Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Favreau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Favreau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui a pour objet de proroger les effets de la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété, dont les dispositions doivent normalement prendre fin le 31 décembre 2027. Ce texte concerne très majoritairement la situation cadastrale de biens immobiliers situés en Corse.

Un bref rappel historique s’impose. La Corse a connu, de 1801 à 2012, un droit spécifique dispensant les héritiers de déclarer les successions, ce qui a eu pour effet non seulement d’exonérer ceux-ci des droits de succession, mais également de créer de nombreuses indivisions, inconnues de l’administration du cadastre et, par suite, des services fiscaux.

Cette dispense procédait d’abord du peu d’intérêt que revêtaient les successions, en raison de la mauvaise qualité des terres en Corse, qui leur ôtait toute valeur agricole, et surtout de la malaria, qui rendait pratiquement inutilisables les terrains proches de la mer. Elle découlait également de la volonté du Premier consul, Corse de naissance, de ne pas aggraver la pauvreté des habitants de l’île ; ce consul – vous l’aurez compris – n’était autre que Napoléon Bonaparte.

Cette évocation historique m’invite à ouvrir une parenthèse pour saluer l’un des juristes dont les statues dominent nos débats : Portalis, le père du code civil français. C’est bien à cette époque que fut élaboré ce document d’une clarté parfaite, qui a fait du droit français ce qu’il est aujourd’hui. Certes, il subsiste en grande partie ; néanmoins, de nos jours, le droit dans son ensemble et, singulièrement, le droit réglementaire, sont malheureusement devenus très abondants et posent aux juristes quelques difficultés de lecture…

Mais revenons-en à notre sujet ! Un arrêté a donc été pris le 21 prairial an IX – le 10 juin 1801 pour les non-initiés –, arrêté qui a rapidement pris le nom de son auteur, M. Miot, alors administrateur général de la Corse, devenant ainsi « l’arrêté Miot ».

Presque deux siècles plus tard, cette situation a été confirmée et même aggravée par un arrêt de la Cour de cassation du 2 janvier 1992. La Cour y considérait que, faute de base légale de calcul, les droits de succession ne pouvaient pas être recouvrés. Dès lors, en Corse, même quand les successions étaient déclarées, la mutation des biens n’était pas taxée.

C’est pour faire cesser cette anomalie qu’a été adoptée en 2017 la loi précitée, censée permettre aux propriétaires ou possesseurs concernés de régulariser leur situation. Était ainsi prévue une exonération de moitié des taxes pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2027, les successions devant être taxées au tarif ordinaire à compter du 1er janvier 2028.

La proposition de loi qui nous est présentée vise à proroger de dix ans, jusqu’au 31 décembre 2037, la mesure incitative de réduction de moitié des droits de succession.

En effet, on est encore loin de l’objectif de régularisation, le retard étant dû essentiellement à la durée nécessaire pour reconstituer les titres de propriété. Le nombre de régularisations effectuées s’établit environ à 100 000 ; il en resterait 300 000 à réaliser.

En présence d’indivisions, la reconstitution des titres de propriété n’est en effet pas toujours aisée. Les défauts de déclaration antérieurs et l’existence de nombreuses indivisions rendent difficile la reconstitution des titres.

La seule réduction de moitié des droits de succession peut dès lors paraître insuffisante pour inciter à la mise en œuvre de cette tâche, généralement confiée à un notaire, éventuellement associé à un géomètre, professionnels dont le travail doit bien évidemment être rémunéré.

Dans ces conditions, la réticence des propriétaires dépourvus de titres à déclarer une succession susceptible de leur occasionner des frais trop importants est compréhensible.

Nous en déduirons que la prorogation de dix ans demandée aujourd’hui par cette proposition de loi apparaît justifiée ; pour ma part, je la voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la secrétaire dÉtat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Corse se trouve dans un désordre cadastral et foncier très particulier. En 2016, il était estimé que 35 % des parcelles cadastrées y étaient enregistrées comme appartenant à des propriétaires décédés.

Cet état résulte de l’application, durant plus de deux siècles, d’un régime d’imposition des successions de biens immobiliers dérogatoire au droit commun.

