M. Xavier Iacovelli. Et le litre d’essence à 1,50 euro ?

M. Bruno Retailleau. Nous ferons nos propres propositions sur les carburants, mon cher collègue.

Il n’y aura pas de nouvelles dépenses s’il n’y a pas de nouvelles économies. Pas de nouveau chèque s’il n’y a pas de mesures d’encouragement par le travail. Parce que notre marque à nous, c’est de penser que le pouvoir d’achat procède, d’abord, non pas des chèques sans provision signés par l’État, mais du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Du reste, comment pensez-vous lutter contre l’inflation avec une politique inflationniste ? Les dépenses de l’État n’ont au fond d’autre objectif que de subventionner des emplois à l’étranger, puisque sur 100 euros versés, 62 euros financent l’achat de produits importés, engraissant l’emploi en dehors de notre pays.

C’est la raison pour laquelle nous voulons des économies et plus de travail.

Renoncer au « quoi qu’il en coûte », c’est réformer vraiment. Et si vous êtes courageuse, nous vous suivrons, non seulement à la tribune, mais dans les faits, sur la réforme des retraites. Nous vous suivrons, parce qu’il faut sauver notre régime, non seulement pour nous, mais pour nos enfants et pour nos petits-enfants, au nom de cette solidarité dont j’entends si souvent les uns et les autres rabâcher le refrain. Il faut le faire concrètement !

Il faut aussi, évidemment, réformer les services publics. Trois de nos grands services publics sont en déshérence, vous l’avez dit : la santé, la sécurité et la justice. Et je n’oublie pas l’école.

Mes chers collègues, ne pensons pas un seul instant que la dépense publique peut tout. D’ailleurs, si la dépense publique était la mesure de l’efficacité et de la qualité des services publics, avec 10 points de plus de PIB dépensés par rapport à nos partenaires européens, nous devrions être à l’avant-garde du bonheur universel ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Le Ségur de la santé illustre d’ailleurs ce contresens de façon spectaculaire. Il ne suffit pas de dépenser des milliards : dépenser sans réformer, c’est échouer. Nous vous ferons des propositions sur l’hôpital, sur les déserts médicaux – nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi visant à lutter contre ces derniers. Ne pensez pas un seul instant qu’il suffira de s’en remettre aux élus locaux. Non, ce n’est pas possible !

Nous voulons une sécurité sociale qui soit la même sur tous les territoires. L’égalité des chances, c’est d’abord l’égalité des chances devant un service public de la santé qui est aujourd’hui à plusieurs vitesses, vous le savez.

Le « en même temps » n’aura donc rien réglé, mais il aura beaucoup abîmé.

Les idées d’abord : tout désormais est interchangeable, et on peut passer d’une conviction à l’autre.

Les fidélités, ensuite, à force de débauchages et de trahisons.

Je n’ai nullement la prétention de détenir la vérité, mais je crois que cette période marquée par l’abstention – vous l’avez souligné – doit nous inciter à la modestie et à l’humilité.

J’ai la faiblesse de penser que l’honneur de la politique, c’est la force des convictions, et que, à l’inverse, son déshonneur est le reniement de ses engagements et la trahison de ses convictions. Pour notre part, nous ne renierons pas et nous ne trahirons pas !

Ici, certains collègues ont des convictions très différentes des miennes, mais ils ont des convictions, et je les respecte profondément pour cela.

Ce que nous attendons de la méthode de travail que vous appelez nouvelle, c’est de parler clair. Je vous en fais solennellement la confidence devant mes collègues, que je prends à témoin : nous ne sommes pas macronistes, nos électeurs ne le sont pas et nous ne le deviendrons pas.

M. Pierre Laurent. Vous voterez tout, quand même !

M. Bruno Retailleau. Mais nous sommes patriotes, nous aimons la France et nous voulons la réussite de notre pays.

Cela signifie que notre ligne, claire et exigeante, sera l’intérêt supérieur du pays. Nous pratiquerons une opposition, oui, mais une opposition d’intérêt général, comme, du reste, nous en avons l’habitude.

Nous sommes des précurseurs – vous l’avez d’ailleurs souligné – : nous avons toujours amendé, proposé, mais bien souvent, nos propositions ont été accueillies par un silence, voire une indifférence parfois méprisante, qu’il s’agisse de la déconjugalisation de l’AAH, que vous avez évoquée, de la laïcité ou de tant d’autres sujets. Nous vous présenterons de nouveau ces propositions.

