M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre des détenus, mes chers collègues, la parole est à la défense, à la défense du peuple français ! Les justiciables sont dans l’incompréhension face à l’augmentation de l’insécurité, première des injustices, car elle porte atteinte à leur intégrité, à leurs biens, chèrement acquis, et à leur dignité.

Les délais de jugement augmentent, les courtes peines et les peines de substitution à la prison se multiplient, les places de prison manquent toujours : il y a 73 000 personnes incarcérées dans les prisons françaises pour 60 900 places ; parmi ces personnes incarcérées, près de 17 000 sont étrangères. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Eh oui, mes chers collègues !

Le désengorgement des prisons – certaines atteignent 200 % de leur capacité d’accueil – passe très clairement par l’expulsion de ces étrangers, qui constituent 23 % de la population carcérale.

Les citoyens français veulent qu’on leur rende la sécurité, en restaurant une justice ferme et efficace et en rétablissant l’ordre dans nos prisons, car, même en prison, la violence règne encore.

De leur côté, les magistrats sont soit politisés, soit découragés.

Parmi les syndiqués, 33 % appartiennent au syndicat de la magistrature, qui s’est récemment illustré en mettant de l’huile sur le feu à Mayotte. Ce même syndicat, qui préfère dresser des « murs des cons » plutôt que de construire des murs de prisons, incarne une politisation de la justice. Ses outrances, sous prétexte de liberté syndicale, portent atteinte à la séparation des pouvoirs et nuisent à la confiance des Français dans la justice.

Les autres magistrats sont découragés et contraints à un laxisme par défaut. Ils rendent des décisions sous la contrainte du manque de places en prison.

Pour remédier à ce problème, vous proposez dans votre texte des places supplémentaires. Or, dans ce domaine, vous n’avez même pas atteint 6 % des objectifs fixés pour 2022 lors du premier quinquennat : vous aviez promis 7 000 places en net, il n’y en a que 400 à mettre à votre crédit. Qui peut croire, dès lors, aux 15 000 places supplémentaires dans quatre ans ?

De plus, la confiance du peuple français en la justice va continuer de reculer, car vous éloignez le peuple et la société civile des structures qui la composent, en intégrant des magistrats professionnels dans les nouveaux tribunaux des activités économiques au détriment des milieux économiques et en n’élargissant pas le corps électoral des juges consulaires aux agriculteurs.

De même, la représentativité et la démocratie reculent. Dans les cours criminelles départementales, vous avez supprimé le jury populaire. À Marseille, vous souhaitez le départ du centre-ville de la cité judiciaire de Marseille, contre l’avis de la mairie et du barreau. Monsieur le garde des sceaux, de nouveau, vous faites l’unanimité contre vous !

Enfin, après le structurel, parlons politique. Comment croire que les choses changent vraiment quand le garde des sceaux, après s’être autoproclamé « ministre des prisonniers », assume comme une fatalité que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne puissent pas être exécutées ? Quel aveu de faiblesse et quel signal désastreux envoyé aux trafiquants d’êtres humains et aux clandestins !

Cette justice à deux vitesses assumée consacre la loi du plus fort. Pour vous, Lola est donc une victime inévitable. Vous faites ainsi un bras d’honneur à sa famille et aux justiciables, victimes de la barbarie devenue quotidienne. (Marques dimpatience sur les travées du groupe CRCE.)

Vous siégez dans cet hémicycle sur le banc des ministres, mais, dans les faits, vous avez déjà démissionné. Votre démission est l’une des causes de la « décivilisation », car oui, après les trois années que vous avez passées à la tête de la Chancellerie, la France est plus que jamais un coupe-gorge.

Mme Éliane Assassi. Allez, au revoir !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès qu’il est question de réformer la justice, il est facile d’énoncer une série de lieux communs tant il y a maintenant longtemps que l’institution se dégrade : manque de matériel, locaux inadaptés, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables.

C’est bien simple : nos juridictions tiennent pour beaucoup grâce à l’engagement, au courage et à l’abnégation des magistrats et des agents qui les accompagnent quotidiennement – il me paraît indispensable de les soutenir.

