Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, comme beaucoup d’entre vous le feront certainement, à remercier le rapporteur et le président de la mission d’information du travail rigoureux, exhaustif et expertisé qu’ils ont fourni.

Ce rapport d’information pointe les lacunes de notre industrie et présente des pistes pour permettre à la France de redevenir une nation industrielle, innovante et souveraine.

Notre pays subit en quelque sorte les conséquences de la croyance, à l’œuvre dans les années 1980-1990, selon laquelle il était possible de décloisonner les activités de production de celles de conception et d’innovation, et de créer en quelque sorte une entreprise sans usine.

Suivant cette croyance, l’industrie française a ainsi délocalisé une grande partie de ses moyens de production, détruisant dans le même temps des millions d’emplois industriels sur plusieurs décennies – près de 3 millions d’emplois entre 1975 et 2014.

L’inefficacité de ce décloisonnement est aussi mise en exergue par la faible corrélation, révélée par le rapport d’information, entre le soutien public massif à l’innovation et l’incapacité de la France à faire émerger, dans le même temps, de nouveaux champions industriels.

Sans l’industrie, nous ne serons pas en mesure de redevenir une grande nation d’innovation. Industrialisation et innovation sont deux combats qu’il nous faut mener de front, de manière simultanée. C’est une nécessité comprise au plus haut sommet de l’État, puisque différents plans ont été déployés à l’échelon national depuis 2017 afin d’engager la reconquête industrielle de la France.

Toutefois, des crises extérieures nous ont bousculés.

La crise sanitaire a révélé notre extrême dépendance et a mis en lumière les faiblesses de notre modèle industriel, notamment sa dépendance aux importations.

De la même façon, avec la crise ukrainienne, l’Union européenne a pris conscience qu’elle avait besoin de réduire sa dépendance énergétique, de conserver la maîtrise de ses décisions et de construire la « souveraineté européenne ».

Enfin, l’urgence climatique est là. L’été 2022 a vu se multiplier les catastrophes liées au réchauffement climatique. Il faut mettre notre dépendance aux énergies fossiles derrière nous. Pour atteindre 40 % d’électricité issue d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, nous devons diversifier notre mix énergétique. Biométhane, biomasse, hydrogène décarboné, éolien en mer, photovoltaïsme, exploitation de l’énergie des courants des marées : un énorme potentiel technologique et industriel s’offre à nous.

La crise sanitaire, le conflit ukrainien et l’urgence climatique agissent comme des accélérateurs d’innovations. Ces défis nous poussent à faire preuve de courage, d’audace et d’inventivité.

Nous devons nous donner l’ambition de construire nos rêves. C’est l’objectif de France 2030 : une ambition publique pour répondre aux défis écologique, démographique, économique, industriel et social d’un monde en perpétuelle évolution.

Ce sont ainsi 34 milliards d’euros qui ont été investis pour qu’en France les entreprises, les universités et les organismes de recherche réussissent pleinement leur transition vers les filières stratégiques.

En amont, nous devons mettre les bouchées doubles sur la formation et l’apprentissage, les nouvelles filières, nos écoles et nos organismes de recherche dans des segments de pointe.

En cours de processus, il faut permettre à une start-up qui débute ses recherches de monter rapidement ses prototypes.

Au bout de la chaîne, c’est la réindustrialisation de nos territoires : elle a commencé, elle doit être renforcée.

Je ne citerai qu’un exemple, celui de STMicroelectronics à Crolles. C’est, à mon sens, le symbole que la réindustrialisation est possible quand la volonté politique est là. Ce ne sont en effet pas moins de 6 milliards d’euros qui ont été investis sur ce site, où la France va installer la plus grande unité de production de semi-conducteurs en Europe et créer plus de 1 000 emplois supplémentaires. Cet exemple est le symbole de la France du savoir et de la recherche, ainsi que de notre reconquête industrielle.

Le groupe RDPI se tiendra au côté du Gouvernement et de tous ceux qui veulent que la France, soutenue par ses alliés européens, puisse retrouver sa pleine souveraineté économique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer le travail de qualité mené par la mission d’information, dont la technicité et la précision n’ont jamais fait défaut.

Madame la rapporteure, monsieur le président de la mission d’information, votre motivation au cours de ces travaux n’a eu d’égale que votre connaissance parfaite du milieu de la recherche. Merci à tous les deux ! Vous m’avez fait tomber, comme Obélix, dans la marmite, moi qui ne suis qu’un modeste membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes : je me suis ouverte au monde de l’innovation et de la recherche, dont j’ai découvert la pertinence et dont il se trouve qu’elle est au carrefour des préoccupations qui sont les miennes au sein de ces deux commissions.