Parler clair, c’est aussi aller à l’essentiel : la France, qui doit être gouvernée, et les Français, qui doivent être écoutés.

La France est suradministrée jusqu’à l’Absurdistan. Simplifiez, débureaucratisez : c’est la clé de tout et ça ne vous coûtera rien. Mieux, ce sera pour les Français une planche d’appel pour relever tous les défis que vous avez pointés à cette tribune.

Si la France est de moins en moins gouvernée, c’est tout simplement parce que la politique de communication s’est substituée à la politique tout court. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) La diplomatie elle-même, cher Christian Cambon, se voit réduite à une affaire de propagande politique.

Nous voulons une France gouvernée et des Français réellement écoutés.

Écouter les Français suppose de revenir aux sources. Ce n’est pas inventer des machins et des bidules plus ou moins participatifs, qui, bien souvent, ne sont que des sessions de rattrapage pour des recalés du suffrage universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Revenir aux sources, c’est revenir à l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Nul n’est besoin d’un Conseil national de la refondation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

La France a des institutions pour réformer ! Elle a un Parlement que vous devrez respecter en faisant moins d’ordonnances et en les ratifiant ! Aujourd’hui, 80 % des ordonnances ne sont plus ratifiées, c’est une entorse constitutionnelle !

La France a aussi un peuple qui veut être écouté et que vous devrez consulter beaucoup plus par la voie de la démocratie directe sur les grands sujets.

Vous avez évoqué l’immigration : élargissez le champ de l’article 11 de la Constitution, nous vous suivrons ! Il n’est pas normal que les Français aient toujours été tenus à l’écart sur une question aussi importante. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Madame la Première ministre, le général de Gaulle avait l’habitude de dire que la politique est une action au service d’un idéal. La majorité de projets que vous nous proposez ne fait pas un idéal. J’estime que, si la confiance est à un niveau aussi bas, c’est parce que la politique se refuse à viser haut, toujours plus haut.

Si vous me le permettez, madame la Première ministre, je m’adresserai pour conclure à Élisabeth Borne.

Certains estiment que votre profil est trop technocratique et pas assez politique. Je vous le dis solennellement : la politique est affaire, non pas de profil, mais de courage.

Ce que nous attendons de vous, ce que les Français attendent de vous, c’est le courage de relever la France. C’est un courage qui consiste à dire aux Français : « Croyez en vous-mêmes ! Croyez dans la France ! Ayez la fierté d’être Français, parce que la France, c’est un combat toujours recommencé contre la fatalité ! » (Marques dimpatience sur les travées du groupe SER.)

Madame la Première ministre, chaque fois que vous porterez l’intérêt supérieur du pays, nous serons là, aux côtés de la République, aux côtés de la France ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, madame la Première ministre, j’ai cherché un mot qui pourrait décrire la situation politique dans laquelle vous vous trouvez. Il est toujours compliqué de résumer l’état d’un pays, l’équilibre institutionnel ou le rapport de force au Parlement par une simple phrase, a fortiori un seul mot.

Celui qui caractérise la situation de votre gouvernement m’est pourtant venu assez naturellement : c’est le mot absence.

Absence, d’abord, d’un projet clair pour la France, que l’on a constatée lors des deux campagnes qui se sont succédé. La seule clarté dont vous avez fait preuve concernait des propositions de régression sociale : le conditionnement du revenu de solidarité active (RSA) et la retraite à 65 ans.

Votre absence, ensuite, de colonne vertébrale républicaine ne vous a pas permis de tracer une ligne ferme face à l’extrême droite. La main ne doit jamais trembler devant le risque d’affaiblissement des valeurs de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)

Cette absence de lucidité n’est que le résultat de cette médiatique, mais funeste illusion – le président Retailleau l’a souligné – du « en même temps », qui a délité le front républicain au profit d’un front anti-Macron.

Ces différents éléments, entre autres, vous ont contrainte à une absence de majorité absolue pour gouverner.

Que dire, enfin, de l’absence de considération à l’égard de la Haute Assemblée, dont manifestement aucun des membres actifs n’a trouvé grâce aux yeux de Jupiter pour intégrer le Gouvernement. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)

M. Xavier Iacovelli. Si, Lecornu !

M. Patrick Kanner. J’ai dit « actif »…

J’arrête là ma démonstration pour approfondir certains points que je viens d’évoquer.

