Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Aide publique au développement » doivent être analysés au regard des défis mondiaux, qui invitent à agir en urgence.

Près de 700 millions de personnes sont en situation d’extrême pauvreté dans le monde, c’est-à-dire qu’ils vivent avec environ 2 dollars par jour. Plus de 60 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont des femmes et, selon les projections, l’écart de pauvreté entre les femmes et les hommes va se creuser. Plus de 60 % des pauvres de la planète vivent en Afrique subsaharienne. Faute d’une action urgente, il y aura plus de pauvres en 2030 qu’en 2020 !

Par ailleurs, au cours de la dernière décennie, il y a eu en moyenne 21,5 millions de déplacés climatiques chaque année. Avec un réchauffement planétaire de 2 degrés Celsius, entre 100 millions et 400 millions de personnes supplémentaires pourraient courir un risque de famine ; entre 1 milliard et 2 milliards de personnes supplémentaires pourraient ne plus disposer de suffisamment d’eau.

De plus, ces populations ont des difficultés d’accès à l’éducation, à la santé ou à la sécurité. Pour répondre à la satisfaction des besoins fondamentaux, l’aide publique au développement, au travers des dons, est essentielle.

C’est pourquoi les pays riches se sont engagés, voilà plus de cinquante ans déjà, à allouer 0,7 % de leur RNB à l’aide publique au développement pour financer les services publics essentiels. Jusqu’ici, cette promesse de solidarité n’a jamais été tenue : l’APD a atteint en moyenne 0,33 % du RNB cumulé en 2021, ratio qui atteint 0,56 % pour la France.

Si je ne méconnais pas le fait que la France est le quatrième donateur au monde, je regrette toutefois le maintien de ce taux en 2024. La France renonce ainsi à atteindre l’objectif d’un taux d’APD équivalent à 0,7 % du RNB, et le reporte à 2030. Cela contrevient à l’objectif de la loi de 2021, que le Parlement a fixé !

De plus, les besoins de développement décarboné et d’adaptation pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 des Nations unies nécessitent des investissements estimés à 2 400 milliards de dollars.

Pour financer ces actions, les prêts permettent un effet levier – c’est évident – et ceux de l’AFD ont toute leur place, mais il faut porter une attention particulière à la solvabilité des États. Certains sont déjà en grande difficulté et la récente conférence des financeurs n’a du reste pas trouvé de solution pour eux.

La liste des regrets est longue, madame la ministre !

Je regrette la suspension de l’aide aux pays du Sahel, qui affecte moins les putschistes que la population, mettant à l’arrêt des projets de santé ou d’accès à l’eau, ainsi que l’activité de nombreuses ONG.

Je regrette le choix de la France de ne pas doter l’AFD de crédits supplémentaires pour lui permettre d’augmenter la part de ses interventions sous forme de dons. Sur ce point, je m’inquiète de l’amendement n° II-32 de la commission des finances, qui vise à supprimer 200 millions d’euros de crédits sur la mission, dont 150 millions de dons ! Son adoption mettrait en péril les engagements déjà signés par l’AFD et représenterait un risque certain en terme juridique et de réputation.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra sur le vote des crédits de cette mission ; il votera contre, si l’amendement que j’ai cité est adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures vingt-huit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pandémie, guerre, inflation, catastrophes climatiques… Partout dans le monde, les crises se succèdent et l’accès aux ressources et aux services de base devient difficile pour des centaines de millions de personnes.

Faim, manque d’eau et de médicaments, accès limité à l’éducation… Alors que de nombreux pays ne parviennent plus à assurer les besoins les plus élémentaires de leur population, la solidarité internationale est une nécessité non seulement humaniste, mais aussi d’intérêt national, car les crises qui touchent des pays lointains finissent toujours par nous affecter à notre tour.

Pour cela, la France déploie, principalement au travers de l’AFD, un important budget d’aide publique au développement, le quatrième au niveau mondial.

