M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, j’entends votre émotion liée aux fermetures de classes à Paris, mais je voudrais vous rappeler l’exigence d’équité territoriale : je sais distinguer la réalité humaine de celle des chiffres, mais le fait est que, dans le premier degré, Paris a le meilleur taux d’encadrement de France, et de très loin ! Il est meilleur qu’en Corse.

Or nous sommes évidemment tenus par la nécessité d’assurer une équité entre l’ensemble des élèves de notre pays, tout en prenant en compte la singularité de chacun des territoires. C’est d’ailleurs pour cela que je ne parle pas d’égalité, car s’appuyer sur cette notion pourrait avoir des conséquences douloureuses.

En ce qui concerne Paris, les élus ont été associés aux travaux qu’a conduits l’académie. J’ai reçu des parents d’élèves, notamment des XVIIIe et XIXe arrondissements, et je sais que certaines situations méritent d’être regardées : c’est ce que nous faisons dans le cadre des politiques d’éducation prioritaire et de l’attention qui doit être portée aux élèves en situation fragile.

Voilà ce que je voulais vous dire, madame la sénatrice. Nous essayons de maintenir entre les territoires une équité, ce qui me semble tout à fait indispensable.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, pour la réplique.

Mme Agnès Evren. Merci, madame la ministre, pour votre réponse. Nous savons bien que trop de déterminisme social pèse encore sur le système éducatif. L’objectif était de ne pas dépasser vingt-quatre élèves par classe ; or nous sommes à vingt-huit.

Si l’on se donne pour ambition de relever le niveau général de nos élèves, il faut de la vigilance et du discernement pour les arrondissements considérés comme plus fragiles.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. L’article 25 de la loi pour une école de la confiance impose de comptabiliser dans les effectifs des établissements scolaires les élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif Ulis. Cette disposition a été introduite par amendement au Sénat.

Depuis 2019, les élèves bénéficiant dudit dispositif doivent systématiquement être pris en compte dans les effectifs globaux des écoles. Pourtant, force est de constater que, depuis cinq ans, cette disposition légale est loin d’être appliquée dans tous les établissements.

C’est notamment le cas pour une école primaire des Sables-d’Olonne. Dans un courrier adressé aux parents d’élèves, il est indiqué que « le handicap des élèves orientés en Ulis ne permettant pas d’envisager une scolarisation individuelle continue dans une classe ordinaire, ils ne sont pas comptabilisés dans la masse globale de l’école, mais sur la base d’un groupe de douze ».

Cette affirmation est alarmante, parce que les élèves Ulis de cet établissement passent plus de 80 % de leur temps scolaire dans leur classe aux côtés de leurs camarades et que la loi n’est pas appliquée – il lui est substitué une circulaire obsolète datant de 2015 !

La perspective de voir des classes surchargées suscite chez les parents d’élèves et les enseignants des inquiétudes et une colère légitimes.

L’article L. 351-1 du code de l’éducation a plusieurs fois été clarifié par le ministère de l’éducation nationale. Le caractère obligatoire de la prise en compte des élèves Ulis dans les effectifs globaux a été confirmé. Cette application de la loi, à géométrie variable en fonction des départements et des régions, n’est donc pas acceptable.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour remédier à ce système de comptage illégal et faire enfin appliquer la loi que nous avons votée ici même en 2019 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous soulevez une question récurrente. Vous avez rappelé la règle, vous l’avez adoptée ici même et elle est claire : les élèves Ulis doivent être comptabilisés dans les effectifs des classes, tant dans le premier que dans le second degré.

Vous avez eu raison de rappeler que la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance qu’avait défendue mon prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, a modifié l’article L. 351-1 du code de l’éducation en y introduisant l’obligation de comptabiliser dans les effectifs de l’école ou de l’établissement scolaire les élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif Ulis.

La règle est tout à fait claire, mais je vous rejoins sur le fait que, dans certaines académies, il arrive qu’elle ne soit pas appliquée de manière conforme à la loi.