Cette séquence électorale laisse notre démocratie exsangue, tant l’abstention massive est devenue un fait politique structurant qu’il convient de combattre par tous les moyens. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation qui est porteuse d’un danger majeur pour notre République. Cette crise de la participation n’est pas récente, mais force est de constater qu’elle s’est aggravée durant les cinq dernières années.

Après avoir théorisé et mis en œuvre la fin du clivage gauche-droite, après avoir maltraité, marginalisé les corps intermédiaires et les contre-pouvoirs, vous provoquez au bout de ce chemin une déstructuration du champ politique, et l’accession de 89 – je dis bien 89 ! – députés du Rassemblement national au Palais-Bourbon, alors que la réduction de l’influence de ce parti était l’objectif affiché des politiques gouvernementales en 2017.

Cette situation, si inquiétante soit-elle, peut être le ferment d’un renouveau institutionnel. Pour cela, il faut accepter et assumer la dynamique parlementaire qui s’impose à vous, madame la Première ministre. Il faut accepter et assumer que les oppositions soient reconnues et respectées dans leur capacité à apporter des réponses aux défis de la France.

Je regrette d’ailleurs que vous ayez refusé de vous soumettre au vote de confiance de l’Assemblée nationale. Une motion de défiance déposée par la gauche y suppléera en partie, mais c’est déjà l’aveu d’un premier échec.

Deux semaines d’échanges avec les partis politiques et les groupes parlementaires n’ont pas suffi à vous assurer une majorité. Cela doit vous amener à changer de méthode : vous devez comprendre que la situation rend indispensable le respect mutuel et ne permet en aucun cas les ultimatums.

Certes, la Constitution vous offre beaucoup d’outils pour tenter d’appliquer, même en force, une partie du projet du président Macron. Mais si vous tombiez dans ce travers, les répliques sociales seraient incontrôlables.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont dans l’opposition au Gouvernement, vous ne le découvrez pas aujourd’hui. Mais nous voulons avant tout, non pas le blocage, mais le redressement de la France. Avec exigence, nous cherchons l’apaisement, et non la crise.

Pour entamer ce travail, nous examinerons bientôt un projet de loi sur le pouvoir d’achat des Français. L’inflation devrait continuer d’accélérer, pour atteindre 6,8 % sur un an en septembre, puis rester sur ce rythme durant les derniers mois de l’année. Cette flambée pèsera sur l’économie, dont la croissance peinera à atteindre 2,5 % en 2022.

Et on ne revaloriserait pas le SMIC, les pensions de retraite, les minima sociaux, le point d’indice à la hauteur de la souffrance de millions de familles qui, de plus en plus nombreuses, tombent dans le crédit revolving simplement pour boucler leurs fins de mois ?

Vos premières propositions ne compensent même pas l’inflation pour les catégories concernées, et M. le ministre de l’économie et des finances bloque toute ambition en déclarant que nous avons atteint la cote d’alerte en matière de finances publiques.

Notre ambition est claire : SMIC à 1 500 euros et lancement d’une grande conférence salariale dès septembre pour préserver le pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes.

Madame la Première ministre, les premiers de corvée veulent s’asseoir à la table du pouvoir de vivre dignement. La multiplication des chèques ne fera que des miettes ; or ce ne sont pas les miettes qui font le pain, mais c’est le pain qui fait les miettes. Je vous invite à pétrir les moyens pour financer cette ambition, en renonçant à une politique de rustine.

Parmi ces moyens, je citerai la contribution exceptionnelle des grands groupes au financement des politiques publiques, dès lors qu’ils réalisent de superprofits dans le cadre d’une crise ou de toute autre conjoncture qui justifierait le déclenchement d’un tel dispositif. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Je citerai également l’impôt sur la fortune (ISF) climatique, ou encore l’annulation de la baisse des impôts de production décidée lors du dernier quinquennat. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)

Retrouvons les fondamentaux de notre État providence, devenu depuis trop longtemps État pénitence.

Il faut changer votre logiciel, et considérer que l’impôt est non pas une charge, mais le vecteur de la redistribution et la garantie du pacte social tel que le définit l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui nous rappelle un principe simple : l’impôt « doit être également réparti entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Nos services publics – pardonnez ma trivialité – « craquent » de toutes parts. Oui, il faut faire plus d’efforts pour la police, pour la justice, pour l’éducation et pour la santé.

