M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 juin 2019, l’accord d’association qui a été trouvé entre la Commission européenne et le Mercosur a été refusé par la France, car il ne remplissait pas les trois conditions suivantes : ne pas augmenter les importations de produits issus de la déforestation dans l’Union européenne ; mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris ; instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Cette position, une fois n’est pas coutume, a encore été rappelée lors du salon international de l’agriculture par le Président de la République lui-même le 25 février dernier.

Alors que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui s’est achevée voilà quelques jours, a fait de cet accord une priorité, il est urgent de nous battre contre ce projet.

En effet, les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont toujours pas réunies pour la conclusion d’un tel accord. Même si cet accord comportait certains avantages, tels qu’une proximité immédiate du Mercosur avec plusieurs territoires d’outre-mer, il convient de rappeler au Brésil ses engagements à l’égard du monde agricole et en matière de défense de l’environnement, trop souvent mis de côté.

Alors que les mesures miroirs à certaines normes sanitaires, environnementales et relatives au bien-être animal ne figurent pas dans l’accord, elles ne semblent toujours pas en voie d’être inscrites dans l’instrument additionnel négocié en parallèle avec le Mercosur sur les questions environnementales.

En effet, l’accord prévoit l’octroi de quotas supplémentaires de denrées alimentaires. À titre d’exemple, cela a été dit, 99 000 tonnes équivalent-carcasse de bœuf pourraient être exportées sur le marché européen par les pays d’Amérique latine, sans que des mesures miroirs soient prévues. Ces pays pourraient ainsi écouler des denrées sans avoir respecté les méthodes de production ayant cours en Europe.

L’agriculture française ne pourrait faire face à une telle concurrence déloyale, que ce soit sur le bœuf, que je viens d’évoquer, ou sur l’éthanol, sujet qui inquiète particulièrement les producteurs du département du Pas-de-Calais.

Enfin, nous dénonçons la pratique de la Commission européenne consistant à découper les accords commerciaux pour isoler les dispositions qui relèvent de sa compétence exclusive de celles qui relèvent d’une compétence partagée avec les États membres. Il s’agit là, encore une fois, d’une atteinte à la souveraineté et aux intérêts des peuples et des Nations.

Même si cette proposition de résolution ne va pas au bout de la logique qui s’impose à nos yeux, à savoir la fin des discussions avec le Mercosur, nous la voterons sans réserve. (MM. Guislain Cambier et Joshua Hochart applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier Jean-François Rapin et ses collègues d’avoir déposé cette proposition de résolution.

Il n’est pas de prospérité sans puissance et il n’y aura pas de puissance économique et commerciale sans souveraineté alimentaire européenne effectivement garantie. Cessons de considérer l’agriculture française et européenne comme un sujet de second rang dans les accords de libre-échange et réveillons-nous !

Dans moins de six mois, les Européens seront appelés aux urnes et les accords de libre-échange seront au premier plan comme outils d’action européenne à l’échelle internationale et reflets de nos choix en matière de souveraineté. Si nous voulons poursuivre la construction européenne, nous devons lui éviter de devenir sa propre caricature. L’Union européenne et les Européens méritent mieux que cela. Ne confondons donc pas vitesse et précipitation.

La vitesse, c’est continuer d’utiliser notre puissance économique et commerciale comme levier d’action, comme outil de politique internationale. C’est s’en servir notamment pour asseoir le rôle de cheffe de file de l’Union européenne dans les transitions environnementales et climatiques qu’il nous faut mener, en faisant respecter l’accord de Paris et en étant vigilants sur les conséquences sur la déforestation d’un accord avec le Mercorsur.

La vitesse, c’est faire à l’échelle internationale ce que les pères fondateurs de l’Union européenne ont fait à l’échelle européenne : utiliser les intérêts économiques des pays pour rapprocher les peuples, accroître leur prospérité et tisser des liens de fraternité.

La précipitation – et l’on parle pourtant d’un accord dont les négociations ont débuté en 1999, soit il y a plus de vingt ans –, c’est rêver en fonçant tout droit vers un mirage.

La précipitation, c’est nier la réalité des divergences trop importantes, trop structurelles pour pouvoir envisager une telle convergence en l’état. Ce serait précipiter notamment nos agriculteurs, dont j’entends et je partage les craintes, dans l’incompréhension et la confusion.

