M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

Mme Audrey Bélim. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les rapporteurs ayant déjà présenté les crédits de la présente mission et puisqu’ils seront examinés en détail au cours des prochaines heures, je me limiterai, pour ouvrir mon propos, à regretter qu’entre le texte déposé à l’Assemblée nationale et la version transmise au Sénat nos territoires ultramarins aient – fait très rare – perdu des ressources.

En effet, monsieur le ministre, si le Gouvernement a bel et bien retenu, dans le texte issu du 49.3, quelques crédits supplémentaires proposés par nos collègues députés, ces sommes ne suffisent pas à compenser les quelque 150 millions d’euros disparus à la suite de l’adoption de l’amendement du rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale, rédigé sur le fondement d’un rapport peu probant, car on ne sait qui, du rapport ou de l’amendement, justifie l’autre.

Quoi qu’il en soit, ce rapport et cet amendement sont malheureusement symptomatiques de la façon dont Bercy considère nos territoires, nos élus et nos acteurs économiques. La réforme des aides économiques engagée dans le PLF pour 2019 était pourtant un cas d’école. Mais la leçon n’a manifestement pas été complètement retenue, et la généralisation du « réflexe outre-mer », évoquée depuis 2017, se fait attendre.

Il importe, monsieur le ministre, de prendre en compte la structure géographique de nos pays, mais aussi d’adapter les normes et les lois à chacun d’entre eux. Le « réflexe outre-mer », c’est considérer l’outre-mer dans sa singularité ; c’est aussi admettre que cette singularité s’apprécie territoire par territoire et non selon une logique globale.

L’éloignement et l’insularité restent des facteurs si aggravants des problèmes structurels de nos territoires que, pour les traiter, la transversalité s’avère primordiale.

Nous devons vous le rappeler, monsieur le ministre, pour qu’inlassablement vous le marteliez auprès de vos collègues du Gouvernement et qu’ainsi s’automatise le réflexe outre-mer.

Comment ne pas être désarçonné à la lecture de l’article 50, qui fait reposer le dispositif MaPrimeRénov’ sur un diagnostic de performance énergétique (DPE) strictement hexagonal, quand le Ciom, l’été dernier, a acté la mise en application des DPE ultramarins en 2028 ?

Procéder de la sorte, c’est priver quelque 2 millions de Français d’une aide bénéfique tant pour la transition écologique que pour le logement. MaPrimeRénov’ permet en effet de lutter contre la vacance dans le parc locatif privé, contre l’habitat indigne et, in fine, contre la crise du logement. C’est un levier évident ; et pourtant nous ne pouvons en bénéficier.

Les exemples de ce type ne manquent pas. Trop de lois et de décrets sont source de blocages qui entravent le travail de nos collectivités.

Le bâti est souvent vétuste, mais il est impossible de le rénover, car les normes hexagonales résistent mal au climat tropical.

Outre-mer, la loi Littoral s’applique parfois à plus de 2 000 mètres d’altitude, où elle doit donc se conjuguer avec la loi Montagne, quand elle ne la contredit pas.

De même, pour ce qui concerne les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les zonages ultramarins sont bien souvent inadaptés, qu’il s’agisse du logement, de l’enseignement, du sport ou de la santé. C’est l’île de La Réunion tout entière, et même les cinq départements d’outre-mer, qui devraient être classés en QPV, voire bénéficier d’un soutien renforcé.

Le temps me manque pour évoquer les difficultés récurrentes de notre tissu économique. Je songe notamment à nos TPE et à nos PME, qui manquent de trésorerie et sont entravées par les délais de paiement ou par l’absence de capitaux.

En parallèle, nos outre-mer font face aux problématiques liées au choc démographique du grand âge : pour les Antilles ou pour La Réunion, ces bouleversements sont déjà là !

Enfin, il faut aborder avec sagacité et volontarisme la question centrale de la coopération à l’échelle du bassin régional. L’enjeu, à cet égard, est de libéraliser certaines activités et certains marchés pour favoriser la création d’emplois locaux. Il s’agit aussi, à titre expérimental, d’activer de nouveaux leviers pour lutter contre la vie chère.

