COM (2001) 745 final  du 11/12/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 12/02/2002
Examen : 29/03/2002 (délégation pour l'Union européenne)
Texte suivi par le E2176 (COM (2002) 711), proposition de règlement relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. Texte rendu caduque (notification du 18 mars 2003).


Marché intérieur

Communication écrite de M. Denis Badré sur le
Livre vert relatif à la réforme du règlement
sur le contrôle des concentrations

Texte E 1924 - COM (2001) 745 final

(Examen du 29 mars 2002)

La réforme de la politique européenne de la concurrence, qui se caractérise par son niveau élevé d'intégration et par les pouvoirs importants de la Commission européenne, est un sujet d'actualité qui soulève des enjeux majeurs.

On se souvient, en effet, des récentes polémiques qui ont suivi plusieurs veto opposés par Bruxelles au rapprochement entre les entreprises françaises Schneider et Legrand et entre Sidel et Tetra Laval. Ces décisions ont eu des effets immédiats sur les entreprises concernées, Schneider et Legrand ayant même été contraints de se séparer, et elles ont été ouvertement critiquées, notamment par le ministre de l'Économie et des Finances, M. Laurent Fabius.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne vient d'adopter un Livre vert sur la révision du règlement relatif au contrôle des concentrations (le règlement CEE n° 4064/89 du Conseil), dont le Sénat est saisi en vertu de l'article 88-4 de la Constitution.

Cette révision s'inscrit, en fait, dans le cadre d'une vaste réforme de la politique de la concurrence engagée par les institutions communautaires. J'avais déjà évoqué certains aspects de cette réforme lors d'une précédente communication à l'occasion de l'examen du Livre blanc relatif à la modernisation des règles de concurrence (réunion de la délégation du mardi 18 janvier 2000).

Il n'est pas exclu, également, et il me paraît souhaitable que la Convention sur l'avenir de l'Europe aborde cette question, en particulier sous l'angle de la répartition des compétences.

Le Livre vert porte, quant à lui, uniquement sur la réforme du contrôle des concentrations, et la réforme envisagée pose précisément le problème de la délimitation des compétences.

Le contrôle des concentrations présente l'originalité de ne pas résulter du texte même du traité, mais d'un règlement communautaire du 21 décembre 1989. D'après ce règlement, les opérations de concentration d'entreprises, qu'il s'agisse de fusions ou d'autres opérations comme la création d'entreprises communes, ne sont pas nocives en elles-mêmes, mais elles peuvent présenter le risque de créer un abus de position dominante et menacer, ainsi, la concurrence. Le règlement prévoit donc une procédure spécifique de contrôle de ces opérations lorsqu'elles présentent une « dimension européenne ». Selon cette procédure, l'opération de concentration doit être notifiée par les entreprises concernées à la Commission européenne et rester en suspens jusqu'à sa décision. Cette décision est rendue dans des délais stricts et elle est susceptible de recours devant la Cour de Luxembourg.

Depuis l'entrée en vigueur du règlement, il y a onze ans environ, 1 850 opérations ont été notifiées à la Commission en vue d'une autorisation. La grande majorité d'entre elles ont obtenu une autorisation sans conditions. 18 seulement (soit moins de 1 %) ont été refusées.

La dernière décennie a toutefois été marquée par une augmentation sensible du nombre de concentrations, dans un contexte de mondialisation de l'économie et, en Europe, avec l'avènement du marché unique et l'arrivée de l'euro. Ainsi, près de 400 opérations ont été notifiées pour la seule année 2001. Cette tendance devrait naturellement s'exacerber avec l'élargissement de l'Union européenne.

Par ailleurs, la mise en place de régimes de contrôle des concentrations dans différents pays a eu pour effet d'augmenter les coûts, d'allonger les délais et d'accroître l'insécurité juridique pour les concentrations et les acquisitions qui doivent être autorisées par plusieurs pays.

Une réforme du contrôle des concentrations s'impose donc, comme le reconnaît la Commission, et c'est l'objet de ce Livre vert. Celui-ci, comme tout Livre vert, ne constitue pas une proposition de révision du règlement, mais il vise uniquement à ouvrir un débat sur le fonctionnement du dispositif actuel et les possibilités d'amélioration. Dans certains cas, la Commission européenne se borne à poser les problèmes, tandis que dans d'autres, elle avance des propositions concrètes. Elle souhaite recueillir les réponses des « parties intéressées » jusqu'au 31 mars 2002 et proposera, au vu de ces éléments, une proposition de révision du règlement au cours de cette année.

1. Le contenu du Livre vert

La réforme envisagée par la Commission européenne porte à la fois sur les finalités du contrôle des concentrations et sur la procédure. En revanche, les pouvoirs de la Commission et la question de la répartition des compétences ne sont qu'évoqués par le Livre vert.

a) En ce qui concerne la finalité du contrôle, la question centrale porte sur le critère de référence utilisé pour évaluer les effets d'une concentration. Il existe, en effet, une différence majeure entre l'approche de la Commission européenne et d'autres approches, comme celle des États-Unis ou celle de la France.