Le système français doit considérablement améliorer l’innovation et en faire l’une de ses priorités. Les propositions de la mission d’information vont dans ce sens et gagnent à être entendues par les pouvoirs publics.

Le problème ne se limite toutefois pas à la France. La dimension européenne ne doit pas être oubliée. L’Union européenne doit même reprendre le leadership sur l’innovation de rupture.

Face aux avances technologiques prises ou en passe de l’être par des puissances émergentes telles que la Chine, comment faire de l’Union européenne une puissance qui résiste ?

Prenons l’exemple de la 5G. La législation française est adaptée au contexte, mais il convient de rester attentif à l’évolution des risques sur l’ensemble du territoire européen. Tous les pays n’ont pas le même niveau d’expertise sur ces questions.

Il convient donc non seulement de soutenir la mise en œuvre de la boîte à outils de l’Union européenne susceptible de faciliter l’application de mesures nationales dans le domaine de la 5G et de veiller à l’évolution des risques, mais aussi de soutenir la réalisation du projet Hexa-X et d’autres initiatives et financements communautaires susceptibles de favoriser l’émergence d’acteurs européens de premier plan dans le domaine de la 6G.

Soutenir, mais comment ? La dimension est-elle seulement financière ? Eh bien non, ce n’est pas qu’une question d’argent !

Il s’agit, d’abord, de bien définir les thématiques sur lesquelles un facteur de compétitivité peut être créé, car c’est ce qui permettra aux géants d’émerger.

Il s’agit, ensuite, de soutenir les bons acteurs, en évitant si possible les grands équipementiers non européens. La capacité de la France et de l’Union européenne à soutenir l’émergence d’acteurs européens alternatifs est certainement l’une des conditions sine qua non pour garantir notre souveraineté.

Dans le domaine spatial, l’Union européenne doit se donner les moyens de rester un acteur majeur. Front de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, l’espace est l’un des enjeux de la course pour la place de première puissance mondiale entre Washington et Pékin. La Chine est devenue une puissance spatiale majeure, qui mène de front des programmes d’exploration lunaire et martienne, des vols habités, des lancements de satellites à vocation scientifique, commerciale ou militaire, et même la construction d’une station spatiale chinoise. Et nous, que faisons-nous pendant ce temps-là ?

Le domaine spatial est l’illustration de quatre axes auxquels nous devons prêter attention.

Premièrement, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande prudence en matière de transfert de technologies.

Deuxièmement, il faut définir une politique nationale et une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des ambitions chinoises.

Troisièmement, il convient d’augmenter les budgets publics nationaux des États membres. Pour reprendre l’exemple de l’espace, il est important de donner toute sa dimension au nouveau projet de constellation européenne pour la connectivité. Plus largement, il faut réaffirmer la nécessité d’une recherche publique forte, laquelle ne peut s’accommoder d’un enseignement supérieur en berne, comme c’est le cas aujourd’hui et depuis si longtemps.

Quatrièmement, l’Union européenne doit encourager le développement d’un secteur privé performant en mettant en place les conditions optimales à la croissance des start-up innovantes.

C’est l’application cumulative de ces quatre grands axes qui permettra de favoriser l’innovation et la compétitivité. Le rapport de la mission d’information va dans ce sens. La plupart de ses préconisations sont une déclinaison de ces quatre axes.

Faire de la commande publique un levier essentiel de croissance pour les entreprises industrielles innovantes ? C’est le deuxième axe.

Faire de la propriété industrielle et de la normalisation des sources de compétitivité ? C’est le premier axe.

Inciter les grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes ? C’est le quatrième axe.

Élaborer dès 2022 une loi pluriannuelle de programmation de l’innovation pour renforcer l’efficacité de la politique de valorisation ? C’est le troisième axe.

J’en viens à un point extrêmement important, qui a été mis en exergue.

Nous préconisons de systématiser les évaluations ex post des politiques de transfert et de valorisation menées par les organismes publics de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, et de confier cette nouvelle mission au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Oui, l’évaluation doit être une priorité majeure de nos politiques publiques. Elle est en même temps un enjeu essentiel et une culture que nous ne possédons pas, ce qui est bien dommage. Sans évaluation, l’attribution des financements sera naturellement fléchée vers les acteurs déjà installés, favorisant les consortiums qui bénéficient déjà d’un soutien européen. Ces derniers ne sont donc pas encouragés à se dépasser et à devenir les meilleurs, car les financements viennent malgré tout vers eux, comme le reconnaissent les industriels eux-mêmes.