À première vue, nous pourrions nous en féliciter. Pourtant, dans ce domaine aussi, l’heure est à l’austérité. Le montant que vous nous proposez, 5,9 milliards d’euros, est exactement le même que celui de cette année ; en tenant compte de l’inflation et de la montée des taux, cela revient à réduire nos dépenses de solidarité internationale.

Au-delà du montant brut, il faut regarder ce que ce montant représente au regard de notre richesse nationale : 0,55 % de notre RNB, bien loin des 0,7 % promis par la France à la tribune des Nations unies dès 1970.

Nous semblions pourtant sur le bon chemin : la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui fait de l’aide publique au développement un pilier de la politique étrangère française, fixait un objectif de 0,7 % pour 2025.

Mais voilà, un comité interministériel de la coopération internationale et du développement organisé cet été a décidé de repousser ce calendrier à 2030. Cela fait donc cinquante-trois ans que les pays les plus pauvres attendent que nous respections nos engagements. Dès lors, pourquoi pas cinq ans de plus, direz-vous ?

Derrière ces opérations comptables, ce sont des milliards d’euros qui ne seront pas consacrés à l’éducation, à la santé, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la protection du climat ou à la lutte contre la faim. Or nous sommes en train de régresser sur ces terrains, comme l’a rappelé l’ONU en septembre, à mi-parcours de l’agenda 2030.

Alors que la faim, l’extrême pauvreté ou encore le travail des enfants progressent à nouveau, la France doit renforcer son aide internationale et non la réduire.

La distribution de l’aide au développement pose également question. La loi du 4 août 2021 prévoit que 65 % de cette aide soit attribuée sous forme de dons et non de prêts. Or la France est en troisième position des membres de l’OCDE qui favorisent le plus ces derniers.

On sait pourtant que ceux-ci n’aident pas véritablement les pays qui les reçoivent, lesquels sont souvent au bord de la faillite. Ce constat va encore s’aggraver avec la montée actuelle des taux.

La loi prévoit également que la part d’aide publique au développement transitant par les organisations de la société civile atteigne environ 15 %. Votre budget atteint seulement 8 %, soit autant de moyens en moins pour les ONG, pourtant reconnues pour leur travail de terrain.

Enfin, les organisations regroupées au sein de Coordination SUD sont très inquiètes, notamment de la suspension pure et simple de toute aide au Mali, au Niger et au Burkina Faso, décidée cet été en réaction aux coups d’État anti-français dans la région.

Certes, nous pouvons concevoir que la France stoppe des programmes de coopération avec ces pays à la suite des changements de régime, mais sacrifier l’aide aux populations civiles pour des raisons géopolitiques est une grave erreur.

Qui va pâtir, par exemple, de l’arrêt de quatre projets d’accès à l’eau potable ? Les militaires au pouvoir ou les populations ? Comment espérez-vous redorer le blason de la France dans la région en agissant ainsi ? Comment faire reculer le terrorisme qui frappe le Sahel, en maintenant les populations locales dans le dénuement ?

Face au terrorisme et à la montée du sentiment anti-français, la réponse doit être politique et sociale. Nous devons changer de paradigme.

Le Cicid qui s’est tenu cet été a donc profondément abîmé l’aide publique au développement. Nous proposerons des amendements pour respecter la loi de 2021 et remédier à ces décisions malheureuses.

Alors que la France est de moins en moins bien perçue dans le monde, nous devons démontrer notre souci de préservation des biens communs et d’aide aux populations les plus pauvres ; en tant que grande puissance et ancien colonisateur, notre responsabilité est immense. Soyons à sa hauteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. La mission « Aide publique au développement » connaît, cette année, une stabilisation qui concerne le programme 110 comme le programme 109, après plusieurs années de croissance régulière. Si les efforts fournis au cours de la décennie écoulée ont amené l’APD française à 15,3 milliards d’euros en 2022, cette progression reste lente et insuffisante et l’objectif de 0,7 % a encore été repoussé.

En outre, replacée dans le contexte économique morose, avec un taux de croissance inférieur à 1 % en 2023 et une inflation atteignant 5,8 %, cette stabilisation apparente dissimule en réalité une diminution des crédits.

