Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en prenant connaissance de notre ordre du jour, j’ai poussé un ouf de soulagement. Enfin, le vrai débat, le vrai choc de société, le vrai enjeu de ce nouveau siècle ! Le danger est finalement nommé : wokisme…

Enfin, notre droite bien française importe la panique morale de la droite américaine. Après Jair Bolsonaro et Donald Trump, ces phares de la pensée néoconservatrice, il était temps que nous nous attaquions nous aussi à la recherche, en particulier à la recherche en sciences humaines et sociales.

On avait eu les gender studies, la théorie du genre ; on a fait un petit détour par l’écriture inclusive, puis par l’islamo-gauchisme, mais on se perdait un peu… Alors, bienvenue au nouveau danger, celui qui unifie tous les réactionnaires français : le wokisme.

Certains dans ma famille politique pensaient naïvement qu’il s’agissait d’un épouvantail que l’on agite pour parler d’un mouvement de jeunes gens « éveillés » qui interrogent l’histoire et ses déterminismes, remettent en question les dominations dans nos sociétés, se questionnent sur nos grands hommes, demandent un égal traitement des humains, quels qu’ils soient, ou s’intéressent par exemple à la manière dont le langage produit des normes. Mais pour vous, on l’a bien compris, ce sont des extrémistes !

Des extrémistes que vous estimez même plus dangereux que l’extrême droite. Cette extrême droite pourtant bien réelle aujourd’hui, qui menace de mort des personnalités politiques, qui produit des tribunes appelant à la guerre civile, qui a fomenté dix attentats déjoués depuis 2017. Visiblement, ce danger-là ne mérite pas de débat dans notre assemblée…

Sur ce point, je me réjouis de constater que vous êtes sur la même ligne que le Gouvernement. Rendez-vous compte ! Au moment même où toutes nos écoles étaient dans la tourmente en raison de la valse des protocoles sanitaires, le ministre Blanquer a posé un acte fort : ouvrir un colloque sur le wokisme.

M. Jacques Grosperrin. Il a bien fait !

M. Thomas Dossus. Un colloque où s’est libérée durant deux jours une parole de comptoir sur la résistance à toute forme de progressisme, à toute forme de liberté académique. Voilà la vraie priorité !

Une priorité aussi pour la ministre en charge de la recherche puisque, au moment où les étudiants souffraient de mois de confinement, de cours à distance, de précarité galopante, Mme Vidal a su nommer le mal et commander une enquête au CNRS sur l’islamo-gauchisme qui gangrènerait nos universités.

M. Jacques Grosperrin. Et elle a bien fait !

M. Thomas Dossus. Peu importe si le CNRS a condamné l’utilisation d’un terme qui n’a « aucune réalité scientifique » et une enquête qui « remet en cause les libertés académiques ». Et peu importe si cette enquête n’a jamais vu le jour. L’essentiel est d’en avoir parlé !

D’autres ont aussi eu besoin d’en parler… Prenons le cas de Laurent Wauquiez qui a promptement coupé les subventions de la région à Sciences Po Grenoble, principalement des aides aux étudiants d’ailleurs, pour une affaire montée de toutes pièces. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Il a bien fait !

M. Jacques Grosperrin. Bravo à lui !

M. Thomas Dossus. Qu’importe que toute la communauté éducative appelle à cesser la stigmatisation de cet établissement. Ce qui compte, c’est le symbole !

M. Max Brisson. Vous êtes aveugle !

M. Thomas Dossus. Il s’agit pourtant bien d’une attaque directe contre les libertés académiques.

D’autres parlementaires ont également voulu jouer avec ce totem. À l’Assemblée nationale, Julien Aubert et Damien Abad ont demandé, début 2021, la création d’une mission d’information dans des termes qui reprenaient exactement ceux de notre débat d’aujourd’hui. Avec la finesse d’analyse qui les caractérise, ils se sont permis un parallèle entre le nazisme, le stalinisme et le mouvement dont nous parlons aujourd’hui…

Après avoir osé écrire « islam conservateur et écriture inclusive marchent main dans la main », ils ont tout simplement suggéré de remettre en cause les libertés académiques pour traiter le mal à la racine. Nous y voilà !