Nous devons faire l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui. Je cite M. Loesekrug-Pietri : « On sécurise pour que le résultat en 2025 soit ce que l’on voulait en 2022, mais le monde aura changé trois fois entre-temps et on risque de tomber à côté. »

Si le rapport d’information indique que nous devons réorienter les aides fiscales pour mieux accompagner le passage à l’échelle des petites et moyennes entreprises innovantes, ce que je soutiens fortement, je tiens à préciser qu’il faut commencer par évaluer l’utilisation du crédit d’impôt recherche pour qu’un terme soit mis aux stratégies d’évasion et d’optimisation fiscales, si souvent dénoncées, et pour endiguer son détournement par des bénéficiaires insuffisamment contrôlés. (M. Gérard Lahellec applaudit.)

Enfin, pour aller jusqu’au bout de l’évaluation, interrogeons-nous sur le rôle que nous devons donner au Parlement dans les transformations que nous préconisons de mettre en œuvre. N’oublions pas le Parlement, car il a toute sa place !

Sur le modèle de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence du département de la défense des États-Unis chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies qui rend des comptes au Sénat américain, nous devons jouer un rôle important dans ces transformations, dans le suivi aussi bien des crédits budgétaires que de la loi de programmation de l’innovation que nous appelons de nos vœux.

Je n’ai pas abordé tous les champs évoqués dans le rapport d’information, mais je souhaitais mettre en valeur le fait que la recherche était aujourd’hui à un carrefour. Nous devons garder notre souveraineté dans ce domaine, notamment dans la recherche de pointe. De nombreux rapports ont été produits, mais celui de notre rapporteure et de notre président va plus loin : son objectif est de permettre à l’innovation d’être au rendez-vous des ambitions de notre beau pays, à l’échelon tant national qu’européen. J’y insiste, car la valeur de l’innovation ne doit pas être galvaudée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier en préambule la rapporteure et le président de la mission d’information, qui ont accompli tous deux un bon travail et réalisé un excellent rapport, dont mon groupe approuve la plupart des conclusions.

Merci à nos collègues qui ont entrepris cette démarche, nous permettant ainsi de débattre et, je l’espère, d’œuvrer à un sursaut bien nécessaire de la politique d’innovation de notre pays.

Monsieur le ministre, j’espère en effet que le Gouvernement se saisira de ce rapport d’information et mettra en œuvre ses préconisations tant l’enjeu est majeur et tant il est urgent de prendre les décisions qui s’imposent. Ce rapport d’information complète celui qui a été examiné hier soir sur la souveraineté économique et l’indispensable réindustrialisation.

Oui, relancer l’innovation est essentiel pour la souveraineté de la France et pour la capacité de notre pays à maîtriser son destin et son avenir.

Vous l’aurez constaté, monsieur le ministre, le rapport d’information met l’innovation au service de la réindustrialisation. Certes, j’ai bien noté votre satisfaction face à l’amélioration de la position de la France dans le classement global en matière d’innovation, mais l’essentiel des start-up de la French Tech sont dans le secteur des services : s’il n’y a pas à s’en plaindre, il faut relever que la part de l’industrie est extrêmement faible. Nos préconisations, qui sont tournées vers cette cible particulière qu’est la réindustrialisation, sont donc d’autant plus importantes.

Force est de constater que d’énormes retards ont été accumulés et qu’inverser les tendances négatives qui ont prévalu depuis près de trente ans exige un véritable sursaut collectif, une mobilisation générale et des interventions publiques non seulement bien supérieures à ce qu’elles sont actuellement, mais également – Mme la rapporteure a insisté sur ce point – mieux orientées.

Développer l’innovation suppose un terreau fertile. Or celui-ci est terriblement appauvri. Ce terreau, c’est une appétence pour la science, ainsi qu’un haut niveau scientifique et technique de nos concitoyens et de notre jeunesse. Comment ne pas être alarmé par la rapide détérioration de ces facteurs ?

Je suis persuadée qu’au-delà des effets sur notre compétitivité économique et industrielle cette situation concourt à la spirale dépressive qui mine notre pays et notre projet républicain. Cette question mériterait en soi un long débat, mais je n’évoquerai que quelques sujets majeurs expressément abordés dans le rapport d’information.

Le niveau en mathématiques des jeunes Français a chuté au point que nous sommes désormais dans les classements internationaux le dernier pays d’Europe et l’avant-dernier de ceux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) derrière le Chili. L’affaire n’est pas nouvelle : le rapport Villani-Torossian le disait déjà, mais les dispositions prises en 2018 n’ont pas suffi à redresser la barre.

Sans compter que la réforme du lycée engagée par le désastreux M. Blanquer a abouti à ce qu’à peine plus de 58 % des élèves étudiaient encore les mathématiques en terminale et seulement 14 % en mathématiques expertes, la véritable filière scientifique : un désastre ! Si une heure trente de cours a été ajoutée cette année, nous n’avons aucune visibilité pour l’avenir. Il faut un plan complet et rapidement opérationnel, du primaire à l’université, pour retrouver un haut niveau de formation en mathématiques. C’est urgentissime !

Plus largement, la situation de l’enseignement supérieur est elle aussi alarmante. J’approuve la demande d’une loi de programmation pluriannuelle, à condition – mais je sais que telle n’est pas l’intention du président et de la rapporteure de la mission d’information – qu’elle ne soit pas une tartufferie, comme celle sur la recherche votée sous le précédent gouvernement.

Durant le débat qui a eu lieu lors de l’examen de ce projet de loi dans notre hémicycle, nous étions nombreux à estimer que les montants étaient insuffisants et qu’ils ne permettraient pas d’atteindre 3 % de PIB pour la recherche et 1 % pour la recherche publique.

Nous sommes actuellement tout juste dans la moyenne européenne, bien loin derrière l’Allemagne. C’est pourtant un point majeur pour la compétitivité de la France, sans doute bien plus important que l’obsédante course à la baisse du coût du travail – j’en profite pour dire que ce sont ceux qui défendent la valeur travail qui veulent en baisser le coût, ce qui est pour moi incompréhensible.

Le rapport d’information relatif à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche de nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir montre que l’État ne la respecte pas. La trajectoire d’emplois est nettement inférieure, puisque seuls 376 emplois ont été créés contre les 700 prévus. Sans chercheurs, comment innover ?

Il faut insister sur la situation inacceptable des doctorants. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage) vient de publier une étude montrant qu’un quart des doctorants ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins. Cette situation explique pour partie la perte de 10 000 doctorants en France en dix ans. Comment tolérer qu’aujourd’hui des doctorants, notamment ceux qui enseignent, soient payés en dessous du Smic ?

Au sein de la mission d’information, j’ai plaidé pour que nous demandions une révision de la loi de programmation de la recherche.

Au-delà du terreau à revivifier, il est essentiel de mettre en œuvre les propositions du rapport d’information. Le groupe CRCE sera notamment à vos côtés, madame la rapporteure, pour voter les mesures qui le permettront et pour exiger une révision radicale du crédit d’impôt recherche.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaite adresser toutes mes félicitations à Alain Aspect, prix Nobel de physique depuis mardi dernier, nouvelle dont je me réjouis particulièrement, car il est natif de mon département !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Je me disais bien qu’il y avait une raison ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Moga. J’ajoute que nous avons le même âge, à quelques jours près !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous tenons un sénateur nobélisable ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Moga. Je remercie la rapporteure et le président de la mission d’information de l’excellent travail qu’ils ont réalisé. Le sujet dont nous débattons aujourd’hui est fondamental. C’est en effet de l’innovation que découlent les nouvelles sources de croissance de notre économie, la bonne santé de nos entreprises, la vitalité de nos territoires et le progrès humain.

Face au caractère inéluctable du changement climatique, il nous est imposé de changer nos modes de production afin de restreindre leurs effets néfastes sur l’environnement et d’atteindre les objectifs bas-carbone à horizon 2050.

Dans une politique visionnaire, nos prédécesseurs nous ont légué le fruit inestimable d’une innovation tout à fait remarquable, une production électrique quasiment décarbonée, nous plaçant de fait parmi les nations les plus avancées du monde en la matière.

La crise sanitaire a agi comme un puissant révélateur de notre manque de capacités d’innovation.

Notre pays a connu une saignée industrielle extrêmement douloureuse à partir des années 1980, dont nous payons toujours les conséquences en termes d’emploi, de cohésion territoriale et de prospérité.

La nécessaire réindustrialisation de notre pays et l’adaptation au climat ne peuvent passer que par un effort puissant en faveur de la recherche et de l’innovation.

Depuis le début des années 2000, la France a su accroître le volume du soutien public à l’innovation, qui est passé de 3,5 à 8,7 milliards d’euros par an en quinze ans. Au total, 110 milliards d’euros seront mobilisés de 2010 à 2030.

L’écosystème du soutien à l’innovation a été réaménagé à de nombreuses reprises : création du crédit d’impôt recherche, lancement du premier programme d’investissements d’avenir (PIA) et mise en œuvre des trois suivants, création de Bpifrance en 2012, etc.

La France compte désormais 20 000 start-up et 27 licornes. Une seule est une start-up industrielle. L’innovation bénéficie donc en majeure partie au secteur du numérique.

La mission d’information à laquelle j’ai eu la chance de participer propose plusieurs voies d’action, qui, je le crois, permettront à l’innovation et à la recherche de redevenir le centre de gravité de notre économie.

En la matière, notre vision est trop linéaire. Elle conduit les pouvoirs publics à soutenir l’innovation essentiellement au travers d’appels à projets qui ne permettent ni de construire des feuilles de route industrielle et technologique ni d’avoir une vision de long terme.

Avant toute mesure paramétrique et sectorielle, il convient de résoudre la problématique que représente l’enseignement scientifique dans notre pays. Les besoins de l’économie française en termes de nouveaux ingénieurs sont estimés entre 50 000 et 60 000 chaque année ; or nos écoles n’en forment que 33 000 par an. Ce différentiel contribue à un affaissement de notre compétitivité.

Pour rester une grande puissance innovante et industrielle, il faut dès maintenant s’attaquer à la question de l’enseignement des sciences dans notre pays. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’éducation nationale, « le niveau des élèves de 4e en 2019 en maths est équivalent à celui des élèves de 5e en 1995 ». Il nous faut inverser la tendance. Une hausse des rémunérations des enseignants et des chercheurs ainsi qu’une loi de programmation de l’enseignement supérieur sont indispensables pour relever le niveau de l’enseignement, susciter des vocations d’ingénieurs, de doctorants, de scientifiques, attirer et conserver nos talents.

Le lien entre innovation et industrie est fondamental.

Ainsi, 70 % de la recherche privée en France est réalisée par l’industrie manufacturière. Il est donc essentiel d’orienter l’innovation vers la réindustrialisation en favorisant les partenariats entre centres de recherche publics et privés et en permettant à un nombre accru d’entreprises, notamment les petites, de se saisir des dispositifs de soutien existants.

Il convient également d’organiser des transferts de technologie vers des entreprises françaises produisant sur le sol national.

Dans cet esprit d’encouragement de l’innovation, il est impossible de ne pas évoquer le crédit d’impôt recherche. Je serai cependant bref sur le sujet, car vous l’avez longuement évoqué, madame la rapporteure, et je partage vos propos.

L’impôt sur les sociétés ayant été abaissé substantiellement durant les dernières années, ce dont je me félicite, la situation actuelle offre l’opportunité d’un recalibrage du CIR vers les bénéficiaires en ayant le plus besoin. La mission d’information propose de doubler le plafond du crédit d’impôt innovation pour le porter à 800 000 euros et d’instituer un « coupon recherche-innovation » à destination des PME. Nous le constatons dans nos territoires, nous l’avons constaté dans le cadre de la mission d’information : celles-ci en ont vraiment besoin.

Il faut également lever certaines contraintes administratives que nous nous sommes imposées, année après année, rendant la vie de nos entreprises de plus en plus difficile. Il est anormal qu’un laboratoire de thérapie génique, secteur innovant par excellence, puisse démarrer ses activités dès la demande d’autorisation en Suisse, mais doive attendre près d’une année, voire davantage, en France.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est tout le pays qu’il nous faut remettre en état de marche, à commencer par notre jeunesse, pour lui donner le goût de la découverte et de l’expérimentation scientifique.

Il nous faut accompagner les entreprises innovantes financièrement, mais aussi engager la puissance publique dans un rôle de facilitation de l’innovation. Les leviers à activer sont nombreux : utiliser la commande publique pour favoriser l’innovation, simplifier les procédures administratives, affiner les dispositifs fiscaux existants et faciliter le financement privé de l’innovation.

