M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du GEST.)

M. Guy Benarroche. « Nous ne construirons rien de durable si nous laissons monter, d’où qu’ils viennent, le racisme, l’intolérance, l’injure, l’outrage. Nous ne construirons rien de durable sans combattre ce poison pour la société que sont les discriminations. »

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je rappelle cette alerte que donna en son temps le président Jacques Chirac, c’est que la situation est aujourd’hui dramatique, en dépit du capitalisme libéral et de la « main invisible du marché », chers à mon collègue Pierre Jean Rochette. Si la main est invisible, elle n’est pas aveugle et l’expansion de ce système économique n’a pas fait tomber les discriminations.

En cinq ans, le nombre de crimes et de délits à caractère raciste a augmenté de 29 % ; 5 % de nos concitoyens pensent qu’il existe une race qui serait supérieure à d’autres. En parallèle, nous assistons à une recrudescence des actes antireligieux, en particulier des actes antisémites. Le racisme, l’intolérance et les discours de haine n’ont jamais leur place au sein de notre République et nous les condamnons évidemment avec la plus grande fermeté.

Au-delà de ces violences, qui constituent la partie visible de l’iceberg, des milliers de citoyennes et de citoyens deviennent victimes de discriminations multiples. Alimenté par les haines, ce poison progresse au point qu’aujourd’hui une personne sur cinq déclare avoir été victime de discrimination.

Ainsi, une personne dont le prénom a une consonance maghrébine a 50 % de moins de chances d’être rappelée lorsqu’elle demande à visiter un logement. Encore ne s’agit-il là que de l’un des exemples les plus connus : en réalité, les discriminations se retrouvent dans une myriade de domaines, comme l’attribution des places à l’université, l’octroi d’un prêt bancaire, l’accès aux bâtiments publics, l’accès à l’emploi, le niveau de rémunération et même la surveillance de l’espace public.

Puisque les discriminations sont protéiformes, il nous faut actionner tous les leviers qui sont à notre disposition pour les combattre. Nous ne pouvons y réussir que si la lutte contre les discriminations devient une priorité.

À cet égard, madame la ministre, comment expliquer que le plan de la Dilcrah pour les années 2020 à 2023 n’ait été que partiellement mis en œuvre ?

Comment expliquer que le budget de la Défenseure des droits, alors même que le nombre de saisines ne fait que croître, n’ait pas été augmenté à due proportion ?

Comment expliquer que le Gouvernement s’oppose à toute traçabilité des contrôles d’identité, alors même que le Conseil d’État a reconnu qu’en la matière les pratiques discriminatoires existent bel et bien ?

C’est malheureusement une évidence : à l’heure actuelle, le Gouvernement ne fait pas de la lutte contre les discriminations une priorité. Nous pensons que ce rappel est utile, car c’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du député du groupe Renaissance Marc Ferracci. En proposant de développer la réalisation de tests permettant d’identifier les pratiques discriminatoires, il propose d’actionner l’un des leviers disponibles.

Dans la mesure où ce texte a pour ambition de protéger les citoyennes et les citoyens contre les discriminations, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires salue évidemment cette initiative.

Ces tests permettraient de collecter des preuves là où les victimes ont systématiquement du mal à demander une indemnisation.

Pour autant, ce texte souffre de deux défauts majeurs.

Le premier défaut est institutionnel, car il est prévu que ces tests soient organisés sous l’autorité du Gouvernement.

D’une part, le Gouvernement participerait ainsi à l’élaboration des tests, y compris des tests qui visent à identifier des discriminations au sein de la fonction publique. L’Observatoire des inégalités montre d’ailleurs que les discriminations à l’embauche sont même plus importantes dans la fonction publique que dans le secteur privé. Il importe donc de veiller à ce que ces tests soient organisés en toute indépendance : la conception des tests et les orientations qui la régissent ne sauraient dépendre du Gouvernement.

D’autre part, ce rattachement des tests à l’exécutif nous laisse perplexes, car c’est justement le Gouvernement qui néglige aujourd’hui la lutte contre les discriminations. Aussi craignons-nous que ledit gouvernement se serve de tels tests comme d’une caution. En tout état de cause, la seule existence de l’organisme ainsi créé ne constituerait en rien une avancée.

Dans une certaine mesure, le Gouvernement a même déjà utilisé par avance la présente proposition de loi comme caution, car celui qui était alors ministre du travail avait promis ce texte lors de la réforme des retraites. Or cette réforme imposée restera profondément injuste et les dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui ne changeront pas la donne.

