COM (2001) 283 final  du 30/05/2001
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 26/05/2003

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 10/07/2001
Examen : 09/07/2002 (délégation pour l'Union européenne)


Politique sociale et santé

Communication de Lucien Lanier sur la proposition
de directive relative à la publicité et au parrainage
en faveur des produits du tabac

Texte E 1761

(Réunion du 9 juillet 2002)

Cette proposition organise le rapprochement des dispositions applicables, dans les États membres, à la publicité en faveur des produits du tabac et au parrainage d'événements par ceux-ci. Elle ne concerne pas la publicité télévisée qui a été d'ores et déjà totalement interdite par une directive de 1989.

Ce texte est motivé par des considérations de santé publique et par le souci d'éviter des différences de traitement entre opérateurs économiques au sein du marché unique. Une précédente version, adoptée en 1998, a été annulée en 2000 par la Cour de justice à la demande de la République fédérale d'Allemagne pour base juridique erronée, en l'absence d'entraves avérées à la libre circulation des marchandises et de distorsions de concurrence. La Commission estime que la rédaction de sa nouvelle proposition tient compte des remarques de la Cour de Justice.

Ainsi, la nouvelle proposition se fonde non plus sur l'article du Traité relatif au fonctionnement du marché intérieur (article 100A), mais sur les articles qui exigent désormais que la Communauté favorise un niveau de protection élevé en matière de santé publique (articles 47.2, 55 et 95).

D'après l'exposé des motifs du texte, le problème de la publicité en faveur du tabac se pose essentiellement dans le domaine de la presse : compte tenu de l'existence de législations différentes entre États membres - qui, pourtant, réglementent tous, à des degrés de sévérité divers, cette activité -, la circulation des journaux se trouverait entravée.

Par ailleurs, le texte propose d'interdire, pour les produits du tabac :

- le parrainage d'activités ou de manifestations ayant des répercussions transfrontalières ;

- la publicité via la radiodiffusion ou « la société de l'information »,  Internet, essentiellement ;

- enfin, la distribution gratuite de produits.

On précise en outre que l'adoption du présent texte constitue une réponse partielle qui devrait se voir complétée par l'adoption, actuellement en cours, d'une future convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac.

Que faut-il penser de ce texte ? Nous sommes partagés entre deux sentiments. Il est incontestable, d'une part, que la consommation de produits du tabac constitue un fléau majeur pour la santé publique, dont les conséquences néfastes sont désormais bien connues et nous ne pouvons que soutenir toute démarche de prévention de la consommation de tabac. Tous les États membres partagent, d'ailleurs, cette approche puisqu'un accord a été trouvé au Conseil.

Or, si ce dossier ne progresse pas depuis plusieurs mois, c'est parce que des réserves existent, dans les milieux professionnels concernés, bien sûr, mais aussi au Parlement européen où la procédure d'examen du texte tarde à aboutir et n'est espérée qu'en septembre. Et je comprends ces hésitations car, tout en approuvant l'objectif, il est difficile d'admettre, au niveau des principes, l'intervention communautaire dans cette matière. En application du principe de subsidiarité, il apparaît que les États membres sont parfaitement à même d'édicter les textes nécessaires - ce qu'ils font, d'ailleurs avec une sévérité sans cesse croissante, comme l'expose le présent texte : celui-ci est, par exemple, moins exigeant que la législation française applicable à la publicité par voie de presse au titre de la « loi Évin ». L'action communautaire n'apporte pas, me semble-t-il, de « plus-value » tangible en la matière. Une fois de plus, gardons à l'esprit que ce n'est pas parce qu'une action est souhaitable qu'elle doit être conduite par la Communauté ; encore faut-il que cette dernière soit mieux placée que les États membres pour la mener à bien.

Par ailleurs, l'argumentaire développé reste, dans cette nouvelle version guère différente de la précédente, très contestable : la Commission fait valoir que les différences entre les législations nationales constituent des entraves à la circulation des produits et services publicitaires. En son temps, la Cour de justice n'avait pas confirmé cette considération, puisqu'elle observait que les États membres conservaient la possibilité d'imposer sur leur territoire des dispositifs plus restrictifs et que l'intervention communautaire ne produisait donc pas d'améliorations du fonctionnement du marché intérieur. Le fait est que, même en faisant valoir un impératif de santé publique, on voit mal comment l'interdiction totale apporte une réponse à ces problèmes de fonctionnement du marché intérieur, sauf à considérer que la bonne manière de soigner une maladie consisterait à tuer le malade. La stricte application du traité, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas de faire prévaloir la santé publique sur d'autres objectifs, qu'il s'agisse de lutter contre le tabagisme ou contre d'autres fléaux d'ailleurs, comme l'alcoolisme ou l'usage de stupéfiants.

