé pardon aux combattants abandonnés. Mais que signifie cette demande de pardon si l’on n’est pas capable d’aller jusqu’au bout de ce que nous impose la vérité ?

À la lumière de cette mise en contexte historique et culturelle, je dois vous avouer ma perplexité à deux égards.

D’une part, je pense au calendrier. Il est bien tard pour exprimer aux harkis un intérêt réel, sincère et dénué de tout électoralisme – nous sommes à la fois au crépuscule du quinquennat présidentiel et à l’aube d’une campagne enfin « officielle ». Un tel projet de loi doit se construire en amont, de manière approfondie et avec sérieux, afin de ne rien oublier ; il doit se construire, autrement dit, en début de législature.

D’autre part, je pense au caractère prétendument définitif de ce texte. Les nombreuses auditions conduites ici même, au Sénat, comme les discussions passionnées et passionnantes que j’ai eues et que je continue d’avoir avec les harkis de Lot-et-Garonne, prouvent plutôt que nous avons un devoir à poursuivre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Guy Benarroche. « Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés […], je demande pardon. Nous n’oublierons pas. […] La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants. »

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tels furent les mots du Président de la République en septembre dernier. En 2016, François Hollande avait engagé cette reconnaissance de la responsabilité de la France dans le sort réservé aux harkis ; et en 2018 le Conseil d’État avait reconnu la responsabilité de l’État, condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par celui-ci.

Les derniers débats, au sein de notre assemblée, sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie restaient vives.

Pourtant, à l’approche des soixante ans des accords d’Évian, les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis furent accueillis en métropole exigeaient, de toute évidence, une reconnaissance et une réparation.

Ce projet de loi était demandé par les associations représentant les harkis et leurs descendants ; mais il ne répond pas vraiment à leur attente.

Grand espoir soulevé par les paroles que j’ai citées à l’instant, déception presque aussi grande suscitée par le texte initial : oserai-je dire que j’ai reconnu là la patte du Président de la République et de son gouvernement ?

Tout d’abord, sur la forme, de nombreuses associations, dont je salue la présence aujourd’hui en tribune, regrettent le manque de concertation dans la rédaction de ce projet de loi. Critiquant une écriture bâclée, beaucoup, le jugeant restrictif, discriminant et injuste, demandaient qu’il ne soit pas étudié en l’état, mais réécrit avec leur participation.

La première incompréhension a trait aux restrictions à la fois géographiques et temporelles qui limiteront le champ des bénéficiaires.

Comment le Gouvernement justifie-t-il de ne pas étendre cette reconnaissance et cette réparation à l’ensemble des harkis, y compris à celles et à ceux qui sont parvenus en métropole par leurs propres moyens après 1975 ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas entendu la revendication d’une extension de cette reconnaissance et de cette réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs ?

L’indignité des conditions de leur accueil dans les camps et autres structures particulières comme les hameaux de forestage était bien sûr un point essentiel, mais on ne saurait limiter la question de cet accueil indigne à ces seules structures. Comme l’indique notre rapporteure, « le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie ne se sont pas toujours avérées plus confortables, mais où ils n’étaient pas privés de la liberté de circulation ».

Si les réparations proposées constituent une avancée majeure, ce n’est pas par leur montant. Les sommes prévues doivent absolument être à la mesure des pertes de chance qu’elles sont censées compenser, celles de toute une génération ; il faut tenir compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles endurées par toutes ces familles.

Ces réparations constituent bel et bien une avancée, malgré tout, car elles diffèrent des systèmes d’allocations qui, tout utiles qu’ils aient pu être, ne se fondaient que sur le principe d’une solidarité sociale, non sur celui de la compensation des défaillances de l’État.

À cet égard, nous avons entendu les craintes des associations quant au risque d’une certaine fongibilité entre des allocations relevant de l’exercice de la solidarité nationale, d’une part, et la réparation d’un préjudice subi, de l’autre.

C’est pourquoi, une nouvelle fois, je salue la position de notre commission, dont la rapporteure a précisé que les réparations prévues dans ce projet de loi ne sauraient constituer un « solde de tout compte ».

Il est essentiel que l’évaluation des préjudices subis puisse être menée de la manière la moins restrictive possible ; mais comment améliorer ce texte ? Qu’il s’agisse des périodes ouvrant droit à réparation, des critères d’instruction des demandes, de l’inclusion dans la détermination de la somme des années passées dans les prisons algériennes, de la réparation due aux veuves ou même de la création d’une fondation mémorielle, nos amendements ont été jugés irrecevables pour raison financière.

Nous demandons donc au Gouvernement d’assumer ses responsabilités en reprenant ces amendements à son compte. Puisqu’il le peut, il le doit ! Dans le même esprit, nous défendons la création d’une commission indépendante et diverse dans sa composition.

Ce texte de loi pourrait aussi être l’occasion de réparer certains préjudices spécifiques subis, certes à la marge, par quelques dizaines de harkis ; ces situations méritent l’attention du Gouvernement. Nous avons déposé deux amendements à cette fin, mais eux aussi ont été déclarés irrecevables.

Oui, ce texte est incomplet et doit faire l’objet de modifications. Nous l’améliorerons donc ensemble ; je demande au Gouvernement de nous y aider. C’est notre travail d’œuvrer en ce sens. Nous le devons bien aux harkis, à leurs enfants, à leurs petits-enfants.

Ainsi ce texte viendrait-il couronner une réflexion longue sur la place que notre pays n’a pas su leur octroyer. Mais il doit être bien plus que cela : il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile soit-elle.

En des temps où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons à nous-mêmes, où les révisionnismes en tout genre tentent de gommer le travail de nos historiens, il m’apparaît judicieux de soutenir ce texte.

Les harkis ont souffert des décisions de notre État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tous ces préjudices soient reconnus ni réparés. Ce projet de loi doit permettre d’y pourvoir enfin, non un peu ou à contrecœur, mais clairement, complètement et avec conviction !

Aussi voterons-nous ce texte enrichi des amendements de la commission, à condition qu’il le soit aussi de ceux qui vont être présentés par notre groupe et par de nombreux autres sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.