Table des matières
Mardi 1er avril 2003
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.
Diffusion des actions dans le patrimoine des ménages - Auditions
La Délégation pour la planification a procédé à l'audition de :
- M. Olivier Garnier, directeur de la stratégie et de la recherche économique à la Société Générale Asset Management, auteur du rapport du commissariat général du Plan : « La place des actions dans le patrimoine des ménages. Mesure et comparaisons internationales » ;
- M. Dominique Plihon, professeur d'économie à l'Université Paris XIII, auteur du rapport du commissariat général du Plan : « Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance » ;
- M. Gérard Rameix, directeur général de la Commission des opérations de bourse ;
- M. Elie Girard, chargé de mission au bureau des projections économiques d'ensemble de la direction de la Prévision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Après avoir introduit la séance, M. Joël Bourdin, président de la délégation, a donné la parole à M. Olivier Garnier, directeur de la stratégie et de la recherche au Crédit agricole Asset Management, pour présenter les principales conclusions du rapport relatif à la place des actions dans le patrimoine des ménages.
M. Olivier Garnier a d'abord exposé quelle était la place des actions dans le patrimoine financier des ménages français. Le poids des actions dans le patrimoine des ménages tend à croître depuis une vingtaine d'années : ces valeurs représentaient 10 % de leur patrimoine financier en 1982, 20 % en 2002. Ce chiffre place la France dans la moyenne européenne. Le développement de l'épargne en actions est relativement récent dans notre pays, puisqu'il a pris son essor dans la deuxième moitié des années 1990. Auparavant, les ménages ont longtemps privilégié les placements sous forme de SICAV monétaires, ou dans l'assurance-vie.
La majorité (60 %) des actions détenues par les ménages ne sont pas cotées en bourse. Plus du tiers (35 %) des actions possédées par les ménages sont détenues de manière indirecte, c'est-à-dire via des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) ou via des fonds communs de placement. Aux Etats-Unis, 47 % des actions possédées par les ménages sont détenues de manière indirecte, ce qui traduit le poids important des fonds de pension dans ce pays.
Si l'on rapporte les actions des ménages au PIB, un écart très important apparaît entre les Etats-Unis et la France. Les actions des ménages représentaient, fin 2002, 84 % du PIB aux Etats-Unis, contre 32 % en France. Ce ratio est cependant très dépendant d'effets de valorisation, c'est-à-dire du niveau des cours de bourse. Fin 1999, ce même ratio s'élevait aux Etats-Unis à 180 points de PIB. Entre fin 1999 et fin 2000, la perte de valeur des actions possédées par les ménages américains a donc avoisiné les 100 points de PIB, soit une perte de l'ordre de 10 000 milliards de dollars.
La capitalisation boursière est, en pourcentage du PIB, plus faible en France qu'aux Etats-Unis. Cela tient en grande partie à des différences de structure économique, notamment au poids plus important du secteur public et du secteur mutualiste dans notre pays.
M. Olivier Garnier est ensuite passé à la deuxième partie de son exposé, qui lui a permis de présenter la diffusion des actions parmi les ménages français. Seuls 23 % des ménages français possèdent des actions, directement ou indirectement. Ce chiffre est de 50 % aux Etats-Unis. Les ménages français ont tendance à privilégier l'épargne en assurance-vie ou dans des livrets d'épargne réglementés.
La détention d'actions est très concentrée. 90 % des ménages français possèdent 14 % des actions. Les actions non cotées sont détenues par 2 % des ménages. Le même phénomène de concentration est observé aux Etats-Unis : 90 % des ménages américains détiennent 18 % des actions. Mais les gros détenteurs d'actions aux Etats-Unis possèdent beaucoup plus d'actions que les actionnaires français, ce qui explique que le nombre total d'actions détenues par les ménages soit plus important outre-Atlantique que dans notre pays.
M. Olivier Garnier a achevé son intervention en soulignant que les ménages auraient intérêt à diversifier leurs placements, en achetant davantage d'actions. Les actions sont certes plus risquées que d'autres placements, mais présentent une rentabilité supérieure à long terme.
M. Joël Bourdin, président, a remercié M. Olivier Garnier pour son exposé, puis a donné la parole à M. Dominique Plihon, professeur d'économie à l'Université Paris Nord, pour présenter le rapport du commissariat général du Plan consacré aux évolutions du marché boursier dans la période récente et à leur impact sur le régime de croissance économique.
M. Dominique Plihon a d'abord présenté la thèse centrale du rapport : les dernières évolutions boursières présenteraient une grande spécificité par rapport aux évolutions antérieures en raison d'un changement de notre régime de croissance. Le régime de croissance dans lequel nous serions entrés se caractériserait par le développement et la libéralisation des marchés financiers et par des mutations technologiques, manifestes dans le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC).
L'interprétation donnée par le rapport des évolutions boursières de ces dernières années s'inscrit dans un cadre théorique keynésien.
