COM (2000) 274 final  du 03/05/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/06/2000

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 23/05/2000
Examen : 13/06/2000 (délégation pour l'Union européenne)


Politique économique et financière

Adoption de l'Euro par la Grèce

Texte E 1450

(Procédure écrite du 13 juin 2000)

La proposition de décision du Conseil pour l'adoption par la Grèce de la monnaie unique, présentée par la Commission européenne le 3 mai dernier, a pour objet d'autoriser ce pays à rejoindre le 1er janvier 2001 les 11 autres Etats membres participant déjà à la zone euro.

Elle sera examinée les 19 et 20 juin prochain, à l'occasion du Conseil européen de Fiera.

Cette décision importante constituera à la fois une reconnaissance par les autres Etats membres des efforts remarquables accomplis par la Grèce au cours des dernières années, et une confirmation de l'attrait de la monnaie unique en dépit des interrogations actuellement suscitées par la dépréciation de l'euro par rapport au dollar.

1. Une procédure quasi automatique

a) L'examen obligatoire de l'état de la convergence

Lors du passage à la troisième phase de l'Union Economique et Monétaire (UEM), le 1er janvier 1999, seuls 11 des 15 Etats membres ont été considérés comme remplissant les conditions nécessaires.

Les situations des quatre Etats membres demeurés en dehors de la zone euro ne sont pas identiques. Deux d'entre eux, le Royaume-Uni et le Danemark, ont fait jouer une clause d'exemption dès la signature en 1992 du traité de Maastricht instituant l'UEM. Ils ont ainsi manifesté leur volonté de ne pas participer à la zone euro. Le cas échéant, ils ne pourront pas revenir sur ce choix initial sans modification du traité.

En revanche, les deux autres Etats membres, la Grèce et la Suède, ont souhaité participer à la zone euro dès le départ. Mais, à la date du passage à la troisième phase de l'UEM, ils ne remplissaient pas toutes les conditions nécessaires et ont alors fait l'objet d'une dérogation.

Le traité de Maastricht prévoit une procédure spécifique d'abrogation des dérogations, dont la Grèce bénéficie aujourd'hui. Selon l'article 122 du traité CE, cette procédure doit être lancée tous les deux ans au moins, ou à la demande d'un Etat membre faisant l'objet d'une dérogation. Ces deux cas de figure se cumulent en l'occurrence, puisque le précédent examen de la convergence des Etats membres au regard de l'UEM remonte à 1998 et que la Grèce a déposé le 9 mars 2000 une demande officielle de réexamen de sa situation particulière.

La procédure comporte un enchaînement de cinq étapes institutionnelles :

- la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Commission européenne doivent présenter chacune un rapport sur l'état de la convergence des Etats membres faisant l'objet d'une dérogation, ce qu'elles ont fait respectivement aux mois d'avril et de mai derniers ;

- la Commission  européenne adresse une recommandation au Conseil, qui fait l'objet du présent texte ;

- le Parlement européen est consulté ;

- la recommandation est adoptée par le Conseil des chefs d'Etat et de Gouvernement, à la majorité qualifiée ;

- la décision du Conseil des ministres est enfin confirmée par le Conseil des Ministres de l'économie et des finances, à la majorité qualifiée.

Ces différentes étapes procédurales sont étroitement imbriquées, car la position prise par chaque institution conditionne celle prise par l'institution saisie à l'étape suivante.

Sur le fond, l'analyse initiale conjointe de la BCE et de la Commission apparaît essentielle. Sur la forme, le rôle décisionnel appartient au Conseil des chefs d'Etat et de Gouvernement, le « Conseil Ecofin » étant cantonné à un rôle de préparation et d'exécution, tandis que le Parlement européen est simplement consulté.

b) Des critères d'appréciation prédéterminés

L'aspect quasi automatique de la procédure d'abrogation des dérogations est renforcé par le caractère juridiquement prédéterminé des critères d'appréciation des candidatures à la monnaie unique.

Le traité de Maastricht, tel que précisé par les protocoles annexes et les règlements communautaires d'application, fixe de manière très détaillée les conditions que doit remplir un Etat membre pour pouvoir adopter l'euro, qui sont de trois ordre différents.