Il faut évidemment souligner les efforts budgétaires qui sont consentis depuis plusieurs lois de finances et qui tendent à replacer petit à petit notre pays à un niveau acceptable. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de savoir que cette dynamique se poursuivra dans les exercices à venir.

Mais chacun le sait ici, le problème de la justice n’est pas exclusivement un problème de moyens. C’est aussi celui d’une institution qui peine à convaincre nos concitoyens de son efficacité.

Lorsque la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire avait été annoncée, nous avions nourri l’espoir qu’elle apporterait une partie des réponses à ces problématiques. Il est regrettable que, moins de deux ans après l’adoption de ce texte, il faille de nouveau se pencher sur ces questions fondamentales, d’autant qu’il est justement reproché au législateur de trop souvent réformer en la matière…

Nous espérons donc, une nouvelle fois, que la future loi n’aura pas besoin d’être suivie d’une autre dans quelques dizaines de mois. Sans quoi, nous devrons encore faire le constat d’une forme d’échec dans nos méthodes de travail.

Sur le fond, sur un grand nombre de mesures proposées, le groupe du RDSE ne voit pas de difficultés majeures.

C’est en particulier le cas concernant la mise en avant de la peine de travail d’intérêt général, l’élargissement du champ des infractions ouvrant droit à indemnisation par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions ou encore la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations prévue à l’article 17 du projet de loi.

Nous souscrivons également à l’article 2, qui autorise le Gouvernement à procéder par ordonnance à la réécriture du code de procédure pénale à droit constant. Au RDSE, nous sommes très attachés à ce que le débat et le travail législatifs n’aient pas lieu en dehors des hémicycles et qu’ils s’y conduisent pleinement quand cela est nécessaire. Mais il faut aussi être lucide. Une ordonnance sera plus efficace pour un tel objectif et la proposition de nos rapporteures de retarder d’un an l’entrée en vigueur de l’ordonnance est un bon compromis.

Il demeure que, si la réécriture se fait à droit constant, nous pouvons aussi craindre qu’elle ne soit que partiellement satisfaisante. Par ce texte, les procédures réputées complexes auront-elles disparu ? Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous annoncerait-on déjà une nouvelle loi visant à simplifier le code qui viendrait d’être réécrit ?

J’en viens maintenant aux orientations figurant dans le rapport annexé, qui sont satisfaisantes dans leur ensemble.

Évidemment, il faut revaloriser les salaires des agents, renforcer les effectifs en recrutant des fonctionnaires, comme cela a été annoncé, et poursuivre le financement des chantiers immobiliers et numériques du ministère de la justice.

En revanche, nous réservons encore notre position sur certaines mesures qui nous paraissent risquées du point de vue des libertés et au sujet desquelles des professionnels de la justice nous ont alertés.

Je pense en particulier à deux dispositions de l’article 3.

La première prévoit l’assouplissement du recours aux moyens de télécommunication pour les interprètes pendant la garde à vue et la téléconsultation médicale en garde à vue. Nous regrettons ce développement de l’usage de la visioconférence, notamment dans les cas où les personnes sont en situation difficile.

Le projet de loi consacré à l’immigration, bien qu’il ne soit plus inscrit à l’ordre du jour, allait déjà dans ce sens et nous y étions alors opposés. J’ai du mal à envisager qu’une interprétation ou une consultation médicale ne perde pas significativement en qualité dès lors qu’elle se fait via un micro et une caméra.

La seconde disposition qui nous inquiète, c’est l’activation à distance des appareils connectés des suspects aux fins de géolocalisation et de captation d’images et de sons. Les moyens d’investigation doivent être adaptés aux besoins des enquêteurs, surtout lorsqu’il est question de la sécurité nationale et de crimes et délits particulièrement graves.

Vous nous permettrez néanmoins d’être sensibles à certaines préoccupations partagées par une partie des professionnels de la justice. Je pense notamment aux avocats, qui s’interrogent sur l’impact d’une telle mesure au regard des impératifs de confidentialité qu’ils entretiennent avec leurs clients.

Sur ces deux dispositions, nous serons attentifs aux arguments qui seront avancés en réponse à certains de nos amendements.

Si notre groupe est plutôt favorable à ce projet de loi, notre position pourrait évoluer en fonction de la teneur de nos débats.