Le second défaut est apparu lors de l’examen du texte en commission, Mme le rapporteur et la droite sénatoriale ayant supprimé les sanctions prévues. Celles-ci auraient pu être prononcées lorsqu’un test révèle des pratiques discriminatoires. En l’absence de sanction et même si leur nom est divulgué, les entités testées ne subiront guère de pression les incitant à mettre fin à leurs pratiques discriminatoires.

Mes chers collègues, en l’état, ce texte est au mieux une coquille vide, au pire un leurre. C’est pourquoi nous demanderons, par nos amendements, qu’à tout le moins les sanctions soient rétablies. À défaut, nous ne pourrons pas voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si nous étions très enthousiastes à l’idée de voter une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques, quelle n’a pas été notre déception à la lecture de ce texte aux ambitions si faibles !

Pourtant, cela a été dit, la lutte contre les discriminations est loin d’être achevée.

Selon une étude de l’Insee publiée en 2020, 18 % des personnes âgées de 18 à 49 ans déclarent avoir subi « des traitements inégalitaires ou des discriminations », alors qu’elles n’étaient que 14 % quelques années auparavant.

Au regard de la fréquence, de l’ampleur et de la violence des discriminations, la discussion que nous avons cet après-midi doit nous inviter à prendre la mesure de leurs conséquences. Il y a, au fond, une banalité de l’expérience discriminatoire pour les minorités dans notre pays. Or les discriminations sont un mal lancinant, qui fracture la société française.

Malgré ce constat, trop peu d’énergie et de moyens sont déployés pour lutter contre ces discriminations.

Si des politiques publiques ont émergé à partir du début des années 2000, si la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), puis du Défenseur des droits ont constitué des avancées substantielles incontestables, les moyens à disposition restent indigents et sont le plus souvent consacrés à réaliser des diagnostics et des formations – évidemment nécessaires – plutôt qu’à mettre à mal les pratiques discriminatoires elles-mêmes.

Alors que les discriminations balafrent notre République, si peu est fait pour s’y attaquer !

Ce peu de moyens se traduit, en outre, par un non-recours au droit et aux dispositifs publics de médiation par les victimes, qui, à l’instar des délégués locaux du Défenseur des droits, demeurent peu connus.

Si faciliter l’accès au droit est indispensable – ne serait-ce qu’en faisant mieux connaître les possibilités de recours –, les dispositifs ne sont saisis qu’à la condition que les victimes aient le sentiment qu’ils peuvent aboutir et que les discriminations seront davantage punies si elles sont avérées.

S’il n’existe pas de remède miracle, des sanctions plus lourdes en cas d’infractions pourraient toutefois être envisagées.

Pourquoi, par ailleurs, attendre que les victimes se manifestent ? L’inspection du travail, l’inspection générale de l’éducation nationale ou l’inspection générale de la police nationale peuvent jouer un rôle actif pour prévenir les discriminations.

Plus largement, c’est une transformation des pratiques institutionnelles qui apparaît indispensable face à des discriminations largement systémiques.

À ce titre, la pratique du testing employée et défendue par la Défenseure des droits, mise en avant par ce texte est efficace, mais elle connaît des limites.

Tout d’abord, ces testings ne permettent pas d’identifier les causes profondes des comportements discriminatoires. Comment concevoir des dispositifs appropriés pour lutter contre les discriminations si l’on en ignore les fondements ?

En outre, le name and shame peut se révéler efficace à court terme, mais il ne l’est pas pour obtenir des changements structurels ni pour lutter contre le non-recours au droit.

Enfin, les études par testing ne sont pas pertinentes pour évaluer les discriminations dans tous les domaines. Par exemple, cette méthode n’est pas opportune pour les discriminations qui s’étalent dans le temps – je pense notamment au déroulement de carrière.

Les testings demandent donc à être complétés par d’autres approches, mais aussi et surtout par des moyens importants.

C’est de ce point de vue que ce texte nous semble manquer cruellement d’ambition, malgré les besoins importants en la matière.

Sur cette proposition de loi, nous partageons l’avis de la Défenseure des droits : les objectifs sont louables, mais le manque d’ambition est patent.

C’est la raison pour laquelle le groupe CRCE-K s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Philippe Grosvalet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, elle s’appelle Talia. Elle est enceinte. Elle se rendra vendredi à son dix-septième entretien d’embauche.