 La convergence institutionnelle : la législation nationale relative à la politique monétaire et à la banque centrale doit être compatible avec les statuts du Système Européen de Banque Centrale (SEBC), qui organise les banques centrales nationales en réseau, sous l'autorité de la BCE ;

 Les critères chiffrés de convergence, fixés par le protocole n°6, sont au nombre de quatre :

- la stabilité des prix, le taux d'inflation ne devant pas être supérieur à la moyenne des trois taux d'inflation les plus bas, augmentée de 1,5 point ;

- la soutenabilité de l'évolution des finances publiques, qui implique une double norme de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire et de 60 % du PIB pour la dette publique. Toutefois, ce dernier critère est apprécié de manière « dynamique » et le ratio de 60 % peut être dépassé si le rythme de diminution de l'endettement public est suffisamment rapide ;

- le respect des marges de fluctuation au sein du Mécanisme de Change Européen (MCE) au cours des deux années précédentes ;

- le niveau des taux d'intérêt à long terme, qui ne doit pas être supérieur à la moyenne des trois taux d'intérêt les plus bas, augmentée de 2 points.

 Des facteurs supplémentaires doivent également être pris en compte : la situation de la zone euro ; l'équilibre de la balance des paiements de l'Etat membre concerné ; le niveau de ses coûts salariaux, considéré comme un indicateur avancé de l'inflation.

Ainsi, l'évaluation de la candidature d'un Etat membre à l'euro revient, pour l'essentiel, à vérifier que les conditions juridiques et économiques posées par le traité de Maastricht sont satisfaites. Dès lors que ces conditions sont remplies, la décision du Conseil semble pratiquement liée.

La Commission et le Conseil européen ne disposent guère d'une marge de manoeuvre que pour apprécier le caractère durable, ou non, de la stabilisation budgétaire et monétaire atteinte par l'Etat membre à la date de sa candidature. Mais cette appréciation est de nature essentiellement politique.

2. La consécration du « miracle grec »

a) Un effort courageux de redressement

Sans conteste, la Grèce apparaissait en 1998 comme l'Etat membre le plus éloigné des conditions d'entrée dans la zone euro, puisqu'elle n'en remplissait aucune et dépassait les critères chiffrés de convergence dans des proportions considérables.

Les efforts de redressement engagés par le Gouvernement de M. Costas Simitis n'en sont que plus méritoires, et le succès qui les couronne aujourd'hui apparaît à certains égards comme un véritable « miracle ».

S'agissant de la compatibilité de la législation nationale avec les statuts du SEBC, l'assemblée générale de la Banque de Grèce a accepté le 25 avril 2000 les modifications suggérées par la Commission européenne pour achever de la mettre en conformité.

S'agissant de la lutte contre l'inflation, le Gouvernement grec a d'abord opté pour une stratégie de la « drachme forte », rivée à l'écu au moyen de taux d'intérêt élevés, pour contenir par une contrainte extérieure la hausse des prix. Puis, dans un deuxième temps, il a engagé une politique plus structurelle d'indexation sur les prix des traitements de la fonction publique et de modération salariale dans le secteur privé.

S'agissant des finances publiques, le Gouvernement grec a accru les recettes fiscales en luttant contre la fraude et en rationalisant les exonérations, a contenu les dépenses budgétaires courantes sans sacrifier les dépenses d'investissement, et a dégagé un important excédent primaire qui lui a permis de réduire rapidement le poids de la dette publique. Fait notable, la réforme du système de sécurité sociale engagée dès 1990-1991 permet à celui-ci d'afficher un excédent égal à 2 % du PIB.

S'agissant des taux d'intérêt, le Gouvernement grec a pu les diminuer grâce à la crédibilité nouvelle de sa politique économique et à la disparition progressive des tensions inflationnistes, mais aussi grâce à une gestion plus active de la dette publique.

Non seulement cette « cure de rigueur » n'a pas nui à l'économie grecque, mais elle lui permet de connaître aujourd'hui une croissance saine qui, si elle se maintient à son rythme actuel de 4 %, devrait lui permettre de rattraper son retard de développement par rapport aux autres pays de l'Union européenne.

