Synthèse des entretiens de la mission lors de son déplacement aux Etats-Unis,

 du 13 au 16 octobre 2008

Une délégation de la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque s'est rendue aux Etats-Unis du 13 au 16 octobre dernier.

Elle a rencontré à Washington le plus large éventail possible d'acteurs intervenant dans le domaine de la perte d'autonomie des personnes âgées Outre‑Atlantique : administrations fédérales (dont les membres du Gouvernement chargés du dossier) et locales (association des gouverneurs), commission compétente du Sénat, Cour des comptes (Government accountability office - GAO), compagnies d'assurance, représentants des usagers et universitaires travaillant dans le cadre de centres de réflexion (« Think tanks »).[1]

1. Les modalités financières de prise en charge de la dépendance aux Etats-Unis

Les dépenses liées aux soins de longue durée[2] prodigués aux personnes âgées de soixante-cinq ans et plus atteignent près de 200 milliards de dollars (1,5 % du produit intérieur brut)[3]. Sur ce total, la moitié environ est financée, sur fonds publics, par le programme Medicaid. Le reste se répartit à hauteur de 20 % pour le programme Medicare (fonds publics) et de 7 % pour les ressources provenant des assurances privées. Les sommes restant à la charge des familles représentent 20 % du total de la dépense.

 Origine des financements pour les soins de longue durée aux Etats-Unis

Source :Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS)

On estime, par ailleurs, que l'aide informelle apportée par les aidants dans le cadre familial a une valeur marchande d'au moins 200 milliards de dollars.

Le coût global de la dépendance s'élève donc à environ 400 milliards de dollars, dont la plus grande part est prise en charge par les ménages, soit directement (aidants familiaux, paiement direct par les familles des soins fournis par les tiers), soit indirectement (souscription de contrats d'assurance). Les assurances privées jouent un rôle minime dans cette prise en charge, même si les Etats-Unis abritent le premier marché au monde de l'assurance dépendance, devant la France.

En ce qui concerne les financements publics :

- le programme Medicaid, de loin le plus important dans la protection des personnes dépendantes, est le principal pourvoyeur de couverture contre le risque maladie en général pour tous les Américains à très faibles revenus (soit 55 millions de personnes dont 6 millions de personnes âgées) ; il est donc accessible sous conditions très strictes de ressources[4] ; les recettes de Medicaid proviennent majoritairement du budget fédéral et sont complétées par les Etats fédérés qui sont chargés de la mise en œuvre effective du programme dans leur ressort ; le niveau de la contribution fédérale varie de 50 % à 76 %[5] selon les Etats et est fonction de leur revenu par tête d'habitant ; les soins de longue durée représentent le tiers des dépenses de Medicaid ;

- le programme Medicare, qui joue un rôle d'appoint dans le financement des soins de longue durée, est une assurance maladie obligatoire ouverte aux personnes âgées de soixante-cinq ans et plus. Elle couvre une partie des soins médicaux, essentiellement les soins de ville (médecin, spécialistes, médicaments prescrits sur ordonnance), ainsi que le court et le moyen séjour (moins de 100 jours) en hôpital ; Medicare est un programme fédéral, géré au plan national, dont les ressources proviennent soit de cotisations sociales prélevées paritairement sur les salariés actifs et leurs employeurs (pour la couverture des dépenses hospitalières), soit des revenus procurés par les impôts combinés avec des primes acquittées par les bénéficiaires[6] (pour la couverture des soins de ville).

 2. Les enjeux du vieillissement et les perspectives de la prise en charge de la dépendance aux Etats-Unis

Même s'ils sont dotés d'une population structurellement plus jeune que celle des autres pays jouissant d'un niveau de développement comparable, les Etats‑Unis n'en sont pas moins confrontés à des problèmes de vieillissement identiques, avec l'arrivée des générations du baby-boom d'abord à l'âge de la retraite, puis au grand âge. Les personnes âgées de soixante-cinq ans et plus représentent d'ores et déjà le huitième de la population totale des Etats-Unis (38 millions de personnes sur environ 300 millions d'habitants). La tranche d'âge des quarante-cinq/soixante-quatre ans, qui atteindra soixante-cinq ans au cours des deux prochaines décennies, a crû de 38 % au cours des dix dernières années. Les quatre-vingt-cinq ans et plus, au nombre de 5,5 millions en 2007, seront près de 9 millions en 2030 (+ 60 %).

