M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants a toujours défendu le droit de grève, qui, comme cela a été souligné, est un droit constitutionnel. Il est primordial de ne pas le remettre en cause.

De la même manière, le groupe Les Indépendants a toujours soutenu l’exigence d’un équilibre avec les autres droits à valeur constitutionnelle. On ne saurait placer l’un de ces droits au-dessus des autres.

À cet égard, cette proposition de loi est bienvenue. Je salue le travail d’Hervé Marseille et celui du rapporteur Philippe Tabarot, dont la mission de trouver un chemin de crête n’était pas évidente. Je me félicite des échanges que nous avons eus en commission. Le sujet est clivant – et il clive. Échanger sur ce sujet participe du processus démocratique ; pouvoir le faire est une chance.

Si le droit de grève doit pouvoir s’exercer, son encadrement le garantit en le rendant acceptable auprès de ceux qui subissent la grève. En ce qui concerne ces derniers, je distingue deux catégories.

La première catégorie est bien entendu celle des usagers, en particulier ceux du train. Ce sont des travailleurs, qui sont empêchés d’aller travailler, ce qui pénalise des PME et des TPE et bafoue le droit d’entreprendre. Ce sont les parents et les enfants de familles recomposées, qui multiplient les trajets, des familles qui ne peuvent pas se réunir, alors que la vie passe et que la nécessité de maintenir les liens familiaux n’a jamais été aussi forte. Ce sont nos enfants, qui vont passer des examens et jouent leur avenir. Ce sont des adultes en reconversion, qui donnent une impulsion nouvelle à leur carrière. C’est la France qui fait Nation.

En outre, n’oublions pas que les transports collectifs sont une force pour mener à bien la transition écologique. Lorsqu’ils ne peuvent plus emprunter les voies ferrées, les usagers se tournent vers la voiture et l’autosolisme.

La seconde catégorie des personnes affectées par l’exercice du droit de grève est celle des salariés non grévistes des services de transport. Notre groupe a souhaité évoquer la situation de ceux qui maintiennent le service minimum dès nos travaux en commission, durant lesquels mon collègue Cédric Chevalier a rappelé les nombreuses conséquences sur leur travail, leurs loisirs, leur image. Ils sont en première ligne du mécontentement des usagers. In fine, l’image de la France s’en trouve également écornée à l’international.

Proposer des ajustements ne remet nullement en cause le droit de grève. Pour rappel, la grève n’est que le résultat d’un dialogue social qui a échoué. Nous sommes pleinement engagés pour préserver le dialogue social et lui permettre d’aboutir.

À cet égard, nous constatons une baisse de la fréquence des grèves dans les entreprises de transport du secteur privé, ce qui prouve bien que le dialogue social peut fonctionner.

Par ailleurs, l’adoption de cette proposition de loi aurait un effet protecteur contre les entreprises étrangères, qui pourraient profiter de l’ouverture à la concurrence et d’un report des voyageurs excédés des conséquences des grèves.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Très bien !

M. Pierre Jean Rochette. Elle permettrait également de mieux employer l’argent du contribuable, sur lequel – il est utile de le rappeler – se répercutent les conséquences financières de la grève.

C’est pourquoi je me réjouis de l’instauration, à l’article 1er, d’un temps de négociation préalable avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives dans les branches.

Ce texte constitue un outil intéressant, riche de tout un train de mesures. La rédaction de l’encadrement du droit de grève adoptée en commission garantit un équilibre susceptible de mettre fin aux abus qui desservent la cause. La division par deux des périodes durant lesquelles le droit de grève serait limité va dans le même sens. La liste des périodes ciblée répond quant à elle aux attentes des Français.

Les autres avancées qui ont été adoptées lors de l’examen du texte en commission apportent de la proportionnalité au droit de grève. Il faut mettre fin aux préavis dits dormants, qui désorganisent les services de transport et ont des répercussions économiques, mais aussi en matière d’image. Faisons grève pour quelque chose !

Aussi, la définition de conditions rendant caduc un préavis déposé et l’instauration d’une période limite d’un préavis déposé me semblent aller dans le bon sens.

De même, il convient de mettre fin aux grèves de 59 minutes qu’endurent un trop grand nombre de nos concitoyens, qu’ils soient usagers ou salariés non grévistes. La prévisibilité des services de transport ne doit pas être un vœu pieux. Ce type de grèves n’a qu’un but : désordonner les services et perturber les usagers qui se rendent au travail et, par conséquent, tout le tissu économique de notre pays.

En outre, ce texte donne aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) la possibilité de faire appel aux personnels indispensables. L’objectif est simple : assurer un niveau minimal de service.

Pour conclure, il convient bien évidemment de préserver le droit de grève, tout en le rendant équilibré et proportionné aux autres droits à valeur constitutionnelle, ce qui in fine renforcera ce droit et son soutien par les Français.

Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte, sauf s’il se trouve, à l’issue de nos débats, vidé de son esprit, de sa substance et de ses objectifs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Dhersin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Franck Dhersin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que notre assemblée est amenée à examiner aujourd’hui touche au cœur de la vie quotidienne de nos compatriotes. En effet, qui peut dire qu’il n’a jamais été affecté par une grève dans les transports ?

Je sais combien le sujet du droit de grève dans notre pays est sensible et combien notre tradition ouvrière et syndicale a permis d’organiser des mouvements sociaux massifs à de multiples reprises.

Pour commencer, avant que certains n’intentent un procès en autoritarisme à la majorité sénatoriale, qui propose des aménagements au droit de grève – aujourd’hui au travers de ce texte d’Hervé Marseille comme il y a quelques années au travers de la proposition de loi du groupe Les Républicains –, j’appelle chacun à raison garder : ce texte, je l’affirme, ne constitue nullement une violation du droit de grève.

La liberté d’exercer le droit de grève, que nous respectons pleinement, est certes un principe constitutionnellement garanti par l’alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946. Toutefois, cet alinéa précise que ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Il revient donc bien au législateur de définir les conditions et les modalités dans lesquelles il est mis en œuvre.

Dans sa décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a posé des limites à l’exercice de ce droit, laissant ainsi au législateur la liberté de tracer ces dernières « en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ». Le Conseil constitutionnel s’est exprimé clairement.

Le droit de grève doit également s’apprécier au regard des restrictions de déplacement qu’il entraîne pour les citoyens, que nous représentons. À ce titre, cette proposition de loi fait œuvre utile en tentant de répondre aux légitimes exaspérations des Françaises et des Français.

Sur toutes les travées de cet hémicycle, nous nous accorderons sans doute sur ce point : il convient de garantir, dans tous les domaines, un dialogue social digne de ce nom. Là où la discussion permet de trouver des voies ou des issues, il faut toujours l’encourager. Néanmoins – cela n’échappe à personne –, pour que le dialogue social réussisse, il faut que toutes les parties en aient la volonté. Or, comme l’a rappelé M. le rapporteur à de multiples reprises, il existe dans le secteur des transports une culture de la grève qui, pour certains, est le point de départ de toute négociation et de toute revendication.

Mes chers collègues, je souligne à mon tour que, depuis 1947, la SNCF a connu des grèves tous les ans : triste record ! Nous savons qu’avant même le début de la compétition notre pays aura gagné la médaille d’or… (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

Je n’entends évidemment pas remettre en cause de manière frontale le droit de grève. Un tel constat peut néanmoins nous conduire à estimer que ce droit, poussé à l’extrême, entraîne des perturbations disproportionnées sur la circulation, compte tenu du grand nombre de personnes affectées et du petit nombre de grévistes qui peuvent en être à l’origine.

On peut légitimement considérer que, dans certaines périodes de pointe comme les fêtes ou les grands départs en vacances, le ratio entre le nombre de voyageurs affectés et le nombre de grévistes est particulièrement élevé. Il ne me paraît donc pas anormal de sanctuariser ces moments, en considérant que le trouble infligé à la collectivité et à l’intérêt général n’est plus proportionné à la défense légitime des intérêts des travailleurs.

C’est tout le sens de l’article unique proposé par Hervé Marseille, qui a été complété par les différents amendements adoptés en commission.

D’autres pays ont trouvé le point d’équilibre que cette proposition de loi tente d’approcher, à l’instar de l’Italie voilà plus de trente ans. J’en suis persuadé : les modifications apportées en commission sont de nature à garantir la constitutionnalité de ce texte. Grâce à elles, nous pouvons converger vers cet équilibre dont nous avons tous besoin.

Qui peut continuer à supporter à toutes les vacances de Noël le même chantage à la grève exercé par certains syndicats ? Quel parent peut accepter de voir son enfant rater un examen au motif que les transports étaient à l’arrêt ce jour-là ? Qui peut comprendre des préavis de grèves dormants déposés jusqu’en 2040 ?

N’ayons pas peur de qualifier ces comportements de dommageables. Les Français, selon les différents sondages d’opinion, ne s’y trompent pas : ils réprouvent ces pratiques, qui mettent à mal l’image de certaines entreprises publiques.

Je pense notamment aux grèves de 59 minutes, ces grèves savamment orchestrées pour désorganiser toute une journée de transports, en vogue dans les transports du quotidien, dont nous avons déjà beaucoup parlé. Il est anormal que les opérateurs ne soient pas en mesure de mettre en place des plans de transport correspondant à la réalité des effectifs présents le jour même. Les désorganisations causées à l’activité sont tout à fait considérables en heures de pointe, au regard du faible temps chômé. Ces grèves courtes, à répétition, sont moins encadrées que les grèves classiques ; elles méritent de l’être davantage.

Le texte remanié en commission permettra précisément d’apprécier la réalité de ces comportements de contestation sociale et d’assurer un meilleur encadrement. Les opérateurs pourront bénéficier d’une information fiable quant aux effectifs présents soixante-douze heures à l’avance, et non plus quarante-huit heures, délai insuffisant pour se préparer efficacement. De même, ce texte fera cesser la pratique des préavis dormants, qui permet de déclencher une grève à tout moment, par surprise, sans aucun lien avec le préavis en question.

Mes chers collègues, n’ayons pas honte de nous mettre au diapason d’autres régulations européennes assurant l’encadrement du droit de grève. Il revient au législateur et à personne d’autre de définir les conditions dans lesquelles ce droit s’exerce. Il ne faut donc pas s’interdire de modifier la loi pour parvenir à un meilleur équilibre entre les intérêts des travailleurs et ceux de la population.

Oui, nous sommes attachés au droit de grève. Oui, le droit de grève est constitutionnel. Oui, ce texte garantit un équilibre entre le droit des salariés et celui des salariés.

Monsieur le ministre, ni notre main ni notre voix ne tremblent en cet instant. Cette proposition de loi est légitime. Non seulement elle est souhaitable, mais elle est attendue par tous les usagers.

Pour l’ensemble de ces raisons, les élus du groupe Union Centriste voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Daniel Chasseing et Vincent Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le texte déposé par M. Retailleau, celui qui a été déposé à deux reprises par M. Le Rudulier et celui qui a été déposé en 2018 par M. Karoutchi, nous examinons une énième proposition de loi s’attaquant de fait au droit de grève.

Comme d’habitude, on s’avance à pas feutrés : faute de pouvoir attaquer frontalement le droit de grève constitutionnel, ou plutôt en attendant de le faire, on se drape dans le droit de voyager, d’assister aux jeux Olympiques ou encore d’aller à son travail ; on défend, surtout, la liberté d’entreprendre sans entraves.

Les articles ajoutés en commission témoignent de la volonté de détricoter le droit de grève : ils allongent le délai de déclaration individuelle, propre à faciliter les pressions de la part de la direction plutôt qu’à relancer le dialogue social ; ils limitent la grève en dehors des heures de pointe, avant – pourquoi pas ? – de ne l’autoriser qu’aux heures creuses.

M. Sarkozy a déjà énoncé cet objectif en 2007 : quand il y a une grève, personne ne doit s’en apercevoir… Pourtant, quand on légifère en niant l’inconstitutionnalité probable des mesures proposées, conçues sans étude d’impact, sans concertation avec les partenaires sociaux et sans aucune intention d’entretenir un dialogue social de qualité, eh bien, cela se voit. Le cas échéant, on verra les effets délétères d’un tel texte, qui cherche à contraindre une seule des parties prenantes. Il sera alors trop tard…

À en croire le Premier ministre, la grève est devenue « une forme d’habitude ». Contrairement à ce qu’il déclare, pourtant, les déclarations de grève, notamment dans le secteur des transports, respectent une procédure très contraignante pour les deux parties.

L’alarme sociale syndicale déclenche obligatoirement une période de dialogue social, à l’issue de laquelle un éventuel constat de désaccord ouvre une seconde phase de négociation de plusieurs jours. C’est seulement après qu’un préavis de grève peut être déposé.

Les faits montrent qu’une minorité d’alarmes se terminent par une grève. Quand c’est le cas, il s’agit bien d’un recours ultime et c’est la marque de l’échec du dialogue social.

Les auteurs de ce texte veulent priver les travailleurs de ce recours ultime, en dédouanant la partie patronale de l’échec constaté et en empêchant que la grève ait un impact ; ils vont jusqu’à proposer la réquisition. Dans ces conditions, pourquoi les directions dialogueraient-elles demain, alors que la grève serait devenue un simple droit en papier ?

Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée des différents textes qui ont porté atteinte au dialogue social en France : les lois Travail successives, qui, depuis 2016, ont supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et concentré les représentants du personnel dans les comités sociaux et économiques (CSE), au détriment du dialogue social de proximité.

La grève, c’est aussi la résistance à la dégradation des conditions de travail. Je pense par exemple à la RATP, où le nombre d’embauches en contrat à durée indéterminée (CDI) s’est effondré, où le nombre de départs a explosé, comme le nombre de journées d’absence pour accident du travail, et où le taux de rotation du personnel atteint désormais 15 %, alors qu’il était avant très marginal.

Cette situation est le résultat des politiques de dégradation d’un service public essentiel pour la population, dont la mission n’est d’ailleurs pas seulement de transporter les voyageurs aux heures de pointe : elle est de garantir l’accès aux services publics, y compris en facilitant les voyages scolaires. Elle est, en somme, d’assurer le droit à la mobilité pour toutes et tous.

Dans ce secteur, la grève n’est donc pas une « forme d’habitude », elle est d’abord la preuve d’un échec du dialogue social.

Les préavis de grève déposés en vue des jeux Olympiques, prétexte au dépôt de cette proposition de loi, sont considérés à tort comme des préavis dormants : s’ils ont été émis, c’est parce que la direction de la RATP s’est contentée de proposer une compensation d’à peine 15 euros à son personnel, à qui elle impose en retour d’être en service pendant cette période d’été avec une présence de 50 % supérieure à la moyenne habituelle.

Face aux propositions indignes formulées de la direction à l’issue d’un dialogue stérile, la droite voudrait empêcher le dépôt d’un préavis de grève, au nom du droit à participer aux jeux Olympiques. Est-ce bien sérieux ?

Il y a des limites à la collusion avec les directions d’entreprise. La non-continuité du service est due avant tout au manque d’investissement, donc de modernisation, au défaut de maintenance, à la baisse des effectifs, in fine à la perte d’attractivité des métiers qu’a entraînée le démantèlement des statuts.

On ne saurait assurer le droit à la mobilité au prix d’une atteinte au droit de grève. Comme les réformes de l’assurance chômage, ce texte a pour seul objectif de fragiliser les capacités de négociations de tous les travailleurs. Les transports collectifs et le droit à une mobilité durable sont un enjeu majeur pour nous, écologistes. Nous sommes bien attachés à la transition écologique, mais par la justice sociale, et non contre elle.

En conséquence, les élus du groupe écologiste voteront contre cette proposition de loi, qui cherche à détricoter le droit de grève. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la seconde fois en moins d’un an, nous voilà invités à légiférer pour remettre en cause l’exercice du droit de grève dans les transports.

La dernière fois, c’était à l’occasion de la grève des contrôleurs aériens ; aujourd’hui, c’est en raison d’un mouvement social mobilisant les contrôleurs de la SNCF que l’on veut porter atteinte à ce droit constitutionnel. Il en va ainsi en France : chaque fois que l’on traverse une zone de turbulences, on légifère.

Quel empressement à remettre en cause le droit de grève, après avoir tant tardé à considérer la situation dont ces mouvements découlent !

En 2022, le TGV affichait un taux de retard de 14,3 %. En 2023, l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST) le soulignait en conclusion de son bilan annuel : « La ponctualité de l’ensemble des services ferroviaires s’est globalement dégradée, que ce soit par rapport à 2019 ou 2021. »

La Cour des comptes dresse le même constat au sujet des transports franciliens. À propos de la ligne B du RER, elle écrit dans un récent rapport : « Il ne se passe pas de semaine sans que des incidents de toute nature fassent l’actualité. »

Ailleurs, en France, la situation est la même. Par exemple, dans mon département, la ligne Bergerac-Bordeaux subit régulièrement des retards ou des suppressions de trains, faute de personnel formé en nombre suffisant.

La majorité sénatoriale veut interdire les grèves aux heures de pointe et pendant les vacances scolaires. Nous, nous voulons des transports qui fonctionnent toute l’année, y compris quand il n’y a pas de grève.

Fret SNCF a dû se soumettre aux injonctions de Bruxelles, mais ni notre assemblée ni sa commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ne se sont emparées du sujet. Nous aurions pourtant pu faire reconnaître le fret ferroviaire d’utilité publique : dès lors, nous aurions pu évaluer les conséquences de la décision gouvernementale de livrer 20 % du chiffre d’affaires de Fret SNCF à la concurrence…

Dans le domaine du transport de voyageurs, nous aurions pu explorer les raisons pour lesquelles il est de plus en plus difficile de réserver des places dans les trains et les facteurs entraînant des difficultés de recrutement.

Au nom de la rentabilité financière, au nom de réformes libérales imposées, on a détruit le statut des cheminots. Par manque de moyens humains et matériels, on a abandonné l’entretien du réseau. Monsieur le ministre, où sont les 100 milliards d’euros annoncés par Mme Borne ? Où en est la promesse d’une nouvelle donne ferroviaire ?

Dans la même logique, on livre à la concurrence le réseau de bus de la RATP, ouvrant ainsi la voie à une privatisation.

Partout où la libéralisation a été mise en œuvre, les conditions de transport des usagers se sont dégradées. Non seulement les tarifs ont augmenté, mais l’état des infrastructures s’est détérioré, entraînant des problèmes de sécurité.

Mes chers collègues, vous le savez bien : les salariés grévistes ne sont pas la cause de tous ces dysfonctionnements, qu’élude ce texte. Aucun d’eux ne fait grève par plaisir. Ils perdent leur salaire pour défendre leur outil de travail et le service public, donc les usagers.

Cette proposition de loi gèle trente jours par an, pendant lesquels ces salariés seraient privés de leur droit de grève. Nous ne sommes pas loin de l’élaboration d’un calendrier fixant les dates auxquelles les salariés des transports seraient autorisés à faire grève !

Ce sont les grèves de 1936 qui ont permis les premiers congés payés, le salaire minimum et l’encadrement du temps de travail. Ce sont les grèves féministes qui ont permis des avancées vers l’égalité entre les femmes et les hommes, progrès dont témoigne la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), récemment adoptée.

Supprimé sous le régime de Vichy, le droit de grève a été constitutionnalisé en 1946 avec l’appui de toutes les forces politiques de l’époque. Évoquer ce droit, c’est convoquer notre histoire. C’est rappeler la conquête d’une liberté absolue, pour laquelle des femmes et des hommes ont sacrifié leur vie. Je pense notamment aux canuts lyonnais et aux mineurs du Nord.

Enfin, permettez-moi de rappeler une évidence : les grèves découlent d’un défaut de négociation en amont. Elles surviennent lorsque telle ou telle question a été mal traitée. Elles éclatent aussi lorsque la démocratie est bafouée, comme ce fut le cas lors de la réforme des retraites, il y a tout juste un an.

Ce texte est une véritable provocation. Il risque de mettre le feu aux poudres, à trois mois des jeux Olympiques, alors même que la majorité des Françaises et des Français sont confrontés à une grave crise sociale.

Nous souhaitons toutes et tous que ces jeux Olympiques soient un succès pour notre pays. Pour autant, ils ne doivent pas servir de prétexte pour porter atteinte aux droits sociaux.

Le droit de grève est constitutif de notre démocratie et de notre République. En refusant de voter ce texte, mes collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky et moi-même apportons tout notre soutien et exprimons tout notre respect aux syndicats, à tous les grévistes qui se sont mobilisés par le passé et à celles et ceux qui le feront encore pour défendre le progrès social et écologique, ainsi que les droits des travailleuses et travailleurs de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conciliation du droit de grève et des autres droits et principes constitutionnels auxquels il peut porter atteinte suscite régulièrement des débats nourris et passionnels. Cela étant, son exercice fait face à de nouveaux défis, qu’il s’agisse d’atténuer l’impact nuisible des grèves – c’est précisément ce que l’on nous propose aujourd’hui – ou de mieux asseoir la légitimité de l’action syndicale.

Le droit de grève constitue un mode légal d’expression des conflits sociaux. En ce sens, sa réglementation engage le choix d’un modèle d’État social.

S’il en résulte des particularismes, son affirmation comme droit de l’homme et droit constitutionnel n’a fait que s’atténuer, notamment sous l’influence d’une interprétation extensive de l’intérêt général et de considérations d’ordre public.