Il s’appelle Sofiane. Il est étudiant ingénieur. Il se fait contrôler par la police en moyenne deux fois par semaine.

Ils s’appellent Ugo et Maxime. Ils sont homosexuels. Ils se sont fait refuser l’entrée d’un restaurant.

Le terrible paradoxe de ces situations, c’est qu’elles sont à la fois révoltantes, bien sûr – je crois que nous le pensons tous –, et beaucoup trop quotidiennes pour nombre de nos concitoyens.

L’Observatoire des inégalités publiait, à la fin du mois de novembre 2023, son rapport sur les discriminations en France. S’il y est fait état d’une tolérance plus répandue de nos concitoyens les uns envers les autres, la situation actuelle a pourtant de quoi nous inquiéter.

Le nombre de réclamations liées aux discriminations auprès de la Défenseure des droits est en hausse constante. Je ne reviens pas sur les chiffres ; du reste, ils ne disent pas tout ! C’est aussi la nature même de ces discriminations qu’il nous faudrait prendre en compte pour mieux en mesurer le poids sur nos concitoyens, le handicap, l’origine et l’état de santé restant les principales caractéristiques où elles viennent se nicher.

Du côté des pouvoirs publics, la discrimination n’est évidemment pas un sujet nouveau, mais, par manque de volonté réelle, les politiques de lutte contre celle-ci n’ont jamais donné de résultats satisfaisants.

Par exemple, en 2016, des tests de discrimination ont été réalisés, à la demande des pouvoirs publics, sur de grandes entreprises, mais sont restés sans suite. En 2017 a été établie une charte sur les discriminations à l’embauche entre le ministère du travail et les entreprises, qui ne débouche sur aucune initiative. En 2018-2019, sur l’initiative de chercheurs, des testings sont réalisés et transmis au ministère du travail, sans que, là encore, ils aient été suivis par aucune mobilisation réelle des pouvoirs publics.

Le groupe RDSE souhaite donc que le sujet de la lutte contre les discriminations soit traité avec beaucoup plus de détermination de la part du Gouvernement.

Tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois, le texte nous semble très affaibli.

Cependant, la suppression de la mention des tests individuels à l’article 1er nous paraît plutôt bienvenue. Mettons-nous à la place des victimes ! Ne multiplions pas les interlocuteurs et gardons une voie de recours identifiée par tous. Je pense évidemment au rôle de la Défenseure des droits, à condition, madame la ministre, qu’elle en ait réellement les moyens et que nous puissions amplifier ces derniers, notamment sur les testings.

Pour ce qui concerne le versant méthodologique du texte, la suppression de l’article 2 visant à l’instauration d’un comité des parties prenantes ne permet plus l’intégration d’acteurs en lien direct avec les problématiques de discrimination, et fragilise la construction d’une action publique pertinente et efficace.

L’article 3 manque également à la version actuelle du texte. Il nous semble essentiel qu’un test qui révèle de potentielles pratiques discriminatoires soit suivi d’effets – mesures correctives, établissement d’un plan d’action au sein de l’entreprise, voire possibilité d’une amende, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée nationale.

Constater sans décider, prendre conscience sans réagir, ce n’est pas la conception que nous devons avoir de notre rôle, mes chers collègues !

Vous avez rappelé, madame la ministre, qu’aucune décision de justice n’a été rendue.

Les discriminations nourrissent le repli, le ressentiment et les sentiments d’injustice et d’inégalité.

Elles engendrent un coût économique, qui pèse souvent lourd pour des populations souvent déjà vulnérables. Elles entravent l’accès à l’ensemble des biens et services, y compris les services publics.

Elles ont également des conséquences sociales et psychologiques importantes, prolongent des situations de détresse et amènent au renfermement social.

Légiférer sur la lutte contre les discriminations est essentiel, mais ne portera des résultats probants que si la volonté du législateur est accompagnée de celle du Gouvernement pour tracer une politique publique claire et affirmée.

C’est pourquoi ce texte doit être une étape, un outil supplémentaire, qui doit s’inscrire dans une ambition plus globale, « une stratégie nationale cohérente […] de lutte contre les discriminations », que la Défenseure des droits appelle de ses vœux.

Un patchwork d’études statistiques apportera sans aucun doute des éclairages, mais ne constituera ni une réponse satisfaisante pour les victimes ni un outil complet pour prévenir et sensibiliser.

