M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Ma question s’adressait au ministre de la santé, qui est absent.

Madame la ministre déléguée, voilà sept mois que vous êtes en fonction et je souhaite entendre de votre bouche les décisions concrètes que vous avez prises, avec votre ministre de tutelle, pour lutter contre les déserts médicaux.

De tous les groupes politiques, de tous les territoires, émanent des rapports successifs, des débats, des questions, des propositions de loi, des amendements sur ce sujet. Par tous les véhicules législatifs possibles, le Sénat attend, propose et exige des décisions efficaces et concrètes pour l’égalité d’accès aux soins de tous les Français, y compris ceux de la ruralité profonde.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Bruno Rojouan. Votre ministère argue que le pays dans son ensemble fait face à une pénurie de médecins – certes… Toutefois, adopter cette conception uniforme est le meilleur prétexte à l’inaction en cela qu’elle masque la réalité : certains territoires souffrent plus que d’autres, le manque de praticiens y étant bien plus important.

Patients abandonnés et maires de France ne peuvent plus supporter cette situation inacceptable et indéfendable. Les décisions courageuses et audacieuses qu’ils attendent dépendent de vous, et non de comités « machin chose » qui consomment du temps et ne ramènent pas la présence médicale dans les territoires.

Madame la ministre, que fait le Gouvernement face à ce problème majeur ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, nous partageons tous cette conviction : la santé est notre bien commun.

M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le temps du diagnostic est derrière nous ; nous sommes pleinement dans l’action. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Tel est le sens du cap fixé par le Président de la République le 6 janvier dernier : celui de la refondation de l’ensemble de notre système de santé, qu’il s’agisse de l’hôpital ou de la médecine de ville.

À l’hôpital, nous voulons redonner plus de sens, plus de souplesse et plus d’autonomie aux soignants. Cela passe par une meilleure reconnaissance de la pénibilité, mais aussi par une refonte de l’organisation à l’échelle des services ou par une modification de la sortie du tout-T2A (tarification à l’activité).

S’agissant de la médecine de ville, nous souhaitons nous inscrire dans une trajectoire à la fois pragmatique, ambitieuse et solidaire.

Pragmatique d’abord, car, manquant de personnel soignant, nous devons nous assurer d’une chose simple : que nos soignants consacrent la majeure partie de leur temps à soigner. Nous avons ainsi pour objectif de libérer les soignants de certaines tâches administratives. Pour cela, nous créerons 10 000 postes d’assistants médicaux d’ici à la fin de l’année 2024. Des mesures de simplification des tâches administratives et la suppression de certains certificats médicaux inutiles doivent également être prises – nous ferons des annonces en ce sens dans les prochains jours. Par ailleurs, nos concitoyens doivent aussi se responsabiliser : 28 millions de rendez-vous ne sont pas honorés chaque année. (M. Vincent Segouin ironise.)

Ambitieuse ensuite, parce que nous souhaitons utiliser au mieux les compétences de chacun. Il nous faut employer au mieux toutes les ressources de notre système en améliorant le travail d’équipe et la répartition des tâches entre professionnels de santé autour du médecin traitant. Ce dernier doit rester, je l’affirme encore une fois, la pierre angulaire de notre système de santé. Nous souhaitons créer autour de lui des équipes de soins au sein desquelles certains actes seront délégués entre le médecin et les autres professionnels.

Solidaire enfin, car nous améliorerons l’organisation à l’échelle des territoires et des bassins de santé. C’est le sens du pacte territorial que nous construirons avec les élus. C’est aussi le sens de l’engagement territorial du monde libéral, dans une logique gagnant-gagnant. Nous nous appuierons pour cela sur les conseils nationaux de la refondation en santé.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Vous voyez, monsieur le sénateur, nous sommes pleinement engagés dans la refondation de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Bonhomme. C’est flagrant !

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. Madame la ministre déléguée, nous connaissons le constat. Les solutions, tous les groupes, avec quelques nuances, vous les ont apportées. Il est désormais temps de faire des choix et c’est à vous qu’il revient de décider de la solution à apporter pour une plus grande présence médicale dans tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le 15 février prochain, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ?

