Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. La réponse est oui, monsieur le sénateur ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Bernard Jomier. C’est tout ?

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une réponse !

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Je peux répéter ce que j’ai déjà dit à propos des places dans les prisons à Basse-Terre, à Baie-Mahault, en Martinique, à Saint-Laurent-du-Maroni, à Nouméa et à Koné, à propos de l’augmentation du budget de fonctionnement de la justice, qui est d’une ampleur inégalée au regard des quarante dernières années,…

M. Patrick Kanner. C’est vrai !

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. … à propos de la hausse du nombre de magistrats ou encore des aides supplémentaires qui leur sont fournies. Comment pouvez-vous douter des intentions du Gouvernement ? Nous apportons la preuve que nous agissons !

Oui, il est possible que nous n’allions pas assez vite. Toutefois, c’est en raison non pas de contraintes budgétaires, mais de problèmes d’attractivité, de formation ou de terrain.

Partout, il est difficile de faire des choses, mais c’est plus encore le cas en outre-mer, à cause de la distance, du manque de terrain et de l’absence d’entreprises.

L’île de Futuna, sur laquelle je me suis rendu, est réellement très lointaine ; il faut trente-quatre heures de vol pour y parvenir. Pourtant, les droits des personnes y sont défendus, grâce aux citoyens défenseurs. C’est une réalité historique.

Ces personnes sont-elles mal défendues ? Elles le seraient peut-être mieux par des avocats payés pour se rendre, depuis Paris, à Nouméa ou ailleurs, mais, de grâce, observez ce qui fonctionne, les efforts qui sont réalisés et l’ensemble des réalisations accomplies depuis cinq ans en matière de justice !

Je les détaillerai en personne dans un texte que j’adresserai au président de votre groupe.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.

M. Bernard Jomier. Monsieur le ministre, je crois avoir touché un point sensible…

Si vous m’avez bien écouté, j’évoquais l’évolution de la dépense publique depuis 1980. Or le gouvernement auquel vous appartenez n’a pas encore 40 ans d’âge.

C’est tout le pays, pour être exact, qui a abandonné ses services publics, et l’effort consenti très récemment en faveur de la justice reste totalement insuffisant. Tant que le fléchage de la dépense publique vers les services publics ne sera pas rectifié, nous n’y arriverons pas. Or votre gouvernement s’entête dans la mauvaise direction, vous devez en convenir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus.

Mme Annick Petrus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le tribunal de Saint-Martin est un tribunal de proximité. Sa juridiction couvre Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il dépend du tribunal judiciaire de Basse-Terre, notamment en termes de moyens et de ressources humaines.

Ce tribunal dispose des plus importantes dérogations de la République. En effet, le tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni est la seule autre juridiction à avoir des dérogations aussi larges.

Le tribunal de proximité de Saint-Martin assume ainsi la quasi-totalité des missions du tribunal judiciaire de Basse-Terre, y compris celles qui sont dévolues au président de ce tribunal.

En conséquence, le nombre de dossiers en cours au civil est plus élevé à Saint-Martin – il oscille entre 250 et 300 – qu’à Basse-Terre. Au pénal, la situation est inverse, mais probablement en raison d’un manque de moyens.

Le tribunal judiciaire de Basse-Terre compte 12 magistrats, quand le tribunal de proximité de Saint-Martin n’en a que 4, pour un nombre de dossiers comparable. En outre, le tribunal de Saint-Martin devrait théoriquement être doté de 14 greffiers, mais il n’en dispose actuellement que de 7. Aussi le personnel qui y travaille est-il dévoué, mais complètement à bout.

Nous connaissons désormais une augmentation du nombre de contentieux civils de 50 %. Au regard de ses moyens actuels, le tribunal ne peut traiter plus de 15 dossiers par mois au civil. Au mois de mars 2023, il n’était ainsi plus possible de prendre date pour introduire une nouvelle affaire avant le mois d’octobre 2023.