Même si plusieurs rappels ont déjà été faits, je vais reprendre mon bâton de pèlerin, peut-être par missive interposée, pour rappeler de nouveau la règle et redire la manière dont doivent être comptés les élèves qui bénéficient d’un dispositif Ulis.

Toutefois, nous estimons qu’à ce jour ces problèmes de comptabilisation ne subsistent que pour quelques cas résiduels – Les Sables-d’Olonne en font peut-être partie… Toujours est-il que je m’engage à attirer l’attention des services académiques et départementaux sur la nécessité d’une comptabilisation correcte.

Je voudrais tout de même rappeler, pour que les choses soient claires, qu’un dispositif Ulis bénéficie d’un enseignant spécialisé en plus et d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires, qui vont prendre en charge les élèves pendant un temps donné, hors de la classe ordinaire. Cela ne change rien au fait qu’il faut respecter l’article L. 351-1 du code de l’éducation.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Madame la ministre, à la rentrée 2023, la balance entre les ouvertures et les fermetures de classes faisait apparaître la suppression de 2 250 classes. Ce chiffre alarmant sera également atteint, sinon dépassé, pour la rentrée prochaine.

Partout dans le pays, parents d’élèves, syndicats, personnels scolaires et élus se mobilisent contre ces fermetures, qui vont amplifier la dégradation de l’enseignement et l’abandon de territoires ruraux, ainsi que de quartiers prioritaires.

En Loire-Atlantique, quatre-vingt-sept classes sont menacées de fermeture. Comment ces dernières sont-elles décidées ? Quelles sont les bases de calcul ?

Ces fermetures semblent parfois s’appuyer sur des chiffres en décalage avec les remontées faites aux autorités académiques par les directions d’établissement. Dans mon département, par exemple, une classe de quatrième du collège Auguste Mailloux du Loroux-Bottereau est menacée de fermeture sur la base de chiffres faisant disparaître seulement quelques élèves.

Dans le secondaire, ces arbitrages sont assumés par les chefs d’établissement et les cadres de l’éducation nationale, qui doivent faire des choix difficiles entre des activités et des fermetures de classes – ils se retrouvent en quelque sorte entre le marteau et l’enclume…

L’on sait que le taux d’encadrement est particulièrement élevé en France par rapport à d’autres pays de l’Union européenne. Qu’est-ce qui justifie d’augmenter les effectifs par classe, alors que l’on constate une augmentation constante des troubles du comportement et du nombre d’enfants en situation de handicap non accompagnés, abandonnés aux familles sans solution de scolarisation, que le nombre des classes Ulis est insuffisant et que le décrochage scolaire et la phobie scolaire progressent ?

Les familles et les enseignants vous alertent, ils nous alertent, ils ne se sentent pas écoutés. Par le dédoublement des classes dans certaines zones, vous reconnaissez que les effectifs réduits sont un plus pour l’enseignement. En parallèle, les effets du dédoublement font que moins de professeurs sont disponibles pour d’autres zones, notamment dans la ruralité.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Karine Daniel. Les maires sont exposés. Nous demandons que des rééquilibrages soient opérés, que ces fermetures massives soient stoppées et que l’on reprenne la carte pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je ne reviens pas sur la méthode, que j’ai déjà évoquée.

Votre département a perdu presque 1 500 élèves à la rentrée 2023 et il en perdra encore 700 à la rentrée 2024. Il devra donc rendre 25 postes et il y aura 87 fermetures et 39 ouvertures – ce dernier chiffre n’est pas négligeable.

L’observatoire des dynamiques rurales s’est réuni au mois de janvier. Des réflexions ont été partagées, sachant que près de 22 % des communes de votre département sont rurales, ce qui est tout à fait important. Un dialogue s’est instauré avec les élus et les représentants des personnels et une attention particulière a été apportée à des écoles rurales isolées.

Je ne vis pas dans votre département et je vous donne les informations que l’on m’a transmises : cette attention portée à des écoles rurales isolées s’est traduite, pour la rentrée 2024, par le maintien en l’état de structures, en dépit d’effectifs très faibles. Par exemple, cinq fermetures n’ont pas été prononcées dans des écoles de six classes ou moins, alors qu’elles auraient pu l’être si l’on avait choisi une réponse purement arithmétique.