Dans ce contexte peu favorable, les Américains sont parvenus, sur la période récente, à imprimer un taux d'évolution relativement modéré à leurs dépenses publiques affectées aux soins de longue durée, après des années de très forte croissance. Le taux de progression moyen annuel des dépenses du programme Medicaid LTC (soins de longue durée), qui avait été constamment supérieur à 10 % entre 1980 et 1995, et était encore de près de 7 % entre 1995 et 2005, n'a ainsi été que de 4,8 % entre 2003 et 2008.

Selon l'analyse développée par les interlocuteurs de la mission, ce résultat est d'abord le fruit de l'action particulièrement énergique menée par les pouvoirs publics en faveur du maintien des personnes âgées dépendantes à domicile ou de leur placement dans des structures alternatives « communautaires », de type logements-foyers (Community), alors que le coût d'un placement en institution est relativement élevé (70 000 à 75 000 dollars par an). Entre le début des années 1970 et le milieu des années 2000, la part de la population résidant en établissement d'hébergement pour personnes âgées est ainsi tombée de 5 % à 3,6 % dans la classe d'âge des soixante‑quinze/quatre‑vingt-quatre ans et de 21,1 % à 13,9 % dans la classe d'âge des quatre-vingt-cinq ans et plus. Aujourd'hui, les dépenses de Medicaid au titre de la prise en charge à domicile ou en structures communautaires représentent plus de 40 % du total des dépenses de Medicaid pour les soins de longue durée, contre 13 % en 1990.

Afin de faciliter cette évolution, un important effort a été consenti par l'Etat fédéral et les Etats fédérés pour rendre l'utilisation des prestations de Medicaid plus souples pour les bénéficiaires à domicile ou en communauté et permettre à ces derniers d'être impliqués dans la définition et la gestion des services qui leur sont fournis. Actuellement quarante-deux Etats autorisent ainsi des formes de gestion directe par le consommateur des services d'assistance individualisée qui leur sont proposés : celui-ci dispose d'une plus grande autonomie pour procéder aux recrutements des personnels qualifiés médicaux et non médicaux, définir les horaires de ces personnels et assurer leur rémunération.

Le contrôle des dépenses de Medicaid LTC (soins de longue durée) résulte aussi, sur la période récente, des freins mis aux conditions d'éligibilité au programme : dans la loi de réduction des déficits de 2005 (« Deficit Reduction Act »), le Gouvernement fédéral a ainsi renforcé les règles relatives au rapport des donations effectuées au cours des cinq années précédant la demande d'octroi des prestations de Medicaid et il a exclu les individus disposant d'un capital immobilier supérieur à 500 000 dollars[7].

Les pouvoirs publics s'inquiètent cependant des perspectives de forte croissance du coût combiné des deux programmes Medicaid et Medicare au cours du prochain siècle, dans la mesure où leur poids budgétaire est significatif. Medicare représente d'ores et déjà 16 % des dépenses du budget fédéral et Medicaid en moyenne 16,8 % des dépenses des Etats fédérés. Selon les projections les plus récentes de l'Office du Congrès pour les questions budgétaires (Congressional Budget Office), « la croissance des dépenses de Medicaid et de Medicare par bénéficiaire sera le principal déterminant de l'évolution à long terme des dépenses fédérales(...) L'ensemble constitué par Medicare et Medicaid devrait croître de 4 % du produit intérieur brut en 2007 à 12 % en 2050 et 19 % en 2082, ce dernier pourcentage correspondant à peu près à celui du budget fédéral dans le Pib américain aujourd'hui. Cette évolution est plus le reflet de l'augmentation des coûts par bénéficiaire que celui de la croissance du nombre des personnes âgées. »

Projection des dépenses fédérales pour les programmes Medicare et Medicaid

<![endif]> <![endif]--> Pourcentage 
du Pib                                                                                               (en % duPib)
 

Source : Congressional budget office  

Ces évaluations ont été établies à législation inchangée, dans un contexte où la protection publique apportée par Medicaid ne touche que la fraction la plus pauvre de la population[8], alors que Medicare, qui offre une couverture universelle, ne prend en charge que les soins de ville et le court séjour hospitalier, mais pas les soins spécifiquement liés à la perte d'autonomie. Une extension du programme Medicare aux soins de longue durée, évoquée par certains, est totalement écartée par la plupart des interlocuteurs de la mission, car elle engendrerait des coûts considérés comme insupportables pour le contribuable qui va devoir, en outre, assurer au cours des prochaines années le remboursement d'une dette publique qui vient de dépasser 10 000 milliards de dollars.