C’est d’autant plus affligeant, madame la ministre, que ce grave sujet a fait l’objet d’un consensus relatif depuis le début de 2017, quand l’Élysée avait formulé l’engagement d’augmenter annuellement l’aide publique au développement.

La trajectoire vers les 0,7 % du RNB dédiés à l’APD semble bien abandonnée !

Par ailleurs, comment ne pas être choqué par la décision du Cicid de réorienter les priorités d’action vers les questions climatiques ? Prise en toute discrétion et en plein été, celle-ci va à l’encontre des dispositions de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Comprenons-nous bien, mes chers collègues : il n’est nullement question de remettre en cause l’importance de l’enjeu climatique pour l’avenir du développement de l’humanité ; mais la loi du 4 août 2021, que nous avons adoptée, portait comme premier objectif « l’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, la lutte contre les inégalités, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition et l’action en matière d’éducation et de santé ».

Quand l’ONU indique que, depuis 2021, 11 millions de personnes supplémentaires souffrent de la faim en Afrique, il me semble normal de nous interroger sur ce changement arbitraire de priorité.

En outre, la crise alimentaire la plus alarmante au monde frappe le Sahel central et 24 millions de personnes, dans une région constituée du Mali, du Niger et du Burkina Faso ; je ne peux dès lors m’empêcher de faire un lien entre l’échec diplomatique français catastrophique dans la zone et ce changement de priorité de l’APD française. Cela couvre de honte notre pays et offre, malheureusement, aux djihadistes un peu plus d’espace sur le terrain.

À la décision du Cicid et à l’assujettissement de l’APD aux variations de la politique étrangère s’ajoute désormais la place accordée à nos intérêts économiques. Nos instruments bilatéraux deviennent plus transactionnels, en priorisant notamment le financement de grands projets urbains d’infrastructures dans des pays à revenu intermédiaire.

Ce n’est pas tout : dorénavant, l’attribution de l’APD sera également conditionnée au respect de la coopération migratoire des États bénéficiaires. Irresponsable, cynique, indigne sont autant de mots qui peuvent décrire cette politique, qui aura un impact négatif direct sur des millions d’individus.

À l’inverse, nous estimons qu’il est urgent de changer d’orientation et de diriger l’aide vers le développement propre des pays destinataires. Cela suppose de tourner le dos à toute tentation de prédation de leurs richesses, qui persiste encore largement et qui risque de s’aggraver en raison de l’introduction d’une logique transactionnelle assumée.

De même, nous proposons qu’au moins 10 % de l’APD soit consacrée au renforcement des systèmes fiscaux des pays bénéficiaires, comme le préconise la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

Pour l’ensemble de ces raisons, nous sommes contraints de voter contre ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol.

M. André Guiol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au fil des décennies, la France demeure l’un des principaux pays contributeurs à l’aide publique au développement. Nos collègues rapporteurs ont rappelé cet état de fait, illustré par une aide totale de 15,3 milliards d’euros comptabilisée en 2022.

Malgré des finances publiques contraintes, j’observe avec satisfaction une absence de renoncement. Certes, les crédits de la mission « Aide publique au développement » stagnent dans le projet de loi de finances pour 2024, mais cela doit être mis en regard de plusieurs années consécutives de hausse.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. C’est vrai !

M. André Guiol. Cette situation est tout à l’honneur de la France et conforme à ses valeurs. À cet égard, je rappelle qu’il est ici question de fraternité, de solidarité, et certainement pas de charité.

En outre, n’oublions pas que le développement est aussi une affaire de géopolitique et parfois de politique intérieure. Nous savons combien la pression migratoire aux frontières de l’Europe, mue le plus souvent par la pauvreté, fait courir un risque de fractures dans plusieurs États membres, parmi lesquels la France. Aussi la mobilisation financière doit-elle être au rendez-vous.

La France poursuit des efforts constants. Devons-nous, pour autant, nous inquiéter des difficultés à atteindre l’objectif, initialement fixé par la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ? Ainsi, la proportion de 0,7 % du RNB attribué à l’aide publique au développement a désormais pour horizon 2030, et non plus 2025.