L’aide juridictionnelle ne se porte pas mieux. En Guadeloupe, seule une semaine de permanence, sur une période de quelques mois, est demandée aux 300 avocats inscrits, avec la possibilité que les gardes soient effectuées sur la base du volontariat.

A contrario, les 10 à 15 avocats domiciliés à Saint-Martin, ainsi que ceux, en nombre équivalent, qui résident à Saint-Barthélemy sont, quant à eux, tenus d’assurer une à deux journées de permanence pénale par semaine. En outre, le paiement de cette aide juridictionnelle survient avec beaucoup de retard en raison du sous-effectif du greffe.

La solution, urgente et nécessaire, serait d’accorder au tribunal de proximité de Saint-Martin son autonomie totale de tribunal judiciaire et les moyens qui vont avec. En effet, monsieur le ministre, vous conviendrez avec moi qu’il revient à l’État d’assumer la continuité territoriale et l’égalité devant la justice.

Il n’est pas normal que les Saint-Martinois ne bénéficient pas, comme tous les Français de l’Hexagone, d’un accès effectif à la justice de leur pays.

Seriez-vous prêt, monsieur le ministre, à pallier ces difficultés par des réformes législatives ou réglementaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Premièrement, ne parlons pas trop des avocats de Saint-Barthélemy, qui sont, en majorité, des avocats d’affaires. Le sujet n’est donc pas le même qu’à Saint-Martin.

Deuxièmement, à Saint-Martin, ce sont les contentieux fonciers qui mobilisent beaucoup de ressources. Dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (Ciom), nous essaierons de régler ce problème, en lien avec le président Mussington. J’espère des avancées, pour simplifier tout cela.

Par ailleurs, une cité administrative et judiciaire sera créée en 2025. Ainsi, les services du tribunal disposeront – enfin ! – d’un outil de premier ordre, c’est clair.

Troisièmement, s’agissant de l’évolution des textes, le président Mussington m’a saisi, dans le cadre du comité interministériel des outre-mer, de l’ensemble des évolutions qu’il souhaitait. Je pense que des changements interviendront, soit par ce biais, soit par celui de l’éventuelle réforme institutionnelle à laquelle nous travaillons, vous le savez, avec chaque président de collectivité. Je suis prêt à discuter de ce sujet avec le président Mussington, dont la venue est prévue dans les quinze jours.

Dans le cadre du comité interministériel des outre-mer, j’ai pour mission de soumettre à la Première ministre et aux membres du comité, en lien avec les élus parlementaires et les présidents de collectivité, toute proposition allant dans le sens d’un mieux-vivre ensemble. Saint-Martin a une place de choix au sein de ce Ciom.

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe auteur de la demande.

M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le ministre, je ne regrette pas d’avoir demandé, avec les membres de mon groupe, l’organisation de ce débat, car il a été intéressant et utile.

En effet, l’appartenance à notre République se définit par le respect de principes fondamentaux reconnus par notre Constitution, parmi lesquels figurent notamment l’égalité et l’indivisibilité.

Il me semble important de rappeler l’article 1er de notre Constitution, afin de prendre un peu de hauteur après ce débat qui a essentiellement porté sur des sujets opérationnels : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

L’indivisibilité s’entend de la souveraineté, du territoire et du peuple français, ce qui postule un pouvoir central unique, une structure administrative homogène et l’uniformité du droit applicable sur l’ensemble de notre territoire. Notre Constitution est donc potentiellement rétive à la reconnaissance des particularismes juridiques.

Toutefois, ce principe d’indivisibilité n’a pas empêché – et c’est heureux ! – l’existence d’une République plurielle. Si cette pluralité implique une certaine plasticité de nos institutions, elle ne doit pas conduire à renier nos principes.

Avant tout, je tenais à rappeler le caractère pluriel de l’outre-mer. Il s’agit de treize territoires : des départements et régions d’outre-mer (Drom), des collectivités d’outre-mer (COM), la Nouvelle-Calédonie qui bénéficie d’un statut particulier – je salue nos collègues présents ici – et des terres inhabitées, comme les Terres australes et antarctiques françaises et l’île de Clipperton.