Dès lors que la puissance publique apparaît réticente à s'impliquer davantage dans la prise en charge des personnes âgées, la plupart des personnes rencontrées par la mission plaident pour une extension de la part du secteur assurantiel.

Celui-ci, on l'a vu, apparaît faiblement développé.

La question du défaut d'assurance d'une large partie de la population américaine dépasse d'ailleurs le domaine restreint de la dépendance : 47 millions d'individus ne possèdent aucune couverture, ni publique, ni privée, contre les risques liés à la santé. Pour certains, cette situation résulte d'un choix : ils estiment qu'ils ne sont pas exposés à un risque grave, ou bien que leurs revenus ou leur patrimoine leur permettront de faire face, le cas échéant. Pour d'autres, cette absence de protection est subie et reflète une solvabilité insuffisante.

Il apparaît difficile dans ces conditions d'inciter la population à l'acquisition systématique de produits spécifiques destinés à la couverture du risque de dépendance, d'autant que la certitude que ce risque se réalisera est faible et qu'en tout état de cause son apparition est liée au grand âge, c'est-à-dire est très fortement décalée dans le temps par rapport à la date de souscription du contrat. Par ailleurs, il semble qu'une proportion importante d'Américains ne mesure pas le risque, car elle pense pouvoir être couverte par Medicare, à partir de soixante-cinq ans, ce qui, on l'a vu, est inexact, puisque ce programme ne prend pas en charge les soins spécifiquement liés à la perte d'autonomie.

Les pouvoirs publics et les assureurs ont cependant engagé plusieurs initiatives pour développer le marché de l'assurance dépendance.

3. Le marché de l'assurance dépendance aux Etats-Unis : des aspirations fortes, un développement incertain

Les assurances privées de couverture du risque de dépendance sont apparues sur le marché américain dans les années 1970, une dizaine d'années avant la France. Les Etats-Unis sont le premier marché au monde, avec un peu plus de cinq millions d'assurés versant près de sept milliards de dollars de primes par an[9]. Cent vingt compagnies d'assurance vie proposent des produits, mais cinq d'entre elles concentrent 90 % de l'activité du secteur de la dépendance.

La croissance a été assez vive au début des années 2000, avec la possibilité offerte par l'administration fédérale à ses salariés de souscrire une assurance de groupe. Cependant, le taux de pénétration reste bas, ne dépassant pas 10 % parmi la population des personnes âgées de cinquante ans et plus. Les contrats souscrits à titre individuel prédominent, dans un contexte de déclin des assurances de groupe souscrites par les salariés dans le cadre professionnel.

Le produit « type » proposé par les assureurs comporte le versement d'une indemnité journalière (d'au moins 150 dollars[10]) en cas de survenance du risque, le montant de cette indemnité étant généralement garanti contre l'inflation (jusqu'à concurrence de 5 % de hausse annuelle des prix). Celle-ci est versée après un délai de carence (90 jours en moyenne) et pour une période prédéfinie (souvent trois ou quatre ans). Au-delà, le souscripteur doit recourir à ses ressources personnelles ou bien bascule dans le champ du programme Medicaid, à condition d'en remplir les conditions d'éligibilité. Un défaut de paiement de la prime annuelle provoque généralement la perte de la couverture et de l'investissement antérieur (sauf achat d'une garantie qui renchérit le coût du contrat).

Le service proposé apparaît donc, en première analyse et sous réserve d'une étude plus approfondie, moins intéressant que celui offert par les contrats de prévoyance en France, dans la mesure où ces derniers n'imposent pas de limite dans la durée de versement de la prestation (celle-ci s'achève généralement au décès de la personne), et où la plupart des contrats ont des valeurs de réduction (le souscripteur ne perd pas tout le bénéfice de son investissement s'il change d'assureur, à condition d'être resté pendant une certaine durée, généralement huit ans au minimum).