Tous savent ce qu’ils doivent à la construction européenne, mais, à l’heure où se livre une véritable bataille agricole mondiale sur les denrées alimentaires, où l’on parle sans cesse de souveraineté alimentaire, où, pour la première fois de notre histoire républicaine, cette notion figure depuis 2022 dans l’intitulé d’un ministère, quelle est la cohérence d’un tel accord ? En l’état, il ne comporte pas de clauses miroirs. En outre, rien ne garantit qu’un système de contrôle structuré et effectif permette demain de s’assurer, le cas échéant, que ces clauses seront bien respectées.

Rappelons que nos agriculteurs subissent déjà une certaine concurrence européenne : en raison de la tendance française à la surtransposition des directives européennes, ils doivent respecter des normes environnementales et sociales qui ne s’imposent pas toutes aux autres pays européens.

La conclusion d’un tel accord en l’état constituerait donc une double peine, pour tous et partout. Pour autant, cet accord n’aurait pas pour effet de contraindre ceux qui ne respectent pas les exigences environnementales et sociales à le faire, bien au contraire. Nous sacrifierions ainsi ceux qui les appliquent sur le sol européen et travaillent avec passion.

Nous n’avons pas troqué pour rien le mot « commerce » inscrit au fronton du ministère de l’agriculture sous la IIIe République contre ceux de « souveraineté alimentaire » !

Monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés pour porter une voix crédible, convaincante et puissante, même, et peut-être surtout, quand elle est singulière. Il y va aussi de la survie de l’Union européenne. Il s’agit non pas d’un choix d’opportunité ou de tendance en vue des prochaines élections, mais d’un choix d’avenir.

Il est important que l’État français, concernant cet accord entre le Mercosur et l’Union européenne, reste extrêmement vigilant, comme il a su le faire ces dernières années.

La proposition de résolution qui nous est soumise est bien évidemment une nécessité : nous demandons des clauses miroirs, le respect de l’accord de Paris, ainsi qu’un contrôle effectif et un mécanisme de règlement des différends clair et efficace. Nous en partageons l’esprit. C’est pourquoi, bien évidemment, le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution, déposée conjointement par les groupes Union Centriste et Les Républicains au mois de juin dernier, visait à réaffirmer les lignes rouges du Sénat sur les conditions d’un accord commercial avec le Mercosur, à l’occasion de la visite du président brésilien Lula.

Je rappelle que cette visite s’était accompagnée de signaux de l’exécutif laissant penser que l’accord, conclu au mois de juin 2019, pourrait être adapté et adopté moyennant un instrument additionnel supposé le verdir. Le problème, c’est que cet addendum avait tout l’air d’un artifice, car il ne comportait aucune mesure réellement contraignante et prévoyait une scission de l’accord mixte.

Six mois plus tard, comme l’a rappelé Jean-François Rapin, la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, soucieuse de rapprocher l’Europe de l’Amérique latine, a démontré que nos craintes étaient justifiées.

En effet, sans l’élection du nouveau président argentin Javier Milei, qui a provisoirement retardé le processus, un accord aurait vraisemblablement été déjà conclu à la fin de l’année 2023.

Soyons clairs : loin de nous l’idée de nier tout intérêt économique et stratégique aux accords de libre-échange, y compris avec le Mercosur. Ce dernier est un marché de plus de 250 millions de consommateurs, grâce auquel nous pourrons diversifier nos approvisionnements. De plus, dans le contexte d’incertitude qui caractérise notre relation avec les États-Unis, « partenaire, concurrent stratégique et rival systémique », il associe de potentiels alliés géopolitiques.

Le but de cette proposition de résolution est de réaffirmer le respect des nécessaires conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales de l’accord et de mesurer leurs effets en totale transparence. Ces conditions, définies par le gouvernement français lui-même au regard de ses différents engagements nationaux, européens et internationaux, ne sont pas négociables et doivent être garanties préalablement à la ratification de l’accord.

Il s’agit, cela a été dit, de ne pas augmenter les importations dans l’Union européenne de produits issus de la déforestation, de mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris et d’instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Ces dispositions sont déterminantes pour la réussite et la cohérence de l’accord. Je me réjouis donc que l’exécutif ait depuis redit publiquement son opposition à l’adoption de cet accord en l’état.