Les violences discriminantes que vivent nombre de nos concitoyens ne sont pas acceptables dans notre République.

Le groupe RDSE soutient évidemment toutes les mesures visant à lutter efficacement contre les discriminations. Cependant, en l’état, le texte, tel qu’il nous est présenté, ne nous semble pas apporter de solutions suffisantes.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Grosvalet. Je conclurai par ces mots de Martin Luther King : « La moindre injustice, où qu’elle soit commise, menace l’édifice tout entier. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cœur de l’adhésion à la République et aux valeurs qu’elle porte réside une promesse : celle de faire en sorte que chacun, quels que soient sa couleur de peau, son origine, sa religion, son genre, puisse trouver sa place.

Le principe d’égalité, selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », auquel nous sommes attachés, participe au respect de cette promesse.

Le Président de la République ne dit d’ailleurs rien d’autre lorsqu’il affirme que « faire aimer la République, c’est tenir la promesse d’émancipation qui lui est intrinsèque ».

Trahir cet engagement serait se résoudre à un régime d’inégalités sociales, qui, de fait, maintiendrait les individus à leur place et nierait les aspirations légitimes de chacun.

Trahir cet engagement serait se résigner à ce que certains tournent le dos à la République, qui n’aurait de République que le nom.

Trahir cet engagement serait aussi, en quelque sorte, faire le lit des communautarismes et des séparatismes, contre lesquels nous combattons.

En se fixant pour objectif de renforcer la lutte contre les discriminations, qui sont justement la négation du principe même d’égalité, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans le prolongement de cette promesse républicaine d’émancipation.

Discriminer, c’est traiter une personne de manière moins favorable qu’une autre dans une situation comparable, selon un critère qui ne justifie pas cette différence de traitement.

Bien que la France dispose d’un important arsenal juridique pour lutter contre les discriminations, l’ensemble des données convergent pour confirmer leur persistance dans notre pays. La Défenseure des droits indiquait ainsi avoir reçu 6 703 réclamations liées à des discriminations en 2023, contre 5 215 en 2021.

Ces données démontrent l’efficacité limitée du cadre juridique en vigueur, qui ne suffit pas, à lui seul, à dissuader et à lutter efficacement contre les discriminations.

Les recours contentieux constituent, en effet, des démarches lourdes à mettre en œuvre pour les victimes.

Si, depuis le début des années 2000, le principe des tests est reconnu comme un outil de preuve dans le cadre d’une action en justice, force est de constater que cela ne fonctionne pas. Ainsi, en 2020, il n’y a eu aucune condamnation pénale liée à une discrimination – aucune !

Il y a pourtant urgence à combattre les discriminations.

Comme je le soulignais en introduction, ces pratiques minent les fondements mêmes de notre pacte républicain. Elles relèguent une partie de nos concitoyens en marge de la société, en les privant de leurs droits et de leur dignité.

Lorsqu’elles reviennent à priver une partie de nos concitoyens de l’accès à des biens ou à des services, elles contribuent à fragiliser encore plus des populations souvent déjà vulnérables.

Bien plus, ces pratiques représentent également un coût économique colossal pour notre pays. Selon une étude de France Stratégie réalisée en 2016, le coût économique des discriminations pourrait représenter jusqu’à 14 % de notre PIB.

Dans ce contexte, la proposition de loi présentée par le député Marc Ferracci, dont je tiens à saluer l’engagement sur ce sujet important, s’inscrit dans le prolongement du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026.

L’ambition du texte était principalement de développer la pratique des tests individuels et statistiques, afin de mieux détecter, prévenir et corriger les discriminations dans notre pays.

Si son examen par la commission a bien révélé un relatif consensus quant à l’objectif, celle-ci n’a pas jugé les mesures proposées de nature à lutter efficacement contre les discriminations.

Ainsi, l’article 1er a été complètement réécrit. Il prévoyait de confier à la Dilcrah une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination.

Craignant que la compétence de la Dilcrah ne vienne concurrencer celle de la Défenseure des droits, la commission a supprimé toute mention des tests individuels et limité ses missions principalement à la production de tests statistiques.

Le groupe RDPI regrette que la commission ait retenu une telle approche, plutôt que de voir dans la pratique des tests individuels développés par les deux institutions une potentielle complémentarité.

La suppression de cette possibilité obère également toute éventuelle montée en puissance de ces tests, qui constituent pourtant un outil efficace de lutte contre les discriminations.