La prestation, qui ne couvrait à l'origine que les frais exposés en maisons de retraite médicalisées, peut être utilisée pour tous types de dépenses engendrées par la dépendance du bénéficiaire, y compris l'achat de matériel permettant le maintien de celui‑ci à son domicile ou dans une structure communautaire. Certaines polices d'assurances offertes dans le cadre professionnel ont également pour objet de compenser le coût pour l'entreprise des absences des employés désireux d'aider leurs parents en situation de perte d'autonomie ou encore une partie du coût, pour l'employé, de la charge qui lui incombe au titre de l'un de ses parents dépendants.

Le montant des contrats est globalement fonction des hypothèses de risques associées à la prévalence de la dépendance et au comportement des assurés, dont certains abandonnent leur police en cours de route, avant d'en avoir perçu le bénéfice. Les assureurs ont ainsi dû fortement relever le prix des contrats proposés (de + 30 % environ[11]), au cours des années 2003-2004, car ils avaient très largement surestimé la proportion d'assurés prenant la décision de ne pas poursuivre les versements sur leur contrat d'assurance dépendance (hypothèse de 5 % d'abandons, alors que l'on constate en pratique seulement 1 % d'abandons en moyenne).

Le coût des contrats est également corrélé, pour chaque souscripteur pris individuellement, à l'âge atteint au moment de la souscription. La prime annuelle moyenne versée pour une couverture classique est ainsi de 950 dollars[12] pour une personne de quarante ans. Mais elle s'élève à 2 045 dollars[13] pour une personne de soixante ans, la croissance devenant exponentielle au-delà de ce seuil. Or, l'âge moyen des souscripteurs est un peu inférieur à cet âge (cinquante-sept/cinquante-huit ans). La proportion d'Américains ayant la possibilité financière d'acquérir une police d'assurance dépendance, compte tenu de leurs revenus, tombe ainsi de 55 % environ dans la tranche d'âge quarante‑cinquante ans à 40 % à soixante ans.

Le consommateur est donc confronté à un problème de solvabilité et peut se dire en outre qu'il n'a pas d'intérêt évident à acquérir ce type de police d'assurance.

Les membres de la mission ont évoqué avec leurs interlocuteurs les pistes envisagées par les pouvoirs publics pour tenter de ramener vers des couvertures assurantielles une part plus significative de la population américaine.

● La fiscalité fédérale sur les produits d'assurance dépendance s'inscrit, depuis 1996, dans le cadre plus général des déductions fiscales permises en matière d'impôt sur le revenu au titre des frais de santé exposés soit directement (défraiement des professionnels de santé), soit indirectement (primes d'assurance versées au titre de la couverture santé). Par ailleurs, vingt-cinq Etats (sur les cinquante Etats de l'Union) autorisent des crédits ou des déductions d'impôt au titre des primes d'assurance versées pour l'acquisition d'une couverture en soins de longue durée[14].

L'ensemble des interlocuteurs de la mission, y compris les représentants des usagers et les assureurs, a estimé qu'il restait certes des marges de manœuvre en matière de réductions d'impôts pour favoriser l'acquisition de produits de couverture contre le risque de dépendance, mais que le levier fiscal ne serait pas suffisant pour provoquer une baisse significative du prix d'acquisition de ce type de produits, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà proportionnellement sensiblement plus faibles qu'en Europe, et surtout qu'en France.

● Les techniques d'hypothèque inversée[15] (« reverse mortgage ») peuvent s'avérer relativement coûteuses pour les propriétaires, du fait de taux d'intérêt très élevés, et ne permettent pas l'acquisition d'une assurance dépendance dans des conditions satisfaisantes, dans la mesure où la proportion de la valeur du bien qui peut être empruntée augmente avec l'âge et est donc faible chez les sujets les plus jeunes, c'est‑à‑dire précisément ceux qu'il faudrait inciter à acquérir une assurance. Tout au plus peut-on envisager d'y recourir pour financer certains aménagements dans le logement de la personne lorsqu'elle devient dépendante, ou pour financer certaines prestations dans la phase initiale d'entrée en soins de longue durée.

● Beaucoup d'espoirs ont, en revanche, été placés dans les « partenariats public-privé » (« Long-Term Care Partnership Programs ») établis entre les Etats fédérés, gestionnaires de Medicaid, et les compagnies d'assurance offrant des produits d'assurance dépendance.