L’examen des amendements nous donnera l’occasion de revenir plus en détail sur ces sujets et sur bien d’autres encore, je l’espère, comme la protection de la biodiversité.

Mes chers collègues, je sais pouvoir compter sur votre implication et sur votre absence de parti-pris pour lutter contre chaque menace et pour défendre chaque atout ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)

Mme Viviane Malet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder les crédits de la mission « Outre-mer », je tiens à saluer la réévaluation du coefficient géographique pour les établissements de santé réunionnais.

Ledit coefficient est porté de 31 % à 34 % : pour notre centre hospitalier universitaire (CHU), cette mesure compensera les surcoûts subis par rapport à l’Hexagone.

Ce geste fort de l’État doit accompagner le CHU de La Réunion dans son redressement budgétaire, mais il ne sera pas suffisant face aux missions complémentaires qu’assume cet établissement. Je rappelle que notre CHU doit assurer un nombre croissant d’évacuations sanitaires (Evasan) et qu’il abrite diverses spécialités particulièrement exigeantes, comme l’oncologie pédiatrique.

Je note avec satisfaction que le Gouvernement a augmenté le budget initial de la mission « Outre-mer » en reprenant un certain nombre d’amendements discutés en première lecture à l’Assemblée nationale.

Les crédits supplémentaires soutiendront les communes en difficulté – les fonds alloués aux Corom sont ainsi relevés de 10 millions d’euros – et renforceront la continuité territoriale – le budget de Ladom progresse, pour sa part, de 8 millions d’euros.

Je centrerai mon intervention sur les sujets primordiaux pour les populations ultramarines que sont le financement du grand âge et le logement, avant de dire un mot des amendements que je soutiendrai.

Pour ce qui est de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), les particularités démographiques des territoires ultramarins exigent une adaptation de ses paramètres, notamment à La Réunion.

Contrairement à une idée reçue, les collectivités territoriales ultramarines ne sont plus « jeunes » : en moyenne, leur population sera même bientôt la plus âgée de France. À La Réunion, en 2050, un quart de la population aura plus de 60 ans et le taux de dépendance atteindra 12 %, contre 8 % en métropole. De surcroît, dans ce territoire, on entre en dépendance aux alentours de 65 ans, contre 85 ans en métropole, et la plupart des personnes dépendantes souhaitent rester à domicile.

La Réunion s’est fortement impliquée dans la conférence des financeurs associant l’État et les départements, dont les travaux doivent aboutir à une réforme de fond dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Nous espérons un soutien du ministère pour abaisser à 15 % la clause de sauvegarde des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Monsieur le ministre, le PLFSS pour 2024 octroie 150 millions d’euros aux départements au titre de l’APA : il faudra veiller à ce que les collectivités ultramarines bénéficient de ces crédits, compte tenu de leurs difficultés financières. À cet égard, nous sollicitions votre appui immédiat. De même, nous comptons sur vous au sujet du fonds de sauvegarde des départements.

En matière de logement, les crédits accordés augmentent de 50 millions d’euros, portant l’effort total à 292 millions d’euros. Mais, en 2023 comme lors des années précédentes, on constate une sous-consommation des budgets.

Je préconise une gestion locale plus efficiente pour répondre aux besoins des populations : une gestion locale plus responsable et réactive, sous l’égide du conseil départemental, associant l’État, les intercommunalités et les communes.

La vingt-deuxième des soixante-douze mesures du Ciom engage l’État à conclure, avec le département de La Réunion, une convention pluriannuelle pour le logement des personnes vulnérables. Cette convention doit notamment inclure une révision des modalités d’attribution financière et d’allocation des fonds de la LBU.

C’est un premier pas, que nous saluons. Toutefois, le déficit de constructions est tel qu’une révision générale de la politique du logement doit être entreprise à l’échelle de notre territoire. Ce travail, lui aussi mené en concertation, devra répondre aux besoins de construction et de réhabilitation de logements.

Comme chaque année depuis six ans, je déplore que les propriétaires occupants soient moins bien traités dans les territoires ultramarins que dans l’Hexagone. Les délais d’instruction des dossiers sont trop longs et certaines aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) n’existent toujours pas outre-mer.

Au cours de ce débat, je défendrai un amendement visant à allouer 250 000 euros à la réalisation d’enquêtes locales et au soutien aux associations luttant contre les violences faites aux enfants dans les outre-mer.

