Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le sénateur Kerrouche, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’efforcerai d’être bref, afin que tous les orateurs inscrits aient le temps de s’exprimer.

Voilà maintenant quarante ans, avec la promulgation de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, que le mouvement décentralisateur a été engagé dans notre pays, dont on sait combien l’histoire politique est ancrée dans une tradition jacobine.

Mardi dernier, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République soufflait ses vingt bougies. Voilà donc vingt ans que notre Constitution proclame que l’organisation de la République est décentralisée.

Je sais ce que cette proclamation signifie pour votre assemblée, dont nul n’ignore combien elle est attachée à la démocratie locale et à la représentation des territoires.

Ainsi, sur l’initiative du président Larcher, le Sénat a formé un nouveau groupe de travail sur la décentralisation, représentatif de tous les groupes politiques de cet hémicycle. Je veux rendre hommage à cette initiative.

Déjà, les sujets de préoccupation apparaissent. Le président Larcher les a d’ailleurs évoqués publiquement : il s’agit, en particulier, des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales et de l’approfondissement de la différenciation territoriale. Le Gouvernement est particulièrement à l’écoute des réflexions sur ces sujets.

Sur l’initiative du Président de la République, plusieurs réunions de travail ont été organisées avec les associations d’élus locaux, afin d’échanger sur les enjeux d’une réforme institutionnelle, notamment en vue d’un renforcement de la décentralisation et de l’autonomie financière des collectivités.

Ces questions sont délicates et sensibles, mais les attentes sont claires : plus de clarté dans les compétences exercées, plus de proximité dans l’élaboration des solutions et plus de responsabilités aux collectivités, à la condition, bien sûr, que celles-ci disposent des moyens juridiques et financiers associés aux compétences transférées.

Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, tout comme Mme Agnès Canayer dans son rapport, exposent parfaitement les enjeux auxquels les collectivités sont actuellement confrontées, me semble-t-il.

Si le ratio d’autonomie financière des collectivités territoriales est aujourd’hui historiquement élevé – aux alentours de 70 % pour les communes, départements et régions –, certaines voix d’élus locaux s’élèvent pour demander davantage de visibilité sur leurs ressources financières. D’autres vont plus loin et appellent à une réforme des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

Par ailleurs, alors que l’article 72-2 de la Constitution prévoit que « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice », certaines collectivités peuvent être confrontées à une forte augmentation de la charge que représente un transfert de compétences.

En réponse à ce problème, la proposition de loi constitutionnelle de M. le sénateur Éric Kerrouche a pour objet de créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que de garantir la compensation financière des transferts de compétences, en instaurant un réexamen régulier des ressources transférées.

La création d’une loi de financement des collectivités territoriales a été proposée dans le rapport de MM. Lambert et Malvy d’avril 2014, ainsi que dans trois rapports de la Cour des comptes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour cette institution, « une loi de financement des collectivités territoriales constituerait un instrument efficace au service de la gouvernance des finances locales ».

Cette loi de financement des collectivités territoriales aurait pour objectif de déterminer les ressources des collectivités territoriales et de retracer l’ensemble des relations financières des collectivités territoriales avec l’État.

Il est vrai qu’un tel instrument législatif offrirait l’avantage de garantir un espace de discussion parlementaire consacré aux finances locales.

Toutefois, il faut relever qu’il existe déjà la possibilité de faire suivre d’un débat au Parlement la remise du rapport prévu à l’article 7 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, modifiant l’article 52 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).

Ce rapport porte sur la situation des finances publiques locales, sur l’évolution de leurs charges et de leurs dépenses ou encore sur les conséquences du projet de loi de finances sur les finances publiques locales. Un débat de ce type a eu lieu pour la première fois lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

En outre, il faut bien prendre garde aux conséquences concrètes d’une telle réforme pour le débat parlementaire. En effet, le champ matériel de ces lois de financement des collectivités territoriales serait exclusif de celui des lois de finances. Or de nombreux sujets ont une implication budgétaire au niveau national et au niveau local.