Débat d’actualité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le grand plan d’investissement américain voté l’été dernier retient toute notre attention. Il nous amène à débattre aujourd’hui des réponses que la France et l’Union européenne devraient apporter. L’IRA, ou Inflation Reduction Act, est un programme puissant de subventions, mais aussi d’allègements fiscaux de 370 milliards de dollars avec pour objectif de financer la transition écologique et des mesures sociales.

Les mesures les plus symboliques sont la création d’un crédit d’impôt de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique made in USA, une subvention pour les fabricants d’éoliennes ou de panneaux solaires utilisant l’acier américain, ou encore une baisse d’impôt pour aider les entreprises dans leur transition énergétique. Toutes les conditions sont réunies pour permettre un favoritisme au bénéfice de l’économie américaine.

En effet, l’objectif est de promouvoir le développement des entreprises américaines et de contourner nos accords de libre-échange. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours, même si nous avons souvent l’impression que l’Union européenne n’en est pas consciente.

La première réaction des dirigeants européens a été une levée de boucliers contre ce plan jugé protectionniste : ils ont accusé les États-Unis de favoriser les investissements sur leur territoire, en visant en particulier et parmi de nombreuses autres mesures l’octroi de certaines subventions délivrées sous condition de relocalisation de la production sur le sol national.

La présidente de la Commission européenne a annoncé un « pacte vert industriel pour une ère sans carbone », qui prévoit une réallocation des fonds existants et non de nouveaux financements européens, afin de soutenir la compétitivité et le verdissement de l’industrie européenne.

Si nous ne pouvons que soutenir les orientations prises pour répondre au plan d’investissement américain, nous devons également alerter, afin que la Commission européenne fasse preuve de lucidité dans la réorientation des aides allouées ainsi que dans les décisions réglementaires qu’elle pourrait prendre pour développer notre industrie.

Il faut saisir cette occasion pour mettre en place un véritable plan de développement d’une économie verte s’appuyant sur des incitations fiscales, mais aussi assurer une concurrence loyale en imposant aux produits qui sont importés les normes qui s’appliquent à ceux qui sont fabriqués sur le sol européen.

L’objectif est donc double : non seulement réglementer pour unifier les normes en vigueur, mais aussi inciter le développement industriel sur le sol européen en assurant des avantages fiscaux aux entreprises qui investiront dans le développement d’énergies propres, dans le but final de permettre à l’Union européenne d’assurer sa souveraineté énergétique, donc sa souveraineté économique.

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a publié au mois de janvier dernier les chiffres de la balance commerciale, qui sont alarmants. Le déficit commercial de notre pays a doublé cette année.

L’onde de choc de la crise énergétique se fait sentir sur le coût de nos importations, avec une hausse de 29 % des importations en valeur, alors que nos exportations, moins sujettes à l’impact de l’énergie, ne progressent que de 18 %. C’est donc plus de 80 % de l’aggravation du déficit qui s’explique par l’augmentation du prix de l’énergie.

Même si la France n’a jamais été exemplaire sur sa balance commerciale, ses voisins européens subissent de plein fouet les mêmes effets, avec une baisse de 56 % des exportations par rapport à l’année dernière pour le bon élève allemand.

Ce déficit s’explique aussi par la pénurie d’approvisionnement dans certaines matières premières, qui ont pénalisé l’automobile ou l’aéronautique.

Cette crise énergétique doit inspirer la politique européenne pour encourager des investissements lourds dans notre industrie, afin que nous soyons en mesure de produire notre énergie décarbonée localement. Il s’agit d’assurer notre souveraineté économique, laquelle ne sera garantie que par notre souveraineté énergétique.

L’Union européenne a perdu trop de temps à discuter des mois durant afin de savoir si telle ou telle énergie était suffisamment verte pour être subventionnée. Je pense bien sûr aux débats qui ont eu lieu autour du nucléaire.