Selon le dispositif européen actuel, l'examen porte sur le fait de savoir si une opération de concentration conduit à « la création ou au renforcement d'une position dominante ». En revanche, les autorités françaises chargées de la concurrence préfèreraient voir, comme le font les Américains, si elle provoque « un affaiblissement substantiel de la concurrence ».

Cette distinction explique, par exemple, que le rapprochement General Electric-Honeywell ait, d'abord, été autorisé par les États-Unis mais interdit, ensuite, par l'Union européenne. L'existence de ces approches différentes représente un obstacle au développement de la coopération entre les autorités chargées de la concurrence au niveau mondial. Par ailleurs, le critère utilisé par la Commission européenne est critiqué pour sa rigidité, car il ne permet pas de prendre en compte les éléments positifs d'une opération de concentration.

Le Livre vert ouvre donc un débat sur les avantages respectifs des deux approches.

b) En matière de procédure, le Livre vert formule plusieurs suggestions, en particulier celle de prévoir un système d'arrêt de la pendule, sur l'initiative des entreprises, pour une période maximum d'un mois, pour remédier aux difficultés actuelles qui se posent aux entreprises pour affiner leurs propositions d'engagement.

c) L'équilibre entre la Commission, les États membres et les entreprises

Ce thème n'est abordé que de manière succincte par le Livre vert, la Commission européenne estimant que l'équilibre actuel entre les entreprises, la Commission et les États membres dans le processus de contrôle est satisfaisant. Or, la situation actuelle aboutit à conférer à la Commission un pouvoir très important qui n'est actuellement contrebalancé par aucun contre-pouvoir. Les États membres ne jouent qu'un rôle marginal durant la procédure au sein d'un comité consultatif et les entreprises déplorent souvent qu'elles ne soient pas assez associées. Le seul organe susceptible de jouer le rôle de contre-pouvoir, le juge communautaire, n'est pas capable en pratique d'exercer ce rôle, en raison de la longueur des délais de jugement. Les recours examinés par le juge communautaire mettent, en effet, de deux à trois ans, ce qui, dans la pratique, aboutit à rendre tout recours inefficace. Certes, il existe également une procédure de référé, mais le délai est encore trop long puisqu'il est en moyenne d'une année.

On peut donc regretter que le Livre blanc ne soit pas plus ambitieux sur ce point.

d) La répartition des compétences

Il s'agit là d'un sujet central qui pourtant n'est abordé qu'à la marge par le Livre vert. En effet, le dispositif actuel repose sur le principe du « guichet unique », selon lequel les concentrations de « dimension communautaire » relèvent de la compétence exclusive de la Commission européenne. Les autres relèvent de la compétence des autorités nationales, c'est-à-dire qu'elles sont contrôlées par les autorités nationales d'un ou plusieurs États membres.

Ce principe de répartition des compétences est toutefois tempéré de deux manières. D'une part, l'article 22 du règlement permet à plusieurs États, lorsqu'ils sont appelés à contrôler la même opération, de renvoyer cette affaire à la Commission. D'autre part, l'article 9 du règlement permet l'opération inverse, c'est-à-dire le renvoi de l'examen d'une concentration, par la Commission, à une autorité nationale.

Les entreprises sont, de manière générale, attachées au principe du « guichet unique », qui permet de minimiser leurs coûts, de même que les États membres. Cependant, l'actuelle répartition des compétences soulève des difficultés dans la pratique, avec l'augmentation considérable du nombre d'affaires dont la Commission est saisie, que l'élargissement va certainement accentuer. A l'inverse, certaines opérations nécessitent encore des notifications multiples, ce qui pose des problèmes aux entreprises concernées. De plus, les mécanismes de renvoi des articles 9 et 22 restent peu utilisés car ils présentent de nombreuses imperfections dans leur rédaction actuelle.

Il convient donc de distinguer le problème des critères de compétence et la question des règles de renvoi.

Au plan des principes, nous rappelons que pour une politique commune ancienne et forte, comme celle de la concurrence, une mise en oeuvre la plus déconcentrée possible au sein des États peut et doit être recherchée.

(1) Les critères de la « dimension européenne »

Pour établir qu'une opération de concentration présente une « dimension communautaire », le règlement définit trois critères cumulatifs qui reposent sur le chiffre d'affaires. Par ailleurs, de nouveaux seuils, alternatifs, ont été introduits en 1997, visant à permettre que les opérations de concentration qui présentent une certaine dimension transnationale, mais qui ne répondent pas aux trois critères, relèvent quand même du « guichet unique ». Toutefois, ces seuils alternatifs semblent avoir une efficacité limitée dans la pratique. Ainsi, en 2000, seulement 20 concentrations ont été notifiées selon ces seuils, alors que 75 opérations ont nécessité au moins une triple notification. La Commission européenne ne propose pas, cependant, de les supprimer, mais d'ajouter une règle qui poserait qu'une opération de concentration devant en principe être notifiée dans au moins trois États membres devrait être présumée comme présentant une « dimension européenne », une sorte de « présomption de compétence ».