A partir de 1997, les valorisations boursières ont atteint des niveaux exceptionnellement élevés au regard des niveaux historiques. Pourtant, le rendement total des actions (qui prend en compte les dividendes versés et les plus-values réalisées sur les actions) n'a pas connu d'amélioration significative. La hausse considérable des cours de bourse s'expliquerait donc essentiellement par des comportements moutonniers ou mimétiques, déjà analysés par Keynes dans sa « Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie » (1936). A ces phénomènes mimétiques s'est cependant ajouté un facteur réel, qui a encouragé les anticipations optimistes des agents, à savoir la baisse sensible des taux d'intérêt, qui a dopé les résultats des entreprises. La baisse des taux a permis à la rentabilité financière des entreprises (rentabilité des fonds propres) de progresser plus vite que leur rentabilité économique (assimilée au résultat d'exploitation). Sur longue période, la rentabilité économique des entreprises françaises a décliné jusqu'en 1982, puis s'est redressée du fait d'un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux profits, avant de connaître une phase de stabilité dans la deuxième moitié des années 1990.
M. Dominique Plihon a ensuite évoqué les conséquences de l'éclatement de la bulle boursière. Les entreprises sont les agents économiques les plus affectés par la chute des cours. La baisse des cours conduit en effet à une dégradation sensible du bilan des entreprises cotées. Une part importante des fonds propres des entreprises est constituée d'actifs intangibles ou « goodwill ». Si le « goodwill » correspond pour partie à des actifs du type marque ou fonds de commerce, il recouvre aussi des « écarts d'acquisition » qui représentent des inscriptions comptables nécessitées par l'écart entre la valeur d'acquisition des titres d'une entreprise et leur valeur actuelle. La chute des cours de bourse conduit à une dépréciation considérable du goodwill qui, comptablement, diminue les capitaux propres des entreprises, et pèse sur leurs résultats. La baisse des cours boursiers dégrade les résultats financiers des entreprises, ce qui alimente une baisse supplémentaire des cours. Il est donc probable que l'ajustement des cours, à la baisse, ne soit pas achevé.
La dégradation du bilan des entreprises conduit, à son tour, à un durcissement des conditions de crédit qui leur sont offertes par les banques. Les entreprises qui le peuvent sont également tentées d'augmenter les dividendes versés à leurs actionnaires, pour compenser les moins-values importantes subies par ces derniers. Elles procèdent aussi à des dépréciations d'actifs pour assainir leurs bilans. Tous ces éléments concourent à diminuer les liquidités disponibles pour les entreprises. Celles qui sont le plus endettées sont mêmes menacées d'insolvabilité.
Cette dégradation de la situation financière des entreprises pèse sur leurs investissements, qu'elles ont désormais du mal à financer. La faiblesse de l'investissement explique le rythme très modéré de la croissance, et peut faire craindre que la France soit engagée dans un scénario de croissance durablement ralentie.
La cause principale du ralentissement actuel de la croissance ne serait donc pas d'éventuels effets de richesse négatifs supportés par les ménages, mais plutôt les difficultés financières des entreprises suivant leurs investissements.
M. Dominique Plihon a terminé son intervention par quelques notes personnelles, relatives aux mesures de politique économique qu'il conviendrait d'adopter pour relancer l'activité. Vu que les taux d'intérêt ont déjà atteint un très bas niveau, l'effort devrait davantage porter sur une initiative de relance budgétaire, coordonnée à l'échelle européenne, qui soutiendrait l'investissement des entreprises, notamment dans le secteur des nouvelles technologies.
M. Serge Lepeltier, sénateur, a alors pris la parole pour s'inquiéter des faibles marges de manoeuvre de politique économique dont nous disposons pour lutter contre le ralentissement de la croissance. Il a demandé quelle hausse des dépenses publiques devrait être consentie pour relancer l'activité.
M. Dominique Plihon a répondu que la hausse de la dépense publique pouvait rester modérée, à condition d'être bien orientée vers l'investissement productif, principalement dans le secteur des nouvelles technologies et a estimé que, sans une politique budgétaire active, il n'était pas impossible que l'Europe, voire le reste du monde, s'acheminent vers un scénario de déflation à la japonaise, avec situation de trappe à liquidités.
M. Olivier Garnier a, quant à lui, souligné que les marges de manoeuvre de la politique monétaire étaient plus importantes en Europe qu'aux Etats-Unis, et que nous disposions encore de moyens d'éviter la déflation. La baisse des taux n'a que peu profité aux entreprises, car les banques, craignant des défaillances d'entreprises, ne l'ont pas entièrement répercutée sur leurs clients.
M. Jean Arthuis, président de la Commission des Finances, a alors exprimé ses interrogations concernant la politique économique à adopter pour soutenir l'activité. Il a rappelé que la situation des finances publiques nationales était déjà fort dégradée, et qu'il n'y avait pas de mécanisme efficace de coordination des politiques budgétaires en Europe.
Suite à ces échanges, M. Joël Bourdin, président, a demandé à M. Gérard Rameix, directeur général de la Commission des opérations de bourse, de faire part de ses commentaires, dans le prolongement de la présentation des deux rapports publiés par le commissariat général du Plan.