Je rappelle que les accords commerciaux, lorsqu’ils sont mixtes, comme c’est le cas de l’accord avec le Mercosur, conformément à l’engagement pris par la Commission européenne devant les États membres au mois de mai 2018, sont adoptés après leur approbation par le Parlement européen, la décision à l’unanimité du Conseil et la ratification par les parlements nationaux.

Une adoption contre l’avis de la France soulèverait donc de légitimes questionnements sur les pratiques démocratiques de l’Union européenne. Je rappelle en effet que nous avons déjà connu un malheureux précédent : alors qu’il est partiellement entré en vigueur depuis 2017, le Ceta n’a toujours pas fait l’objet d’un projet de loi tendant à autoriser sa ratification et n’a donc toujours pas été soumis au Parlement. Monsieur le ministre, peut-être aurez-vous à cœur de corriger cet outrage aux règles démocratiques. (M. le ministre sourit.)

Une adoption de l’Union européenne contre l’avis de la France poserait enfin une question de cohérence de notre agenda européen interne, matérialisé par des contraintes lourdes imposées aux agriculteurs dans le cadre du très ambitieux Pacte vert pour l’Europe, avec l’agenda politique international, qui prévoit la multiplication d’accords commerciaux sans réciprocité en termes de conditions de production, les fameuses clauses miroirs n’étant pas adoptées. Nous n’en maîtriserions pas alors les conséquences à court, moyen et long termes sur nos filières d’élevage et sur notre souveraineté alimentaire.

Pour tous ces motifs, mes chers collègues, qui appellent des éclaircissements et de la transparence de la part du Gouvernement et de l’Union européenne, je vous invite à soutenir cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot.

M. Yannick Jadot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parlons d’un accord dont la négociation a été engagée il y a près d’un quart de siècle. Il s’agit donc d’un accord « dinosaure », antérieur aux dégâts provoqués par la mondialisation libérale, aux manifestations les plus dramatiques du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, au covid-19, à la guerre en Ukraine – bref, d’un accord négocié dans le monde d’avant !

Durant ces vingt ans de négociations, c’est l’équivalent de la surface de la péninsule ibérique – l’Espagne et le Portugal – qui a disparu en Amazonie.

En 2019 – vous siégiez alors au Parlement européen, monsieur le ministre –, alors que la Commission européenne était prête à signer avec enthousiasme un accord avec Jair Bolsonaro, les négociations ont été arrêtées, sous la pression des opinions publiques, du Parlement européen et de certains gouvernements, dont celui de la France, il faut le dire. Il est donc incompréhensible qu’on les reprenne avec Javier Milei, qui, en la matière, surpasse Jair Bolsonaro – et de loin !

L’accord a souvent été qualifié de « viande contre voitures ». Et pour cause : il vise à libéraliser le commerce de viandes de bœuf et de poulet, de soja ou d’éthanol issu de la canne à sucre du Mercosur vers l’Europe et à libéraliser celui des biens industriels, dont l’automobile, les marchés publics et les services de l’Europe vers le Mercosur.

Les effets, on le sait, seront dramatiques.

Côté Mercosur, l’accord renforcerait un modèle de développement agroexportateur complètement déséquilibré, au détriment de l’industrie, des services, des cultures vivrières, donc des classes populaires et moyennes. Le cycle soja-bœuf ne ferait que succéder au cycle brésilien du caoutchouc, puis du café.

En effet, c’est bien la question agricole qui est la plus problématique. Cet accord serait un désastre pour l’agriculture en général, pour notre agriculture en particulier, et pour le Pacte vert pour l’Europe. Cet accord, s’il était mis en œuvre, contribuerait au dérèglement climatique, à la mondialisation de la malbouffe, à la contamination chimique de la nature et de nos organismes, à un accroissement des souffrances animales et à la disparition des paysans en Amérique latine et en Europe.

Aux termes de cet accord, 99 000 TEC de bœuf pourraient être exportées vers l’Europe, ce qui représente une augmentation de 50 % du quota. Qui plus est, il ne s’agirait pas de n’importe quels morceaux : seraient exportés la longe et le rumsteck, c’est-à-dire l’aloyau. De fait, le bœuf du Mercosur représenterait alors non plus 13 %, mais 26 % du marché européen. Or, nous le savons, c’est là où nos paysans font de la valeur ajoutée. Il s’agit donc, encore une fois, d’un danger absolu pour notre secteur de l’élevage.