(2) Les règles de renvoi

La procédure de renvoi à la Commission d'une affaire de dimension nationale (article 22) a connu une application très limitée. Dans son Livre vert, la Commission européenne semble expliquer cela par l'absence de volonté politique des États membres de recourir à cette procédure. Elle ne propose donc pas de l'améliorer. En revanche, la procédure de renvoi d'une affaire à un État membre (article 9) donne lieu à des propositions d'amélioration dans le Livre vert, afin de permettre à la Commission de renvoyer plus facilement l'examen d'une opération de dimension européenne à une autorité nationale.

En définitive, le Livre vert présente le paradoxe de vouloir étendre la notion de « dimension européenne », tout en facilitant le renvoi des opérations aux autorités nationales, pour faire face à l'augmentation du nombre d'opérations dont la Commission est saisie. Outre son caractère contradictoire, cette réforme aboutirait, en réalité, à étendre considérablement le champ de la compétence communautaire et les pouvoirs de la Commission, qui déciderait elle-même, de manière discrétionnaire, des affaires dont elle serait saisie, affaiblissant ainsi la sécurité juridique pour les entreprises. Elle apparaît donc peu conforme au respect du principe de subsidiarité et à l'équilibre des pouvoirs entre l'Union et les États membres.

2. L'examen du Livre vert

Afin de préparer la contribution du Gouvernement français au Livre vert, le ministère de l'Économie et des Finances a organisé une consultation des parties intéressées, notamment des entreprises.

De cette consultation, il ressort que les intéressés sont divisés sur les mérites respectifs du test de la position dominante et du test de la réduction substantielle de la concurrence, et qu'ils souhaitent, en réalité, une convergence entre l'approche de la Commission et celle des autres systèmes.

Les intéressés sont également divisés sur la répartition des compétences, même si tous s'accordent à dire que la proposition de la Commission d'établir une compétence communautaire lorsque l'opération est notifiable dans trois États membres, n'est ni souhaitable, ni réaliste.

En revanche, tous considèrent que la réforme du contrôle des concentrations doit porter en priorité sur l'amélioration de la procédure, afin de trouver un meilleur équilibre entre la Commission, les États membres et les entreprises, ainsi que sur la procédure juridictionnelle, pour remédier aux défaillances actuelles. Les entreprises interrogées sont, en effet, unanimes sur le caractère inopérant, inefficace et peu crédible des mécanismes de recours actuels.

La contribution du Gouvernement français au Livre vert, qui a pris la forme d'une lettre du ministre de l'Économie et des Finances au Commissaire européen chargé de la concurrence, M. Mario Monti, reprend, conformément à ce qui avait été annoncé par le ministre, les orientations définies par les acteurs intéressés.

Le Gouvernement considère, toutefois, que l'actuelle délimitation des compétences entre l'Union européenne et les États membres n'est pas satisfaisante et qu'elle pourrait être améliorée, non pas comme le propose la Commission, mais par un retour aux seuils de chiffres d'affaires antérieurs à la révision du règlement en 1997 et par la mise en place d'un mécanisme simplifié de renvoi à la Commission à la demande d'un État membre.

La plupart des orientations exprimées par le Gouvernement me semblent pertinentes et je propose donc à la délégation de les soutenir. A cet égard, on ne peut que se féliciter de la manière dont a été organisée, en France, le débat sur le Livre vert, en particulier la consultation des parties intéressées et la grande transparence à laquelle il a donné lieu1(*).

Toutefois, il convient de remarquer que l'accroissement du rôle des États membres, tant au niveau des compétences que de leurs prérogatives, implique une mise à niveau des moyens nationaux. Or, en France, les capacités des autorités nationales chargées de la concurrence (ministère de l'Économie et des Finances, Conseil de la concurrence) et des juridictions sont d'ores et déjà saturées en raison des seuils très bas retenus par la loi, alors que la réforme envisagée aboutirait à une charge de travail accrue pour les autorités et les juridictions nationales. Il apparaît donc indispensable de renforcer les moyens au niveau national et peut-être également de s'interroger sur le relèvement des seuils.

Par ailleurs, cela implique également une coopération accrue entre les autorités nationales au niveau européen et au niveau mondial. A cet égard, une certaine convergence devrait être recherchée, tant au niveau des principes que du point de vue juridique et juridictionnel.

De même, enfin, qu'il me paraît souhaitable que, la Convention sur l'avenir de l'Europe se penche sur l'état et le développement de la politique commune de concurrence, il me semble également que cette politique pourra trouver un nouvel élan dans le cadre des orientations plus générales que devra trouver la Convention.

Cette communication a été adressée par voie écrite aux membres de la délégation qui avaient la possibilité de donner leur point de vue sur ce texte. Aucun sénateur n'ayant souhaité formuler d'observations sur le sujet, la délégation a décidé de prendre acte de ce Livre vert.


* (1) Le rapport de synthèse issu de la consultation nationale, la note sur les orientations françaises relatives à la révision du règlement, ainsi que la lettre du ministre de l'Économie et des Finances, M. Laurent Fabius, au Commissaire européen chargé de la concurrence, M. Mario Monti, sont disponibles sur le site Internet du ministère de l'Économie et des Finances, à l'adresse suivante : www.minefi.gouv.fr/minefi/ministere/ministre/index.html