MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEEE D'ETUDIER LA PLACE ET LE ROLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

Auditions du 14 janvier 1997



Mardi 14 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Ollin, présidente. - La mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique a d'abord procédé à l'audition de Mme Michèle Perrot, historienne.

Mme Michèle Perrot a rappelé les difficultés qui ont toujours, selon elle, entravé l'accès des femmes à la vie publique, qu'il s'agisse des démocraties contemporaines ou de la cité grecque. Le cantonnement des femmes à la sphère privée et domestique - la vie publique et le pouvoir politique étant traditionnellement réservés aux hommes - serait ainsi, a-t-elle relevé, un principe majeur d'organisation de la société française, que la Révolution de 1789 s'est d'ailleurs abstenue de remettre en cause. En effet, a poursuivi Mme Michèle Perrot, la famille et le foyer étaient considérés en France, au XIXe siècle, comme l'"élément naturel des femmes", pour des raisons tenant non seulement aux différences biologiques entre hommes et femmes, mais aussi à l'idée d'une utilité sociale spécifique des femmes dans une complémentarité harmonieuse des deux sexes, cet argument beaucoup plus positif expliquant un certain consentement des femmes elles-mêmes au rôle qui leur était dévolu. Cet héritage historique affecte notre représentation du rôle des femmes dans notre société, tout en constituant une référence permettant de mesurer les progrès accomplis depuis une cinquantaine d'années.

A cet égard, Mme Michèle Perrot a souligné l'incidence de la généralisation du travail salarié des femmes, dont le taux d'activité (73 % pour la tranche d'âge 25-49 ans) confirme l'existence d'un modèle de "carrières féminines de longue durée." Mme Michèle Perrot a, par ailleurs, commenté l'élévation du niveau de formation des femmes. Relevant un fort taux de présence des femmes dans la fonction publique (77 % dans le secteur public de la santé et du travail social, 50 % dans l'enseignement secondaire, 65 % dans l'enseignement primaire), Mme Michèle Perrot a néanmoins constaté la faible féminisation de la haute fonction publique : 38 % des fonctionnaires de catégorie A sont des femmes (15 % si l'on exclut les enseignants), 81,8 % des fonctionnaires de catégorie C, et 63 % des fonctionnaires de catégorie B.

Mme Michèle Perrot a rappelé que si certains ministères (éducation nationale, culture, affaires sociales, justice aujourd'hui) étaient largement ouverts aux femmes, pour d'autres (intérieur, finances, quai d'Orsay), aucun progrès substantiel n'avait été enregistré depuis dix ans en ce qui concerne la féminisation de la haute fonction publique. Elle a, à ce propos, évoqué les variations de la proportion de femmes admises à l'ENA (5 % en 1970, 31,6 % en 1990, 24 % environ actuellement).

Mme Michèle Perrot a ensuite souligné le rôle formateur de l'engagement des femmes dans la vie associative - charitable ou philantropique -, dès le XIXe siècle, en tant que moyen d'entrer dans l'espace public et d'acquérir l'"expérience d'une action sociale sans citoyenneté politique". En dépit de cet engagement ancien, la vie associative demeure aujourd'hui dominée par les hommes, qui représentent deux tiers des adhérents des associations. En ce qui concerne les syndicats, dont les femmes ne constitueraient qu'un quart des adhérents, l'apparition de dirigeantes syndicales de haut niveau (FNSEA, CFDT) pourrait, selon Mme Michèle Perrot, être l'amorce d'une évolution plus favorable aux femmes.