Mme Primas a fait référence à sa visite au Brésil. Je m’y suis moi-même rendu avec une délégation parlementaire. À cette occasion, nous avons pu observer les effets de la déforestation sur le Cerrado. On parle toujours de l’Amazonie, qui est devenue iconique et qui est protégée, même si elle ne l’est pas suffisamment. Le Cerrado quant à lui, c’est le château d’eau de l’Amazonie. Or il est déjà détruit aux deux tiers. C’est la nouvelle frontière du soja. Il nous faut absolument le protéger et, partant, refuser cet accord.

Nous savons ce que sont les conditions de production dans le Mercosur. Je pourrais évoquer le travail forcé, qui est courant. Dans les abattoirs – peut-être avez-vous eu l’occasion d’en visiter –, des personnes sont en situation de semi-esclavage et les règles de bien-être animal n’existent pas. C’est totalement contraire au modèle voulu par les Européens.

Pour rappel, sur un demi-millier de pesticides utilisés au Brésil, 150 sont interdits en Europe. Cynisme et cupidité : nous exportons une partie des pesticides que nous interdisons vers le Brésil et les pays du Mercosur !

Nous devons donc revoir, mais surtout stopper cet accord. Il n’existe aucune possibilité de le faire évoluer tel qu’il a été conçu. La tentative de la Commission européenne de faire une lettre interprétative, sachant que cela n’aura aucune force juridique, relève de la mascarade. En cas de ratification de l’accord, il sera possible de suspendre les échanges si le nombre de poulets importés est insuffisant, mais pas si l’Amazonie brûle ou si les salariés sont maltraités !

Nous devons rejeter l’accord. Le Gouvernement doit défendre à Bruxelles auprès de la Commission européenne et du Conseil le refus de la France de le signer.

Pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, nous voterons cette proposition de résolution, même si elle n’est pas parfaite. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Presque parfaite !

M. Yannick Jadot. Après tout, nul n’est parfait ! (Sourires.) Nous la voterons avec un immense plaisir, car le signal que le Sénat doit envoyer sur un tel dossier m’apparaît absolument essentiel ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne a affiché comme priorité de parvenir à un accord au Conseil sur le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et ses États membres et les pays du Mercosur, dont les négociations ont débuté voilà vingt-trois ans.

Les élections en Argentine ont donné un sursis, mais il semble que se soient dessinées les conditions d’un accord, en particulier sur une déclaration annexée entre la Commission européenne et les États du Mercosur, sans d’ailleurs que nous en connaissions la dernière version.

Rappelons que la France a obtenu en 2015 l’exigence d’une plus grande transparence des négociations commerciales conduites au nom de l’Union européenne. Une telle exigence doit être maintenue.

Pour autant, nous considérons que cet accord UE-Mercosur n’est pas plus acceptable qu’en 2019, et ce à plusieurs titres.

Il s’agit, faut-il le rappeler, d’un projet d’accord fondé sur un mandat de négociation adopté en 2000, dans un contexte économique, commercial, climatique totalement différent.

Les garanties qui auraient été négociées ne sont pas suffisantes. Elles restent non contraignantes et ne prévoient pas non plus de clause suspensive en cas de non-respect des normes. Nous ne pouvons pas tergiverser sur ce point. Les normes ne peuvent pas être considérées comme étant à géométrie variable. Nous devons assurer à l’accord une assise démocratique et permettre à l’Europe d’avancer s’agissant de son objectif de rendre les accords commerciaux qu’elle conclut plus vertueux, négociés sur des mandats robustes et exigeants.

Nous ne devons pas céder aux manœuvres consistant à tenter de scinder l’accord en deux, avec une partie commerciale qui serait d’application provisoire et le reste qui serait soumis à la ratification des parlements nationaux. Je vous rappelle à cet égard que, malgré les demandes réitérées du Sénat, la ratification du Ceta n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour.

Nous devons respecter le statut de cet accord d’ancienne génération. Monsieur le ministre, nous vous demandons de faire en sorte que la ratification par le Parlement ne puisse pas être contournée par quelque manœuvre que ce soit. Nous connaissons les ficelles. Alors qu’auront lieu dans six mois les prochaines élections européennes, il serait dommageable de favoriser une contorsion antidémocratique, au risque que les citoyens s’interrogent sur la capacité de l’Union européenne à faire accepter ses exigences et à protéger ses normes. L’adhésion de nos concitoyens est un élément à prendre en compte absolument.