Je rappelle en outre qu’en tout état de cause une phase d’ajustement permet toujours, au mois de juin, de faire évoluer la situation.

Madame la sénatrice, j’entends ce que vous me dites et j’espère que la méthode que nous mettrons en place à partir de l’année prochaine nous permettra de mieux appréhender encore les différentes situations afin d’atteindre nos objectifs communs.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Ce débat est bienvenu tant nos territoires ruraux – le Cantal en est une parfaite illustration – sont en attente de réponses concernant la rentrée scolaire de septembre. L’espoir est faible, surtout après avoir entendu vos propos introductifs déconnectés de la réalité de terrain, mais il est encore là, avant, s’il était déçu, de laisser place à la seule colère.

Surtout, ne me répondez pas au regard du taux d’encadrement ou des moyens budgétaires ! Ce n’est pas le débat. Nous pouvons redéployer des moyens humains qui ne sont pas devant des élèves et nous ne pouvons pas, dans nos territoires de montagne, raisonner en termes de P/E, le ratio donnant le nombre de postes d’équivalents temps plein (ETP) pour cent élèves.

Le dispositif France Ruralités devait permettre d’instaurer un réel dialogue et d’inscrire enfin la préparation de la carte scolaire dans une perspective pluriannuelle pour sortir du psychodrame qui se joue chaque année, ruinant les efforts des communes et mettant à mal enseignants, parents et élèves. Il n’en a rien été.

En conséquence, madame la ministre, ma question est simple : allez-vous respecter la parole du Gouvernement et, dans l’attente, mettre en œuvre un moratoire pour éviter toute suppression de classe non concertée à la rentrée prochaine ? C’est une question de respect et de confiance. C’est une question démocratique d’aménagement du territoire, qui dépasse la seule question pédagogique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, puisque je suis complètement déconnectée du terrain, je vais vous donner une réponse qui, forcément, ne vous satisfera pas…

Malgré tout, je voudrais ici faire remarquer que l’observatoire des dynamiques rurales s’est bien réuni dans votre département, et cela à deux reprises : le 18 décembre 2023 et le 12 janvier 2024. L’inspectrice d’académie et le préfet ont ainsi pu présenter un certain nombre d’éléments.

Monsieur le sénateur, je ne raisonne pas uniquement en termes de chiffres. Pour moi, ce sont des indicateurs et ils ne traduisent pas une politique qui, par définition, doit être humaine. Je voudrais tout de même en utiliser un pour votre département : après les retraits et les implantations de classe qui auront lieu l’année prochaine, le nombre d’élèves par classe sera de dix-sept. J’ajoute qu’aucune école ne comptera plus de vingt élèves par classe.

M. Jacques Grosperrin. Il faut tenir compte de la distance !

Mme Nicole Belloubet, ministre. Je le redis, aucune école du Cantal n’aura plus de vingt élèves par classe.

Je peux comprendre qu’à tel ou tel endroit il y ait des difficultés et je redis clairement, monsieur le sénateur, que je souhaite vraiment qu’un dialogue s’instaure. Mais celui-ci doit s’appuyer sur un partage des chiffres, notamment démographiques, dans une vision prospective ; il doit aussi être cohérent avec les politiques de l’État. C’est un point essentiel pour que nous puissions dessiner ensemble les perspectives d’avenir de tel ou tel territoire – ce n’est d’ailleurs pas nécessairement au niveau départemental que les choses peuvent se dessiner au mieux.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je ne voulais pas vous offusquer, madame la ministre, mais alors que vous parlez de cohérence, de dialogue et de concertation, je suis désolé de vous dire qu’il n’y a rien de tout cela !

Pis, il y a rupture totale de la confiance, puisque les communes qui ont joué le jeu du dialogue, de l’anticipation, des regroupements pédagogiques ou des réseaux territoriaux d’éducation prioritaire sont concernées de la même manière par les coupes brutales qui tombent sur notre département.