Je citerai par exemple la hausse de la dotation globale de fonctionnement ou la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises opérées en 2023. L’une et l’autre ont des conséquences financières pour l’État comme pour les collectivités et nécessiteraient d’être abordées lors de l’examen de la loi de finances comme lors de l’examen d’une loi de financement des collectivités.

Serait-il judicieux, dans ces circonstances, de scinder dans deux véhicules distincts les aspects nationaux et les aspects locaux ? Serait-ce même possible ? Une telle dissociation nuirait à mon sens davantage à l’information du Parlement, dans un calendrier budgétaire encore plus restreint par l’examen de trois textes financiers.

Enfin, il n’est tout simplement pas certain, comme l’ont très justement souligné les travaux de la commission, que ce nouvel instrument soit adapté à l’objectif que nous partageons tous, à savoir donner aux collectivités une visibilité et une protection financière suffisantes pour la réalisation de leurs actions.

La seconde mesure de cette proposition de loi consiste à réviser les règles de compensation financière des transferts de compétences, afin d’y introduire un mécanisme de réexamen périodique.

Tout d’abord, j’observe que le principe de libre administration des collectivités territoriales prémunit déjà les collectivités contre une dégradation excessive de leur situation financière du fait de l’évolution de leurs charges.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’affirmer dans deux décisions du 30 juin 2011 : les mécanismes de compensation doivent être suffisants pour que ne soit pas entravée la libre administration des collectivités concernées.

Par ailleurs, dans un objectif de bonne gestion des finances publiques, la capacité des collectivités locales à financer les compétences transférées doit pouvoir s’apprécier au regard de l’ensemble de leurs ressources et de leur dynamisme, et pas uniquement à l’aune des recettes directement affectées lors du transfert historique de compétences.

Enfin, la comparaison entre le niveau de ressources et de dépenses transférées poserait de grandes difficultés méthodologiques.

L’évolution ultérieure du niveau de dépenses des collectivités dépend de circonstances nationales, mais également des choix de gestion de la collectivité locale.

Une telle mécanique induirait, entre l’État et les collectivités, un examen de l’exercice de chaque compétence au niveau global, mais ensuite, inévitablement aussi, au niveau individuel. Or les choix d’une collectivité de porter l’effort sur telle compétence ou sur telle autre sont consubstantiels à la libre administration.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable, en l’état, à cette proposition de loi constitutionnelle.

Je veux être très clair : les pistes qui y sont avancées ne sont pas à balayer d’un revers de main, loin de là. Elles semblent néanmoins, pour l’heure, soulever plus d’interrogations que de solutions.

Surtout, cette proposition de loi intervient dans un contexte où un bilan plus large pourrait être dressé en matière de décentralisation. Les enjeux que cette proposition de loi aborde sont réels, mais ils ne sont pas les seuls à considérer.

Le président Larcher évoquait la différenciation des collectivités territoriales. Le Gouvernement avait souhaité se saisir en 2018 de ce sujet au travers du projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

La réflexion doit encore se poursuivre. En témoignent d’ailleurs les travaux menés au sein du Sénat par le groupe de travail transpartisan évoqué au début de mon intervention, ainsi que ceux qu’a lancés le Président de la République avec les associations d’élus locaux.

Sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement sera particulièrement attentif à la restitution des conclusions de ces groupes de travail.

Vingt ans après que la décentralisation a fait son apparition dans notre Constitution, poursuivons notre réflexion commune, pour que nos collectivités territoriales puissent exercer pleinement leurs missions au service de nos compatriotes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’est pas la première du genre. On peut citer, en particulier, la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020.

Nous saluons toutefois cette nouvelle initiative, qui est aussi l’occasion de débattre des finances locales et des options qui permettraient d’améliorer leur cadre légal.

Elle vient notamment en complément des travaux de la mission d’information sur le thème « L’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales », dont j’ai l’honneur d’être la rapporteure depuis le 1er mars dernier.

En effet, contrairement aux administrations de l’État et de la sécurité sociale, les administrations publiques locales ne font pas l’objet d’une loi de financement dédiée, qui serait examinée chaque année au Parlement.