Le monde a évolué ; les exigences que l’Union européenne s’est imposées et défend sur la scène internationale en matière de durabilité également ! Comment l’Union européenne pourrait-elle ratifier un accord commercial d’ancienne génération tout en prônant un renforcement des normes sociales et environnementales à l’échelon mondial et en se contentant d’une déclaration sans caractère contraignant en la matière en annexe du traité Mercosur ?

La France a émis des conditions à l’approbation de cet accord : une production agricole qui ne doit pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne ; une mise en conformité avec l’accord de Paris ; l’instauration de mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale qui imposent les mêmes contraintes aux producteurs. C’est essentiel pour éviter de créer les conditions d’une concurrence déloyale pour nos productions agricoles.

Être cohérents, c’est respecter les lignes rouges définies. La question est simple : ces lignes rouges ont-elles été prises en compte dans les négociations finales – dans ce cas, pouvez-vous nous exposer les garanties ? – ou bien ont-elles été franchies ?

Depuis 2015, nous sommes parvenus, de haute lutte – je dois le dire –, à intégrer des critères de durabilité dans l’exercice de la politique commerciale commune. Les conditions de production et les exigences de la transition climatique impliquent aujourd’hui de défendre un commerce plus équitable qui respecte des normes sociales, sanitaires et environnementales. Nous progressons aujourd’hui en ce sens : normes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), interdiction des produits issus du travail forcé, taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Ces nouvelles exigences doivent avoir un sens.

D’ailleurs, ces exigences ne sont pas que pour nous-mêmes. Elles sont destinées à assurer des conditions de vie plus dignes des producteurs et travailleurs des pays tiers avec lesquels nous concluons des accords. Elles sont de notre responsabilité.

Monsieur le ministre, je crois que nous ne parviendrons pas à faire du neuf avec du vieux. Nous ne pouvons pas accepter le rafistolage d’un accord qui aurait des conséquences majeures à la fois pour nos économies et nos agricultures, mais aussi pour la capacité de l’Union européenne à peser en matière de normes à l’échelon international.

Dans ces conditions, nous soutiendrons la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les plus Républicains. – M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au temps de la « mondialisation heureuse » et de la dérégulation, l’Union européenne a entrepris d’accroître ou de développer ses échanges avec certaines régions du monde par le biais d’accords, qui ont déjà été mentionnés.

Il est vrai que le commerce, dit-on, contribue à la richesse des nations et préserve de la guerre ! La France, dont la balance commerciale est depuis longtemps déficitaire, sait toute l’importance de l’export pour l’économie.

En réalité, au fil des ans, les préoccupations ont évolué sous la pression des événements : réchauffement climatique, tensions géopolitiques, crise sanitaire, essor des pays producteurs à bas coûts…

Les attentes sociétales des citoyens, qui sont aussi les consommateurs européens, ne sont plus les mêmes. L’évidence du commerce intercontinental sans entrave par transport maritime de base, voire par avion-cargo est remise en question.

Les sujets de souveraineté, de normes sociales et environnementales, de bien-être animal, de traçabilité ou de concurrence équilibrée sont désormais au premier plan.

C’est particulièrement vrai s’agissant du secteur agricole, activité dans laquelle la France conserve des intérêts majeurs dans la diversité de ses territoires et que l’on ne peut pas traiter comme n’importe quelle autre.

La crise sanitaire a mis en lumière les problèmes de dépendance dans différents domaines et les aléas des transports. L’instabilité géopolitique, comme autour du détroit de Bab-el-Mandeb, montre combien les flux maritimes mondiaux et les coûts du transport sont sensibles aux événements extérieurs.

Le conflit en Ukraine nous rappelle cruellement, surtout pour les pays méditerranéens, que les denrées alimentaires sont une arme de la guerre hybride. Dès lors, ne pas en disposer est une faiblesse stratégique.

Ayant parcouru l’Amérique du Sud dans ma vie professionnelle, je sais que le Mercosur est un marché considérable et particulièrement attractif. Pour autant – cela n’aura échappé à personne –, ses États membres n’ont pas les mêmes pratiques que les nôtres. D’ailleurs, le Président de la République ne dit désormais pas autre chose.