L’arrêté Miot de 1801, dont le principe était l’absence de sanction en cas de défaut de déclaration de succession, porte une large part de responsabilité dans cette situation inextricable de désordre foncier.

Aussi, le retour au droit commun et à une taxation identique à celle applicable sur le reste du territoire national en matière de successions apparaît indispensable, d’autant que les difficultés rencontrées s’avèrent lourdement préjudiciables : d’une part, les propriétaires ne sont pas en mesure de jouir totalement de leurs droits ; d’autre part, les pouvoirs publics ne peuvent pas pleinement recouvrer l’impôt.

Face à cette situation de profonde insécurité juridique, la loi du 6 mars 2017 est venue apporter une réponse concrète au désordre de la propriété en six articles, dont les cinq premiers se rapportent à la Corse ou à l’ensemble du territoire national.

L’article 1er consacre le recours aux actes de notoriété acquisitive notariée ; l’article 2 assouplit les règles de majorité applicables en matière d’indivision.

Les articles 3 à 5 comportent, quant à eux, des dispositions de nature fiscale. L’article 3 prévoit notamment une exonération de droits à hauteur de 50 % de la valeur de l’immeuble lors de la première mutation à titre gratuit d’un bien nouvellement titré ; l’article 4 proroge de dix ans l’exonération partielle de droits de succession applicable aux immeubles situés en Corse ; enfin, l’article 5 rétablit, jusqu’en 2027, l’exonération des droits de partage de succession sur les immeubles situés en Corse, qui avait existé entre 1986 et 2014.

Les dispositions de ces articles doivent expirer au 31 décembre 2027.

Si, sept ans après sa promulgation, cette loi présente des résultats très encourageants, il apparaît toutefois nécessaire d’en poursuivre l’application : plus de 300 000 parcelles appartiennent encore à des propriétaires présumés décédés – le chiffre est considérable ! Le travail de reconstitution des titres semble donc loin d’être terminé.

Aussi, je tiens à saluer l’excellente initiative de notre collègue Jean-Jacques Panunzi, dont la proposition de loi vise à proroger de dix ans les dispositions contenues aux articles 1er à 5 de ladite loi, lesquelles s’appliqueraient donc jusqu’au 31 décembre 2037.

Avant de conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, M. André Reichardt, et à saluer la qualité de ses travaux.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, conscient de l’enjeu que représentent l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété pour le développement de la Corse, le groupe Les Indépendants est convaincu de la nécessité de poursuivre le mouvement vertueux de titrement du foncier ainsi engagé ; il votera donc à l’unanimité en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – MM. Gilbert Favreau et Jean-Jacques Panunzi applaudissent également, ainsi que Mme la secrétaire dÉtat.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parler des spécificités de la Corse n’est ni un vain mot ni un péché d’autocentrisme – la proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Panunzi l’illustre à bien des égards.

En 1801 déjà – la Corse, trente années plus tôt, avait été rattachée à la France non par la vertu du droit, mais par la force des armes –, notre île se vit appliquer une législation d’exception, adaptée à sa situation économique et géographique, ainsi qu’à l’inexistence d’un marché foncier. Un droit spécifique, appuyé sur le constat de ces particularités et conçu par l’administrateur André-François Miot, supprima les sanctions encourues en cas de non-déclaration d’une succession, avec des conséquences historiques.

Cela permit d’adapter la fiscalité nationale des successions à la situation corse, déjà marquée par la prédominance des indivisions et des successions orales. Cette mesure se voulait pragmatique et transitoire ; hélas ! en s’éternisant, elle porta la marque des déshérences à venir et des dommages collatéraux qu’elle allait causer pendant plus de deux siècles, tant l’intérêt s’attachant à l’absence de déclarations favorisa le maintien des propriétés en indivision.

Pendant plus de deux siècles donc, à cette spécificité législative s’ajouta la particularité de l’inaction : deux cents ans passèrent sans qu’aucune solution juridique satisfaisante soit envisagée pour résoudre l’un des principaux fléaux de l’île, qui a lourdement pesé sur son économie, dégradé le foncier et ruiné des villages entiers.