Mais je constate que cette demande de mission d’information n’a, elle aussi, été qu’une opération de communication qui n’a finalement mené à rien de concret. Heureusement d’ailleurs ! Rien de concret, mais peu importe, car le mal est fait…

Et cette fois, mes chers collègues, je le dis avec sérieux et gravité, c’est de votre faute. Main dans la main avec le Gouvernement, vous attaquez la recherche universitaire. Vous jetez le poison du soupçon, de l’anathème, principalement sur les sciences humaines et sociales.

Si vous voulez parler de manière sérieuse des menaces qui pèsent sur l’université et les libertés académiques, la liste de ces menaces est longue et le prétendu wokisme n’y figure évidemment pas : la paupérisation de la recherche, notamment en sciences humaines et sociales ; la précarisation des jeunes chercheurs ; des milliers d’étudiants auxquels on ne permet pas l’inscription en master ; plus d’un jeune sur dix sous le seuil de pauvreté ; des universités et des Crous dans un état calamiteux ; des files d’attente d’étudiants devant les cabinets de psychologues et les guichets d’aide alimentaire ; la volonté d’influence des grandes sociétés polluantes dans les écoles et les universités…

Mais je constate que vous avez parfois un rapport assez hermétique avec le réel. Ainsi, à trois mois de la présidentielle, nous avons droit à ce débat au ras des pâquerettes, approximatif, stigmatisant et foncièrement inutile.

Lorsque la recherche universitaire va à l’encontre de votre projet politique, un projet devenu ici impossible à distinguer de celui de l’extrême droite, alors vous faites peser des menaces bien plus graves sur les libertés académiques que quelques outrances militantes.

On le voit clairement aujourd’hui, la volonté d’annuler, d’interdire, de régenter la pensée, provient en vérité de votre camp. L’ordre et la morale, voilà votre objectif ! Tout le reste – les moyens alloués à l’université, le soutien à la recherche, la lutte contre la précarité étudiante – n’est qu’accessoire et nous en avons une preuve éclatante aujourd’hui. (Mme Monique de Marco applaudit.)

M. François Bonhomme. Tout en nuances…

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Dossus, vous en appelez au pluralisme et au débat et vous condamnez des colloques et des lieux d’échanges.

Le colloque que vous citez et auquel a participé Jean-Michel Blanquer a permis de discuter de principes et de les « challenger » devant des étudiants. C’est bien ainsi que se construit l’esprit critique.

Monsieur le sénateur, nous n’avons qu’un seul cap : protéger les libertés académiques et la liberté de l’enseignement. Pour cela, nous devons garantir un climat sain et serein dans nos universités pour que nos étudiants puissent travailler, se questionner, et finalement s’éveiller et construire leur propre pensée. Nous ne devons pas laisser s’installer la pensée unique ou l’autocensure.

Certaines universités outre-Atlantique se posent aujourd’hui la question de savoir comment ramener du pluralisme en leur sein. En France, ce pluralisme s’est bâti depuis la IIIe République et nous devons conserver cet héritage.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Monsieur le sénateur, vous semblez vouloir défendre une certaine ligne. En ce qui nous concerne, nous voulons défendre les libertés académiques et la diversité, et en garantir le plein exercice.

Les colloques sont bienvenus dans un pays comme le nôtre qui aime le débat et la politique ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.

M. Thomas Dossus. Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas vu le même colloque ! Dans celui-ci, il n’y avait aucun pluralisme et les orateurs ne s’exprimaient que dans un seul sens !

M. Jacques Grosperrin. Vous n’y étiez pas !

M. Thomas Dossus. Il s’agissait uniquement de dénoncer la diversité des recherches académiques en cours sur des sujets que vous qualifiez de wokistes.

Outre cette absence de pluralisme, le niveau de ce colloque était vraiment très faible ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vous assure, mes chers collègues, que cela ressemblait à une discussion de comptoir…

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par sa résolution du 4 janvier dernier, le Sénat unanime a alerté le Gouvernement sur les difficultés structurelles que connaissent les étudiants, les enseignants et de manière générale l’enseignement supérieur. Il a considéré que l’université n’avait pas eu les moyens de gérer le croît continu des effectifs estudiantins et que la qualité de l’enseignement en avait pâti.

Nous avons plaisir à constater que le Président de la République partage l’essentiel de ce jugement, puisque le 13 janvier, devant la Conférence des présidents d’université, il a reconnu que son gouvernement n’avait fait que « colmater les brèches » et qu’il n’avait pas réussi à conduire une « transformation systémique de nos universités ».

Dans l’ordre des priorités, l’urgence est là : dans la nécessité de donner rapidement aux universités les moyens d’assurer leurs missions de service public au profit des étudiants et de la Nation.

Alors que le paquebot universitaire est, comme le Titanic, menacé par de multiples voies d’eau, je me demande si l’objet de ce débat n’est pas de déterminer si la musique jouée par l’orchestre est responsable du naufrage…

Néanmoins, je partage, mes chers collègues, votre volonté de mieux défendre la liberté académique comme principe protecteur de l’autonomie des universités et des universitaires et des connaissances qu’ils produisent.

Lors de la discussion du projet de loi de programmation de la recherche, j’avais défendu, dans cet hémicycle, plusieurs amendements visant à conforter cette liberté.

Ainsi, mon amendement n° 97 rectifié bis prévoyait de garantir l’indépendance des universitaires, de protéger leur liberté d’expression et de leur accorder une protection fonctionnelle de droit. Vous l’avez repoussé, mais je comprends que vous seriez maintenant disposés à engager une réflexion pour conforter les dispositions législatives relatives à la liberté académique. Mon groupe déposera donc une proposition de loi sur le sujet – vous la voterez certainement…

En juin 1968, depuis l’université de Nanterre occupée, Paul Ricœur, qui avait vécu physiquement ce que pouvait être une atteinte à la liberté d’expression, donnait cette définition de la liberté académique : « Le droit de l’enseignant, c’est d’abord le droit afférant à la compétence et à l’expérience, tel qu’il a été sanctionné non par les étudiants, mais par les autres compétents, ses pairs ; c’est ensuite le droit à la liberté de pensée et d’expression, en dehors de toute censure politique et idéologique ; c’est enfin, le droit d’accomplir son propre dessein de connaissance et de science dans l’enseignement et hors de l’enseignement. »

La liberté académique est avant tout la liberté professionnelle d’exercer librement son activité d’enseignant et de chercheur dans le cadre de normes et de règles déontologiques définies par ceux qui constituent cette profession. Elle est donc à la fois personnelle et corporative.

Comme l’écrit excellemment le professeur Olivier Beaud : « La liberté académique suppose l’autonomie professionnelle et aussi l’existence d’une communauté par discipline scientifique dans laquelle règnent les deux grands principes de la collégialité et de la cooptation, c’est-à-dire tout le contraire du principe de la hiérarchie et de l’autorité. »

Ce même professeur est alors obligé de constater que ces deux principes de collégialité et de cooptation ont été transgressés par de nombreuses dispositions législatives, depuis l’adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités jusqu’à celle de la loi de programmation de la recherche.

Pour conforter la liberté académique, il faudrait donc restaurer les principes de collégialité et de cooptation, c’est-à-dire refonder une véritable autonomie pour les universités. Est-ce vraiment votre projet politique, mes chers collègues ?

Pour en revenir au strict intitulé de ce débat de contrôle, je me demande s’il n’y a pas une forme de contradiction à discourir à la fois de la liberté académique et des théories académiques qui la menaceraient. Est-ce vraiment au Parlement, au pouvoir législatif, de déterminer ce que les professeurs, dont l’indépendance est garantie par la Constitution, doivent enseigner ?

Qu’il y ait des atteintes à la liberté d’expression sur les campus, nul ne le conteste, mais comme le rappelait très justement le collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche, saisi par la ministre, dans son avis du 21 mai 2021, les présidents des universités disposent de tous les outils pour assurer, dans leur établissement, la libre expression des idées et des opinions.

Le Parlement, quant à lui, doit défendre l’État de droit en protégeant la liberté académique et les franchises universitaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDPI et UC. – MM. François Bonhomme et Gérard Longuet applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur, la priorité absolue est de protéger la liberté académique et d’accompagner en cela les présidents d’université.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a saisi, vous l’avez dit, le collège de déontologie pour qu’il lui remette un avis. Cet avis sert aujourd’hui de base, en plus des autres outils dont nous disposons, à l’ensemble des référents universitaires.

Au-delà, nous avons la volonté farouche d’accompagner les présidents d’université à chaque fois qu’ils en ont besoin, et de reprogrammer les événements qui ont été annulés. Sur plusieurs centaines d’événements – colloques, débats… –, une vingtaine a été annulée en raison de troubles ; la doctrine du ministère est d’accompagner les présidents d’université pour reprogrammer ces événements.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

M. Pierre Ouzoulias. Il est vraiment dommage que nous soyons au terme de la mandature parce que vos propos, madame la secrétaire d’État, me laissent penser que le Gouvernement aurait été favorable à la proposition de loi sur la liberté académique que nous allons déposer. Elle reprendra l’amendement n° 97 rectifié bis que vous avez repoussé…

C’est dommage, mais, si le Président de la République est réélu – on peut l’espérer pour cette raison… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques dapprobation sur les travées du groupe RDPI) –, elle sera peut-être adoptée…

La mesure que je défendais dans mon amendement est essentielle parce qu’elle prévoit une protection fonctionnelle de droit. Or cette protection a manqué à Samuel Paty et elle lui aurait peut-être sauvé la vie, si elle lui avait été accordée.

Enfin, je suis obligé de vous dire que la loi de programmation de la recherche a mis en danger la collégialité et la cooptation, les deux principes fondamentaux que j’ai évoqués dans mon propos.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le wokisme, la cancel culture et la pensée décoloniale… Vaste sujet qui a fait irruption ces derniers mois dans le paysage universitaire et politique de notre pays et qui nous réunit aujourd’hui.

Pourtant, quel paradoxe que les tenants de la pensée décoloniale soient eux-mêmes l’objet, d’une certaine façon, d’une colonisation mentale et intellectuelle par une pensée venue d’Amérique du Nord ! Non, la France, ce n’est pas les États-Unis. Nous n’avons pas la même histoire ; nous n’avons pas les mêmes clivages.

Alors, pourquoi vouloir calquer un mode de pensée qui ne correspond pas aux réalités de notre pays, si ce n’est une volonté acharnée de déconstruction de la société de la part de certains militants d’extrême gauche qui ont visiblement quitté le champ républicain ?

M. Max Brisson. Très bien !

M. Pierre-Antoine Levi. Notre pays est laïque, universaliste. Il ne reconnaît pas en son sein différentes communautés, n’en déplaise aux tenants du courant de pensée décoloniale !

Cependant, le passé doit être regardé en face, sans repentance ni complaisance. C’est le travail des historiens, des chercheurs, des universitaires.

En cela, la liberté académique doit les protéger. C’était en partie le sens du projet de loi de programmation de la recherche que nous avons voté dans cet hémicycle le 20 novembre 2020. Il n’est nullement question de transiger avec les libertés, qu’elles soient académiques ou d’expression. Ne tombons pas dans ce piège !

Pour autant, soyons réalistes et ouvrons les yeux. Selon certains, la liberté académique est aujourd’hui le prétexte pour développer des thèses qui mèneront à terme à une régression de ces mêmes libertés.