Pour ce qui est de l’article 55, il importe de garantir la sélection des projets professionnels en fonction des besoins réels des territoires ; monsieur le ministre, pourriez-vous nous fournir une ébauche d’éléments méthodologiques à ce sujet ?

Concernant la définition du public cible de cette aide à la continuité, je souhaite, comme nombre de mes collègues, que des éléments d’identification de l’attachement à un territoire ultramarin soient inscrits dans la loi : en procédant ainsi, nous ne ferons que suivre l’intention du dispositif.

À cet égard, je salue la méthode consultative retenue par la présidente de notre délégation aux outre-mer : cette démarche a abouti au dépôt de trois amendements, que je voterai.

Enfin, le Gouvernement a prévu de créer des zones franches portuaires combinées à des exonérations fiscales et sociales spécifiques. J’espère être informée de l’avancement de ce projet, qui est susceptible de dynamiser l’industrie dans les DOM. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos outre-mer sont la clé de la France de demain. Grâce à eux, à nos 2 millions de compatriotes qui y vivent, à la formidable diversité de leurs ressources et de leurs talents, la France dispose du deuxième espace maritime mondial et d’une présence globale à même d’asseoir son rôle de partenaire incontournable dans un monde changeant.

Nos compatriotes ultramarins devraient bénéficier, de la part de l’État, du même secours et du même engagement que ceux que reçoivent les Français de métropole. Ils subissent les mêmes maux qu’eux, dans des proportions quadruplées ; mais, qu’il s’agisse de l’inflation et de la vie chère ou de l’immigration incontrôlée et de l’insécurité, du manque de services ou de l’abandon par l’État des collectivités territoriales, l’outre-mer appelle au secours et le Gouvernement reste sourd.

Quelle vision l’exécutif nous présente-t-il avec la mission « Outre-mer » ? Aucune. Il persiste dans la voie fatale empruntée depuis maintenant six ans.

Cette mission ne répond pas aux enjeux d’autonomie économique, de développement et de durabilité.

Mes chers collègues, songez à Mayotte : l’île est en proie à la submersion migratoire, laquelle entraîne une pénurie généralisée d’eau.

À La Réunion, la crise du logement est telle que les services de l’État estiment à 40 000 le nombre de logements nouveaux manquants pour nos compatriotes.

En Guyane, l’immigration irrégulière et l’orpaillage illégal terrifient les habitants.

Profitant de l’inflation, le Gouvernement annonce une augmentation minime du budget de la mission « Outre-mer » : dont acte. Mais ces quelques millions d’euros saupoudrés ne permettront en rien d’atténuer le sous-développement structurel de nos territoires ultramarins.

Ainsi, monsieur le ministre, vous ne revenez pas sur le régime de l’octroi de mer, imposition anachronique qui renchérit de 20 % le coût de la vie. Vos efforts en faveur de l’autonomie alimentaire et énergétique de ces territoires ne sont que de vagues promesses. Face à la décrépitude des services publics les plus élémentaires, votre ministre de tutelle invite les Mahorais à faire bouillir l’eau du robinet avant de la boire. Vous faites maintenant rimer incompétence avec indécence.

Un tel budget n’assure ni l’ordre, ni le développement, ni le respect de la dignité de nos départements et territoires d’outre-mer. Les élus du Rassemblement national voteront donc contre les crédits de cette mission.

Nous nous inclinons devant l’infinie patience de nos compatriotes ultramarins devant cette situation indigne cultivée depuis trop longtemps. L’injustice devra un jour être réparée, mais elle ne le sera qu’au prix de l’alternance !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier.

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dresse parfois un tableau excessivement négatif de nos outre-mer ; cela me dérange.

Bien sûr, ces territoires ont leurs difficultés ; les taux de chômage et de pauvreté y sont plus élevés que dans l’Hexagone ; l’insularité, voire la double insularité, entraîne un certain nombre de problèmes et, de manière générale, l’accès à l’eau y est compliqué.

Je ne nie en rien ces difficultés : elles sont bien réelles. Mais elles ne sauraient, à elles seules, résumer les outre-mer. Ces derniers recèlent aussi de formidables exemples d’initiative citoyenne. Dans certains domaines, ils sont même des modèles d’innovation économique et écologique.