Ne commettons donc pas l’erreur de nous mettre dans une situation délicate de dépendance ou de concurrence déloyale, alors même que nos producteurs se voient imposer normes et contrôles sanitaires et environnementaux drastiques. Nos agriculteurs ne déforestent pas nos campagnes ; ils n’élèvent pas des milliers de têtes de bétail, comme en Amazonie. Au contraire, ils entretiennent les paysages, limitent l’urbanisation et concourent à la vie locale, en plus de nourrir la population. Beaucoup se mettent d’ailleurs aux circuits courts. C’est une bonne chose pour leurs revenus et leur empreinte carbone, car il est aberrant de faire venir du bout du monde certaines productions en tous points inférieures aux nôtres.

Les demandes formulées dans le présent texte, comme les mesures miroirs, le renforcement de la qualité et la quantité des contrôles aux frontières, ainsi qu’une meilleure association des parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux sont adaptées aux enjeux, alors que l’Union européenne fait désormais de l’environnement et de la souveraineté des priorités communautaires.

Peut-être faudrait-il aussi sortir les productions agricoles, ou certaines d’entre elles, de ces accords.

En 2018, en tant que rapporteur de la proposition de résolution européenne en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne, d’une part, et le Mercosur, d’autre part, j’avais déjà appelé l’attention sur les risques pour les filières bovine, sucrière et bananière notamment. Il nous faut donc continuer à faire preuve de vigilance en la matière, en particulier vis-à-vis de la Commission européenne.

Cosignataire de la présente proposition de résolution, je la soutiens totalement et vous invite à faire de même, mes chers collègues.

Monsieur le ministre, nous attendons du nouveau gouvernement de la fermeté dans la défense de nos intérêts à l’international et dans la sauvegarde de nos filières agricoles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 décembre dernier, l’investiture du nouveau président argentin Javier Milei assombrissait encore les perspectives d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.

En effet, le président nouvellement élu à Buenos Aires estime que des chapitres entiers de l’accord, notamment en matière environnementale, ne sont pas acceptables pour son pays.

De telles affirmations nous alarment. Nous ne pouvons pas céder sur nos exigences environnementales et introduire de facto de nouvelles distorsions de concurrence pour nos producteurs et nos agriculteurs.

La présente proposition de résolution, dont je salue les collègues auteurs, a été déposée au mois de juin dernier à l’occasion de la visite du président Lula à Paris. Elle est plus que jamais d’actualité.

Trois inquiétudes fortes y sont exprimées.

D’abord, les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales pour la conclusion d’un tel accord ne semblent pas réunies.

Nous ne devons plus conclure d’accord sans intégrer l’ensemble des acteurs de l’écosystème agricole à la réflexion. Il est impératif d’œuvrer pour plus de transparence et d’impliquer l’ensemble des parties prenantes.

Nous devons également sanctuariser un certain nombre d’acquis et de principes : la traçabilité des produits alimentaires, l’affirmation du principe de concurrence non faussée entre les produits quelle que soit leur origine et le renforcement des obligations d’information à destination du consommateur.

Ensuite, l’absence dans le projet d’accord de mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal, alors qu’il s’agit d’un impératif, demeure regrettable.

Nous ne pouvons pas imposer à nos agriculteurs des contraintes dans ces domaines sans faire de même pour les produits qui arrivent dans notre pays. Nous ne sommes pas à l’abri du scénario cauchemardesque d’un marché français qui serait envahi par les volailles dopées aux molécules de synthèse. Les mécanismes de mesures miroirs et de réciprocité des exigences réglementaires de production doivent être inscrits dans l’accord.

Enfin, autre exigence de bon sens, et pourtant loin d’être effective, les États membres doivent être davantage intégrés dans l’élaboration de la politique commerciale commune. Paris, Rome ou Varsovie doivent être pleinement impliqués lorsque le sort de millions de consommateurs et d’agriculteurs est en jeu.

Nous connaissons la répartition des compétences en droit primaire, mais il est important d’affirmer qu’il y a, certes, la loi, mais, surtout, l’esprit de la loi. Compétence exclusive ne rime pas avec exclusion des États membres.

L’enjeu aujourd’hui est d’agir de manière concertée et collective en faisant de la politique commerciale commune l’objet de tous, et non pas uniquement une décision prise entre Bruxelles et Strasbourg.

Le groupe Union Centriste partage pleinement les recommandations de la présente proposition de résolution. C’est pourquoi ses membres la voteront et appellent vivement le Gouvernement à prendre ces dernières en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)