De nouveaux défis s’ajoutent aux problèmes durables de pauvreté : drames humanitaires liés aux conflits en Ukraine ou dans la bande de Gaza, retour des crises de la dette dans plusieurs pays africains et effets accélérés du changement climatique.

Face à ces enjeux, au-delà des montants budgétaires, que devons-nous attendre de la politique d’aide au développement ?

Qu’elle soit tout d’abord la plus efficace possible. Cela repose en partie sur le choix de ses cibles : il est évident que la Chine et la Turquie ne pouvaient pas rester au tableau des vingt premiers pays bénéficiaires de l’aide bilatérale de la France.

Cette correction fait suite au recentrage de l’aide vers les pays les moins avancés et vers les pays dits vulnérables. Avec un spectre plus large d’intervention, la commission des affaires étrangères s’inquiète du risque de saupoudrage des crédits : près de cinquante pays seraient ainsi potentiellement concernés par la moitié de l’effort financier. Je partage à ce sujet la crainte exprimée par nos collègues rapporteurs pour avis.

L’efficacité de l’aide publique au développement repose également sur l’Agence française de développement.

Nos rapporteurs l’ont souligné : la hausse des taux d’intérêt n’est pas sans conséquence sur le volume de l’aide. Devons-nous, une fois de plus, nous en inquiéter ?

J’ajoute que l’efficacité de l’aide tient aussi à la capacité des populations locales à s’approprier les projets. À cet égard, il faudrait mettre en place une politique d’évaluation, tout comme il serait utile de mieux cerner leur efficacité selon qu’ils reposent sur des dons ou sur des prêts.

Depuis plusieurs années, nous sommes nombreux à avoir souhaité que les dons reprennent le dessus. Quel est le résultat de cette politique de rééquilibrage ?

Enfin, je rappelle une évidence : historiquement, la vocation première de l’aide publique au développement est la lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui, toutefois, une tendance se dessine, visible dans les objectifs fixés par le conseil présidentiel du développement : la priorité donnée aux questions climatiques.

Si nous comprenons bien les conséquences que peuvent emporter les événements climatiques sur le niveau de développement, veillons, en parallèle, à ne pas hypothéquer les autres politiques. Comme chacun le sait, il y a beaucoup à faire en matière d’éducation, de santé, d’accès à l’eau et, plus globalement, de protection sociale.

Sans méconnaître la nécessité, rappelée en ce moment même dans le cadre de la COP28, d’aider les pays pauvres à prendre le chemin d’une croissance durable, n’oublions pas que ceux-ci sont peuplés d’hommes et de femmes qui ne demandent pas seulement à survivre, mais à vivre.

En espérant que cette mission y contribue, le groupe du RDSE votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte géopolitique multipolaire et à l’heure où de graves crises touchent de nombreuses parties du monde, la France doit, plus que jamais, maintenir son statut de grande puissance sur la scène internationale.

D’année en année, les catastrophes naturelles s’enchaînent ; partout dans le monde, des coups d’État éclatent ; trop souvent, des guerres se déclarent. Ces phénomènes ébranlent nos valeurs, fragilisent les biens publics mondiaux que nous nous efforçons de protéger, comme la santé, l’environnement ou l’égalité entre les femmes et les hommes, et sèment la misère et la précarité parmi les populations qu’ils touchent.

Le rôle de l’aide publique au développement est de prévenir ces crises en s’attaquant à leurs causes profondes : les inégalités, la pauvreté ou les difficultés d’accès à l’éducation, encore trop fortes dans certains pays.

Quatrième bailleur mondial en la matière, la France est une figure de proue de la solidarité internationale. Elle n’est pas seulement un grand contributeur financier, elle est créatrice de solutions.