Le plan d’investissement des États-Unis favorise fortement la relocalisation de la production sur leur territoire. L’IRA offre des atouts de compétition, qui, couplés à un prix de l’énergie très faible dans ce pays, font courir des risques à notre industrie.

La Commission européenne a communiqué le 1er février dernier que des subventions équivalentes à celles que proposent les États-Unis seront autorisées. Les États membres pourront égaler le montant de l’aide qu’une entreprise européenne se verrait offrir par un pays tiers, comme les États-Unis. Voilà un signe encourageant, qui ne permettra sans doute pas à tous les pays européens de réagir de la même manière : tous n’en ont pas les moyens.

Annoncer l’octroi de subventions ou d’avantages fiscaux est un premier pas, mais cela devra impérativement être accompagné d’une débureaucratisation de Bruxelles en assurant des obtentions de subventions dans des délais restreints.

Les États-Unis sont très rapides, un peu comme nous l’avons été au moment de la crise du covid-19. Je crains qu’en France et en Europe les entreprises ne soient découragées par la bureaucratie européenne et par des versements de subventions qui prennent plusieurs mois, quelquefois plusieurs années.

Au-delà des délais administratifs, la réponse de l’Union européenne doit s’inscrire dans le temps long. Nous avons une fâcheuse tendance à modifier tous les six mois les plans européens pour répondre à telle ou telle urgence. Ce plan doit s’inscrire dans la continuité afin de ne pas décourager les entreprises.

Je pense également à notre agriculture, qui a subi de nombreuses réglementations ces dernières années, poussant nos agriculteurs à développer l’agriculture biologique avec le succès mitigé que nous connaissons. Il y a encore quelques jours, la Cour de justice de l’Union européenne a définitivement barré la voie à l’utilisation de néonicotinoïdes, pour seulement deux pays, la France et la Belgique. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est impératif de s’assurer que ces règles s’appliquent sur l’ensemble des produits que nous importons, afin que nos agriculteurs ne se retrouvent pas face à une concurrence déloyale.

La confiance de nos concitoyens dans l’Union européenne est de plus en plus fragile, face à des règles fermes pour nos producteurs, mais faibles quant à leur application à des produits importés. Aujourd’hui, la France compte dix fois plus de contrôleurs-inspecteurs pour contrôler les agriculteurs que de douaniers chargés de contrôler les produits finis qui entrent en Europe. Dans ces conditions, comment les agriculteurs peuvent-ils avoir confiance ?

C’est à l’échelon européen que nos dirigeants doivent garantir une égalité dans la loi en assurant un bouclier vert.

Madame la secrétaire d’État, quelles réponses l’Union européenne peut-elle apporter à ce plan d’investissement américain ?

La technostructure européenne ou française sera-t-elle capable d’apporter une réponse rapide avec des déblocages immédiats des fonds, comme savent le faire les Américains ?

L’Union européenne est-elle prête à instaurer des normes barrières afin de réduire la pénétration de son marché par les produits américains ou chinois ?

L’Europe va-t-elle enfin se réveiller face à la concurrence internationale, sachant qu’elle est beaucoup plus handicapée notamment par les conséquences du conflit ukrainien ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Louault, d’abord, nous devons nous féliciter de l’intérêt des Américains pour le climat. C’est une bonne nouvelle qu’ils s’attaquent enfin à ce sujet.

Ensuite, notre réponse a été assez rapide. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement de cet après-midi, Bruno Le Maire a indiqué qu’il s’était rendu aux États-Unis avec son homologue allemand, M. Robert Habeck, pour négocier toutes les marges de manœuvre possibles dans le cadre de l’IRA.

Enfin, un Conseil européen se tiendra demain et après-demain en vue d’entériner des travaux pour répondre à l’Inflation Reduction Act.

En matière de financement, nous avons deux sujets à traiter.

Le premier concerne la simplification des aides d’État, vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur. Nous allons par exemple modifier les seuils, mais aussi autoriser les crédits d’impôt comme aux États-Unis, afin de pouvoir répondre très rapidement. C’est vrai, une réallocation de fonds existant déjà est prévue, en partie parce que nombre de pays n’ont pas encore utilisé et n’ont pas su déployer leurs fonds au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), pas plus que leurs fonds de cohésion. Leur donner la flexibilité de le faire dans la réponse à l’IRA, c’est à la fois préserver le marché intérieur, éviter des distorsions de concurrence et pouvoir apporter une réponse rapide.