La commission a également supprimé l’article 2, visant à créer un comité des parties prenantes, dont l’objectif aurait été de diffuser la culture des tests à l’ensemble des acteurs et, ainsi, de renforcer l’acceptabilité de cette pratique.

Dénonçant son caractère correctif, elle a supprimé l’article 3, qui fournissait une base législative au name and shame, à savoir la publication des résultats des tests statistiques. Cette publication n’intervenait pourtant qu’en dernier recours, si le contrevenant manquait à définir, par le dialogue social, un plan de lutte contre les discriminations.

En commission, Mme la rapporteure, dont je salue le travail, a pourtant souligné fort justement que « la lutte contre les discriminations ne [pouvait] être efficace que lorsqu’elle suscit[ait] l’adhésion des employeurs ». La proposition de loi visait précisément là à emporter cette adhésion, en invitant les employeurs, en amont des tests, à prendre part à la définition d’une méthodologie et, in fine, à les encourager à modifier leurs comportements, plutôt qu’à contester les résultats de ces tests.

Aussi les membres du groupe RDPI déplorent-ils que le texte ait été en grande partie vidé de son contenu. Ils craignent que, en l’état, il ne puisse atteindre son objectif de lutte contre les discriminations. Ils redoutent surtout que, si la proposition de loi venait à être adoptée en l’état, le Sénat ne témoigne qu’une faible ambition dans la lutte contre les discriminations et, ainsi, un intérêt moindre pour la République lorsque celle-ci est synonyme de promesse d’émancipation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre d’un testing, SOS Racisme a publié ce jour même une étude dévoilant que 61 % des agences d’intérim acceptaient de faire une présélection des candidats en fonction de la couleur de leur peau.

Aujourd’hui, en France, les candidats ayant un nom d’origine française ont près de 50 % de chances de plus d’être rappelés par un recruteur que ceux qui ont un nom d’origine maghrébine. C’est le résultat d’une vaste campagne de testing lancée par le ministère du travail entre 2019 et 2021, qui a consisté à envoyer 9 600 candidatures avec des noms aux origines différentes. Résultat : les candidats dont le nom était d’origine française ont été rappelés dans 33,3 % des cas par les employeurs, contre 22,8 % pour ceux ayant un nom d’origine maghrébine.

En 2022, en France, selon l’Insee, seules 44 % des personnes en situation de handicap étaient actives, contre 75 % de l’ensemble de la population.

Aujourd’hui, en France, le fait de porter un nom de famille d’origine maghrébine ou d’Afrique de l’Ouest réduit fortement la probabilité d’obtenir une visite pour louer un appartement. Dans le cadre d’une opération de testing réalisée en 2016 sur 5 000 annonces immobilières dans cinquante grandes agglomérations par une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le candidat au nom à consonance française a reçu 13,9 % de réponses positives pour visiter un appartement en location ; avec une candidature tout à fait semblable – en termes d’emploi, d’âge et de nationalité –, le candidat d’origine maghrébine n’a reçu que 10,1 % de réponses positives et le candidat d’Afrique subsaharienne seulement 9,4 %. Le candidat au nom français avait donc 1,5 fois plus de chances que le candidat originaire d’Afrique subsaharienne de visiter ce logement.

Aujourd’hui, en France, les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés par les forces de l’ordre, selon une étude du Défenseur des droits publiée en 2017.

La Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations liées à des discriminations en 2023, contre 5 215 en 2021. Les trois principales causes de discrimination sont le handicap – 21 % –, l’origine – 13 % – et l’état de santé – 9 %.

Aujourd’hui, en France, nous devons donc nous résoudre à reconnaître que de nombreux concitoyens sont confrontés à la violence des discriminations chaque jour, dans leur vie quotidienne.

Cette situation n’est pas acceptable. Elle remet en cause le principe d’égalité, qui est le fondement de notre pacte républicain. Elle alimente un ressentiment légitime chez de nombreux Français et met à mal notre vivre ensemble.

Bien évidemment, il faudra bien plus qu’une simple proposition de loi visant à développer les tests individuels et statistiques afin de mettre fin aux discriminations structurelles qui rongent notre République ! Il nous faudra un sursaut collectif, une prise de conscience et, surtout, une volonté de mettre fin à ces pratiques discriminatoires.

Aujourd’hui, cette proposition de loi prévoit de confier à un service placé sous l’autorité du Premier ministre la réalisation de tests de discrimination individuels et statistiques. Ce service serait a priori la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT.