Je dirai enfin un mot concernant le projet de loi organique. Dans l’ensemble, nous y sommes favorables, même si nous tenons tout de même à relayer ici les regrets d’une partie des professionnels, notamment ceux du Conseil national de la magistrature, qui a pris une position assez critique sur ce texte.

Cela étant, il y a un intérêt réel à rénover les voies d’accès à la magistrature en les simplifiant, tout comme nous voyons un intérêt à responsabiliser davantage les magistrats.

Les ajustements proposés par notre commission sur ce texte nous semblent aller dans la bonne direction. Aussi, une majorité de notre groupe votera en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupRDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la meilleure manière d’avoir une justice faible est d’avoir une justice pauvre. L’augmentation du budget de la justice est donc inévitable. Elle doit concerner les magistrats, les moyens matériels de la justice, mais aussi les greffiers et tous ceux qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.

Alors certes, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a le mérite de répondre à des ambitions financières datant de depuis plusieurs décennies. Nos infrastructures de justice vont pouvoir bénéficier d’une augmentation de plus de 14 % de leur budget et nous savons tous qu’elles en ont cruellement besoin. Cela fait des dizaines d’années que la justice française manque de moyens de façon chronique et qu’elle n’arrive plus à remplir efficacement ses missions. C’est pourquoi la justice apparaît comme pauvre, lente et parfois opaque. Saluons donc cet effort financier sans précédent.

Mais ces nouveaux moyens financiers destinés à faire face à une misère endémique seront-ils suffisants ? Seront-ils suffisants pour enrayer ce que dénonçait en 2016, à juste titre, le garde des sceaux de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, à savoir la « clochardisation » de la justice ?

Sans doute, mais force est de constater que ces textes sont une réforme de l’institution judiciaire, alors que notre pays attend également une réforme en profondeur de la justice.

Ces projets de loi ne prévoient rien – hélas ! – pour restaurer et renforcer l’effectivité la chaîne pénale. Ils contiennent quelques micromesures pour améliorer l’enquête, l’instruction, les jugements et l’exécution des peines, mais il ne s’agit là que de signaux faibles, dont l’utilité et l’efficacité feront sans doute débat.

Or, face à la montée des violences dans notre pays, face au sentiment d’impunité qui explose, face aux zones de non-droit qui prolifèrent dans les cités, la France a besoin d’une révolution pénale. Sans cela, le ministre de l’intérieur, malgré son action résolue pour lutter contre l’insécurité, sera condamné, avec ses services, à vider la mer des délits et des crimes avec une petite cuillère percée.

Cette révolution pénale passe avant tout par la construction de places de prison. C’est la seule garantie d’une bonne exécution des peines, la seule voie pour redonner du sens à la sanction pénale et mettre fin au sentiment d’impunité.

Or ce projet de loi ordinaire prévoit des alternatives à la prison, comme la généralisation du recours aux travaux d’intérêt général et l’usage renforcé du bracelet électronique. Alors qu’il faudrait revenir sur les aménagements de peine pour rendre à celle-ci son sens et son effectivité, vous, au contraire, vous les renforcez !

Vous le savez, au 1er janvier 2023, le taux d’occupation était de 119 % dans les prisons et de 140 % dans les maisons d’arrêt, soit 73 000 détenus pour 60 000 places, faisant de la France l’un des pires élèves du Conseil de l’Europe en termes de surpopulation carcérale. Du fait du manque de places, la France incarcère moins que ses voisins : le nombre de personnes incarcérées pour 100 000 habitants s’élève à 105 dans notre pays, contre 123 en Espagne, 124 au Portugal et 138 au Royaume-Uni.

Pourtant, le président Macron avait promis 15 000 places supplémentaires d’ici à 2022. Au terme du premier quinquennat, on dénombrait seulement 2 000 places de prison supplémentaires ; il en manque donc 13 000. J’ai entendu les explications exogènes avancées pour expliquer ce retard, mais malgré la volonté affichée, comment réussir en quatre ans ce que nous n’avons pas su faire en six ans ?

Pourtant, il y a urgence, car selon les chiffres de votre ministère, monsieur le garde des sceaux, seulement 59 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme vont réellement en cellule. À votre décharge, il est vrai qu’il existe une forme de frilosité, pour ne pas dire de réticence, de la part de certains maires à accueillir un centre de détention sur leur commune.