Le second sujet porte le fonds souverain qu’a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, comme vous le savez, monsieur le sénateur, et qui interviendra dans un second temps. Il nous permettra d’abonder des secteurs stratégiques que sont le numérique et l’énergie et, je le souhaite aussi, la santé.

Enfin, monsieur le sénateur, nous avons des instruments pour faire cesser cette naïveté que vous soulignez, qui sont le respect des règles de gouvernance globale. De nouveaux instruments de défense commerciale ont notamment été développés pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne ; je pense en particulier à l’instrument antisubventions qui nous permettra de taxer les produits sursubventionnés par des pays tiers, de façon à rétablir une concurrence loyale.

Nous ne répéterons pas avec les voitures électriques les erreurs que nous avons commises avec les panneaux solaires chinois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le climat de contestation générale du multilatéralisme, les règles du commerce mondial n’échappent pas à la tendance. De l’America First de Donald Trump aux aides d’État de Joe Biden, les États-Unis semblent s’en affranchir de plus en plus.

Étendard historique du libre-échange à la fin du siècle dernier, les États-Unis seraient-ils tentés par l’isolationnisme économique ? Avec l’Inflation Reduction Act, ils renouent en tout cas avec leur ancienne doctrine protectionniste visant à protéger leurs industries naissantes. Au travers de ce fameux IRA, l’Oncle Sam s’apprête à déverser 369 milliards de dollars de subventions aux entreprises qui investiraient dans la transition verte sur le sol national.

La bonne nouvelle, vous l’indiquez, madame la secrétaire d’État, c’est que les États-Unis confirment avec ce plan qu’ils ont pris la mesure de l’urgence climatique.

La mauvaise, c’est qu’ils nous ont vendu pendant des décennies le concept d’une « mondialisation heureuse », pour aujourd’hui jouer leur propre partition de relocalisation.

Comme vous le savez, mes chers collèges, l’IRA inquiète nos entreprises, nos territoires et les pouvoirs publics. Après l’épreuve de la pandémie qui a affecté notre économie, puis celle de la guerre qui renchérit le prix de l’énergie, le projet américain pourrait en effet fragiliser un peu plus le tissu industriel européen.

Depuis l’annonce américaine au mois d’août dernier, on entend que Saint-Gobain voudrait s’agrandir en Californie, que Volkswagen augmenterait ses capacités de production de l’autre côté de l’Atlantique, tout comme le fabricant suédois de batteries Northvolt.

Madame la secrétaire d’État, avez-vous quelques éléments précis concernant les groupes français qui seraient tentés par le nouveau rêve américain ?

En attendant, comme nous y invite ce débat, il nous faut nous interroger sur les réponses que l’Union européenne peut apporter à ces mesures protectionnistes. Le Conseil européen du mois de décembre dernier a bien souligné « la nécessité d’une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l’Europe et sa compétitivité sur le plan mondial, tout en préservant l’intégrité du marché unique ».

Pour ce qui est de la réponse coordonnée, on peut avoir une inquiétude au regard des positions divergentes de certains États membres en fonction des propositions avancées par Bruxelles. Cependant, je me réjouis que Paris et Berlin s’entendent sur l’assouplissement des aides d’État liées à la transition écologique, ainsi que sur la simplification des règles d’installation des usines. Le groupe RDSE est en tout cas favorable à cette première réponse.

Je n’oublie pas une difficulté intrinsèque à l’Union européenne, à savoir l’existence de règles régissant le marché unique qui compliquent l’octroi de subventions aux entreprises. Sur ce point, l’Union européenne ne doit pas être dogmatique, sous peine de rester la variable d’ajustement dans un monde dérégulé.