Quatre Etats pilotes (le Connecticut en 1992, New‑York et l'Indiana en 1993, la Californie en 1994) ont mis en place ces programmes de partenariat, puis le Congrès a interdit la diffusion de cette expérience dans d'autres collectivités pendant une dizaine d'années. La loi de réduction du déficit de 2005 précitée a cependant permis par la suite à l'ensemble des cinquante Etats de contracter ce type de partenariats.

Le but poursuivi est d'inciter fortement les Américains disposant de revenus moyens à moyens-faibles à contracter une assurance privée pour leurs soins de longue durée, tout en leur permettant de protéger tout ou partie de leur patrimoine qu'ils pourront ainsi transmettre à leurs enfants.

En effet, en l'absence de toute protection, un grand nombre de personnes, touchées par un problème de perte d'autonomie et non éligibles au programme Medicaid en raison des conditions de patrimoine draconiennes fixées par les Etats, n'ont d'autre possibilité que d'épuiser (« spend down ») la quasi-totalité de leurs actifs en les vendant, afin de financer les soins qu'ils doivent recevoir. Une fois ces actifs liquidés en presque totalité, ils deviennent éligibles à Medicaid, sous réserve de respecter les conditions de plafond de ressources annuelles fixées par ailleurs par les Etats.

La majorité des partenariats reposent sur le principe du « dollar for dollar ». Concrètement, le montant de la police d'assurance contractée par l'assuré est défalqué du montant total de son patrimoine : un dollar de contrat souscrit égale un dollar de patrimoine préservé. A titre d'exemple, un assuré ayant contracté une couverture égale à 100 000 dollars et qui possède 200 000 dollars d'actifs se voit retirer fictivement les 100 000 dollars de sa police d'assurance du montant de son patrimoine. S'il devient dépendant, il va commencer par épuiser les 100 000 dollars que lui doit son assureur. Puis il devra liquider 100 000 dollars prélevés sur son patrimoine avant de devenir éligible à Medicaid et non la totalité des 200 000 dollars qu'il possède[16]. Il conserve ainsi la moitié de son patrimoine qu'il pourra transmettre.

Les partenariats publics‑privés visent à faire « d'une pierre deux coups » :

- ils protègent les actifs des assurés qui ne sont plus contraints de les liquider en presque totalité avant de pouvoir accéder au programme Medicaid et constituent donc une incitation forte à contracter une assurance pour les citoyens ;

- ils sont, en principe, également protecteurs des finances publiques, puisqu'ils devraient logiquement aboutir à retarder le moment où l'assuré bascule dans le programme Medicaid.

Le bilan d'ensemble de l'expérience menée dans les quatre Etats pilotes apparaît cependant très mitigé.

Selon les dernières données disponibles, seuls 211 972 contrats de partenariat avaient été signés depuis les années 1990, dont 172 477 étaient actifs, alors que les Etats concernés sont parmi les plus peuplés de l'Union. Depuis l'entrée en vigueur de leur programme, 3 454 assurés ont perçu des indemnités de leur assurance pour des soins de longue durée. Parmi eux, 292 ont épuisé leurs droits à assurance et seulement 159 ont accédé à Medicaid. Ces chiffres sont plus sensiblement plus faibles que ceux qui étaient généralement espérés.

Les classes moyennes et modestes, qui étaient à l'origine principalement visées par le programme, sont très peu rentrées dans les partenariats. Certaines données montrent que dans les quatre Etats concernés, les Américains à revenus moyens ou faibles achètent plus de polices d'assurance standard que de polices dans le cadre des partenariats.

La Cour des comptes des Etats-Unis (Government Accountability Office - GAO) a par ailleurs, dans un rapport publié en mai 2007, émis de fortes réserves sur les effets attendus des partenariats sur les finances publiques. Elle a notamment procédé à des simulations qui tendent à prouver que leurs bénéficiaires basculent dans le programme Medicaid au terme d'un délai en moyenne identique à celui constaté pour les personnes qui n'ont contracté aucune assurance. Quant à ceux qui ont contracté une assurance en dehors de toute formule de partenariat, ils deviennent éligibles à Medicaid au terme d'un délai sensiblement plus long que celui constaté pour les bénéficiaires des partenariats et pour les non-assurés. Or, un sondage effectué auprès d'assurés résidant dans trois des quatre Etats pilotes et ayant souscrit une police dans le cadre du partenariat public-privé révèle que 80 % d'entre eux auraient de toute façon acquis une police d'assurance, même en l'absence de partenariat : pour ceux-là, la dépense de Medicaid sera donc plus élevée qu'en l'absence de partenariat, puisqu'ils accéderont au programme plus rapidement. Quant aux 20 % restants, ils n'auraient pas contracté de police d'assurance en l'absence de partenariat : pour ceux-là, le résultat est neutre, puisqu'ils basculeront dans Medicaid dans le même délai, qu'ils soient non assurés ou qu'ils soient sous contrat de partenariat.