J’entends votre argument sur les dix-sept élèves par classe, mais si vous vouliez nous mettre à vingt-quatre, je vous y encouragerais : vous pourriez sans doute récupérer quatre-vingt-cinq postes dans le département du Cantal !

Mais la réalité de nos territoires de montagne, c’est l’éloignement, la distance. Tout à l’heure, j’entendais parler de fracture et de sélection sociales, mais chez nous c’est la fracture et la sélection territoriales ! Il faut que vous l’entendiez, madame la ministre.

Et cela dépasse le seul cadre scolaire : l’ensemble des services publics sont concernés. France Ruralités, qui devait apporter des réponses, est une très grande déception. C’est pourquoi je vous demande, d’ici au mois de juin, de nous écouter et d’envoyer des signaux à notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Allez dans le Cantal, madame la ministre !

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury.

M. Hugues Saury. Madame la ministre, à la rentrée prochaine, quatre-vingt-cinq classes fermeront dans le Loiret ; elles viendront s’ajouter aux cinquante-sept de l’année précédente.

Parmi les écoles concernées, beaucoup se situent en zone rurale. Si l’on ne peut contester une baisse des effectifs sur l’ensemble du territoire, il n’en reste pas moins que ces fermetures suscitent l’incompréhension et la colère, car l’école est souvent l’un des derniers services de proximité présents dans la commune.

C’est pour cela que de nombreux élus de nos territoires ruraux investissent considérablement pour apporter les meilleures conditions de travail aux élèves. Ainsi, ils font l’effort financier nécessaire pour mettre leur école aux normes et préserver ce service public essentiel à la vie de leur village.

Or ces fermetures privent les territoires ruraux de perspectives d’implantation de nouvelles familles et nuisent à l’attractivité de la commune.

La logique, essentiellement comptable et statistique, qui guide chaque année les travaux de la carte scolaire aboutit à un déséquilibre dans le primaire entre, d’une part, la poursuite – louable – du dédoublement des postes en zone urbaine dense et, d’autre part, l’accélération des suppressions de classes en milieu rural, alors même que les indices de positionnement social y sont souvent très dégradés.

Pour ces différentes raisons, il paraît urgent de mettre en place un moratoire sur les fermetures de classes en zone rurale, et ce afin de préserver l’égalité des chances et le droit de bénéficier d’une école de proximité – un droit fragilisé dès lors que des contraintes excessives de déplacement sont imposées aux familles.

Madame la ministre, êtes-vous prête à envisager une modulation plus large des critères de la carte scolaire en milieu rural afin d’éviter des fermetures et de préserver ainsi la survie des territoires ruraux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, il est un élément que je n’ai pas encore évoqué : toutes les évaluations montrent que les élèves des territoires ruraux réussissent globalement mieux – cela montre l’intérêt de ces écoles. Leurs résultats aux examens sont plutôt supérieurs à la moyenne nationale et nous pouvons nous en féliciter.

Il nous faut travailler sur l’orientation de ces élèves. Il existe en effet des freins dans leurs choix d’orientation – nous en avons parlé –, notamment l’éloignement. Et je réponds aussi, par là même, à M. Sautarel : j’ai parfaitement conscience que nous devons prendre en compte la question de l’éloignement, que ce soit pour le Cantal ou pour d’autres territoires ; c’est d’ailleurs pour cela que les dotations académiques intègrent des indices liés à cette question.

Je le redis, si les élèves de la ruralité réussissent plutôt mieux, nous devons faire attention aux questions liées à l’orientation pour lever les freins qui existent aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons développer et encourager toute une série de dispositifs que j’ai évoqués voilà quelques instants comme, par exemple, les territoires éducatifs ruraux, qui permettent, au-delà même des enseignements, de déployer tout un parcours pour les élèves, y compris d’un point de vue culturel ou pour leur orientation, et cela en lien avec plusieurs établissements.