À l’intérieur de chacune de ces catégories, il existe un statut particulier et, pour certains de ces territoires, une justice spécifique dans certains domaines. On le comprend, définir un cadre unique n’est pas aisé, mais c’est aussi cela, la République française.

N’oublions pas que les outre-mer ont une histoire particulière et que le rapport à l’État français n’a pas toujours été simple dans l’ensemble de ces territoires qui composent notre République.

L’expression étatique, notamment par le biais de ce pouvoir régalien qu’est la justice, devrait donc être d’autant plus irréprochable dans ces territoires issus d’un passé colonialiste qui nous oblige.

Pourtant, la situation partagée sur l’ensemble du territoire national est celle d’un État loin d’être parfait, pour le dire simplement, dans le cadre de cette fonction régalienne.

Ainsi, les États généraux de la justice, cités à plusieurs reprises au cours de ce débat, évoquent une crise profonde de notre système, avec une justice qui est au bord de la rupture dans certains domaines et dont les conditions de fonctionnement et les délais de jugement deviennent parfois indécents pour l’ensemble des acteurs et des justiciables.

Ce climat suscite une défiance croissante de nos concitoyens envers la justice française. C’est dire l’impasse dans laquelle nous pouvons nous retrouver.

Malgré des hausses incontestables de crédits – vous avez raison, monsieur le ministre –, cette justice, garante du respect du droit, demeure en difficulté tellement nous partons de loin. C’est d’autant plus vrai en outre-mer.

Las ! Le thermomètre de l’outre-mer indique que nous avons encore de nombreux efforts à accomplir. Vous ne l’avez pas nié – je tiens à vous en remercier –, mais nos exigences sont aussi à prendre en compte. Ne les considérez pas comme des remises en cause du pouvoir exécutif actuel, mais plutôt comme la reconnaissance de difficultés existant sur le plan local.

Les territoires d’outre-mer sont trop souvent peu ou mal considérés par nos politiques publiques, ce qui ne date pas du présent gouvernement. Nous réagissons trop fréquemment selon un biais hexagonal, reconnaissons-le. Dès lors, l’adaptation de nos dispositifs n’est pas toujours optimale.

Par ailleurs, le comité des États généraux de la justice indique que les caractéristiques démographiques et socio-économiques des outre-mer les distinguent significativement de la métropole.

Ainsi, le taux de pauvreté – on sait que cette dernière et la délinquance sont malheureusement liées – comme le taux de chômage y sont particulièrement élevés, face à un coût de la vie et d’accès aux biens de première nécessité exponentiel au regard de celui de l’Hexagone.

Toutes celles et tous ceux qui connaissent ici l’outre-mer, même sans y habiter, savent ces difficultés et ce qu’elles représentent sur le plan de la délinquance.

Toutes ces inégalités doivent être prises en compte, ainsi que les spécificités liées à l’éloignement de ces territoires et à leurs particularités géographiques. Il n’est pas possible de se dire, en 2023, que les justiciables n’ont pas tous et toutes les mêmes droits et les mêmes accès au droit.

Nous nous réclamons de l’État de droit. Or la justice est la clé de voûte de ce système. L’État, seul, est à même d’exercer cette fonction, afin d’en garantir l’impartialité. Or nos collègues ont pu exposer les failles de ce service public dans les territoires ultramarins.

Ce débat de contrôle aura finalement eu le mérite de poser, je crois, le diagnostic le plus juste possible. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous veillerons à apporter les bons remèdes, car tel est aussi l’objet des débats de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur l’état de la justice dans les outre-mer.

5

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 2 mai 2023 :

À quatorze heures trente et le soir :

Débat sur le thème « Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? » ;

Proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, présentée par M. Patrick Chaize et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 518, 2022-2023) ;

Débat sur le thème « Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures cinquante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER