COM (2002) 534 final  du 02/10/2002
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 21/04/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 22/10/2002
Examen : 05/02/2003 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Politique économique et financière

Communication de M. Yann Gaillard sur la directive
concernant les offres publiques d'acquisition

Texte E 2115 rectifié

(Réunion du 5 février 2003)

La proposition de directive concernant les offres publiques d'acquisition (OPA) est l'aboutissement d'un long processus de discussion, qui a connu de nombreux rebondissements. Les principes généraux de ce texte, au-delà de quelques points perfectibles, méritent d'être approuvés. Mais son adoption définitive demeure loin d'être acquise.

1. Une affaire à rebondissements

La discussion de la directive OPA se présente comme un véritable feuilleton, qui a commencé il y a bientôt quinze ans.

Une première proposition de treizième directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition a été présentée par la Commission en janvier 1989. Il s'agissait d'un texte ambitieux, qui visait à une véritable unification des législations nationales relatives aux OPA. Il comportait des dispositions de mise en oeuvre très détaillées. Les Etats membres ont refusé de se laisser lier par un texte aussi contraignant, et ce premier projet fut abandonné.

Une nouvelle proposition a été présentée par la Commission le 8 février 1996, sous la forme d'une directive-cadre établissant les principes généraux sans tenter de réaliser une harmonisation détaillée. Il s'agissait de coordonner simplement les actions des Etats membres. Ce texte fut encore modifié en 1997, pour tenir compte des amendements du Parlement européen et des souhaits du Comité économique et social. L'adoption, à l'unanimité, d'une position commune par le Conseil le 19 juin 2000 laissait espérer une adoption rapide. Mais le Parlement européen, qui entre-temps avait été renouvelé, a voté en deuxième lecture des amendements contraires à la position commune du Conseil. Après trois mois de négociations intenses, le comité de conciliation entre le Conseil et le Parlement est parvenu à un accord le 6 juin 2001. Le Parlement européen devait toutefois encore se prononcer sur ce texte de compromis. Or, entre temps, l'Allemagne a opéré un brusque revirement, et manifeste désormais son opposition à une disposition de la directive qui interdit à une entreprise faisant l'objet d'une OPA hostile de prendre des mesures de défense sans l'accord de ses actionnaires réunis en assemblée générale.

Ainsi, le 4 juillet 2001, 273 députés européens suivent le rapporteur allemand pour s'opposer au texte de compromis issu de la procédure de conciliation, tandis que 273 votent pour : ce partage des voix vaut rejet, et la proposition de directive est définitivement caduque. Outre la question soulevée par l'Allemagne, deux autres considérations ont motivé le rejet du texte : d'une part, la protection insuffisante offerte aux employés des sociétés impliquées dans une OPA ; d'autre part, le risque d'un décalage avec les règles applicables aux Etats-Unis.

Sans se décourager, la Commission a créé un groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés, présidé par le professeur Jaap Winter, et l'a chargé de lui présenter des suggestions pour répondre aux problèmes soulevés par le Parlement européen. Ce groupe a rendu en janvier 2002 son rapport, dont la Commission s'est largement inspiré pour élaborer la nouvelle proposition de directive qu'elle a présentée le 2 octobre 2002.

2. Le contenu de la proposition de directive

La proposition de directive définit pour tous les Etats membres les grands principes applicables en matière d'offres publiques d'acquisition. Une bonne part de ses dispositions est reprise du texte précédent.

L'article 4 définit l'autorité de contrôle compétente et le droit applicable : s'il s'agit exclusivement de questions relatives à l'offre publique d'acquisition, ce seront ceux de l'Etat où les titres sont échangés et non pas ceux de l'Etat du siège social.

L'article 5 organise la protection des actionnaires minoritaires : la personne physique ou morale prenant le contrôle d'une société cotée se trouve dans l'obligation de lancer une offre à tous les détenteurs de titres, pour la totalité de leurs titres, et à un prix équitable.

La proposition de directive définit le prix à payer, ce qui est un ajout par rapport au texte précédent. Est considéré comme équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant pendant une période de six à douze mois précédant l'offre. Néanmoins, les Etats membres peuvent autoriser les autorités de contrôle à modifier ce prix, par une décision motivée et rendue publique.

L'article 8 prévoit la publicité de l'offre : les États membres doivent veiller à ce que les informations susceptibles d'influer sur le marché des titres concernés soient rendues publiques selon des modalités permettant de réduire les risques de création de faux marché et d'opérations d'initiés.