Il convient de souligner que les transferts nets en provenance du budget communautaire, à hauteur de 3 % du PIB grec, contribuent également à ce dynamisme économique.

b) Des résultats impressionnants

Pour mesurer l'étendue du chemin parcouru en quelques années, un rappel de la situation de la Grèce au printemps 1998, préalablement au passage à la troisième phase de l'UEM, n'est pas inutile :

- l'inflation en 1997 était de 5,2 %, contre une valeur de référence de 2,7 % ;

- le besoin de financement des administrations publiques était de 4 % PIB en 1997, contre une valeur de référence de 3 % ;

- la dette publique était de 108,7 % en 1997, contre une valeur de référence de 60 % ;

- le taux d'intérêt à long terme était de 9,8 % en 1998, contre une valeur de référence de 7,8 %.

Alors que 14 des 15 Etats membres remplissaient à l'époque les critères économiques et financiers de convergence, seule la Grèce faisait exception. La situation de la Grèce au printemps 2000 est tout autre :

- le taux moyen d'inflation durant l'année qui s'est achevée en mars 2000 a atteint 2 %, contre une valeur de référence de 2,4 % ;

- le déficit des administrations publiques a été ramené de 13,8 % du PIB en 1993 à 1,9 % en 1999, tandis que la dette publique est tombée de 112 % du PIB en 1996 à 104,5 % en 1999. En conséquence, la décision du Conseil constatant l'existence d'un déficit excessif en Grèce a été abrogée le 17 décembre 1999 ;

- au cours des deux dernières années, la Grèce a participé au MCE, sans tension grave sur les cours de la drachme ni dévaluation par rapport à l'euro ;

- le taux d'intérêt à long terme durant l'année qui s'est achevée en mars 2000 s'est établi en moyenne à 6,4 %, contre une valeur de référence de 7,2 %.

La Grèce satisfait donc aujourd'hui pleinement aux critères chiffrés de convergence. Certes, compte tenu de ses antécédents inflationnistes (le taux d'inflation n'est passé sous la barre des 10 %, pour la première fois depuis vingt-deux ans, qu'en 1995), il est légitime de s'interroger sur le caractère durable de ce redressement. Mais deux considérations incitent à conclure favorablement.

D'une part, les bases sur lesquelles le rétablissement des finances publiques grecques a été acquis sont saines. Il repose sur une maîtrise réelle des dépenses plus que sur un accroissement de la fiscalité, et la logique inflationniste antérieure est éradiquée par le changement des anticipations des agents économiques.

D'autre part, la Grèce dispose d'une marge de manoeuvre considérable pour consolider à la fois son assainissement budgétaire et sa compétitivité économique, par l'engagement des politiques de concurrence et d'ouverture des services publics de réseau, pour lesquelles elle est en retard par rapport aux autres Etats membres.

Enfin, le risque d'un retour des tensions inflationnistes en Grèce peut être raisonnablement pris, compte tenu de la taille relativement faible de son économie par rapport au reste de la zone euro. Du reste, l'importance des transferts communautaires vers la Grèce permettra à la solidarité européenne de jouer en sa faveur en cas de dégradation de ses finances publiques, ce qui ne serait pas le cas pour des Etats membres de dimension plus importante ou contributeurs nets.

3. Les implications de l'extension de la zone euro

a) Une confirmation du succès de l'euro

L'entrée de la Grèce dans la zone euro ne sera pas seulement la « récompense » des efforts consentis par celle-ci, mais également un message adressé au reste du monde par l'Union européenne, qui confirmera ainsi sans aucune ambiguïté sa propre confiance dans la solidité de l'UEM.

Alors que le débat sur la parité extérieure de la monnaie unique prend de l'ampleur, il n'est pas inutile de rappeler que les avantages attendus de l'euro se sont jusqu'à présent largement vérifiés dans les faits :

- les économies sur les frais de transaction commerciaux sont déjà une réalité pour les entreprises européennes, même si elles restent à concrétiser pour les particuliers ;

- la fin des dévaluations compétitives entre les Etats membres est consubstantielle au principe même de la zone euro ;

- l'euro a permis une « sortie par le haut » des difficultés antérieures du Système Monétaire Européen (SME), qui fonctionnait de manière asymétrique : les évolutions divergentes entre les monnaies fortes et les autres, alimentées par la spéculation, étaient difficilement contenues par un alignement de tous les Etats membres sur des taux d'intérêt allemands d'autant plus élevés qu'il leur fallait les majorer d'une prime pour risque de change ;

- le rééquilibrage du système monétaire international n'est encore qu'amorcé pour les transactions commerciales, encore dominées par le dollar, mais est déjà effectif pour les euroemprunts ;

- la détente des taux d'intérêt au sein de la zone euro est l'un des facteurs qui a le plus contribué au retour général des Etats membres à la croissance économique ;

- enfin, les Etats participant à la zone euro peuvent jusqu'à un certain point se permettre de pratiquer un « benign neglect » à l'égard de la parité extérieure de l'euro.