Entre 2017 et 2022, nous avons abondé de 5 milliards d’euros les crédits alloués à cette mission. Pour préserver le monde de l’émergence de nouvelles crises, il est essentiel de maintenir le cap défendu par l’exécutif depuis plus de six ans. Nous devons poursuivre les efforts engagés pour augmenter ces crédits, afin de remplir notre objectif de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement en 2030.

Mes chers collègues, je suis étonnée d’apprendre que certains d’entre vous souhaitent diminuer les crédits de cette mission ; qu’elle soit justifiée par des raisons budgétaires ou diplomatiques, toute minoration serait pourtant contre-productive.

L’aide publique au développement est avant tout l’instrument de notre politique de développement et de notre diplomatie. Elle n’est pas octroyée comme de la charité ; elle ne saurait être retirée comme une sanction. Elle ne doit pas devenir une arme supplémentaire dans les conflits actuels.

Les investissements solidaires que nous réalisons dans les pays les plus fragiles honorent nos engagements pris sur la scène internationale. Ils contribuent à la mise en place et à la préservation des objectifs de développement durable de l’agenda 2030, auquel nous souscrivons.

Contrairement à ce que certains prétendent, cette aide emporte des effets concrets : les investissements français, réalisés par l’intermédiaire de l’Agence française de développement, ont ainsi permis de construire la première ferme éolienne en Éthiopie en 2013 ; ils ont aussi permis d’ériger une station d’épuration dans le nord de la bande de Gaza.

Nous avons d’ailleurs visité cette dernière installation avec Christian Cambon lors du déplacement de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en juin 2022. Cette usine de traitement des eaux usées a été cofinancée par l’AFD à hauteur de 16 millions d’euros et répondait à un besoin sanitaire plus qu’essentiel pour les Gazaouis. Cette visite nous a permis de constater de nos propres yeux la réalisation d’un projet financé par les crédits de l’aide publique au développement.

En outre, les ressources que nous allouons aujourd’hui à notre coopération internationale sont une contribution essentielle à la préservation de la stabilité mondiale.

Les crises se succèdent et elles ne connaissent pas de frontières. Dans un tel contexte, nous ne pouvons pas nous permettre de relâcher nos efforts. Accompagner les pays les plus fragiles, c’est assurer notre propre sécurité.

Le groupe RDPI votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Aide publique au développement » est de la plus haute importance – son examen mériterait d’ailleurs d’être programmé à un moment plus attractif pour notre assemblée…

Pour le souligner, il suffit de regarder l’encours des engagements de l’Agence française de développement pour 2022 : plus de 14 milliards d’euros.

Mais au-delà des chiffres, cette mission traduit aussi le rôle historique de la France, fidèle à ses valeurs, en faveur de la solidarité internationale. Nous sommes le quatrième contributeur mondial – c’est une bonne chose. N’ayons pas peur des mots : il s’agit aussi d’un instrument de la stratégie d’influence de notre pays.

Dans le contexte trouble que nous connaissons, avec le retour de la force et de la guerre comme normalité des relations entre États, l’aide publique au développement revêt une importance particulière.

Les crédits seront globalement maintenus en 2024, après une progression sensible ces dernières années. Nous pouvons saluer l’action du Gouvernement à cet égard.

Reste que, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, il convient d’apprécier ce budget à l’aune de quelques références essentielles, à commencer par la loi de programmation de 2021, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur aux côtés de Hugues Saury.

Cette loi fixe une trajectoire pluriannuelle qui doit nous servir de boussole. Parti du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce texte a été bonifié par le Sénat et nous avons eu l’honneur de l’adopter.

Pour autant, plusieurs éléments posent problème.

D’abord, différents rapports prévus dans ce texte n’ont toujours pas été produits.

Ensuite, son application pose la question des relations entre les pouvoirs exécutif et législatif. Comment accepter qu’un conseil présidentiel, dont personne ne connaît les fondements et dont l’existence ne s’appuie sur aucun texte, ait pu, à lui seul, modifier des dispositions adoptées par le Parlement ? Certes, l’APD, comme toute action publique, doit pouvoir être modifiée, mais cela ne peut se faire qu’avec le Parlement, a fortiori lorsqu’a été votée une loi de programmation !

Résultats : la stratégie financière n’est pas respectée et les échéances ont été décalées ; des questions persistent quant à la taxe sur les transactions financières ou au ratio entre prêts et dons ; enfin, alors qu’elle était au cœur du texte, la concentration sur dix-neuf pays prioritaires a disparu des radars et nous ne savons ni pourquoi ni comment cela s’est produit. Nous ne pouvons pas accepter, alors même que nous avons mené ce travail de priorisation, que les dispositions de la loi soient ainsi transformées.

Nous demandons tout simplement que la loi soit respectée ou que l’exécutif revienne devant le législatif pour s’expliquer et débattre des modifications qu’il souhaite opérer. Nous pourrions même nous appuyer sur une proposition de loi, si quelqu’un voulait se saisir de cette question.

Ce n’est pas le cas, et c’est un problème : la mission « Aide publique au développement » ne respecte donc pas le travail démocratique qui a débouché sur la loi de programmation. La série d’agrégats qui sous-tend ce budget ne correspond pas aux quatre priorités que nous avions identifiées : bien manger, se loger, apprendre et se soigner. Nous ne les retrouvons pas dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Pour terminer, quelles sont les urgences en matière de politique d’aide publique au développement ?

La première est de mettre en place la commission d’évaluation – Christian Cambon en a parlé. Au départ, nous étions plutôt défavorables à une telle commission, car évaluer, c’est souvent refuser de diriger.

Pour autant, nous ne pouvons pas comprendre que sa mise en place soit bloquée depuis 2021, alors que la loi, sur l’initiative d’un député de la majorité, a déterminé la procédure à suivre. Cette commission doit être rattachée à la Cour des comptes et agir sous l’autorité du premier président de celle-ci. C’est assez simple, mais, deux ans plus tard, nous en sommes toujours au même point ! Nous appelons donc le Gouvernement à agir en responsabilité pour appliquer la loi.

La deuxième urgence concerne la loi de programmation. Celle qui est en vigueur a été adoptée en 2021 et porte sur la période 2020-2025. Cela n’était pas très cohérent, convenons-en. Le Parlement a gentiment accepté de fermer les yeux.

Je crains malheureusement que cela se reproduise. Nous appelons donc le Gouvernement à lancer dès à présent les travaux d’une nouvelle loi de programmation militaire…

M. Roger Karoutchi. Quel lapsus !

M. Rachid Temal. Pardon, c’est effectivement un autre sujet ! (Sourires.) Il s’agit donc de lancer les travaux d’une nouvelle loi de programmation relative au développement, de manière que celle-ci entre en vigueur dès le 1er janvier 2025, sans temps de latence.

J’en profite pour dire qu’il faudrait que les travaux concernant les contrats d’objectifs et de moyens (COM) de l’AFD soient également lancés dans les temps. Je rappelle que notre commission a dû adopter un avis sur le COM 2020-2022 de l’AFD quelques semaines après avoir voté le projet de loi de programmation et que ce COM ne tenait d’ailleurs même pas compte des dispositions dudit projet.

Nous appelons donc le Gouvernement à avancer sur ces deux sujets.

Concernant le vote sur cette mission, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra, sauf si la baisse de 200 millions d’euros des crédits proposée par la commission des finances était adoptée.

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.

M. Rachid Temal. À ce titre, j’appelle mes collègues de droite à ne pas tenir deux discours contradictoires, selon qu’ils appartiennent à la commission des finances ou à la commission des affaires étrangères.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ces dernières années, et surtout ces derniers mois, ont été marquées par des événements internationaux bouleversants et douloureux : intensification de la guerre en Ukraine, offensive militaire cruelle et asymétrique de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens d’Artsakh, coups d’État en Afrique, tensions croissantes en mer de Chine avec Taïwan et, enfin, récemment, atrocités des terroristes islamiques du Hamas contre nos alliés israéliens.

Des dictatures attaquent sans relâche nos démocraties, avec une intensité inédite. Cela nous rappelle combien il est impératif de renforcer la diplomatie française pour relever les défis à venir. C’est pourquoi, face à ces tragédies qui se répètent, face aux conséquences humaines de ce nouvel état du monde, l’appui apporté aux pays les plus fragiles demeure essentiel.

L’année prochaine, la France maintiendra son effort en consacrant à la mission « Aide publique au développement » un montant stable de presque 6 milliards d’euros. Gardons toutefois à l’esprit que ce chiffre ne représente qu’une partie de nos engagements financiers en faveur du développement.

Depuis une dizaine d’années, le volume de ces engagements a quasiment doublé, passant de 8 milliards d’euros en 2014 à 16 milliards d’euros aujourd’hui.

Malheureusement, l’évolution des crédits pour 2024 s’écarte des cibles fixées par la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, à la suite, notamment, des décisions entérinées par le dernier Cicid.

Deux d’entre elles ont particulièrement retenu notre attention : le report de l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’aide publique au développement et le remplacement des dix-neuf pays prioritaires par un ensemble plus large constitué des pays les moins avancés.

Dans leur forme, ces décisions posent problème, car elles modifient des éléments qui figurent en toutes lettres dans la loi de programmation. Une fois encore, le Gouvernement fait preuve de mépris envers le Parlement ; la moindre des considérations démocratiques de sa part aurait été d’informer le Parlement de ses intentions et de l’associer à ses réflexions.

Cela n’a pas été fait, pas plus que n’a été produit le rapport demandé ou que n’a été mise en place la commission d’évaluation de la conduite de notre politique d’aide au développement. De ce fait, le Gouvernement alimente une nouvelle fois les critiques selon lesquelles celle-ci serait menée en dehors de tout contrôle effectif.

Madame la ministre, le Parlement doit être respecté et les outils additionnels prévus pour le contrôle de l’action gouvernementale doivent être mis en place sans plus tarder.

Sur le fond, les orientations dégagées par le Cicid font néanmoins écho à de véritables préoccupations financières et géopolitiques. Alors que notre déficit public reste englué à des niveaux alarmants et que la charge de la dette constitue désormais le deuxième budget de l’État, une nouvelle augmentation des moyens consacrés à l’aide publique au développement n’aurait été ni soutenable ni comprise. Il nous apparaît, en outre, légitime que cette politique participe, comme d’autres, à nos efforts de maîtrise de la dépense publique.

Ensuite, dans plusieurs des dix-neuf pays prioritaires, des évolutions géopolitiques majeures sont intervenues, au détriment de la France. Il semble, une fois encore, justifié d’en tirer des conclusions et de viser davantage de souplesse dans l’octroi de nos aides.

Si nous devons rester vigilants quant à la mise en œuvre de cette volonté de « repolitiser » l’aide au développement, dont les contours sont encore très flous, il est devenu évident que cette politique ne saurait être menée en dehors de toute considération diplomatique ou stratégique.

Nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était lorsque des putschistes mènent, au Sahel, une politique résolument hostile à notre pays ; lorsque, à Gaza, des terroristes islamistes au pouvoir commettent des crimes contre l’humanité. Nous ne pouvons aider des gouvernements qui nous refusent des laissez-passer consulaires et qui sapent ouvertement notre politique migratoire. J’ai notamment à l’esprit la question dite des mineurs non accompagnés, qui, bien souvent, ne sont ni mineurs ni non accompagnés puisqu’ils sont entre les mains des passeurs.

Tout cela impose de renforcer en urgence le contrôle des fonds que nous versons et de nous interroger sur les résultats obtenus jusqu’à présent. C’est capital.

Il nous faut repenser notre stratégie politique, car, malheureusement, la France et l’Europe voient leur influence diminuer ; nous ne saurions verser de l’argent au détriment de nos intérêts ou soutenir d’une manière ou d’une autre ceux qui nuisent à l’image de la France.

Madame la ministre, le groupe Les Républicains tenait à vous alerter sur ces sujets. Pour autant, conscient de leur importance, il votera les crédits de la mission « Aide publique au développement ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)