L'article 9, relatif aux obligations de l'organe de direction de la société, est l'une des dispositions essentielles de la proposition de directive. Il prévoit que les Etats membres doivent veiller à ce que l'organe de direction de la société visée par l'OPA s'abstienne de prendre des mesures de défense s'il n'a pas reçu l'autorisation préalable de l'assemblée générale des actionnaires. L'organe de direction doit également rendre un avis motivé sur l'offre. Les travailleurs de la société visée doivent être associés à cet avis.

L'article 10 précise que les sociétés cotées doivent publier les informations sur les dispositifs mis en place afin d'entraver une éventuelle OPA. L'assemblée des actionnaires doit se prononcer tous les deux ans sur ces mesures structurelles et ces mécanismes de défense, que l'organe de direction doit justifier. Cette disposition est un ajout apporté au précédent texte, à la demande du Parlement européen.

L'article 11 est une autre disposition essentielle de la proposition de directive. Il prévoit la neutralisation, pendant la durée de l'OPA, des restrictions au transfert de titres et au droit de vote qui pourraient la rendre plus difficile. Ces restrictions sont inopposables à l'offrant pendant la période d'acceptation de l'OPA. Elles cessent de produire leurs effets lorsque, à l'issue d'une OPA, l'offrant détient un nombre de titres qui lui permettrait, en application de la législation nationale, de modifier les statuts de la société. Cet article ne remet pas en cause les droits de vote doubles qui existent en droit français, comme dans plusieurs autres Etats membres, et constituent un élément structurant pour de nombreuses sociétés à capital familial. En effet, le rapport Winter proposait de supprimer les droits de vote multiples, mais la Commission n'a finalement pas retenu cette suggestion dans sa proposition de directive.

L'article 13, qui prévoit l'information et la consultation des représentants des travailleurs, correspond à un souci du Parlement européen.

L'article 14, qui résulte d'un amendement du Parlement européen, organise le « retrait obligatoire » (ou squeeze out) : un actionnaire détenant un certain pourcentage de titres d'une société à la suite d'une OPA peut obliger les actionnaires minoritaires restants à lui céder leurs titres contre une compensation.

L'article 15, qui est la contrepartie du précédent, organise le « rachat obligatoire » (ou sell out) : à la suite d'une OPA, un actionnaire minoritaire peut obliger l'actionnaire majoritaire à lui acheter ses titres.

3. Des points perfectibles

Dans la mesure où le texte est d'harmonisation minimale et prévoit de nombreuses dérogations arrêtées par les autorités nationales, il risque de ne pas atteindre ses objectifs d'égalité entre les entreprises des différents États membres et d'intégration des marchés de capitaux européens. C'est pourquoi on pourrait envisager une harmonisation plus poussée sur certains points, tels que la définition du prix équitable.

De même, la proposition de directive ne définit pas non plus le pourcentage des droits de vote à partir duquel le contrôle de la société peut être considéré comme acquis, cette question étant renvoyée aux États membres. Ce pourcentage varie entre 25 % et 40 % dans les pays où existe un seuil de cette nature. Il est de 33 % en France. La fixation d'un plafond de 50 % pour tous les Etats membres constituerait un progrès.

Il conviendrait enfin de préciser l'article 11 afin de garantir le respect des pactes d'actionnaires lors des assemblées générales réunies avant la fin de l'OPA. Leur neutralisation serait limitée aux assemblées ultérieures, dans l'hypothèse où l'offreur est parvenu à acquérir un nombre d'actions suffisant pour lui permettre de modifier les statuts.

4. Une négociation qui s'annonce difficile

Pour le gouvernement français, ce texte est globalement satisfaisant dans la mesure où il reprend les acquis du précédent projet tout en enrichissant la proposition de plusieurs recommandations tirées du rapport Winter (équilibre entre les mesures de défense et le rôle prééminent de l'assemblée générale, renforcement de la protection des actionnaires minoritaires, information des salariés).

Le droit français et la pratique des entreprises françaises sont déjà, pour l'essentiel, depuis longtemps conformes à la proposition de directive, sans que cela entraîne de vulnérabilité particulière aux OPA.

En revanche, le gouvernement allemand est hostile à cette proposition de directive. Il souhaite permettre aux organes dirigeants de prendre des mesures de défense anti-OPA sans avoir à recueillir l'aval de l'assemblée générale (art. 9) et réintroduire les droits de vote multiples dans la catégorie des mesures suspendues en période d'offre publique (art. 11).