Nous souhaitons également développer les internats d’excellence ruraux, des crédits étant inscrits dans la loi de finances à cet effet, ainsi que les cordées de la réussite, un dispositif que vous connaissez sans doute et qui est destiné aux collégiens et aux lycéens en éducation prioritaire de zones rurales et isolées. Ce dispositif fonctionne remarquablement bien. Nous souhaitons enfin travailler sur le raccordement à l’internet à haut débit.

Tout cela pour vous dire que nous tenons compte des questions d’éloignement et de positionnement pour essayer de donner les meilleures chances à nos élèves dans les zones rurales.

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.

M. Hugues Saury. Madame la ministre, j’entends vos arguments, mais ce n’est pas vraiment ce que je constate dans mon département. Il existe un traitement différencié, personne ne peut le nier, entre l’écolier urbain et l’écolier rural. Je considère qu’il s’agit d’une injustice scolaire, sociale, territoriale. Selon l’Insee, un tiers de la population française vit en milieu rural, où il y a moins ou pas de services, privés ou publics, de médecins, d’écoles, et où les déplacements sont difficiles.

Savoir lire, écrire, compter, respecter est une priorité ; la survie de nos écoles de campagne en est également une. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.

M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, la pédagogie étant l’art de la répétition, ne nous gênons pas ce soir… (Sourires.)

Je vous épargnerai l’énumération de toutes les communes de mon département de l’Allier auxquelles, cette année encore, on a annoncé la suppression de postes d’enseignant ou la fermeture de classes. C’est un fait incontestable : depuis soixante ans, l’Allier perd des habitants et sa population vieillit.

Pour autant, faut-il continuer indéfiniment à fermer des classes pour accompagner ce mouvement ? Nous ne pouvons nous y résoudre.

Il y a en France une vingtaine de départements très ruraux qui, malgré le travail remarquable des élus pour maintenir l’activité, perdent de la population chaque année. Leur situation particulière doit résolument vous alerter.

En comparaison, beaucoup d’efforts et de crédits ont été déployés dans les zones urbaines avec la politique de la ville et ses quartiers prioritaires. Loin de moi l’idée d’opposer banlieues et campagnes, mais la ruralité aussi concentre beaucoup de secteurs défavorisés.

C’est pourquoi je vous demande, madame la ministre, de mettre en place l’équivalent des quartiers prioritaires de la politique de la ville pour la ruralité, avec des moyens importants alloués à l’école. Dans ces zones fragilisées, les postes d’enseignants doivent être préservés. C’est une mesure d’égalité républicaine pour donner à ces enfants les mêmes chances que ceux des autres territoires.

Vous l’aurez compris, je souhaite que « QPV » puisse aussi bien signifier « qualité pour nos villages » que « quartier de la politique de la ville ».

M. Bruno Rojouan. Avec les associations de maires, nous vous demandons de mettre en place un moratoire de trois ans sur les suppressions de postes dans la ruralité. C’est une garantie minimale que vous pouvez donner à ces territoires, dont on parle peu, mais qui ont tant de besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, je vais être très claire : il m’est impossible d’installer un moratoire durant trois ans. Je l’ai dit d’emblée, je suis prête à changer la méthode, à dialoguer, à donner, en matière de carte scolaire, des réponses cohérentes avec des politiques publiques et des actions que voudraient conduire l’État ou des maires. Cependant, je ne peux ici m’engager à renoncer à toute fermeture pendant un temps. Je vous mentirais si je vous disais le contraire.

J’y insiste, je vais m’atteler à installer un dialogue sérieux à même d’engager l’ensemble des services du ministère de l’éducation nationale, notamment les inspections académiques.

Vous soulevez l’idée de dessiner des quartiers de la ruralité sur le modèle des quartiers de la politique de la ville. J’ai envie de dire que ce que nous construisons autour des territoires éducatifs ruraux a un peu la même vocation, sans avoir exactement les mêmes modalités. En effet, l’idée est bien d’arriver à stabiliser sur un territoire un nombre suffisant d’élèves, d’être attentif à l’évolution des effectifs, si possible en offrant des perspectives de parcours, qu’il s’agisse de parcours culturels, éducatifs, sportifs, d’orientation.