Il faut mettre en œuvre des solutions incitatives afin d’encourager les communes à accepter davantage de tels projets. À cet égard, permettez-moi de vous livrer deux pistes de réflexion : la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement des communes qui se porteraient candidates à la construction de bâtiments carcéraux sur leur territoire ; dans le même esprit, la comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, ce qui reviendrait à une exonération totale de leur pénalité financière.

J’évoquerai pour finir un dernier point : les ordonnances.

Tout le monde s’accorde sur un point : il faut réformer le code de procédure pénale. Malheureusement, ce n’est pas ce que prévoit ce texte, sauf à la marge. Il confie au Gouvernement une mission de recodification à droit constant par voie d’ordonnance.

Ce travail est certes indispensable, mais la question du droit constant pose un réel problème. Les rapporteures ont été des forces de proposition sur ce sujet afin que le Parlement ne soit pas dépossédé de son pouvoir de contrôle. Néanmoins, il semblerait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier. Si l’on recodifie sans avoir réformé en profondeur, il faudra ensuite recommencer l’ouvrage !

Monsieur le garde des sceaux, la justice n’est pas un sujet comme un autre. Notre conception de l’État et de la démocratie est engagée. Sur ce sujet, les textes de loi comptent autant que les mentalités, parce que la justice est rendue par des êtres humains sur des affaires d’êtres humains. Il nous faut donc rechercher une adhésion large. À cet effet, chacun doit pouvoir dire sa vérité.

Depuis trop longtemps, on a coupé la justice du peuple, en la laissant vivre en vase clos, en ne lui permettant pas de juger rapidement, en cultivant son incroyable complexité et parfois en minorant ses responsabilités. La justice retrouvera la confiance de tous les Français si elle permet de garantir leur sécurité, première des libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis le code d’Hammurabi, il y a près de quatre mille ans, le droit a fait beaucoup de chemin ; il structure désormais la plupart de nos sociétés.

Rappelons-le, nous croyons aux vertus de l’État de droit. Nous croyons qu’il est bon que les droits et les devoirs soient démocratiquement définis. Nous croyons qu’il est nécessaire de respecter les libertés individuelles et la propriété privée.

La confiance des individus dans l’institution judiciaire est un pilier indispensable au bon fonctionnement de la société. Or nous constatons qu’un doute s’est installé, qu’un fossé s’est creusé, puisque près d’un Français sur deux estime que la justice fonctionne mal. Restaurer cette confiance, tel était l’objet du texte dont nous avons débattu il y a quelques mois.

Depuis de nombreuses années, monsieur le garde des sceaux, votre ministère souffre d’un mal chronique. Il ne faisait pas partie des priorités politiques des gouvernements qui se sont succédé. (M. le garde des sceaux fait un signe dapprobation.) Comme trop souvent, le long terme a été hypothéqué au profit de contingences immédiates.

Or, lorsque la justice est délaissée, ce sont nos concitoyens et de nos entreprises qui en subissent les conséquences, c’est le pacte républicain qui se fissure.

La question des moyens, à cet égard, est fondamentale. La France figure parmi les pays développés qui investissent le moins dans la justice : en 2020, notre pays y consacrait 72 euros par habitant, contre 111 euros au Royaume-Uni et 140 euros en Allemagne, soit le double de la France !

Depuis quelques années, grâce à votre détermination et à votre engagement, monsieur le garde des sceaux, la tendance s’est inversée. Même si une partie sera absorbée par l’inflation, la programmation présentée par le Gouvernement fera passer en quelques années le budget de la justice de 8,5 milliards d’euros à près de 11 milliards. Nous partons néanmoins de loin et la route est encore longue, mais nous saluons cette hausse.

Au 1er avril 2023, le taux d’occupation de nos prisons était de 120 %. L’augmentation des moyens permettra la création de nouvelles places. Si les juges condamnent, les moyens pour que les peines soient bien appliquées font encore défaut.

Ce projet de loi d’orientation et de programmation doit également permettre de réduire les délais de jugement – vous avez parlé de les diviser par deux – et d’améliorer les conditions de travail dans les juridictions.