Comment peut-on justifier les 3 000 postes d’enseignants non pourvus à la rentrée ? Comment peut-on justifier que des services d’urgences soient en pleine implosion dans les hôpitaux, alors que la pandémie repart de manière inquiétante ?

Ces efforts passeront par une fiscalité plus juste.

Voilà pourquoi le lien entre les Français leurs services publics doit être retissé par l’investissement, en priorité dans les quartiers populaires. Nous avons enfin un ministre chargé de la ville et du logement, qui – je le souhaite – corrigera le bilan indigent du précédent quinquennat.

Les zones rurales sont encore plus affectées par ce sentiment d’abandon. Nos citoyens vivant dans ces territoires sont excédés à juste titre par les inégalités de traitement qui aboutissent à la multiplication des déserts médicaux et numériques ainsi qu’aux difficultés de mobilité et d’accès aux services.

Les fractures se creusent – vous l’avez dit, madame la Première ministre – et se traduisent par une colère démocratique. Mais il n’y a pas de fatalité : l’État peut et doit y remédier.

La cote d’alerte est bien atteinte pour nos services publics. Pour résoudre ce problème, c’est non pas dans la poche des collectivités qu’il faut aller chercher les moyens du redressement, mais dans celle du CAC 40, qui a versé l’an dernier plus de 80 milliards d’euros de dividendes, ou encore dans celles des évadés fiscaux, qui en ont fait perdre tout autant au budget de l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Le programme que vous souhaitez appliquer aux collectivités territoriales est d’ailleurs symptomatique de votre dogmatisme sur le sujet.

Les collectivités ont déjà fait beaucoup d’efforts pour contribuer au redressement des comptes publics. On leur a déjà beaucoup demandé, peut-être trop, je le concède.

Aussi, envisager une suppression de la CVAE revient à empêcher une nouvelle fois les collectivités d’avoir les moyens de leurs ambitions. Opérer des coupes sombres par petites touches ne correspond pas à ce que nous devons faire pour les collectivités, qui ont toujours su, lors des crises, compenser les carences de l’État et continuer à supporter de nouveaux transferts de compétences. C’est aussi cela, madame la Première ministre, l’indivisibilité de la République, qu’aucune différenciation ne doit menacer ! (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Profitons de la reparlementarisation de la vie politique pour porter ensemble, aux côtés des élus locaux, une remise à plat des ressources des collectivités, ainsi qu’une refonte de leur autonomie fiscale et financière, lourdement impactée par la pratique des dotations.

Je le répète : il est nécessaire d’examiner une loi de finances spécifique aux collectivités locales, qui représentent plus de 20 % de la dépense publique. Dépourvues de moyens dynamiques, les collectivités territoriales sont dans l’incapacité d’être à la hauteur des défis que nous avons soulevés…

Mme Pascale Gruny. C’est sûr !

M. Patrick Kanner. … concernant le soutien au pouvoir d’achat des Français, la lutte contre le chômage, la contribution à la réforme de la dépendance dont la grande loi tant promise et si nécessaire se fait toujours attendre, ou encore la planification écologique et énergétique.

Je souhaite d’ailleurs revenir sur ce dernier point.

Votre manque d’ambition dans le domaine de la politique environnementale s’est traduit encore il y a deux jours par la rétrogradation symbolique de la cinquième à la dixième place du ministre de l’environnement dans l’ordre protocolaire.

Pourtant, nous n’avons plus le temps de tergiverser sur la question environnementale. En ce domaine, il n’y a pas d’alternative pour les générations futures. Les canicules ou les orages dantesques à répétition ne nous laissent pas le choix ; les glaciers qui s’effondrent ne nous laissent pas le choix ; les rapports du GIEC ne nous laissent pas le choix, sinon celui de mener un effort politique immense, dès aujourd’hui. Pourtant, vous avez choisi de faire reculer cela dans l’ordre de vos priorités.

Il s’agit d’un nouveau recul après cinq ans de renoncements, caractérisés entre autres par le maintien de l’autorisation du glyphosate, le soutien aux énergies fossiles, le non-respect des accords de Paris ou encore le refus d’accepter la mise en œuvre d’une véritable écoconditionnalité des aides dans les plans de relance successifs, que nous avions pourtant proposée.

Madame, nous voulons non pas juste de l’écologie, mais une écologie juste ! La nationalisation d’EDF, dont 84 % du capital appartient déjà à l’État, relève plus de l’évolution que de la révolution. (M. Guy Benarroche applaudit.)