Nous ne pouvons dupliquer strictement le dispositif des QPV, d’autant que les résultats obtenus dans les écoles rurales ne le justifient pas forcément. Cependant, je le répète, autour des territoires éducatifs ruraux, nous avons la même ambition d’accompagner les résultats de nos élèves.

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. J’allais dire : « Ah ! Le fameux taux d’encadrement mis en avant pas les ministres de l’éducation nationale successifs… »

Mme Nicole Belloubet, ministre. Je n’en ai pas parlé ! (Sourires.)

M. Bruno Rojouan. Mais c’est un cercle vicieux : comment attirer de nouvelles populations, notamment de jeunes familles, s’il n’y a pas d’école ? Tel est le défi à relever dans ces territoires.

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, ancrée dans l’espace du Rhin supérieur, l’académie de Strasbourg soutient le développement du bilinguisme, avec, pour des raisons historiques, géographiques, culturelles, linguistiques et économiques, une priorité donnée à l’enseignement de l’allemand.

Je souhaite évoquer les effets de bord de cette politique à la fois sur la carte scolaire et sur le budget des communes de ce territoire, en prenant l’exemple du regroupement pédagogique concentré (RPC) de Ferrette, dans le Jura alsacien, qui illustre bien les problèmes auxquels sont confrontées nos collectivités.

L’école de Ferrette, qui réunit sept communes, propose à la fois un enseignement bilingue et monolingue, et un accueil périscolaire de sept heures quinze à dix-huit heures trente, qui drainent de nombreux élèves originaires de communes voisines qui, elles, ne font pas partie du syndicat scolaire.

En tant qu’élue de ce territoire, on attire mon attention sur les conséquences de cette attractivité, qui met actuellement en péril le précaire équilibre budgétaire des communes membres du syndicat, puisque celles-ci prennent à leur charge exclusive l’intégralité des frais de fonctionnement du RPC, alors qu’un tiers des élèves qui y sont scolarisés n’y résident pas.

Pour rappel, les communes de résidence ne sont pas tenues de contribuer à la prise en charge des frais de fonctionnement des écoles publiques bilingues hors de leur territoire si elles ne le souhaitent pas. Et dans la grande majorité des cas, elles ne contribuent effectivement pas, arguant du fait – et on les comprend – qu’elles financent déjà le fonctionnement de leur propre école et qu’elles ne se voient pas payer pour des élèves scolarisés ailleurs, sachant que cet exode entraînera de facto des fermetures de classes, voire d’écoles, sur leur territoire.

Madame la ministre, ma question est simple : que faire pour soulager les communes membres de ce type de syndicat sans mettre en péril l’équilibre de la carte scolaire du secteur ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Sabine Drexler, pour être franche, je ne suis pas certaine d’avoir la réponse à votre question.

Si je comprends bien, du point de vue scolaire, la commune de Ferrette présente deux caractéristiques. D’une part, elle accorde une attention prononcée au bilinguisme, ce qui se comprend tout à fait dans cette région. Cela s’est traduit par la création d’un RPC, qui me semble très dynamique et apporte une réelle plus-value à l’enseignement. D’autre part, on y constate une déprise démographique, comme dans toute la zone du Sundgau.

Le RPC attire les élèves des communes limitrophes intéressés par le bilinguisme. Mais les maires de celles-ci, déçus de voir leurs effectifs scolaires diminuer au profit du RPC, refusent de contribuer aux charges induites.

L’État n’a évidemment pas les moyens d’imposer une contribution desdites communes à la mise en place de ce RPC, qui a vocation à accueillir jusqu’aux limites de ses capacités. Je crois donc qu’un dialogue entre maires doit s’installer. Je pense plus particulièrement à l’observatoire des dynamiques rurales, dont nous avons déjà parlé, qui me semble être le lieu idoine pour qu’un tel dialogue s’engage entre les édiles, en présence de l’État et des services académiques. C’est en tout cas l’espoir que je forme pour ce RPC, qui mérite d’être soutenu.

Conclusion du débat