Il en a résulté une absence de titres de propriété, notamment dans les zones rurales et montagneuses, engendrant un désordre foncier considérable qui, s’il peut exister dans d’autres régions, a atteint en Corse des proportions titanesques.

Comprenez bien, mes chers collègues, que la persistance de cette exception juridique a produit, au cours des siècles, non pas un avantage, mais bien une gangrène, caractérisée par un délabrement terrible du patrimoine immobilier et par l’impossibilité de disposer de ses biens, sans compter les abondants contentieux qu’elle alimente au sein des familles.

Et cela reste un handicap très lourd à l’heure où nous cherchons à revitaliser un monde rural qui se désertifie, où tant d’habitations tombent en ruine alors que nombre de personnes, souvent jeunes, voudraient s’y installer et y vivre.

Ce mal, conjugué aux problématiques de spéculation immobilière et de logement, nous oblige à rappeler le lien indéfectible des Corses à leur terre, mais aussi les tensions multiséculaires qu’il a fait naître : cette question touche en effet à ce lien viscéral, né d’une histoire féconde et souvent traumatique. Ce mal a vicié – le mot n’est pas trop fort – le rapport de la Corse avec l’ensemble français et entravé le bon développement de pans entiers de l’économie insulaire, ainsi que de parties considérables de notre territoire.

À cela, mes chers collègues, s’ajoutent les a priori tenaces, assortis de contre-vérités, que cette législation d’exception, pourtant délétère pour la Corse, a fait naître quant à une volonté de notre territoire d’échapper à l’impôt.

Face à tant d’incurie, face à une telle carence législative, il fallait trouver un remède pour résorber le désordre foncier, pour que ce mal générateur d’insécurité juridique cesse de nuire dramatiquement à notre territoire.

C’est bien tardivement, après la loi de finances pour 1999 et la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, et sous l’impulsion des élus corses, qu’un cadre exorbitant du droit commun fut conçu afin d’envisager, à terme, des perspectives de normalisation.

Tel est précisément l’enjeu de la loi de 2017, qui a permis la mise en place de mesures dérogatoires et transitoires pour une période de dix ans, de manière à accélérer la reconstitution des titres de propriété en vue d’un retour, à terme, au droit commun.

Sept ans après sa mise en œuvre, si les effets de cette loi laissent apparaître un bilan satisfaisant – 1 868 titres ont été créés, pour 15 000 parcelles – l’horizon d’achèvement des travaux de titrement semble encore lointain.

Ce constat ne suscite aucune surprise, car, face à l’ampleur de la tâche à accomplir, le groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière en Corse » préconisait, déjà en 2016, une dérogation courant jusqu’en 2037 pour aboutir à une situation saine.

Aussi sommes-nous en accord avec les objectifs de ce texte : s’il n’était pas voté, on briserait l’élan des efforts engagés depuis dix ans, laissant à l’abandon une grande partie du patrimoine des Corses.

Permettez-moi, pour autant, une réflexion sur la méthode.

Si les mesures adoptées en 2017 et prolongées par ce texte permettent, sous réserve d’un accord politique, de résorber lentement et péniblement l’effet de siècles d’ingérence, elles ne sauraient se faire à droit constant. Sur ce sujet, prorogation ne vaut pas politique structurelle. La proposition de loi qui nous est présentée, par sa nature dérogatoire, permet de soulever ce point capital, puisque – nous le savons tous – le spectre de l’inconstitutionnalité plane au-dessus de ces mesures.

Ce qui existait en 2017, malheureusement, continue d’exister aujourd’hui, mais l’accord politique qui prévalait alors et qui prévaudra – je le souhaite – aujourd’hui, n’est pas garant de l’accord de demain, mes chers collègues.

Nous demandons donc à sortir d’un système dérogatoire, non sécurisé constitutionnellement et, par définition, transitoire, au profit d’une situation pérenne qui stabiliserait l’architecture au plan civil, par l’octroi de compétences adaptées.

C’est précisément en raison du risque d’inconstitutionnalité qui pèse sur la résolution législative des problématiques spécifiques à notre île que l’inscription de la Corse dans la Constitution est nécessaire ; c’est sur ce point que se situe le débat, parce que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure, normativement, de maîtriser et de sécuriser le sujet.