Dans la même veine, la composition de votre gouvernement contient une mauvaise surprise pour nos concitoyens ultramarins. La rétrogradation du ministère des outre-mer en ministère délégué auprès du ministre de l’intérieur est une erreur. Ces territoires ont besoin non d’une orientation martiale des politiques de l’État, mais d’une feuille de route sur l’amélioration du pouvoir d’achat, le développement économique, le renforcement des services publics ou encore la résilience écologique. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

Les outre-mer veulent non plus entendre parler de promesses républicaines, mais constater in concreto l’équité républicaine.

La nomination de votre gouvernement est également une mauvaise nouvelle pour la parité. Le tour de passe-passe entre ministres et secrétaires d’État n’a eu qu’un seul effet bien visible : amoindrir, pour la première fois depuis dix ans, le nombre de femmes ministres de plein exercice.

Mes reproches sont nombreux. Nos différences sont profondes, comme vous pouvez le constater. Pour autant, comme je vous l’ai dit, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sauront proposer une opposition constructive. Le contexte ne permet pas d’autre solution.

Oui, la nouvelle donne politique vous pousse au compromis : les Français, qui ne vous ont pas octroyé une majorité absolue, vous l’ont demandé.

J’ai donc quelques questions à vous poser. Oui ou non, allez-vous revenir sur votre réforme inique de l’assurance chômage ?

Oui ou non, acceptez-vous d’abandonner votre projet mortifère de recul de l’âge légal de la retraite à 65 ans ? (« Oui ! » sur certaines travées à gauche de lhémicycle. – « Non ! » sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Oui ou non, maintenez-vous la suppression pure et simple de la redevance audiovisuelle et de ses 3 milliards d’euros de recettes ?

Oui ou non, acceptez-vous de mettre en place un ISF climatique ? (Mêmes mouvements.)

Oui ou non, acceptez-vous d’ouvrir les minima sociaux dès 18 ans ? (Mêmes mouvements.)

Oui ou non, acceptez-vous de taxer les superprofits et d’appeler à la solidarité les foyers fiscaux les plus aisés, qui ont tant bénéficié du bouclier fiscal du précédent quinquennat ? (Mêmes mouvements.)

M. Didier Rambaud. Ni oui ni non ! (Sourires.)

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, vous avez été l’actrice active d’un gouvernement, dont vous assumez l’insuffisance du bilan dans votre discours. Dont acte. Nous vous donnons acte de votre projet politique. Ce n’est pas le nôtre. Les Français en seront les témoins, et finalement les juges.

Face à votre République de l’égalité des chances au caractère si formel, nous défendrons toujours les actes pour une égalité réelle. Comptez sur le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour vous le rappeler en permanence. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, madame la Première ministre, j’ai été ému en entendant vos propos sur le Sénat. (Sourires.) Il faut dire que nous faisons partie d’une communauté martyrisée, et que nous n’avons pas souvent eu l’occasion d’entendre des ministres, encore moins des Premiers ministres, parler de nous avec autant de tendresse. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que des travées du groupe SER.)

J’avais même l’impression d’être dans un monde parallèle, un métavers ! (Rires.)

Madame la Première ministre, je suis sûr que vous apprécierez le Sénat. Après quelques passages à l’Assemblée nationale, tel Ulysse chahuté par la tempête, vous trouverez les rivages de la Haute Assemblée particulièrement paisibles. (Sourires.)

Madame la Première ministre, beaucoup vous connaissent ici comme une interlocutrice attentive, et je forme le vœu que Matignon n’entame en rien vos qualités d’écoute et de dialogue.

De l’écoute, il en faudra. Les électeurs ont opté pour un grand chamboule-tout institutionnel, en ressuscitant la République parlementariste de 1958 dans la République présidentialiste de 1962 consolidée en 2002. Ils ont imposé un indispensable dialogue entre les forces politiques, en replaçant le Parlement au centre du jeu.

La disruption, à la mode en 2017, est synonyme de catastrophe cinq ans plus tard. Beaucoup crient à la faillite des institutions, en invoquant parfois le spectre de l’immobilisme, du blocage et de la paralysie. Que se passe-t-il de si grave pour que certains s’en inquiètent ?

Oui, la majorité présidentielle n’a plus la majorité absolue, et ne détient que 44 % des sièges de l’Assemblée nationale. J’observe pour autant que le SPD du chancelier Olaf Scholz n’en possède que 28 % au Bundestag, et que le PSOE de Pedro Sánchez n’en contrôle que 34 % aux Cortes.