M. Gérard Rameix a souligné d'emblée la qualité du rapport réalisé par le groupe de travail présidé par M. Olivier Garnier, en particulier en ce qu'il montre qu'il n'y a pas véritablement de « retard français » en matière de détention d'actions par les ménages, puisque la France se situe dans la moyenne européenne, et met également en évidence l'importance de l'épargne salariale dans notre pays.
Il a ensuite exprimé la crainte que la chute des cours de bourse, associée à certains scandales, ne détourne durablement les ménages des actions, et ne serve d'argument contre les fonds de pension.
S'étant dit en accord avec l'essentiel des analyses développées par M. Dominique Plihon, il lui a toutefois reproché d'être excessivement pessimiste dans son analyse des conséquences de l'éclatement de la bulle boursière, considérant, en effet, que l'assainissement était largement achevé. Les problèmes de dépréciation de « goodwill » sont très concentrés sur quelques entreprises du CAC 40, et les risques de déflation seraient donc modestes.
Il a remarqué que l'ampleur des rachats d'actions opérés par les entreprises, depuis quelques années, attestait que les sociétés disposent d'importantes liquidités. Sur ce point, l'année 2001 fut une année record avec 22 milliards d'euros d'actions rachetées sur le marché, entraînant, cette année-là, un retrait net d'actions. 11 milliards d'euros d'actions ont été à nouveau rachetées en 2002.
M. Jean Arthuis, président de la Commission des Finances, est alors intervenu pour s'inquiéter de l'ampleur de ces rachats d'actions, estimant que les rachats d'actions montraient que les chefs d'entreprise ne savent pas comment utiliser leur capital à des fins productives. Il s'est dit également préoccupé par la situation du secteur de l'assurance, affecté par l'évolution des marchés dérivés.
M. Gérard Rameix ayant indiqué que la COB ne disposait que de peu d'informations sur l'évolution des marchés dérivés, et sur la situation des compagnies d'assurances, il a estimé que le rôle de régulateur devait être plutôt d'encourager les acteurs à ne pas augmenter la volatilité des marchés, en recourant à des opérations financières potentiellement très déstabilisantes.
M. Dominique Plihon a estimé que la vague de rachats d'actions par les entreprises prouvait que celles-ci n'avaient que peu d'opportunités d'investissements rentables et optaient pour des opérations susceptibles d'augmenter la rentabilité de leurs fonds propres.
M. Olivier Garnier est alors intervenu pour rappeler que nombre d'entreprises américaines s'étaient endettées, dans la seconde moitié des années 1990, pour racheter leurs propres actions.
M. Joël Bourdin, président, a ensuite demandé à M. Elie Girard, chargé de mission à la direction de la Prévision, de réagir à son tour aux conclusions exprimées dans les deux rapports.
M. Elie Girard a dit voir dans le rapport présenté par M. Dominique Plihon une des rares réflexions de fond menées sur les turbulences économiques récentes, et a rappelé les principaux enseignements de cette étude. Il a exprimé ensuite quelques interrogations. Il a d'abord relevé qu'il n'y avait pas eu d'amélioration sensible de la productivité globale des facteurs dans la dernière décennie, ce qui relativise l'impact des changements technologiques observés, les conséquences du développement de la finance de marché semblant plus importantes que celles des changements technologiques.
Il a également discuté les analyses de M. Dominique Plihon relatives au niveau d'endettement des entreprises. Les difficultés financières des entreprises françaises ne seraient pas seulement une conséquence de la chute des cours boursiers, mais résulteraient aussi d'un endettement excessif ces dernières années.
Il a enfin regretté que le rapport Plihon n'examine pas plus en détail les conséquences du krach boursier sur les entreprises du secteur de l'assurance et de la réassurance.
M. Joël Bourdin, président, a procédé à un dernier tour de table pour permettre aux intervenants de présenter leur conclusion.
M. Gérard Rameix s'est interrogé sur ce que devrait être le rôle d'un régulateur boursier : doit-il s'efforcer de décrypter les conventions de marché, pour tenter ensuite d'orienter l'évolution des cours, ou doit-il se contenter de veiller au respect des règles juridiques assurant le bon fonctionnement du marché ? Il lui paraît irréaliste d'imaginer qu'un régulateur puisse décrypter, en temps réel, les cours boursiers, et prétendre ensuite influencer le marché par ses seuls commentaires.
M. Dominique Plihon a indiqué souhaiter que l'organisme de régulation rende publiques ses analyses, même imparfaites, afin d'ancrer les anticipations des acteurs sur une analyse réaliste du marché.
Après ces dernières remarques, M. Joël Bourdin, président, a conclu la séance, et remercié les personnes auditionnées d'avoir participé aux travaux de la délégation.
Nomination d'un rapporteur
La délégation a enfin procédé à la nomination d'un rapporteur.
Elle a confié à M. Serge Lepeltier, sénateur, un rapport sur le thème « mondialisation et environnement ».