La problématique qui nous est soumise ce jour en éclaire de surcroît une autre, bien plus importante à terme : la difficulté qu’auront les Corses à conserver leur patrimoine à la fin du régime transitoire, compte tenu de l’augmentation proportionnelle de l’impôt sur les successions, corollaire de l’augmentation des prix induite par la spéculation immobilière.

Aussi, mes chers collègues, avec mes collègues du groupe Union Centriste, je vous propose d’adopter ces dispositions qui contribueront à la mise en ordre du foncier dans l’île, tout en gardant à l’esprit que la Corse mérite, comme dans bien d’autres domaines, le solutionnement à droit constant de la question foncière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi sert essentiellement à prolonger des mesures dérogatoires, de nature fiscale et civile, afin de résoudre les difficultés liées au désordre de propriété qui touche la Corse.

La situation de l’île de Beauté est particulière : de nombreux biens immobiliers ne disposent pas de titres de propriété, en raison d’une particularité héritée de l’ère napoléonienne, durant laquelle avaient été supprimées les sanctions en cas de manquement aux déclarations de succession. Durant deux siècles, nombre de transmissions de patrimoine n’ont pas été déclarées, conduisant à la situation de désordre cadastral que nous connaissons.

Cet état de fait pose des difficultés aux citoyens privés de titres de propriété, pour lesquels il est difficile, voire impossible, d’avoir recours à l’emprunt bancaire, mais ses conséquences vont bien au-delà.

Nous faisons depuis plusieurs années le constat d’une raréfaction et d’une complexification des ressources fiscales et financières des collectivités territoriales, faisant des finances locales un système imprévisible, illisible et inaccessible, notamment pour les élus des plus petites collectivités. La libre administration des collectivités est mise à mal par cette perte d’autonomie fiscale, d’autant que trois fiscalités locales ont disparu en quinze ans. Si, de surcroît, la non-mise à jour du cadastre empêche le recouvrement d’impôts locaux, nos collectivités insulaires se retrouvent extrêmement pénalisées dans leur autonomie fiscale.

Parlons d’autonomie, justement : depuis le 27 mars dernier, avec le vote de l’Assemblée de Corse, nous sommes sur le chemin d’un projet de loi constitutionnelle portant statut d’autonomie pour la Corse.

La résolution du problème du cadastre et du désordre de la propriété démontre, si besoin en était, la véritable nécessité d’un droit à la différenciation de nos territoires – un droit à la particularité, dirait notre collègue Paulu Santu Parigi.

Nous constatons donc la pertinence du grand projet à venir pour l’autonomie de la Corse, qui permettra une adaptation à ses spécificités ; nous nous réjouissons des débats à venir sur le contenu des nouvelles compétences, lesquelles seront d’ailleurs également nécessaires à la résolution du problème qui nous occupe ce soir, et pourraient être intégrées à un projet de loi organique.

Nous devons toutefois mentionner également le risque d’inconstitutionnalité du présent texte, que l’on ne peut ignorer. Conférer à la Corse un pouvoir normatif propre permettrait à sa collectivité d’adopter ses propres régimes légaux sans risquer une telle censure du Conseil constitutionnel. Notre groupe, vous le savez, est toujours en faveur d’une simplification passant par une différenciation locale.

Nous sommes tout autant des défenseurs de la construction des politiques publiques sur des faits et des évaluations. Avant de discuter de l’opportunité d’une mesure, nous apprécions d’en connaître les conséquences et les retours d’expérience.

Or cette proposition de loi vise essentiellement à proroger des mesures déjà en place. Si le besoin de résorption du désordre de propriété est un constat partagé, nous nous demandons si les moyens déjà mis en place ont fait l’objet d’une évaluation.

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se présentent comme des boussoles dans la gestion des finances publiques et justifient des niches fiscales pour certains, des aides pour d’autres ; pour notre part, nous nous interrogeons sur l’efficacité de certaines mesures et dépenses fiscales.