Bien sûr, nous souscrivons à l’objectif du texte. En revanche, ses modalités soulèvent de nombreuses interrogations.

Premièrement, l’article 1er prévoit de confier à la Dilcrah une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination, avec la réalisation de tests individuels et statistiques.

Cet article pose deux problèmes fondamentaux.

Le premier problème est qu’il confie ces missions à un service placé sous l’autorité du Premier ministre, donc à une autorité qui n’est pas indépendante. Inutile de vous rappeler, mes chers collègues, que les services de l’État eux-mêmes discriminent !

Dans son avis, la Défenseure des droits, qui salue le sens du texte, se dit néanmoins clairement défavorable à l’idée de confier de telles compétences à un service de l’État qui ne présente aucune garantie d’indépendance.

Le second problème posé par l’article 1er est la réalisation de tests individuels par ce service.

Nous avons été alertés par de nombreuses associations, vivement opposées à la réalisation de tests individuels par la Dilcrah. Encore une fois, la Défenseure des droits a une expertise ancienne et reconnue dans la réalisation de ces tests. Elle est la plus compétente pour accompagner les victimes de discriminations sur la voie judiciaire, en particulier si l’auteur des discriminations est une administration.

Nous saluons les modifications apportées en commission sur l’initiative de Mme la rapporteure : elles vont dans le bon sens.

Nous souhaitons, en revanche, rétablir l’objectif d’œuvrer « à la correction des situations de discrimination, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés ».

J’en viens à l’article 2, qui créait un comité des parties prenantes. L’effectif de cet organe n’était pas clairement défini et les modalités de nomination de ses membres étaient renvoyées à un décret en Conseil d’État, laissant le flou sur leur nomination, donc leur indépendance. Nous saluons également la suppression de cet article en commission.

L’article 3 prévoyait, quant à lui, la procédure applicable lorsqu’un test statistique révèle des pratiques discriminatoires. Madame la rapporteure, vous avez choisi de supprimer purement et simplement cet article. Nous considérons que c’est un problème.

Évidemment, cet article n’était pas parfait, mais que vaut un texte visant à lutter contre les discriminations dénué de toute sanction ? Rien.

La sanction prévue était déjà très légère pour la personne morale concernée. Vous semblez considérer que les entreprises sont toutes de bonne volonté et prêtes à cesser leurs discriminations via un dialogue informel… C’est malheureusement bien trop idéaliste et éloigné de la réalité et de la pratique !

Bien sûr, un nombre croissant d’entreprises prennent volontairement des mesures pour corriger les biais discriminatoires dans leurs pratiques, parce qu’elles prennent à cœur leur responsabilité sociale ou, plus pragmatiquement, parce qu’elles prennent au sérieux les nombreuses études démontrant que la diversité des ressources humaines est un facteur de réussite économique.

Malheureusement, beaucoup d’autres entités – personnes morales privées ou publiques – n’agissent que si elles y sont contraintes ! Si le droit existant suffisait, les discriminations relèveraient aujourd’hui de l’exception aberrante. Nous savons bien que la réalité est tout autre.

Force est de constater que la pratique du name and shame fonctionne. Elle permet de mettre la pression en amont sur les entreprises, qui développeront leurs bonnes pratiques par peur d’une atteinte à leur réputation. Elle est efficace dans plusieurs domaines.

Aussi proposerons-nous de rétablir l’article 3, en prévoyant, en plus, que le procureur de la République soit informé des infractions constatées et que le montant de l’amende administrative passe de 1 % à 5 % des rémunérations et gains. Nous proposerons également une interdiction complémentaire de candidater aux marchés publics pour les entreprises épinglées qui n’ont pas pris de mesures suffisantes.

Madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous l’aurez compris, l’objectif de ce texte est louable : il s’agit de mieux lutter contre les discriminations. Ces discriminations étant structurelles dans notre pays, il faudra également mieux lutter contre les stéréotypes et les préjugés, ce qui nécessite des mesures bien plus ambitieuses.

Je me joins à Mme la rapporteure pour appeler l’attention du Gouvernement sur l’importance de créer un observatoire indépendant des discriminations.

De notre côté, nous ne voterons cette proposition de loi que si nos amendements visant à améliorer les dispositifs et à assurer une meilleure indépendance des acteurs chargés de lutter contre les discriminations sont adoptés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)