On ne le rappellera jamais assez : les outre-mer se caractérisent par leur diversité ; d’une collectivité à l’autre, les situations sont loin d’être identiques. Cela étant, ils ont aussi des points communs.

L’emploi est l’un des enjeux cruciaux qu’ils ont en partage.

Créer de l’emploi dans les outre-mer : tel est l’objectif que nous devons viser pour endiguer la pauvreté et dynamiser ces territoires économiquement.

À cette fin, le programme « Emploi outre-mer » est doté de 1,86 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,85 milliard d’euros en crédits de paiement. Ces montants permettent notamment de soutenir les entreprises via des exonérations sociales et d’améliorer l’insertion professionnelle des Ultramarins. Ils progressent de 5 % par rapport à 2023 : c’est une bonne nouvelle.

Nous saluons l’augmentation des crédits du dispositif Cadres d’avenir, qui accorde aux étudiants une aide financière en contrepartie d’un engagement à revenir travailler dans leur territoire d’origine.

Au sein du programme 123, il est prévu que 21,6 millions d’euros servent à financer trois nouvelles aides sous forme de passeports : le premier pour l’installation professionnelle en outre-mer ; le deuxième pour la mobilité des actifs salariés ; le troisième pour la mobilité des entreprises innovantes. Nous soutenons évidemment ces dispositifs, qui contribueront très concrètement au renforcement de la continuité territoriale et au développement de l’emploi.

Je tiens d’ailleurs à saluer l’effort global consacré à la continuité territoriale, qui voit ses crédits augmenter de plus de 41 %. C’est un message fort envoyé à nos concitoyens ultramarins, qu’ils soient étudiants ou actifs.

Je l’ai dit, l’emploi est un enjeu majeur ; la lutte contre la vie chère en est un autre. Non seulement les prix sont historiquement plus élevés outre-mer que dans le reste de la France, mais les écarts avec l’Hexagone ne cessent de se creuser, ce qui doit nous inquiéter davantage encore.

L’inflation des dernières années a sûrement aggravé les choses ; mais, en réalité, ce phénomène s’observe depuis longtemps.

C’est en matière d’alimentation que l’écart est le plus flagrant. En Guadeloupe, par exemple, les prix des comestibles sont supérieurs de 40 % à la moyenne française. Si l’on prend comme point de comparaison le panier alimentaire hexagonal, l’écart monte même à 50 %. Et de telles différences se constatent dans d’autres domaines, qu’il s’agisse des soins – l’écart de prix va jusqu’à 17 % –, des communications – il atteint 35 % – ou encore des loyers.

Plusieurs dispositifs ont été mis en œuvre pour combattre l’inflation, comme le bouclier qualité-prix, dont le panier a été élargi cette année, ou le filet de sécurité, qui vise à lutter contre la hausse des prix de l’énergie. Ils ont évidemment le mérite d’exister, mais, au regard des chiffres que je viens de citer, on peut regretter leur manque d’efficacité.

La lutte contre l’habitat indigne est renforcée de 16 millions d’euros. Cet effort est absolument nécessaire : les logements insalubres représentent 18 % des habitations dans les outre-mer, contre 1,2 % dans l’Hexagone. Je rappelle qu’à Mamoudzou 15 000 personnes vivent dans un bidonville.

M. Philippe Vigier, ministre délégué. Absolument.

Mme Corinne Bourcier. En parallèle, le fonds exceptionnel d’investissement est doté de 160 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 87 millions d’euros en crédits de paiement.

Il est indispensable d’aider les collectivités territoriales à développer et à adapter leurs équipements publics, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau, du traitement des déchets ou encore du développement durable.

Plus largement, l’aménagement du territoire est un enjeu central dans ces régions, d’autant que certaines d’entre elles sont régulièrement touchées par des catastrophes naturelles, comme les cyclones ou les sargasses. Ces phénomènes, qui transforment des territoires entiers, exigent des aménagements permanents.