Partenariats publics-privés : les critiques de la Cour des comptes

560 000 $

8 ans

8 ans

8 ans

490 000 $

7 ans

7 ans

7 ans

420 000 $

6 ans

6 ans

6 ans

350 000 $

5 ans

5 ans

5 ans

280 000 $

4 ans

4 ans

4 ans

210 000 $

3 ans

3 ans

3 ans

140 000 $

2 ans

2 ans

2 ans

70 000 $

1 an

1 an

1 an

0 $

Scenario A
Partenariat privé

Scenario B
Assurance traditionnelle

Scenario C
Pas d'assurance

Prise en charge par l'assurance privée

Prise en charge individuelle

Prise en charge Medicaid

Trois scénarios pour le financement des soins de longue durée en maison de retraite médicalisée :

o        Scenario A : achat d'une police d'assurance « dollar for dollar »

- la police d'assurance prend en charge trois années de soins à hauteur de 70 000 dollars environ par an ;

- la personne liquide son patrimoine à hauteur de 90 000 dollars, représentant un peu plus d'une année de soins ;

- la personne devient éligible à Medicaid au bout d'un peu plus de quatre ans.

o        Scenario B : achat d'une police d'assurance traditionnelle

- la police d'assurance prend en charge trois années de soins à hauteur de 70 000 dollars environ par an ;

- la personne liquide son patrimoine à hauteur de 300 000 dollars, représentant plus de quatre années de soins ;

- la personne est éligible à Medicaid après plus de sept ans.

o        Scenario C : pas d'achat d'assurance - autofinancement

- la personne liquide son patrimoine à hauteur de 300 000 dollars, représentant plus de quatre ans de prise en charge en maison de retraite médicalisée à raison de 70 000 dollars par an ;

- la personne est éligible à Medicaid au bout d'un peu plus de quatre ans.

La totalité des interlocuteurs rencontrés par la mission a confirmé ces analyses et exprimé son scepticisme. Toutefois, on doit relever que dix-huit Etats fédérés, en plus des quatre Etats pilotes, ont demandé et obtenu de l'Etat fédéral l'autorisation de mettre en place des partenariats public‑privé dans leur ressort, sur le fondement de la loi de 2005. En tout état de cause, un bilan portant sur les résultats effectifs obtenus devra être effectué d'ici une dizaine d'années.

● A titre de conclusion, les interlocuteurs de la mission, là encore de façon quasi unanime, ont estimé que l'avenir de l'assurance dépendance, dont le développement reste un impératif, passe par un double effort d'éducation :

éducation du consommateur, qui doit être amené le plus tôt possible sur des produits qui lui coûteront d'autant moins cher qu'il les achètera plus jeune ; les personnes rencontrées ont également souligné la nécessité de détromper leurs compatriotes qui demeurent persuadés, dans leur grande majorité, que Medicare prendra en charge leur perte d'autonomie au grand âge ; tous ont souligné l'insuffisance des campagnes d'information à ce sujet ;

éducation de l'infrastructure de vente, c'est-à-dire des conseillers qui gèrent le patrimoine des Américains ; la sensibilisation de ces professionnels devrait aller en s'accroissant, avec l'arrivée des générations du baby‑boom au grand âge et la multiplication des situations dans lesquelles l'assuré se voit contraint de liquider tout son patrimoine pour couvrir ses frais de prise en charge liés à sa perte d'autonomie ; l'intérêt des conseillers financiers sera de plus en plus d'orienter leur clientèle vers des produits d'assurance dépendance.