Madame la Première ministre, pourquoi serions-nous les seuls à ne pas savoir rechercher des compromis et des accords ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Si elle peut surprendre, cette situation est au fond normale en démocratie représentative. Sans doute allons-nous découvrir que le parlementarisme peut très bien fonctionner, et même être vertueux, car il nous forcera à légiférer moins pour légiférer mieux, par exemple sans passer par des ordonnances. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Nous y parviendrons à condition de nous désintoxiquer des facilités du fait majoritaire, en cessant de considérer les assemblées comme des chambres d’enregistrement du régime présidentiel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Les orateurs précédents l’ont indiqué : il ne faudra ni contourner ni dévaloriser ces mêmes assemblées en multipliant des comités Théodule. Les députés et les sénateurs ont la légitimité du suffrage universel, tandis que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et chaque conseil économique, social et environnemental régional représentent, selon la Constitution, les forces vives du pays.

Mme Valérie Létard. Tout à fait !

M. Hervé Marseille. La Constitution nous offre toutes les institutions nécessaires pour débattre ; nous n’avons pas besoin d’improbables conventions citoyennes, aussitôt constituées, aussitôt congédiées, sources de confusion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Un Parlement fort n’a pas besoin d’ersatz. Oui à la convention transpartisane pour les institutions, non au Conseil de la refondation ! (Mêmes mouvements.)

Je parie que, vivant et créatif, le Parlement représentera le meilleur vecteur pour « réintéresser » les Français à la vie politique. J’en forme du moins le vœu, car je n’oublie pas que plus d’un inscrit sur deux n’est pas allé voter et que, si la représentation issue des élections est certes bien plus conforme à celle du corps électoral, elle n’est pas encore totalement proportionnelle.

Pour que le parlementarisme fonctionne de nouveau, l’exécutif doit apprendre à être plus constructif – ce à quoi s’emploie le Sénat depuis bien longtemps. Madame la Première ministre, bienvenue dans notre monde ! (Sourires sur les travées du groupe UC.)

Cet esprit constructif que vous revendiquez, nous l’avons toujours pratiqué, même si certains prétendent ne jamais s’en être rendu compte. Notre assemblée a dû régulièrement défendre son existence, mais depuis que vous avez parlé, nous avons retiré les sacs de sable de nos fenêtres ! (Rires.)

Qui avait le culot de faire des propositions et de contrôler l’action de l’exécutif ? Qui était tellement intolérant que les deux tiers des projets de loi ont été adoptés avec notre soutien ? Qui était tellement intransigeant que nous avons voté toutes les lois d’urgence sanitaire ?

La recette est simple : organiser la concertation très en amont, proposer, concéder et écouter le terrain.

Au fond, nous n’avons pas le choix. Nos concitoyens ne supportent plus la verticalité jupitérienne, mais ils ne toléreront pas non plus l’inaction. Et ils auront raison : compte tenu de la situation du pays, l’immobilisme est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer.

Les campagnes présidentielle et législative n’ont pas permis de faire émerger un véritable projet, et nous découvrons aujourd’hui les intentions de votre gouvernement. Voici quelques considérations auxquelles le groupe Union Centriste est attaché.

La situation sociale est explosive. Elle a été contenue par un « quoi qu’il en coûte » parmi les plus généreux de la planète, mais l’inflation, et surtout l’augmentation des prix de l’énergie, peut remettre le feu aux poudres.

La répartition des richesses est choquante. Nos concitoyens ne supportent plus ni les inégalités ni l’indécence de certains privilégiés. Nous proposerons de taxer les superprofits engendrés par la crise pétrolière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Nos services publics, notamment nos écoles et nos hôpitaux, sont dégradés après des années pendant lesquelles on a cru qu’un bon budget était un budget aux moyens augmentés.

Pour faire très simple, nous n’avons pas de divergence notable sur les sujets de politique étrangère, l’ambition européenne, la défense nationale ou l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Nous prenons acte de votre volonté d’agir encore et toujours plus contre la violence qui affleure partout dans la société.

S’agissant de la désertification médicale, la traiter par la seule prévention ne suffira pas. Des réformes de structure s’imposent, comme celles qui sont proposées dans les conclusions du rapport d’information de M. Maurey, pour réguler l’installation des médecins, comme cela se pratique depuis longtemps en Allemagne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)