Enfin, à l’instar de la Cour des comptes, nous insistons sur l’importance d’un meilleur calibrage budgétaire de cette mission, dont les crédits sont tantôt sous-consommés, tantôt surexécutés. Leur vote n’aura de valeur qu’à la condition d’un déploiement fidèle et concret dans les territoires ultramarins.

Mes chers collègues, en résumé, nous saluons la hausse globale du budget de cette mission, mais rappelons que les crédits ici recensés ne représentent qu’une partie des moyens que l’État alloue aux départements, régions et collectivités d’outre-mer (Drom-COM).

Les élus du groupe Les Indépendants soulignent l’orientation positive de la mission « Outre-mer », dont ils voteront les crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Annick Girardin et Viviane Malet et MM. Marc Laménie et Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Viviane Malet, Solanges Nadille et Annick Girardin applaudissent également.)

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues présents, merci pour nous !

Le rituel annuel que constitue l’examen du PLF a au moins cet avantage qu’il nous permet de dresser un état des lieux des politiques publiques engagées par l’État en faveur de nos outre-mer.

On peut évidemment se réjouir de la hausse des moyens accordés au titre de la mission « Outre-mer » pour 2024. En autorisations d’engagement, ce budget augmente de 7 % par rapport à 2023, pour atteindre 2,9 milliards d’euros. En crédits de paiement, il progresse plus faiblement, de 4,5 %, pour s’établir à 2,66 milliards d’euros.

Je le répète, cette augmentation de crédits mérite d’être saluée ; mais on ne peut que la juger insuffisante quand on connaît les urgences en outre-mer et la forte inflation qui y règne actuellement.

Les efforts de ce budget 2024 portent essentiellement sur le logement – l’habitat insalubre reste bien sûr une priorité, tant le retard est grand dans nos outre-mer – et sur l’accompagnement financier de Mayotte, lequel est bien compréhensible, étant donné la situation sociale alarmante dans laquelle se trouve ce département. Aujourd’hui, les habitants de Mayotte sont contraints de recourir à des bouteilles d’eau en plastique pour leurs usages du quotidien, en l’absence de réhabilitation et d’accord local pour l’implantation d’un réseau rénové et sans fuite ; de tels expédients sont inacceptables.

En dehors de ces situations lourdes et complexes, qui supposent des investissements considérables, nous nous réjouissons du renforcement des crédits dédiés à la continuité territoriale.

On peut remercier les parlementaires associés au ministère des outre-mer, qui, par leurs actions et leurs nombreux rapports, ont permis cette évolution de crédits en faveur des Ultramarins via l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité.

Les crédits affectés au service militaire adapté (SMA) progressent également chaque année. Ce dispositif d’insertion professionnelle de nos jeunes en décrochage scolaire est une belle réussite : à preuve, ses taux d’intégration à un emploi durable restent élevés.

Toutefois, monsieur le ministre, l’appui aux financements bancaires et à l’ingénierie recule de 7 millions d’euros en autorisations d’engagement. Cette diminution n’est, à mon sens, pas opportune, alors que les besoins de financement des acteurs publics pourraient s’accroître en 2024, dans un contexte économique plus difficile.

De même, vous proposez une mesure d’économie de 10 millions d’euros au détriment de la collectivité territoriale de Guyane – les crédits dont il s’agit passent de 40 millions à 30 millions d’euros –, alors que cette dernière doit faire face à la liquidation d’Air Guyane. Or, compte tenu de son enclavement, ce territoire mérite une meilleure desserte aérienne.

Je ne m’attarderai pas sur les mesures de défiscalisation introduites dans ce budget à la hussarde, sans aucune consultation des collectivités concernées. M. le rapporteur général a déposé, à cet égard, un amendement plein de sagesse : merci pour nos outre-mer.

De manière plus générale, monsieur le ministre, vous n’ignorez pas que la vie outre-mer est de plus en plus chère. Le foncier y est de plus en plus rare et, dans certains territoires, comme le mien, la spéculation va croissant. Cette situation doit s’imposer à notre attention, notamment pour nos jeunes, qui ne peuvent plus investir.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur les crédits affectés à ma collectivité d’origine : la Polynésie française.

Au titre de la politique de santé, les engagements de l’État demeurent inchangés, alors que le renouvellement de notre convention solidarité-santé est toujours en attente. À ce sujet, une promesse m’avait pourtant été faite l’an dernier dans cet hémicycle par votre prédécesseur, M. Carenco.