La position allemande est motivée par le traumatisme qu'a représentée l'OPA hostile lancée avec succès en 1999 par Vodaphone sur Mannesman, ainsi que par le cas de Volkswagen, qui se trouve protégé contre les OPA par une golden share détenue par le Land de Basse-Saxe. Plus généralement, la défense contre les OPA est largement déléguée aux organes de direction de la société en droit allemand, alors que la proposition de directive veut donner davantage de pouvoir aux actionnaires.

C'est pour des raisons de tactique de négociation que l'Allemagne s'en prend aux actions à droits de vote multiples, qui existent en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède. Il ne s'agit pourtant pas d'un dispositif qui vise principalement à dissuader les OPA, mais qui a pour but de récompenser les actionnaires fidèles. D'ailleurs, jusqu'à ce qu'elle les supprime en 1998, l'Allemagne en disposait également.

La Commission reconnaît que les titres à droits de vote multiples s'intègrent dans un système de financement des sociétés, et qu'il n'est pas prouvé qu'ils rendent les OPA impossibles. Néanmoins, elle se réserve de revenir sur ce sujet dans le cadre de la clause de révision prévue par l'article 18, s'il s'avère que ces titres sont utilisés principalement comme mécanismes de défense.

Le refus allemand est partagé par l'Autriche, ainsi que par les Pays-Bas, qui disposent des mesures anti-OPA les plus efficaces dans l'Union européenne.

Pour sa part, le Royaume-Uni soutient la proposition de directive, qui correspond déjà à son droit et à sa pratique. Il souhaite toutefois que son adoption se fasse de manière consensuelle, ce qui semble plutôt difficile en l'état actuel des choses. D'après les dernières informations, il semblerait prêt à rallier les positions allemandes.

Quel peut être le sort de cette proposition de directive ?

Il est possible que l'Allemagne, en dépit de sa vive opposition, soit mise en minorité au Conseil. La véritable inconnue demeure l'accueil qui sera réservé au texte par le Parlement européen. La Commission a veillé à intégrer les modifications qu'il avait apportées au texte précédent. Mais le rapporteur, M. Lehne, n'a pas changé. Étant Allemand, il devrait refléter l'opposition de son pays d'origine.

Quoi qu'il en soit l'adoption de cette proposition de directive apparaît éminemment souhaitable. Elle constitue un élément essentiel du plan d'action pour les services financiers qui doit entrer en vigueur d'ici à 2005. Son échec définitif serait un très mauvais message lancé par l'Union européenne quant au sérieux de sa volonté de réaliser l'intégration de ses marchés financiers.

Compte rendu sommaire du débat

M. Xavier de Villepin :

Il me semble nécessaire que nous prenions position sur ce texte important. La distinction fondamentale me paraît être entre les OPA amicales et les OPA inamicales.

M. Yann Gaillard :

Bien sûr. Les problèmes que j'ai évoqués ne se posent que pour les OPA inamicales.

M. Jacques Oudin :

Pouvons-nous compter sur les parlementaires français au Parlement européen ?

M. Yann Gaillard :

Lors du vote sur le texte précédent, les parlementaires français se sont divisés entre les pour et les contre, et notamment ceux élus sous l'étiquette UDF.

M. Jean Bizet :

J'appuie cette proposition de résolution. L'harmonisation en matière d'OPA s'intègre dans l'environnement plus large des services financiers. Or, des négociations vont s'ouvrir à l'OMC au mois de mars sur les services. Il me paraît souhaitable d'évoquer ce contexte dans notre proposition de résolution.

La délégation a alors conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante, publiée sous le n° 167 (2002-2003) :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d'acquisition (n° E 2115 rectifié) ;

Approuve, notamment dans la perspective des négociations à l'OMC, les objectifs de cette directive-cadre, qui vise à harmoniser les réglementations en matière d'offres publiques d'acquisition afin d'assurer une transparence des marchés boursiers européens et d'offrir aux actionnaires minoritaires des garanties comparables dans chacun des États membres ;

Appelle à l'adoption rapide de ce texte, qui n'a que trop tardé ;

Demande toutefois au Gouvernement de s'efforcer, dans la mesure du possible :

- de promouvoir un seuil maximum de 50 % des droits de vote pour le déclenchement d'une procédure d'offre obligatoire au sens de la présente proposition de directive ;

- de réclamer un encadrement des dérogations pouvant être apportées par les autorités de contrôle à la définition du « prix équitable » proposé par l'offrant aux actionnaires minoritaires ;

- de veiller à ce que le respect des pactes d'actionnaires soit garanti jusqu'à la fin de l'offre publique d'acquisition ;

- de s'opposer à ce que soient le cas échéant remis en cause, au cours de la négociation de la proposition de directive, les titres à droits de votes multiples.