Les tenants de ce courant de pensée qui, je le pense, est mortifère pour l’unité nationale savent parfaitement naviguer et utiliser le système au profit de leur idéologie afin de se voir attribuer bourses de recherche et divers crédits universitaires. C’est peut-être politiquement incorrect de dire cela, mais je l’assume.

Qui, aujourd’hui, réfuterait le fait que le domaine des sciences humaines a connu une politisation constante depuis soixante ans ? Qui peut penser que la politisation de certains travaux de recherche est un fantasme ?

Cette question des libertés académiques se pose même à l’échelon européen avec le lancement d’un observatoire européen des libertés académiques.

Mais comment être rassuré, lorsqu’on lit le guide préparé par la commissaire européenne Helena Dalli ? Il y est préconisé différentes choses : ne plus utiliser le mot « Noël » afin d’être plus inclusif pour les personnes ne le fêtant pas ; préférer les prénoms Malika et Julio à Maria et John pour ne pas présupposer que tout le monde est chrétien ; ou, encore pire, ne pas utiliser le terme « citoyen » pour ne pas froisser les migrants et apatrides ! Il y a de quoi être inquiet et j’espère qu’il n’est pas trop tard.

À l’heure où notre société est de plus en plus segmentée, de plus en plus opposée, ayons tous le courage de dénoncer tout ce qui porte atteinte à l’universalisme républicain. Ayons le courage de dire non à tous les extrêmes dans leur volonté de division et de déconstruction !

Oui, on doit pouvoir défendre son pays sans être taxé de nationalisme. (MM. Jacques Grosperrin et Max Brisson opinent.)

Oui, on doit pouvoir défendre l’histoire de France sans être accusé d’être un promoteur de la colonisation ou de l’esclavagisme.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Pierre-Antoine Levi. Oui, on doit pouvoir défendre la gastronomie française sans être vilipendé et accusé d’être un raciste ou un suprémaciste blanc, comme cela est arrivé il y a peu à un candidat à la présidentielle. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Entre républicains, soyons à la hauteur des défis que nous pose l’irruption du wokisme. D’ailleurs, mes chers collègues, accepter d’utiliser un mot est déjà en soi une acceptation de son concept.

Face à cet horrible anglicisme, « wokisme », et ce qu’il représente, ne soyons pas naïfs et luttons ensemble contre la déconstruction de ce qu’est la France. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur, nous partageons ce combat pour une République universaliste, qui donne sa chance à chacun de ses enfants. En repensant à Ernest Renan, on voit bien que la Nation est notre plus bel héritage : devient Français celui qui le veut, celui qui combat pour ses valeurs, celui qui maîtrise son histoire. C’est ce qui fait de notre pays l’une des plus grandes nations du monde ! C’est ce que vous avez rappelé.

Accepter certains propos et travaux qui visent, par exemple, à exclure des mots est à l’opposé de cette vision. Il ne doit pas y avoir d’autocensure et nous devons mener ce combat politique et idéologique ; c’est ce que nous faisons. Les sciences sociales doivent permettre de mener des études diverses qui se complètent l’une l’autre.

Vous avez évoqué un point qui me touche particulièrement. Si nous sommes honnêtes avec notre histoire et que nous la prenons dans sa globalité, on ne peut pas parler de racisme systémique en France. L’élection de Gaston Monnerville à la présidence de votre assemblée l’a bien montré !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Je vous remercie pour la sincérité de votre propos, madame la secrétaire d’État.

Je voudrais simplement vous poser une question. Il y a quelques mois, Mme la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a demandé un rapport au CNRS sur l’islamo-gauchisme. Où en est ce rapport ? Quand en disposerons-nous ?

M. Jacques Grosperrin. Il ne sera jamais fait ! (Exactement ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de quoi le wokisme est-il le nom ? Pourquoi nous faut-il être vigilants envers cette théorie de la vigilance ? Que se cache-t-il derrière ce terme qui nous vient d’Amérique ?