Les mesures de financement des collectivités sont actuellement disséminées dans le projet de loi de finances, en première partie, au travers de la fixation du montant des dotations et des impositions transférées, et, en seconde partie, au travers des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et de la répartition de ces dotations.

Il est vrai que le principal obstacle à une telle loi de financement tient peut-être à la Constitution elle-même, qui consacre en son article 72 la libre administration des collectivités territoriales.

C’est pourquoi le volet dépenses de la loi de financement ne pourrait avoir qu’un caractère indicatif. Toutefois, elle aurait le mérite de mieux distinguer ce qui relève des finances de l’État et des finances locales.

Nous saluons aussi le deuxième axe de la proposition de loi, qui vise à renforcer le principe, déjà présent dans la Constitution, de compensation financière des transferts de compétences dans le temps.

Le projet de loi de financement des collectivités territoriales (PLFCT) permettrait sans doute un meilleur suivi et un meilleur contrôle de ces compensations.

De surcroît, je m’aperçois qu’il s’agit d’une véritable revendication de la part des associations d’élus, que nous auditionnons dans le cadre de la mission d’information.

Enfin, le transfert de dispositions du projet de loi de finances (PLF) vers le PLFCT ne devrait-il pas s’accompagner d’une réduction équivalente des délais d’examen du PLF, afin de conserver un ordre du jour réaliste à l’automne ?

Il faudrait d’ores et déjà anticiper les dispositions que pourrait contenir cette future loi organique et, en particulier, veiller à ce que les lois de financement des collectivités améliorent la prévisibilité de leurs recettes, sans pour autant devenir une forme de tutelle gouvernementale.

Ces observations faites, les membres du groupe RDSE voteront en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle, dont le rejet la semaine dernière en commission et probablement aujourd’hui en séance nous apparaît lié à des considérations davantage politiques que techniques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Pas du tout !

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’idée d’une loi annuelle de prévision des dépenses des collectivités territoriales ne date pas d’hier.

Les premières propositions remontent au mois d’avril 2014, lorsque Martin Malvy et Alain Lambert avaient formulé les leurs dans un rapport intitulé Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance et lengagement de chacun.

Force est de constater que, quasiment dix années plus tard, ce constat de défiance entre l’État et les territoires est resté le même.

Il est à rappeler pourtant que le Conseil constitutionnel s’efforce de consacrer, à jurisprudence constante, l’exigence de protection de l’autonomie financière et fiscale des collectivités.

Dans une décision du 24 juillet 1991, les sages rappelaient déjà à titre d’exemple que les ressources des collectivités ne doivent pas être restreintes « au point d’entraver leur libre administration ».

Pourtant, plus de trente années plus tard, la voilure de ces ressources n’a cessé de se recroqueviller sur elle-même.

Les collectivités décentralisées n’ont pu qu’observer avec impuissance leurs ressources fiscales et budgétaires fondre comme neige au soleil, sans que les compensations apportées viennent véritablement corriger les pertes subies.

Après la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la suppression de la taxe d’habitation (TH) et de la CVAE ou la révision prochaine des valeurs locatives cadastrales, les communes n’ont souvent d’autre choix que de répercuter la compensation manquante sur la fiscalité des particuliers, ou bien d’accélérer les coupes budgétaires.

Grande est ainsi la tentation, pour le législateur, de canaliser les velléités de recentralisation de l’État.

C’est le cadre juridique nouveau que propose notre collègue Éric Kerrouche, par la création d’une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Certes, donner une assise constitutionnelle à une nouvelle loi de finances spéciale serait l’occasion de mettre fin à l’émiettement des versements de l’État aux collectivités, ainsi qu’à la faible lisibilité qui en résulte.

Cet émiettement entre budget général, prélèvements sur recettes et comptes spéciaux conduit à des débats parlementaires distincts, donc à des votes séparés, ce qui nuit in fine à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Une loi de financement des collectivités consacrerait aussi la place des administrations publiques locales dans le triptyque institutionnel et financier de notre pays, aux côtés de l’État et du système de santé.