Pour ce qui concerne le cas particulier de la presse écrite, la Commission affirme que « si l'on veut assurer la libre circulation de tous ces médias dans le marché intérieur, il est nécessaire d'y limiter la publicité en faveur du tabac aux revues et périodiques non destinés au grand public », c'est-à-dire aux revues spécialisées et à celles qui ne sont pas destinées principalement au marché communautaire. On peut trouver le raisonnement faible et peu convaincant, surtout si l'on rappelle que le commerce transfrontalier de la presse représente une part très limitée des ventes, de l'ordre de 5 % au plus environ, et qu'il concerne a priori assez peu les jeunes et adolescents qui constituent la cible privilégiée de la démarche de santé publique entreprise par cette proposition.

Enfin, interdire le parrainage d'événements ou la distribution gratuite de produits du tabac au public paraît relever de la compétence des États membres qui sont à même de juger de l'opportunité de ce type de restriction sur leur territoire et d'adapter leurs législations nationales dans le sens souhaité.

En revanche, j'aurais tendance à suivre les propositions de la Commission pour ce qui concerne l'interdiction de publicité et de parrainage en matière de radiodiffusion et d'Internet, qui s'apparente grandement au système applicable à la diffusion télévisée en ce qu'elle comporte des conséquences transfrontalières évidentes.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter les propositions de conclusions que je vous présente, afin que nos réserves soient transmises au Gouvernement et relayées par lui auprès du Conseil.

Compte rendu sommaire du débat

M. Aymeri de Montesquiou :

Je reconnais volontiers le bien-fondé de l'application stricte du principe de subsidiarité en la matière, mais ne peut-on penser qu'il est un peu « ébréché » pour ce qui concerne la publicité dans la presse écrite ? Nos journaux sont lus à l'étranger, et les journaux étrangers chez nous. Le fait que les règles ne soient pas les mêmes sur l'ensemble du territoire de l'Union ne pose-t-il pas de difficultés ?

M. Lucien Lanier :

Je crois qu'il faut relativiser ce problème. On estime à 5 % seulement le commerce transfrontière de la presse écrite, et celui-ci concerne probablement très peu les jeunes et adolescents susceptibles d'être incités à fumer par la seule présence d'une publicité pour un produit du tabac.

Mme Michelle Demessine :

Quels sont les pays de l'Union qui autorisent la publicité pour les produits du tabac dans la presse écrite ?

M. Lucien Lanier :

Les législations nationales luxembourgeoise, espagnole, grecque, allemande et autrichienne l'admettent, mais toujours avec des restrictions, des réserves et des obligations d'information destinées au public. Par ailleurs, le mouvement général est de rendre les dispositifs réglementaires de plus en plus sévères en la matière, ce qui me conduisait à considérer que les États membres étaient en mesure d'édicter eux-mêmes les lois nécessaires.

Mme Michelle Demessine :

Quelle était la teneur de la décision de la Cour de Justice invalidant la précédente directive ?

M. Hubert Haenel :

Le recours avait été introduit par l'Allemagne et il se fondait essentiellement sur la base juridique avancée à l'appui du texte. En l'espèce, la directive se prévalait des règles de fonctionnement du marché intérieur - ce que la Cour de Justice n'a pas considéré comme valable - et non de considérations de santé publique. Or, la Commission ne dispose pas de la même capacité d'intervention dans ces deux cas de figure.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté à l'unanimité le texte des conclusions suivantes :

Conclusions de la délégation

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive concernant la publicité et le parrainage en faveur des produits du tabac (E 1761),

Vu la directive 98/43/CE du 6 juillet 1998 ayant le même objet et annulée par la Cour de justice des Communautés européennes le 5 octobre 2000 (affaire C-376/98),

Observant que tous les États membres disposent d'une législation restrictive concernant la publicité en faveur du tabac et que ces dispositifs sont rendus de plus en plus contraignants,

Estime que, en vertu du principe de subsidiarité selon lequel l'intervention communautaire ne se justifie que lorsque l'objectif poursuivi ne peut être réalisé au niveau national, le choix d'interdire le parrainage ou la distribution gratuite de produits du tabac doit relever des législations nationales, qui sont à même d'en organiser les modalités,

Considère que l'interdiction très large de la publicité par voie de presse ne constitue pas une réponse adaptée aux objectifs poursuivis par le texte E 1761 alors qu'une intervention communautaire paraît légitime pour ce qui concerne la publicité ayant des retombées transfrontalières de masse, comme c'est le cas dans l'utilisation des nouveaux moyens de communication ou dans le cadre d'émissions radiodiffusées,

Demande en conséquence au Gouvernement que le champ d'application de ce texte soit limité aux activités transfrontalières que sont les émissions radiodiffusées et les services de la société de l'information et qu'il s'oppose, en application du principe de subsidiarité, à l'adoption des autres dispositions proposées.