Il a le goût de la revendication des Noirs américains, l’odeur de la révolte des descendants d’esclaves, mais il ne semble en être qu’une indigeste mixture, une usurpation indigne et intolérante.

En France, nous ouvrons les maisons des adolescents pour des jeunes jusqu’à 25 ans. Rien d’étonnant à ce que nos universités recueillent également les contestations nécessaires aux remises en question de l’adolescence !

Mais au-delà de l’indignation, érigée en vertu suprême, et du « ni pour, ni contre, bien au contraire ! » de Coluche, s’insinue parfois, voire s’impose, une intolérance envers tous et envers tout.

Voltaire se serait battu pour le droit de s’exprimer de ceux qui ne pensaient pas comme lui. Aujourd’hui, les adeptes du wokisme peuvent partager des idées, mais aussi se battre contre ceux qui les exprimeraient sans leur légitimité. Barack Obama ne serait qu’un blanc à la peau noire et certains homosexuels des hétérosexuels en couple avec des personnes du même sexe qu’eux…

Cette cancel culture, comme il faut l’appeler, serait risible si elle ne poussait pas l’intransigeance jusqu’à l’intolérance. On déboulonne des statues en dehors de toute contextualisation historique. Cette déconstruction, qui nous revient d’Amérique après l’exportation bien mal traduite de Derrida, tend à éteindre nos Lumières.

Le disciple d’Alain que je m’efforce d’être ne rendra pas « mépris pour mépris ». Alain continuait en disant : « Et pourquoi ? C’est que, au fond du radical qui obéit toujours, il y a un esprit radical qui n’obéit jamais, qui ne veut point croire, qui examine et qui trouve dans cette farouche liberté quelque chose qui nourrit l’immense amitié humaine : l’égalité. L’esprit d’égalité, c’est d’un côté la résistance, le refus d’acclamer, le jugement froid ; de l’autre, c’est la confiance en l’homme, l’espoir dans une instruction et une culture égales pour tous. » (Très bien ! sur les travées du groupe SER.)

Comment tolérer l’intolérance de ceux qui interdisent à une universitaire de faire une conférence dans une université, parce qu’elle exprime des idées différentes ?

Le wokisme s’oppose à l’universalisme, en refusant le débat, les échanges, le brassage des idées d’où jailliraient des concepts, une pensée supérieure.

Le wokisme, sous couvert de vigilance accrue à toute forme de discrimination, se révèle être une idéologie dogmatique prônant le communautarisme et la culture du bannissement et du politiquement correct. Il pourrait porter atteinte à l’unité républicaine.

À trop avoir privilégié l’excitation de l’esprit critique, certes nécessaire, mais qui doit s’exercer dans le cadre de l’affirmation de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont essentielles et que nous avons établies au fil de notre histoire et des progrès de la science, nous laissons notre jeunesse dépourvue de repères entre lesquels – ou contre lesquels ! – se construire et se perdant hors des limites que nous n’avons pas su tracer.

Ayons le courage de défendre nos valeurs plutôt que de laisser des imposteurs en redessiner les contours et réécrire l’histoire, comme cette campagne présidentielle débutante nous en apporte de tristes exemples. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Gérard Longuet et Daniel Gueret applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Fialaire, au travers de votre plaidoyer en faveur de l’unité républicaine, vous avez clairement montré que le présent débat dépassait les portes de l’université ; il concerne effectivement l’ensemble de notre société.

Au-delà de la question de la recherche et de l’enseignement s’opposent en fait deux visions de la société. Je vous remercie, monsieur le sénateur, pour votre beau plaidoyer en faveur de l’esprit critique et de la défense, sans angélisme, de toutes les expressions. Nous ne devons pas imposer une pensée par rapport aux autres et nous devons conserver cet héritage issu d’esprits éclairés, d’illustres citoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.