Il apparaît toutefois que l’intention originelle de notre collègue, si louable qu’elle fût pour nos territoires, vient se heurter au cadre constitutionnel existant. Celui-ci compromet l’objet même de la présente proposition de loi constitutionnelle.

En effet, c’est bien parce que le fonctionnement même de notre service public et de nos institutions est conditionné à l’adoption des lois de finances que le Gouvernement se voit offrir un puissant arsenal, en complément de celui dont il dispose pour les lois ordinaires.

Dès lors, enchâsser le financement des collectivités dans le cadre de la Lolf, c’est offrir au Gouvernement une nouvelle occasion de faire usage du 49.3, autant de fois qu’il le jugera nécessaire.

C’est aussi lui accorder le droit d’atrophier la durée des débats, suivant les dispositions de l’article 47 de la Constitution.

C’est également laisser au Gouvernement, dans le cas où la procédure parlementaire excéderait les délais prévus par la Constitution, la possibilité de légiférer par ordonnance et ainsi de conserver une mainmise absolue sur les versements aux territoires, leur montant et leur ventilation.

C’est enfin ouvrir la perspective de lois de financement rectificatives et de lois de règlement des collectivités, et démultiplier ainsi les véhicules législatifs pour lesquels ces outils constitutionnels pourraient être activés.

Bien davantage qu’un nouveau souffle apporté au principe d’autonomie des collectivités, c’est donc plutôt un nouveau carcan qui pourrait leur être imposé !

Si l’objet de la démarche de nos collègues est de garantir que le Parlement puisse tenir un débat annuel sur les dépenses des collectivités, qu’à cela ne tienne : nous pourrions avoir ce débat dans le cadre de l’examen d’une loi d’orientation et de programmation !

Cette option aurait l’avantage d’être plus vertueuse et moins contraignante. En outre, elle s’articulerait sagement avec le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012.

Par ailleurs, fédérer dans une mission budgétaire unique, au sein de la loi de finances, toutes les contributions de l’État aux collectivités serait d’une immense valeur ajoutée pour la lisibilité de nos comptes et le suivi des transferts de compétences.

Comme nombre de nos collègues l’ont exprimé à cette tribune à de multiples reprises, nous avons besoin d’un séisme institutionnel pour nos territoires.

À cet égard, je ferai miens les mots du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a défendu pour les finances locales l’objectif de ressources stables et planifiées, d’une évaluation régulière des compensations et d’une contractualisation bâtie sur le consensus.

Un État trop jacobin aura raison de la démocratie locale, sauf à ce que le Parlement lui donne les conditions de s’épanouir. Mes chers collègues, continuons de donner à cette démocratie locale les moyens de son épanouissement !

Notre groupe se référera à l’avis de la commission et ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle, même s’il salue vivement l’intention de ses auteurs. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte incertain, les élus locaux sont inquiets : ils craignent de ne plus pouvoir agir sur le terrain.

Or c’est bien pour cela que les élus locaux s’engagent : pour agir sur le terrain ! Avec l’inflation qui renchérit le coût des projets, les récentes évolutions de la fiscalité locale et la crise démocratique qui dévalorise leur statut, les élus locaux se sentent empêchés d’agir.

Ils ont donc besoin de sécurité. C’est le rôle du Sénat de leur apporter les éléments qui peuvent la leur offrir. Sans aucun doute, cela passe en partie par les finances locales.

Dans cet esprit, cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de poser dans le débat un sujet essentiel : l’autonomie financière des collectivités locales.

À cette question, nos collègues socialistes apportent la réponse suivante : créer une nouvelle catégorie de lois de financement. Leur objectif, intéressant, est de formaliser, de façon lisible et transparente, les relations financières entre l’État et les collectivités.

L’idée n’est pas nouvelle. Elle a souvent été évoquée dans cet hémicycle, à droite comme à gauche. La Cour des comptes aussi l’a défendue dans plusieurs de ses rapports. Nul doute que ce serpent de mer continuera de faire parler de lui, tant que nous n’aurons pas purgé le débat… C’est pourquoi une clarification est nécessaire et bienvenue.