Pour ce faire, il faut recruter plus de magistrats et veiller à l’attractivité de leur métier. Les projets de loi dont nous débattons y contribuent en transférant certains contentieux du juge des libertés et de la détention au juge judiciaire, en ouvrant davantage le corps judiciaire et en simplifiant son fonctionnement.

La commission a également souligné l’importance du rôle des greffiers et la nécessité d’accroître leurs effectifs.

Si le manque de moyens explique beaucoup des difficultés auxquelles la justice fait face, ce n’en est pas la seule cause. La France compte environ quatre-vingts codes juridiques. L’inflation normative rend notre droit illisible et en partie impraticable.

Le code de procédure pénale a triplé de volume depuis sa création. Le projet de loi ordinaire prévoit de le clarifier par ordonnance. Bien plus que de le toiletter, il est indispensable de le simplifier. Évidemment, cela ne pourra pas se faire à droit constant.

Il nous semble qu’il sera nécessaire à cet égard de trancher une question qui revient souvent : la fusion des cadres d’enquête. La complexité actuelle nuit au travail des professionnels et in fine aux droits de nos concitoyens.

En ce qui concerne les libertés individuelles, nous comprenons les inquiétudes légitimes que suscite le développement de techniques d’enquête de plus en plus intrusives, notamment l’activation à distance des micros et des caméras des téléphones ou des ordinateurs ou encore leur géolocalisation. Il est nécessaire de veiller à leur strict encadrement ; nous soutenons donc les dispositions qui interdisent leur utilisation dès qu’il est question de journalistes, de magistrats ou encore, pour ne pas dire surtout, d’avocats.

Si le volet pénal est une composante essentielle de la justice, cette dernière englobe bien d’autres domaines. Nous soutenons l’expérimentation des tribunaux des activités économiques et il nous paraît cohérent que ces derniers soient chargés de l’ensemble des procédures relatives aux entreprises en difficulté. La commission a clarifié la composition de ces juridictions expérimentales ; c’était nécessaire et attendu sur le terrain.

Autre innovation apportée par le texte : les saisies de rémunérations seront confiées aux commissaires de justice, sous le contrôle des juges. Cohérente, cette mesure permettra aussi de libérer du temps pour les magistrats et les greffiers.

Ces deux projets de loi contiennent des dispositions marquantes, structurantes et complémentaires et le groupe Les Indépendants sera particulièrement attentif aux débats que nous aurons en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice, son fonctionnement et ses acteurs sont bien sûr un élément essentiel à l’équilibre de notre société.

Deux ans après la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le cap reste évident : améliorer cette institution dont la dégradation affecte à la fois les magistrats et l’ensemble des personnels judiciaires, en particulier leurs conditions de travail, et les citoyens, qui se trouvent confrontés à des délais trop longs.

Le constat n’est certes pas récent, mais la volonté de remédier à ce que certains ont qualifié de « clochardisation » est bien présente : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants des procédures civiles et, en conséquence, difficultés lourdes pour les familles, délais souvent incompréhensibles pour les victimes au pénal et durées de détention provisoire bien trop longues.

Si le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires partage ce constat et convient qu’il est urgent d’agir, il n’adhère pas à l’ensemble des dispositions proposées par la majorité sénatoriale et le Gouvernement.

Oui, le budget est en hausse et, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, nous soutiendrons cette ambition nouvelle, mais plus que sur son montant, c’est sur sa répartition et sur son utilisation que nous nous interrogeons.

En premier lieu, nous regrettons une fois de plus le « tout carcéral » que ces textes portent. Une société où moins de personnes seraient en prison n’est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant, bien au contraire ! Les programmes des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et les expérimentations menées plaident en faveur des alternatives à la prison, en raison de leur coût et de leur efficacité.

Faire de la prison la seule punition possible, de la détention provisoire une option usuelle plus qu’une exception – vous en proposez même l’allongement, ce à quoi nous nous opposerons – et développer les comparutions immédiates, c’est, à terme, remplir davantage encore les prisons. Pour autant, la société ne sera pas plus sûre. Quant aux détenus et aux condamnés, ils ne seront pas mieux punis ou mieux réinsérés.