Quid de l’efficacité de celle-ci ? Là encore, le manque d’étude d’impact pèse sur la clarté et la sincérité de nos débats d’aujourd’hui, ce que je regrette profondément. Nous ne sommes pas les seuls à déplorer le manque d’évaluation de dispositions fiscales qui, semblables à celles que contient cette proposition de loi, sont déjà en place depuis des dizaines d’années.

La clarification du cadastre est essentielle si l’on veut avoir une bonne gestion du foncier, entretenir les zones naturelles d’exception, si nombreuses en Corse, et faire appliquer certaines réglementations environnementales. Le foncier corse a besoin d’être mieux pris en compte et d’être clarifié à des fins de protection.

Comme Paulu Santu Parigi l’a relevé, cette proposition de loi ne traite que d’une infime partie de la question foncière sur l’île – le désordre cadastral. Les problèmes nés de la pression foncière, de la spéculation et des difficultés d’accès au logement, aggravées par les locations saisonnières et les résidences secondaires, restent profonds et demeurent une inquiétude prégnante pour notre groupe, qui défend le droit de vivre au pays.

Mes chers collègues, nous saluons les avancées pour les citoyens et la sécurisation juridique de leurs biens, en particulier par la procédure de prescription acquisitive et la limitation des délais de recours. Je rappelle seulement que la prescription acquisitive établie par notaire requiert une possession continue, paisible et publique pendant trente ans. Pour autant, ce sujet aurait pris toute sa légitimité en aval des discussions sur l’autonomie de la Corse.

Nous sommes plus réservés sur l’opportunité de prolonger des mesures n’ayant pas fait l’objet de retours d’expérience.

Nous voterons toutefois ce texte, qui répond à l’objectif de résorption du désordre cadastral, dans l’attente du débat sur le projet de loi constitutionnelle, lequel apportera des solutions structurelles en accordant à la Corse – nous en formons le vœu – le pouvoir d’adopter des lois adaptées aux spécificités de l’île. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon propos en indiquant que notre groupe dérogera à son positionnement habituel en votant cette proposition de loi visant à prolonger un dispositif dérogatoire.

Si l’on ne prend pas en considération l’histoire de la Corse, sa réalité territoriale, ainsi que le rapport particulier qu’entretiennent ses habitants avec la terre et le droit de propriété, l’existence même de ce texte et les débats que nous avons ce soir peuvent sembler difficilement compréhensibles.

Il a été rappelé que la situation actuelle en Corse est l’héritage de plus de deux siècles d’application d’un arrêté qui aurait dû apporter des facilités, mais a plutôt abouti à une situation cadastrale et fiscale si complexe qu’elle entrave l’aménagement du territoire par les collectivités.

Peut-être la force de la République réside-t-elle dans sa capacité à s’adapter, à prendre en considération les spécificités territoriales et les réalités vécues par les populations afin de corriger les problèmes, d’adapter les règles et d’apporter des réponses appropriées à chaque situation.

Il faudra indéniablement du temps pour assainir définitivement la situation cadastrale ; il sera assurément nécessaire de renforcer et de rendre plus efficace encore l’action du Girtec afin d’accélérer, dans les années à venir, le travail déjà important accompli jusqu’à présent.

Nous sommes conscients que, dans les délais aujourd’hui impartis, aucune amélioration significative ne pourra être constatée. Il est donc impératif d’accepter cette prorogation temporaire du dispositif et d’assumer ainsi nos responsabilités parlementaires.

Le risque constitutionnel est réel, mais céder à l’immobilisme par crainte de ce risque ne saurait être le rôle des parlementaires que nous sommes : une meilleure connaissance du foncier permettra aux collectivités, en particulier aux communes et à la collectivité de Corse, de mieux aménager le territoire et de renforcer leurs moyens d’action.

Sans pour autant généraliser à partir de ce texte – tel n’est pas son objet – nous aurons assurément l’occasion, comme l’a annoncé le Gouvernement, de débattre d’un projet de loi constitutionnelle sur l’avenir de la Corse.