Notre groupe considère toutefois qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. La loi de financement ici proposée aurait pour effet de renforcer la dépendance des collectivités vis-à-vis de l’État. Nous pensons donc qu’elle pourrait être contre-productive.

On a déjà rappelé les récentes évolutions de la fiscalité locale, notamment la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE. Les collectivités continuent de s’interroger sur ces réformes.

Je ne vais pas refaire les débats que nous avons déjà eus lors de l’examen des lois de finances, mais je veux tout de même rappeler l’objet de ces réformes : supprimer des impôts injustes. On a ainsi mis fin à la taxe d’habitation, parce que son montant ne dépendait pas des revenus, et à la CVAE, parce qu’elle pénalisait les entreprises industrielles, donc le tissu économique des territoires.

La compensation de ces impôts, par l’affectation aux collectivités d’une fraction de la TVA, doit permettre aux collectivités de bénéficier de ressources pérennes et dynamiques. Ces réformes doivent précisément sécuriser les ressources des collectivités.

Certes, avec une loi de financement spécifique, les compensations apparaîtraient peut-être de façon plus lisible, mais deux problèmes majeurs se poseraient encore, mes chers collègues.

D’une part, examiner les flux financiers entre l’État et les collectivités sans discuter, en même temps, des impôts qui affectent l’économie, ce serait analyser la dépense sans la recette, donc réduire les collectivités à des postes de coût.

D’autre part, raisonner en grands agrégats ne donnerait aucune garantie sur des cas particuliers et ne saurait rassurer les élus.

Aussi, une telle loi de financement, examinée à la hussarde entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, risquerait d’appauvrir le débat sur les finances des collectivités. Elle renforcerait la gestion nationale et centralisée des problématiques locales.

Telle n’est pas la vision que nous nous faisons d’une République décentralisée, qui fait confiance à ses élus locaux pour changer les choses sur le terrain.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi constitutionnelle a pour objet de sécuriser les relations financières entre l’État et les collectivités et de rendre plus lisibles, dans le temps, les flux de compensation des transferts de compétence.

Les auteurs de ce texte ont souhaité répondre aux demandes des élus locaux et traduire les réflexions poussées de la Cour des comptes.

À l’heure de l’urgence climatique, les collectivités manquent de lisibilité, de visibilité et de transparence sur leurs ressources, en particulier sur celles qui leur viennent de l’État. Cela freine les actions pourtant essentielles qu’elles mènent pour le quotidien de leurs administrés comme pour l’avenir de notre pays dans sa globalité. Y remédier est également essentiel pour permettre une articulation locale des stratégies nationales.

La création d’une loi de financement des collectivités territoriales était l’une des mesures portées par le candidat Yannick Jadot lors de la dernière élection présidentielle, afin d’approfondir la décentralisation dans une triple direction : plus de démocratie, plus de justice territoriale et plus d’écologie.

Ainsi, cette loi de financement constituerait un outil de meilleure information des citoyens et des élus et, en définitive, un outil de responsabilisation de l’ensemble des acteurs de l’équilibre des finances publiques locales. Il s’agit là d’un enjeu important, au moment où les collectivités territoriales doivent réaliser des investissements massifs dans la transition écologique.

Nous apporterons donc notre soutien à cette proposition de loi constitutionnelle, tout en restant vigilants sur les modalités de mise en œuvre d’une avancée nécessaire, qui pourra être complétée par les travaux des groupes de travail présidés par M. Larcher. (Mme Catherine Di Folco applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la création d’une loi de financement des collectivités territoriales était déjà l’objet d’un amendement que notre collègue Kerrouche avait déposé sur la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales de notre collègue Philippe Bas.

Lors de son examen, le rapporteur Mathieu Darnaud s’y était opposé. De même, le groupe de travail mis en place par Gérard Larcher n’a pas repris cette proposition.

D’ailleurs, certaines des propositions alors examinées consistaient plutôt à mettre en place une sorte de débat d’orientation des finances locales. Cette idée – un débat, mais pas plus ! – a d’ailleurs été reprise dans la réforme de la Lolf accomplie au cours du précédent quinquennat, sous l’égide d’Éric Woerth et de Laurent Saint-Martin.