Face à un acte déloyal, nous devons apporter une réponse à la hauteur, ce que laisse espérer sur le papier le Green Deal Industrial Plan. Si nos intérêts économiques, de surcroît face à des États-Unis décomplexés quant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), commandent de faire évoluer le cadre européen, faisons-le sans tarder. Je souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’entrer dans une guerre commerciale avec les États-Unis, certainement pas dans le contexte de la guerre en Ukraine qui nécessite un lien fort entre alliés.

Une autre réponse pourrait consister en la création d’un fonds de souveraineté européen. Le groupe RDSE, attaché à la cohésion de l’Europe et à la solidarité entre États membres, telle qu’elle s’est exercée au travers du plan de relance, est ouvert à cette idée. Je rappelle que ce fonds suscite l’intérêt de la Banque publique d’investissement. On peut relever que Bpifrance a su jouer son rôle dans la mise en œuvre du plan Juncker.

Madame la secrétaire d’État, plus globalement, ce débat pose la question de l’autonomie stratégique de l’Union européenne.

Bien qu’il soit clair que l’Union européenne ne sera jamais autosuffisante, la réponse au plan américain doit être celle de la reconstitution d’une industrie compétitive irriguant tous les territoires. À cet égard, madame la secrétaire d’État, la baisse des impôts de production ne saurait constituer à elle seule une politique de reconquête industrielle. Nous attendons plus.

Le groupe RDSE sera donc attentif à l’initiative du chef de l’État dans le cadre du prochain Conseil européen.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le sénateur Corbisez, votre question me permet d’apporter quelques précisions.

Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Par conséquent, nous ne sommes pas dépourvus financièrement.

Si notre balance commerciale présente bien des chiffres décevants, nous devons noter une hausse de 37 % de nos exportations de produits agricoles, ce qui est remarquable, ainsi qu’un excédent de 23,5 milliards d’euros dans l’aéronautique. Vous le voyez, nous ne sommes pas totalement démunis.

Face à l’IRA, nous comptons déployer une réponse en quatre temps : premièrement, l’utilisation de flexibilités immédiates des financements existants, deuxièmement, le recours à des instruments de défense commerciale, troisièmement, un fonds souverain pour tous les pays de l’Union européenne – comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, cela viendra dans un second temps, peut-être au mois de juin prochain –, quatrièmement, un plan de développement des compétences, puisque, pour l’énergie, le numérique, comme pour toutes ces nouvelles technologies, nous aurons besoin de nouvelles forces, de nouveaux talents. Nous nous efforcerons d’œuvrer en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi américaine dite de réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act, adoptée l’été dernier par le Congrès des États-Unis et entrée en vigueur le 1er janvier, soulève, par sa nature, son ampleur et ses modalités, des questions difficiles pour l’Union européenne d’un point de vue économique et géopolitique.

Dans la mesure où cette loi marque indiscutablement l’engagement des États-Unis en faveur de la transition énergétique et écologique, en encourageant l’investissement dans les secteurs industriels et de service nécessaires à cette transition, elle ne peut qu’être saluée.

L’inquiétude provient cependant du volume considérable des subventions qui vont être consenties par les autorités américaines – près de 370 milliards de dollars – et, surtout, du fait que l’accès à ces financements ou avantages fiscaux sera réservé aux productions localisées sur le territoire des États-Unis. Combiné au coût bien moindre de l’énergie et à d’autres facteurs avantageant déjà les États-Unis par rapport à l’Union européenne, ce plan de soutien massif risque de créer un effet d’attraction quasi irrésistible pour la localisation ou la relocalisation d’investissements européens dans ces secteurs d’avenir aux États-Unis plutôt qu’en Europe.

Face à ce danger de concurrence déloyale, l’Union européenne ne peut pas rester sans réaction. Elle a exprimé sa préoccupation à ce sujet au plus haut niveau et à plusieurs reprises, mais elle se trouve véritablement mise devant le fait accompli, puisque, comme je l’ai signalé, la loi IRA est déjà entrée en vigueur.

L’Union européenne et les représentants de la France doivent donc réagir rapidement, en mettant en place tous les éléments d’une réponse européenne appropriée.