La construction de places de prison supplémentaires n’est pas le seul remède. La punition d’exclusion sociale ne peut pas être découplée de l’objectif de réinsertion ; la situation des services pénitentiaires d’insertion et de probation en est un exemple.

Notre pays a tout autant été condamné en raison de la surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.

Notre groupe reste critique sur ce projet de loi d’orientation et de programmation, qui aurait dû proposer, au même niveau que la détention, des solutions en milieu ouvert tenant compte des réflexions et des expériences autres que la prison. Il aurait aussi dû être l’occasion de nous interroger sur les potentielles décriminalisations et dépénalisations.

En outre, ces textes prévoient le recrutement de contractuels dans la pénitentiaire, lesquels seront moins bien formés.

Alors que nous avions alerté sur les dérives en matière de sécurité lors de l’examen de précédents projets de loi, en particulier du texte relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, nous ne saurions cautionner ce sucre rapide… Certes, les sucres rapides sont parfois nécessaires, mais si nous saluons la volonté de mettre fin à la précarité des assistants de magistrats, nous n’oublions pas qu’elle ne servira qu’à pallier une politique de recrutement de magistrats défaillante depuis des années – bien avant vous, monsieur le garde des sceaux.

Les recrutements prévus et la constitution d’une équipe autour du magistrat sont des mesures positives. Certes, les solutions proposées dans les textes visent à gérer la pénurie. Pour autant, les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.

L’accès à la magistrature, l’ouverture des recrutements constituent des aspects essentiels d’une politique de justice efficace, au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, même si nous regrettons de nouveau une prise de conscience bien trop tardive de la nécessité d’accroître le nombre de magistrats. Le terrain le demande depuis longtemps, mais, là encore, l’occasion d’investir sur le long terme est manquée. Il faut des sucres lents, sous forme de recrutements massifs et de formations intensives à l’école de la magistrature.

Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, nous sommes très attachés au déroulement d’un procès dans les meilleures conditions, respectant le temps de l’enquête et les droits de la défense.

Nous l’avons dit, la visioconférence ne peut être systématiquement la règle. Comment imaginer qu’un médecin puisse évaluer de la sorte les conditions d’une garde à vue ? Comment l’interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulement des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les pouvoirs de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir dans les vidéo-audiences un éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice ?

Notre groupe a toujours défendu un système de justice équilibré et des mesures de privation de libertés encadrées. C’est pourquoi nous demanderons que soient étendus les droits de visite des parlementaires au sein des hôpitaux psychiatriques.

Ces textes sont de nouveau l’occasion de voir se développer l’idée du « tout technologie », alors que ses bénéfices ne sont pas réellement évalués. Je pense, par exemple, aux caméras individuelles dans les prisons. Aucune garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès par l’ensemble des parties à ces vidéos n’étant donnée, ce dispositif semble davantage constituer un effet d’annonce qu’une réelle amélioration.

Et que dire de la volonté de transformer les objets connectés – tous ! – en potentiels mouchards de chacun d’entre nous ?

La refonte de l’accès à l’aide juridictionnelle, qui s’effectuera désormais en ligne, risque d’être contre-productive si celle-ci ne s’accompagne pas du maintien des démarches papier. Je l’ai dit à l’occasion de l’examen de nombreux textes : 13 millions de Français souffrent d’illectronisme à ce jour, et le tout internet ou le tout application peut dégrader leur accès au service public.

Notre groupe salue donc un effort budgétaire, qui ne saurait pourtant être en soi salvateur. La justice n’est pas pour autant réparée. Les recrutements ne sont pas pérennes et restent insuffisants. La politique du tout carcéral est maintenue, les constructions de prisons continuent et les juges des libertés et de la détention sont dessaisis de certaines prérogatives, par exemple.

Certaines mesures sont positives, même si elles ne vont pas assez loin à notre goût. Nous aurions donc pu voter ces textes, comme un encouragement à amplifier ces efforts, mais trop de mesures nous semblent négatives. C’est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements, en commission et en séance.

En l’état, nous ne voterons pas ces textes, mais nous serons attentifs aux discussions et au sort de nos amendements, qui déterminera notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Esther Benbassa et Michelle Meunier applaudissent également.)