Il reste enfin la question, similaire à celle posée en France, de l'appétence de l'assuré pour des produits qui ne couvriraient que le risque de dépendance, alors que la probabilité de réalisation de ce risque est éloignée dans le temps et n'atteint de toute façon jamais 100 %, même chez les sujets les plus âgés. La combinaison d'une assurance dépendance avec des produits d'assurance vie est d'ores et déjà possible et proposée à la clientèle. Une loi fédérale adoptée en 2006, entrant en vigueur en 2010, permettra en outre à un assuré d'âge actif d'accumuler des sommes sur un compte en vue de constituer une rente dont l'utilisation sera laissée libre, soit pour former un complément de retraite, soit pour couvrir le coût des services requis pour la personne devenue dépendante. Cette formule s'apparente peu ou prou à l'une des propositions contenues dans le rapport d'étape de la mission, suggérant que les Perp puissent être utilisés concomitamment pour les deux usages (complément de retraite et assurance dépendance), en fonction des besoins effectivement exprimés par l'assuré.


[1] Cf. Programme reproduit en annexe.

[2] Les Américains utilisent la notion de « Long term care » (LTG), ou « soins de longue durée », pour désigner l'ensemble des soins, médicaux et non médicaux, apportés aux personnes dépendantes. Cette notion recouvre les trois composantes, séparées en trois tarifs distincts en France : soins médicaux (financés chez nous par l'assurance maladie), dépendance (financée par l'Apa) et hébergement (financé par les familles ou par l'aide sociale).

[3] Environ 150 milliards d'euros (au taux de change de la mi-octobre 2008).

[4] Les normes fédérales minimales sont, pour les personnes âgées dépendantes, un revenu mensuel ne dépassant pas le « minimum vieillesse », soit 623 dollars par mois en 2007, et un patrimoine propre n'excédant pas 2 000 dollars pour une personne seule et 3 000 dollars pour un couple (hors résidence principale, mais à la condition que celle-ci reste habitée par le bénéficiaire ou son conjoint). Pour ce qui est de la résidence principale (lorsqu'elle reste habitée par le bénéficiaire ou son conjoint), sa valeur doit être inférieure à 500 000 dollars. Les transmissions d'actifs effectuées dans les cinq ans précédant la demande d'accès aux prestations du programme Medicaid sont réintégrées dans le montant des actifs détenus par le demandeur pour le calcul des droits. Les sommes exposées au titre de Medicaid sont récupérables sur la succession du bénéficiaire (essentiellement donc sur la valeur de sa résidence principale). Les différents seuils d'éligibilité peuvent être relevés, à la discrétion des Etats fédérés, qui peuvent également décider d'effectuer les récupérations sur succession ou non.

[5] Elle est en moyenne de 57 %.

[6] Le cas échéant, les primes d'assurance sont acquittées par les Etats dans le cadre du programme Medicaid, si le bénéficiaire est éligible à ce programme. Le bénéficiaire est alors considéré comme « bi-éligible » (« Dual eligible »).

[7] Environ 370 000 euros (au taux de change de la mi-octobre 2008).

[8] Medicaid ne protège d'ailleurs qu'une partie des Américains considérés comme « pauvres ». Le resserrement des conditions d'accès est, en effet, tel que l'on estime aujourd'hui qu'environ 60 % des Américains considérés comme pauvres n'ont pas accès à ce programme, car ils se situent au-dessus des conditions de revenus et de patrimoine fixées pour l'éligibilité.

[9] Environ 5,2 milliards d'euros (au taux de change de la mi-octobre 2008). Données fournies par le conseil américain des assureurs vie (American Council of life insurers).

[10] Environ 110 euros (au taux de change de la mi‑octobre 2008).

[11] Evaluation donnée par l'un des principaux assureurs, rencontré par la mission : Genworth Financial.

[12] Environ 700 euros (au taux de change de la mi-octobre 2008).

[13] Environ 1 500 euros (au taux de change de la mi-octobre 2008).

[14] Il est à noter que certains Etats n'ont pas institué d'impôt sur le revenu, comme le Texas et la Floride.

[15] En France : prêt viager hypothécaire. Ce sujet a été évoqué notamment auprès des représentants des usagers, regroupés au sein de l'American association of retired persons (AARP).

[16] Afin de simplifier la démonstration, il n'a pas été tenu compte des 2 000 dollars de franchise évoqués plus haut.