Avec leurs clauses de localisation obligatoire des productions subventionnées sur le territoire des États-Unis, les aides américaines enfreignent clairement les disciplines de l’OMC. Les contester à Genève pourrait cependant se révéler contre-productif, dans la mesure où le mécanisme de règlement des différends de l’OMC est devenu largement inopérant du fait de la paralysie de l’organe d’appel et qu’il est clair que les États-Unis n’ont aucune intention de se plier à d’éventuelles recommandations formulées dans ce cadre.

Amener l’administration américaine à revoir son dispositif ou à aménager certaines exceptions en faveur de l’Union européenne, comme celles qui sont prévues pour le Canada et le Mexique, est mission impossible. Elle a clairement fait comprendre à ses interlocuteurs européens, y compris le Président de la République lors de sa récente visite d’État à Washington, qu’elle n’était nullement disposée à le faire.

Il reste donc aux Européens à trouver par eux-mêmes des remèdes adéquats au danger auquel ils se trouvent ainsi confrontés.

Une piste envisagée, en direction de laquelle des dispositions ont déjà été prises, consiste à assouplir ou suspendre une nouvelle fois les règles européennes concernant les aides d’État pour autoriser les États membres qui le souhaitent et qui le peuvent à soutenir les activités concernées sur leur territoire. L’inconvénient de cette approche est double : elle favorise les seuls États qui peuvent se le permettre financièrement – la France en fait-elle encore partie ? j’en doute – et elle remet en question le principe de concurrence loyale, le Level Playing Field, sur lequel est fondé le bon fonctionnement du marché unique européen.

Une autre piste, fortement privilégiée par la France, mais loin de faire l’unanimité chez ses partenaires, consisterait à déployer un plan européen similaire au plan américain et d’un montant suffisant pour inciter les opérateurs des secteurs concernés à privilégier les investissements en Europe. Comment mobiliser autant d’argent à l’échelon européen – on parle de 300 à 350 milliards d’euros –, alors que l’Union européenne vient à peine de mettre en œuvre un plan de relance post-covid de 750 milliards d’euros.

Une partie de ce plan existant pourrait sans doute être réorientée vers un tel « fonds européen de souveraineté », comme l’envisage la Commission européenne, mais cela ne suffira certainement pas à faire la différence.

Cette initiative américaine met donc l’Union européenne dans un embarras dont elle aura bien du mal à se tirer, ce qui m’inspire les réflexions suivantes.

Les États-Unis font, une fois de plus, preuve d’un égoïsme sacré en menant une politique décomplexée d’America First, qui ne tient absolument pas compte des retombées négatives de leurs initiatives pour leurs partenaires traditionnels. Ils restent les princes du protectionnisme.

Ceux qui croyaient naïvement que l’arrivée au pouvoir d’une administration démocrate à l’issue du mandat de Donald Trump conduirait nécessairement à une amélioration significative des relations transatlantiques en sont pour leurs frais. Le style a changé, la rhétorique utilisée aussi, mais aucune concession réelle n’est faite sur le terrain des intérêts économiques et commerciaux.

On aurait pu penser que le contexte géopolitique conduirait les États-Unis à mieux soigner leurs relations avec leurs alliés afin de ne pas ouvrir de brèches trop visibles dans la coalition occidentale. Malheureusement, il n’en est rien et ces considérations de politique étrangère semblent peser assez peu par rapport aux objectifs de politique intérieure américaine que l’administration Biden cherche à atteindre au travers de la loi IRA.

Ce constat ne peut en tout cas qu’inciter l’Europe et la France à faire de l’autonomie stratégique dans tous les domaines – énergie, agriculture, industrie, recherche, défense – l’un de leurs objectifs les plus fondamentaux et à tout mettre en œuvre pour l’atteindre dès que possible.

Le général de Gaulle avait eu l’intuition de cette impérieuse exigence dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle a malheureusement été perdue de vue pendant des décennies, dans un contexte de mondialisation débridée. Il est grand temps, selon moi, qu’elle revienne au premier plan dans les préoccupations de nos décideurs, dont vous êtes, madame la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)