Notre protection sociale est en difficulté : il est à souhaiter que toutes les dépenses liées aux soins des victimes du nucléaire, engagées depuis de nombreuses années, soient un jour remboursées. Les comptes de notre caisse locale s’en trouveraient allégés.

Au titre des aides à la reconversion de l’économie polynésienne, on note une stabilité des moyens délégués, dont les dépenses retenues portent sur le désenclavement des îles et sur la prévention des risques.

La dotation globale d’autonomie (DGA), dite dette nucléaire, est financée depuis 2020 par un prélèvement sur recettes de l’État. On évite ainsi toute désindexation : l’engagement pris est bien respecté – merci !

La dotation globale de fonctionnement (DGF) progresse…

M. Philippe Vigier, ministre délégué. Eh oui !

Mme Lana Tetuanui. … de 1,96 %. Cette légère augmentation ne compense pas les effets, bien connus, de l’inflation ; je vous dis merci quand même ! (Sourires. – Mme Annick Girardin rit.)

Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) voit ses crédits augmenter chaque année pour faire face au traitement des dossiers, de plus en plus nombreux, déposés par les victimes ou par leurs ayants droit. Il est très rassurant de voir l’État assumer ces réparations à un rythme soutenu depuis la mise en place du « 1 millisievert » – les chiffres le prouvent.

Je tiens également à mentionner le fonds intercommunal de péréquation (FIP), dont les ressources sont versées par l’État aux communes : voilà un sujet qui mériterait d’être approfondi pour que la part de l’État progresse. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens ; nous y reviendrons.

Mes chers collègues, hors du cadre de cette mission, le Gouvernement a introduit dans le présent texte, par voie d’amendement, une réforme de l’indemnité temporaire de retraite qui ne m’a pas convaincue.

Comme les organisations syndicales de salariés, je croyais sincèrement que, fidèle à ses promesses d’origine, le Gouvernement déploierait un dispositif correcteur garantissant une réelle compensation. Or il persiste à vouloir supprimer l’indexation sans tenir compte des situations sociales à venir, qu’il s’agisse des fonctionnaires d’État polynésiens ou de nos militaires, qui ont tant servi la Nation. De tels procédés sont on ne peut plus irrespectueux.

Voilà une réforme qui, localement, n’apportera que des déconvenues. Elle amputera le pouvoir d’achat des retraités concernés, entraînant de graves pertes pour l’économie locale. J’ai aussi déposé un amendement tendant à revenir sur cette mesure, en parfaite concertation avec les syndicats.

Louer la stratégie de l’Indo-Pacifique, dire et répéter que nos outre-mer nous permettront d’affronter les grands défis du XXIe siècle, c’est bien ; mais il faudrait leur témoigner un peu plus de considération…

Cela étant, tout en soutenant les amendements de mon collègue de Polynésie Teva Rohfritsch, les élus du groupe Union Centriste voteront sans hésiter les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous ferai grâce des chiffres – un certain nombre ont déjà été cités et d’autres le seront lors de l’examen des amendements. Je vous rappelle simplement que, depuis de nombreuses années, la vie chère est la préoccupation majeure de nos compatriotes d’outre-mer. Elle est le principal sujet de mécontentement, qui nourrit les tensions et les mouvements sociaux émaillant la vie politique et sociale de ces territoires.

Nous nous rappelons tous la grève générale de 2009 aux Antilles – le souvenir de ces événements reste vif – ou encore, à La Réunion, de la crise des « gilets jaunes » (M. le ministre délégué le confirme.), qui y fut particulièrement rude, car nourrie par un profond sentiment d’exclusion des populations les plus précaires.

À chacun des nombreux mouvements sociaux qui touchent les territoires d’outre-mer, on retrouve les mêmes revendications en faveur d’une augmentation généralisée des salaires, des minima sociaux, des allocations chômage et des pensions de retraite. L’augmentation des prix provoque en effet un véritable ras-le-bol, comme l’illustrent les mobilisations de collectifs d’associations devant les supermarchés en Guyane.