Notre rôle, en tant que législateur, est de garantir le respect des droits d’action collective des travailleurs sans faire obstacle aux nécessaires évolutions de leur régime pour accompagner les mutations du monde économique. Il nous revient, en définitive, d’assurer l’efficacité de ces droits.

Pourtant, la nature particulière du droit de grève, que consacre le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, fait spontanément penser à la définition de ce droit comme pouvoir de nuisance qui « vient contrarier, bousculer, contredire les autres droits ».

Les auteurs de cette proposition de loi prétendent concilier le droit de grève et les autres droits et principes constitutionnels auxquels il peut porter atteinte : là est toute l’ambiguïté de ce texte. En effet, en réduisant les nuisances qu’elles provoquent, on risque fort de mettre à mal les grèves dans leur principe même.

Ces mesures, avant tout épidermiques, manquent selon moi de proportionnalité. Il me semble plus raisonnable de laisser de côté l’affichage politique pour rechercher une position d’équilibre à même de concilier le droit de grève et les autres droits et principes constitutionnels auxquels il peut porter atteinte. On ne saurait évidemment pas envisager la suppression pure et simple de l’exercice de ce droit, quand bien même elle serait circonscrite à certaines périodes. Pour les élus du groupe RDSE, il s’agit là d’une ligne rouge.

Mes chers collègues, la grève représente un moment particulier du dialogue social. Elle est décidée en dernier ressort, en cas de rupture des négociations. Voter ce texte, c’est retirer aux salariés d’importants outils ; c’est les empêcher de peser dans la négociation collective.

Si les outils des uns sont disproportionnés par rapport à ceux des autres, le système s’effondre. On peut aboutir à des dérives, notamment à des détournements de l’exercice du droit de grève, que ce texte cherche justement à encadrer.

Nous sommes également conscients que la grève doit rester un droit collectif et revendicatif, non un droit détourné à titre personnel ou catégoriel.

Le droit de grève est bel et bien reconnu ; mais le législateur n’en a pas moins le pouvoir d’y apporter les limitations nécessaires afin d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle.

En ce sens, cette proposition de loi a au moins ce mérite : elle donne un début de réponse aux contournements du dialogue social que trahissent les recours abusifs aux préavis dormants et aux grèves dites de 59 minutes. Les désordres que ces grèves infligent à la marche du service public sont manifestes et disproportionnés.

Préserver l’exercice licite du droit de grève doit être notre priorité, dans un contexte marqué par de grandes mutations. Ces dernières sont non seulement techniques, mais aussi socioéconomiques. En parallèle, nous devons faire face à une conflictualité sous-jacente : à mon sens, ces facteurs sont plus décisifs que la nature même du droit de grève.

En tant que législateurs, nous devons veiller à ce que ce droit soit entouré de toutes les garanties inhérentes à son inscription dans notre texte fondamental, sans perdre de vue cette possibilité que le constituant nous a attribuée : faire évoluer sa mise en œuvre en fonction des mutations socioéconomiques.

Ce travail passera par un dialogue social renforcé, peut-être même plus en amont encore, et par une meilleure application des textes existants, mais certainement pas par la suppression, même transitoire, de ce droit constitutionnel.

En ce sens, nous devons promouvoir la négociation en lui accordant le temps qu’elle exige ; cette négociation est, selon moi, un élément clé de consensus dans notre paysage national, réputé très conflictuel.

Optons pour un modèle de régulation sociale sans atteinte disproportionnée à nos droits constitutionnels. Ne soufflons pas sur les braises du mécontentement, dans un contexte social tendu, à la veille des jeux Olympiques et Paralympiques. Rouvrir le débat législatif sur l’exercice du droit de grève sans concertation préalable avec les partenaires sociaux, sans étude d’impact, ne serait-ce pas émettre un signal fort, préfigurant l’encadrement encore plus strict du droit de grève ?

Les élus du groupe RDSE en restent convaincus : le défi, en la matière, est de trouver de nouvelles formes d’expression de l’action collective des travailleurs. Ces dernières doivent être respectueuses des droits d’autrui et préserver leur efficacité. Or la suppression du droit de grève n’est pas de nature à concilier la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général, auquel la grève peut être de nature à porter atteinte.

Les membres du groupe RDSE voteront à une large majorité contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et GEST. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)