Abordant enfin la place des femmes dans la vie politique, Mme Michèle Perrot a constaté la faiblesse du taux de féminisation des assemblées élues en France. A cet égard, des comparaisons internationales, au net désavantage de la France, paraissent confirmer qu'une spécificité française consisterait en "l'exclusion pratique des femmes de l'exercice du pouvoir politique". Le poids de l'histoire explique en grande partie que celui-ci soit réservé aux hommes en France, qu'il s'agisse de la loi salique - héritage franc reformulé et intégré par la Révolution française -, du modèle féodal - qui excluait les femmes de la détention des fiefs -, ou du "modèle de cour" qui a instauré entre les sexes un type de relations qui assigne aux femmes une place très éloignée des joutes politiques. Mme Michèle Perrot a également rappelé que le passage de l'ancien régime à la modernité républicaine ne s'était opéré qu'au profit de l'homme, et que le suffrage "universel" établi en 1848 avait ignoré les femmes.

Il n'est donc pas exclu, a conclu Mme Michèle Perrot, que la culture française, assimilant la politique à un métier d'homme, ait conduit les femmes à privilégier vie professionnelle, famille et métier ne leur laissant peut-être pas, de surcroît, le temps nécessaire pour construire une carrière politique.

A l'issue de cet exposé, M. Philippe Richert, rapporteur, est, avec Mme Michèle Perrot, revenu sur les causes éventuelles de la diminution récente du nombre de femmes énarques.

Mme Josette Durrieu a rappelé que les femmes avaient, à certaines époques de notre histoire, et, notamment pendant le Moyen-Age, joué un rôle très substantiel. L'héritage historique ne saurait donc, à lui seul, expliquer pourquoi les Françaises se tiennent en retrait de la vie politique. Mme Josette Durrieu a, à cet égard, évoqué l'importance des modes de scrutin dans l'accès des femmes au pouvoir, le scrutin proportionnel étant le plus favorable aux femmes. Mme Josette Durrieu a également souligné que les quotas, nécessaires, n'étaient pas suffisants et a préconisé un plus grand engagement personnel des femmes dans la vie politique

Puis Mme Joëlle Dusseau a, avec Mme Josette Durrieu, fait observer que la conquête des libertés démocratiques aurait été plus favorable aux femmes en France si elle avait eu lieu plus tard, comme le suggère l'exemple de pays qui ont mis en place d'emblée un suffrage universel mixte.

Mme Hélène Luc a alors évoqué l'augmentation du nombre d'adhérentes d'associations sportives, évolution qui s'explique, selon elle, par des préoccupations d'ordre éducatif. Elle a également rappelé le lien entre la forte proportion de femmes sénateurs au groupe communiste, républicain et citoyen et le scrutin proportionnel.

Revenant sur la spécificité française, fondée sur un taux d'activité des femmes particulièrement élevé, Mme Michelle Demessine s'est interrogée sur les obstacles à lever afin de favoriser l'accès des femmes aux responsabilités politiques, tout en soulignant que le rôle essentiel des femmes dans la sphère familiale montre que celles-ci sont accoutumées aux responsabilités.

Mme Joëlle Dusseau a alors relativisé la signification de certains exemples étrangers considérés comme des modèles d'égalité entre les sexes, mentionnant que le congé parental partagé, instauré en Suède, n'était que très marginalement choisi par les jeunes pères.

Mme Michèle Perrot a alors présenté les diverses évolutions susceptibles, selon elle, de favoriser l'accès des femmes aux lieux de pouvoir :

- faire une plus grande place aux femmes dans la direction des partis politiques, qui fonctionnent actuellement comme des "clubs masculins" ;

- introduire une part de proportionnelle dans le mode de scrutin, le scrutin uninominal évoquant le "système de fief", particulièrement défavorable aux femmes ;

- mettre en oeuvre la parité, "idée neuve forte, généreuse", et bien acceptée par l'opinion publique, de préférence au système des quotas ;

- privilégier le partage des tâches au foyer, car les carrières politiques féminines se font avec des "hommes féministes", et progresser encore dans le domaine de la garde des enfants ;

- être vigilant à l'égard des politiques familiales qui "tendent insidieusement à ramener les femmes au foyer", alors que la forte présence des femmes dans la vie professionnelle est de nature à faire progresser les mentalités et les représentations de la femme dans notre culture.

Puis, la mission commune d'information a procédé à l'audition de Mme Françoise Gaspard, sociologue.