Beaucoup d’arguments ont déjà été avancés contre la création d’une telle loi de financement. J’en reprendrai quelques-uns.

Tout d’abord, je trouve étrange et paradoxal, de la part de parlementaires qui, souvent, s’opposent à l’idée de contractualisation, d’aller plus loin encore avec une loi de financement.

M. Éric Kerrouche. Cela n’a rien à voir !

M. Julien Bargeton. Si l’on refuse la première étape, pourquoi vouloir aller plus loin ? À la rigueur, on pourrait dire : qui peut le plus peut le moins. Mais vous vous êtes souvent opposés à la contractualisation, mes chers collègues.

Ensuite, une telle loi donnerait le dernier mot à l’Assemblée nationale. Or je ne suis pas sûr que le Sénat souhaite qu’il y ait en la matière, comme pour les textes budgétaires, une prépondérance de l’Assemblée.

Par ailleurs, la comparaison avec les lois de financement de la sécurité sociale me semble dangereuse ; en tout cas, elle mérite d’être interrogée. Ces lois ont été créées, en 1996, pour rétablir l’équilibre financier de la sécurité sociale. Notre collègue Antoine Lefèvre a d’ailleurs évoqué, à juste titre, un risque de carcan. Je ne suis pas sûr que ce soit l’esprit du texte qui nous est soumis.

Une fois cet outil créé, le législateur l’aurait à sa disposition et pourrait en faire ce qu’il veut.

M. Didier Marie. C’est la même chose avec la loi de finances !

M. Julien Bargeton. Il faut donc être extrêmement prudent en la matière, me semble-t-il.

D’autres éléments encore justifient notre opposition à cette proposition de loi constitutionnelle, même si certaines des idées exposées sont intéressantes.

L’article 2 du texte a pour objet de garantir, financièrement, les transferts de compétences aux collectivités locales. Vous comprendrez, mes chers collègues, que je ne puis partager un certain nombre des arguments qui ont été exposés pour le justifier.

La Cour des comptes a rappelé, en 2021, que les recettes locales sont beaucoup plus dynamiques que les dépenses ; c’est ce qui explique d’ailleurs l’excédent de 4,7 milliards d’euros que nous avons observé. La Cour précise d’ailleurs dans ce rapport que seuls l’État et la sécurité sociale ont contribué significativement à l’aggravation du déficit public. La contribution des collectivités locales ne dépasse pas 0,15 point : ce n’est rien du tout par rapport au déficit public général des années 2020 et 2021, qui était notamment lié au covid-19.

Comment l’expliquer ? Désormais – ce point n’a pas encore été rappelé –, les transferts de l’État aux collectivités locales sont adossés à la TVA, taxe qui a déjà montré son dynamisme et qui, dans un contexte de croissance maintenue, le montre encore. Bien sûr, son produit peut varier, mais, pour l’instant, le choix de l’adossement à la TVA se montre positif pour les recettes des collectivités locales.

Je ne veux pas être taquin, mais je rappellerai que, sous un précédent quinquennat – celui de François Hollande –, les dotations aux collectivités locales ont fortement baissé : de 1,5 milliard d’euros en 2014 et de 11 milliards d’euros au total entre 2013 et 2017 !

L’enveloppe normée de la DGF avait été créée en 1996. Pour notre part, nous avons sanctuarisé cette dotation et nous lui avons même ajouté 320 millions d’euros dans la dernière loi de finances. Il faut tout de même rappeler ce cadre budgétaire d’ensemble !

Je ne reviendrai pas, faute de temps, sur le filet de sécurité, le bouclier tarifaire, la charte pour les fournisseurs et tous les dispositifs qui ont été mis en place pour aider les collectivités locales à faire face à l’inflation qu’elles subissent, elles aussi.

Enfin, les remarques et les réserves exprimées par M. le rapporteur pour avis me semblent de bon sens : le principe de libre administration des collectivités locales s’oppose tout de même à ce que l’on examine comment l’argent est dépensé !