D’ici là, nous examinerons un projet de loi sur la question du logement, qui demeure, sur l’ensemble des territoires de la République, mais de manière aiguë en Corse, un enjeu crucial, notamment dans les villes littorales, les plus touristiques et les plus denses, mais aussi dans les terres et dans les zones montagneuses, confrontées aux problématiques de l’isolement et du départ des nouvelles générations. Cette situation invite à repenser la place des activités économiques et la politique du logement sur ce territoire. Il appartient à la collectivité territoriale de s’en saisir pleinement afin d’apporter des réponses à tous ceux qui habitent sur l’île et y travaillent, ainsi qu’à ceux qui souhaiteraient y rester pour y travailler, mais qui, faute de logement, sont contraints de la quitter.

De belles expériences ont été menées il y a quelques années, mais elles ont parfois été mises entre parenthèses depuis lors. Je suis convaincue qu’avec cette proposition de loi, mais aussi les dispositifs à venir, nous aurons les moyens de construire une politique du logement ambitieuse pour la population vivant en Corse. Nous voterons donc en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici donc face à un texte formé d’un article unique, qui comporte deux volets. Le premier proroge, de 2027 à 2037, un dispositif facilitant le recours aux actes notariés de notoriété acquisitive sur le territoire corse ; le second proroge des exonérations fiscales incitant les particuliers à régler les questions successorales laissées en suspens depuis trop d’années.

Parce qu’elle reconduit un régime dérogatoire et crée des situations exceptionnelles, d’un point de vue tant territorial que temporel, cette proposition de loi devrait avoir quelque chose d’insatisfaisant. Une lecture froide et trop stricte de ce texte nous laisserait même avec une forme de pessimisme.

Pour autant, le droit n’est pas une chose froide et inerte, comme on le croit trop grossièrement ; nos lois sont toujours le fruit d’un contexte social et historique. Les quelques mois que j’ai déjà passés dans cet hémicycle n’ont cessé de me le rappeler.

Légiférer n’est pas une science mécanique, mais un travail d’anticipation, parfois plus ou moins adroit, qu’il faut adapter et toujours corriger en fonction des circonstances et de leurs spécificités.

Comme l’a exposé notre rapporteur, cette proposition de loi trouve son sens dans l’histoire corse. L’arrêté Miot de juin 1801 instituait le principe de l’absence de sanction du défaut de déclaration de succession, ce qui a conduit à une généralisation de cette manière de procéder, laissant comme seuls propriétaires reconnus des personnes aujourd’hui décédées.

Cette mesure est en grande partie responsable de la situation de désordre foncier dans laquelle se trouve actuellement la Corse, car elle a conduit, au fil des années, à accumuler des situations d’indivision complexes, liées à l’absence de titres de propriété.

Dès 2017, le Parlement a adopté des mesures visant à régler ces difficultés : la loi du 6 mars 2017 a consacré dans le code civil les actes de notoriété acquisitive issus de la pratique notariale permettant de constater que la possession d’un bien répond aux conditions de la prescription acquisitive.

Cette pratique a été ouverte pour dix ans, jusqu’en 2027. L’échéance se rapproche, et nous constatons qu’il reste beaucoup à faire. Notre rapporteur a dressé un état des lieux de la situation suffisamment explicite et convaincant.

Nous souscrivons donc à la prorogation proposée, en espérant que ces dix années supplémentaires de recours aux actes notariés de notoriété acquisitive, ainsi qu’aux dispositifs fiscaux, permettront d’arriver au bout de ce processus.

Au-delà de ce texte, d’autres difficultés se profilent : l’accès à la propriété, la pression foncière et l’accès au logement sur l’île, mais aussi des problématiques d’urbanisme et, partant, d’environnement. Si ces difficultés concernent l’ensemble de nos collectivités, l’insularité contribue à les exacerber.

Notre groupe y est particulièrement sensible.

Ainsi, Jacques Mézard avait déposé une proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d’expropriation de biens en état d’abandon manifeste, dont les dispositions ont été reprises dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.

J’estime toutefois que de nombreuses autres difficultés, liées notamment aux indivisions, aux biens non délimités ou aux biens sans maître, méritent que l’on s’y penche. En milieu rural, en particulier, la multiplicité des propriétaires et les difficultés que l’on rencontre parfois à identifier ces derniers emportent un immobilisme financier.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe du RDSE, sensible aux problématiques corses soulevées par ce texte, votera cette proposition de loi à l’unanimité. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)