Monsieur le ministre, malgré la récurrence et la dureté de ces mouvements sociaux, malgré les alertes des élus locaux et des parlementaires des Drom et des COM, malgré le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), malgré les conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie outre-mer et malgré l’Oudinot du pouvoir d’achat, organisé par votre ministère, le mal-être est là. Le mal-être perdure, le mal-être s’aggrave, à l’heure où l’inflation frappe tout particulièrement les produits alimentaires et de consommation courante.

Non seulement les prix sont de plus en plus élevés, mais l’écart avec l’Hexagone s’est encore creusé en 2022 : les prix sont 10 % à 15 % plus élevés dans les départements et régions d’outre-mer, 30 % à 40 % plus élevés en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.

Les écarts sont plus grands encore si l’on ne considère que les produits alimentaires, qui sont vendus environ 30 % plus cher dans les Drom. Or l’alimentation est l’un des premiers postes de consommation des familles. D’après le Cese, 55 % des Ultramarins avouent même renoncer régulièrement à des dépenses du quotidien afin de pouvoir assurer l’essentiel. Au total, 900 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté en outre-mer. Voilà qui n’est pas digne de notre pays.

Répondre rapidement et efficacement aux difficultés de pouvoir d’achat que rencontrent nos compatriotes d’outre-mer est bien sûr un enjeu de cohésion sociale. Mais, au-delà, la réduction des fractures systémiques entre la métropole et les territoires d’outre-mer est au cœur de la promesse républicaine d’égalité.

L’égalité n’est pas un supplément d’âme, elle n’est pas de l’ordre des bons sentiments : elle est une garantie de l’État. Nous devons garantir aux outre-mer l’égalité sociale et territoriale : c’est notre devoir !

J’y insiste, il s’agit là d’un enjeu de cohésion nationale ; et, pour maintenir la cohésion entre l’Hexagone et l’outre-mer, il faut enrayer les mécanismes de ce fort et légitime sentiment d’injustice.

Des dispositions pragmatiques, non partisanes, peuvent d’ores et déjà être adoptées au titre du projet de loi de finances pour 2024.

Face aux situations de rente et de quasi-monopole dans certains secteurs, le Gouvernement a créé en 2007 des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). Ces établissements ont pour mission d’analyser le niveau et la structure des prix et des revenus et de fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution.

Les OPMR donnent notamment un avis consultatif préalable à la phase de négociation des prix des produits composant le bouclier qualité-prix. Mais ils sont contraints par le faible niveau de leur dotation, qui est d’environ 100 000 euros par an, et par la grande variété de leurs missions.

Monsieur le ministre, dans l’intérêt du pouvoir d’achat de nos compatriotes d’outre-mer, je vous propose d’augmenter significativement la dotation des OPMR. La diminution des inégalités et la maîtrise des prix doivent en effet compter parmi les piliers de notre politique d’outre-mer.

En parallèle, il faut œuvrer au développement économique local et faciliter l’accès à l’emploi de qualité. Ces efforts sont seuls à même d’enclencher une dynamique vertueuse pour les outre-mer.

Monsieur le ministre, il faut travailler au développement d’une économie plus dynamique et durable, véritablement ancrée dans les territoires et plus respectueuse de son environnement, permettant une hausse du pouvoir d’achat des Ultramarins.

Par leurs amendements – je n’en doute pas –, mes collègues de tous bords politiques mettront en lumière l’ensemble des facteurs concourant à la crise du pouvoir d’achat outre-mer, parmi lesquels les surcoûts liés aux importations ; la concentration des principaux importateurs et distributeurs ; la taille des marchés locaux ; la fiscalité locale assise sur les importations ; le manque d’emplois locaux et la faiblesse des revenus ; ou encore l’insuffisance des productions locales, y compris pour les produits frais.

Au regard de ces différents facteurs, du contexte de tension sociale et de l’urgence de la situation, les soixante-douze mesures annoncées par le comité interministériel des outre-mer le 18 juillet 2023 ont cruellement déçu les élus. Ces derniers déplorent le manque d’ambition du Gouvernement en matière de résorption de la fracture sociale et de réduction des inégalités.

Ni la réforme de l’octroi de mer, qui pèse sur le prix des biens, ni la régulation des prix n’ont fait l’objet de la moindre annonce concrète.