Notre groupe sera résolument engagé en faveur de cet impératif. J’ai la sincère conviction que la France dispose de tous les atouts nécessaires pour relever ce challenge. Monsieur le ministre, replacer l’innovation industrielle au cœur de l’économie française est un défi qu’il est impératif de relever dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Gisèle Jourda et Colette Mélot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, je tiens tout d’abord à saluer le travail réalisé par M. le président Redon-Sarrazy et Mme la rapporteure Paoli-Gagin dans le cadre de la mission d’information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ».

Lorsque le groupe Les Indépendants – République et Territoires a pris l’initiative de créer une mission d’information sur ce thème, nous avons été curieux et enthousiastes à l’idée de débusquer des réponses à ce qui pouvait s’apparenter à un paradoxe à la française. Force est de constater que des faits historiques, culturels, politiques, économiques et financiers sont venus enrichir nos interrogations initiales – il n’est qu’à parcourir le rapport d’information !

Nous avons très vite compris que notre pays n’avait pas traîné des pieds lorsqu’il avait fallu investir dans l’innovation et consacrer une politique publique à part entière à ce secteur.

Cette médaille a toutefois son revers : le soutien à l’innovation par l’accroissement des dépenses de recherche et de développement n’encourage pas les entreprises à se spécialiser en France dans des branches d’activité particulières. Ce phénomène amplifie au contraire notre fragilité dans une économie de marché dérégulée, libéralisée, privatisée et compétitive.

L’une des raisons avancées pour expliquer les obstacles à la constitution de grandes industries en France est la difficulté à recruter et à accéder aux compétences. Comme en atteste à juste titre le rapport d’information, le problème est que « l’État a tendance à considérer l’éducation et la recherche comme des coûts, ce qui conduit à un déficit structurel de leur financement ». Ce constat accablant est dressé chaque année par les acteurs du secteur, qui, dans des conditions dégradées, sont dans l’impossibilité de produire un travail suffisamment qualitatif. En outre, ce déficit structurel porte atteinte à des droits fondamentaux comme l’égal accès à l’éducation.

Par conséquent, il conviendrait de renoncer à cette conception mercantile de l’enseignement supérieur et de la recherche et de considérer qu’il s’agit d’un investissement pour l’avenir, afin de former celles et ceux qui intégreront les exécutifs de potentielles futures industries.

Par ailleurs, en Européens convaincus, nous plaidons nous aussi pour une meilleure coordination des politiques d’innovation à l’échelle nationale et européenne, ainsi que le suggère le rapport d’information.

La France doit être plus impliquée dans l’élaboration des orientations stratégiques en matière de recherche et d’innovation. Nos laboratoires doivent avoir voix au chapitre et pouvoir s’inscrire dans une logique de complémentarité, et non de concurrence avec nos voisins européens. Il y a là un enjeu d’efficacité et de souveraineté si nous voulons limiter notre dépendance aux autres grandes puissances, a minima la rendre bien moins asymétrique.

En somme, toutes les recommandations formulées dans le rapport d’information revêtent une grande importance, mais certaines nous paraissent particulièrement saillantes.

Je pense d’abord à l’augmentation du nombre de « sites industriels clés en main » par une meilleure planification de leur utilisation. Ceux-ci permettraient de valoriser les filières en s’appuyant sur les savoir-faire locaux. En outre, des sites industriels existants, inoccupés depuis longtemps, pourraient ainsi être recyclés.

Il faudrait toutefois veiller à mieux répartir ces investissements sur l’ensemble du territoire national – j’y insiste, en tant qu’élue de la ruralité. Le secteur de l’industrie constitue un gisement d’emploi et un facteur d’attractivité non négligeable pour nos régions qui connaissent un déclin démographique.

Je pense ensuite à l’adoption de critères économiques, écologiques, sociaux et de souveraineté pour évaluer l’objectif de promotion du transfert technologique et de l’innovation, qui est fondamentale. Il s’agit de permettre à ce secteur de relever les défis qui s’imposent à la société tout entière.

Je pense enfin à la volonté d’intégrer, au sein des critères de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la collaboration des grands groupes avec les start-up et les PME innovantes. S’il s’agit là d’un premier pas intéressant qu’il faut expérimenter, il faudra peut-être mettre en œuvre des mesures coercitives, car il est permis de douter de la générosité spontanée de certaines grandes sociétés !

Telles sont certaines des observations que je tenais à formuler au nom de mon groupe. En son nom, j’adresse de nouveau tous nos remerciements à celles et ceux qui ont engagé ces discussions capitales. Madame la rapporteure, vous pouvez compter sur le soutien du groupe du RDSE pour faire avancer vos recommandations.