En effet, si la dépréciation continue de l'euro par rapport au dollar est préoccupante, c'est uniquement à cause d'un risque d'inflation importée, potentiel mais non encore vérifié. Pour l'instant, ce phénomène est surtout une aubaine pour les entreprises exportatrices de la zone euro.

On a trop vite oublié que, dans le cadre antérieur du SME, un tel mouvement de hausse du dollar par rapport à l'écu aurait immanquablement provoqué un découplage spéculatif entre le mark et les autres monnaies européennes, avec son cortège habituel de hausses des taux d'intérêt préjudiciables à la croissance et de dévaluations inflationnistes.

b) Un effet d'entraînement probable

L'adoption de l'euro par la Grèce pourrait avoir un effet d'entraînement sur les autres Etats demeurés en dehors de la zone euro.

En dépit des difficultés rencontrées par les entreprises britanniques du fait de la surévaluation de la livre, la position de refus du Royaume-Uni ne semble pas prête de varier.

En revanche, le Danemark se prononcera le 28 septembre 2000, par référendum, sur l'adoption de l'euro. Même si l'opinion publique danoise a évolué sur ce sujet depuis le référendum de 1992, un résultat positif ne peut pas être considéré comme acquis. Le Premier ministre danois a d'ailleurs compliqué le débat en évoquant, afin de vaincre les dernières réticences de ses concitoyens, la possibilité pour le Danemark de sortir ultérieurement de la zone euro si les bénéfices de son adhésion n'étaient pas à la hauteur de ses attentes.

Quoiqu'il en soit, même si le résultat du prochain référendum est favorable, le Danemark ne pourra pas intégrer la zone euro en même temps que la Grèce, au 1er janvier 2001. En effet, pour lever la clause d'exemption qu'il a fait jouer en 1992, une révision du traité CE selon une procédure intergouvernementale est nécessaire.

La situation de la Suède est bien particulière. A la différence du Royaume-Uni et du Danemark, ce pays ne bénéficie pas d'une exemption mais, comme la Grèce, d'une simple dérogation.

Or, la Suède remplit tous les critères chiffrés de convergence pour entrer dans la zone euro. C'est l'Etat membre qui a la plus faible inflation, avec un taux annuel de 0,8 % en mars 2000 ; son taux d'intérêt à long terme s'est établi à 5,4 % sur les douze derniers mois ; ses finances publiques sont excédentaires de 1,9 % du PIB depuis deux ans ; sa dette a été ramenée à 65,5 % du PIB en 1999 et continue de décroître rapidement.

Mais la Suède ne satisfait pas les conditions juridiques et monétaires d'adhésion à la zone euro. En décembre 1998, elle a modifié le statut constitutionnel et législatif de sa Banque centrale, mais d'une manière incompatible avec les statuts du SEBC. Par ailleurs, même si la couronne suédoise a retrouvé une certaine stabilité après la crise de 1990, elle reste flottante et ne participe pas au MCE.

La satisfaction de ces deux conditions manquantes est a priori plus aisée que celle des autres conditions économiques et financières. En pratique, elle résultera d'un choix des autorités suédoises de se conformer effectivement à l'obligation juridique de convergence, à laquelle elles ont théoriquement souscrite en signant le traité de Maastricht.

Paradoxalement, l'évolution fluctuante de la parité de l'euro pourrait contribuer à l'évolution de la position de la Suède, qui s'est montrée jusqu'à présent surtout soucieuse de ne pas s'imposer une contrainte extérieure de change.

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Compte tenu du caractère consensuel de ce texte, la délégation n'a pas estimé nécessaire d'intervenir à ce sujet.