COM (2004) 427 final
du 08/06/2004
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 13/08/2004Transfert de certaines données à
Interpol
Texte E 2670 - COM (2004) 427 final
(Procédure écrite du 20 décembre 2004)
I. L'ORIGINE DE LA PROPOSITION
A la suite des attentats de Madrid, le Conseil européen a adopté, le 25 mars 2004, une déclaration sur la lutte contre le terrorisme dans laquelle il « charge le Conseil, sur la base d'une proposition de la Commission, de faire avancer les travaux relatifs à la création, d'ici 2005, d'un système intégré d'échange d'informations concernant les passeports volés ou perdus, ayant recours au SIS et à la base de données d'Interpol ».
Sur cette invitation, la Commission a présenté en juin dernier une proposition de position commune relative au transfert de certaines données à Interpol. Les passeports délivrés - en particulier ceux volés ou perdus - sont en effet utilisés par les terroristes pour commettre des actes mettant en péril la sécurité des États. La protection de l'Union contre ces menaces nécessite de mettre en place un système d'échange d'informations entre les services répressifs des États membres et avec les partenaires internationaux.
L'organisation internationale de police criminelle Interpol dispose d'une base de données dénommée « STD » (Stolen Travel Document) dans laquelle elle reçoit, stocke et diffuse aux pays membres d'Interpol des données sur les documents de voyage volés afin d'aider les policiers à combattre la criminalité grave et organisée, notamment terroriste. Actuellement, seuls quatre États membres - dont la France - sur vingt-cinq sont dotés des installations techniques nécessaires pour réaliser l'échange d'informations avec Interpol.
La Commission propose donc de développer les relations entre l'Union et Interpol en matière de transmission de données sur les documents de voyage.
II. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION ET L'ÉTAT DES TRAVAUX DU CONSEIL
1. La proposition de la Commission
L'instrument juridique utilisé est la position commune : la Commission s'est basée sur l'article 34 paragraphe 2 point a) du traité sur l'Union européenne qui prévoit que, en matière de coopération policière et judiciaire en matière pénale, le Conseil « peut, statuant à l'unanimité [...] arrêter des positions communes définissant l'approche de l'Union sur une question déterminée ».
L'objet de la proposition est de prévenir et combattre la criminalité - notamment terroriste - en obligeant les États membres à améliorer la coopération entre leurs services répressifs, et entre ces services et leurs homologues des pays tiers par le transfert de données dans le système STD d'Interpol. L'échange d'informations ne se fera qu'avec les pays membres d'Interpol qui, d'une part, se sont engagés à transférer le même type de données et qui, d'autre part, disposent d'un même niveau de protection des données à caractère personnel.
Chaque État membre arrêtera avec Europol les modalités de transfert des données relatives aux passeports qui se trouvent dans la base de données nationale ou dans le SIS s'il en est membre.
2. La position du Conseil
Cette proposition a été soumise au Conseil « Justice et affaires intérieures » du 2 décembre 2004 : le Conseil a adopté des conclusions qui font état d'un accord politique des États membres, qui devraient adopter formellement le texte lors d'un Conseil le 21 décembre prochain.
III. LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR CE TEXTE
Elles sont de trois ordres :
1. La Commission a-t-elle utilisé l'instrument juridique le plus pertinent ?
Afin de respecter le délai imposé par le Conseil dans sa déclaration sur la lutte contre le terrorisme (« d'ici 2005 »), la Commission a privilégié l'instrument juridique qui lui permettait de faire adopter sa proposition le plus rapidement : la position commune. Toutefois, on peut s'interroger sur la pertinence de choisir un instrument qui ne crée pas d'obligations pour les États membres.
Le service juridique du Conseil estime d'ailleurs que, d'après l'article 39 du traité sur l'Union européenne, seule la décision du Conseil prise après consultation du Parlement européen peut, en matière de coopération policière, créer des obligations pour les États membres. Il considère que cette dernière solution aurait dû être privilégiée si la préoccupation principale était de rendre contraignant le texte. Si, au contraire, la rapidité d'adoption était le principal souci de la Commission, une résolution lui aurait semblé plus appropriée.
2. La réciprocité du transfert des informations ne devrait-elle pas être la base de la position commune ?
Le Conseil européen avait appelé de ses voeux un système « d'échange d'informations ». Or, la proposition de la Commission, qui a pour objet le « transfert » de données à Interpol, ne prévoit ce transfert que des États membres vers Interpol. L'article 1-1 parle ainsi des « données [...] qui seront transférées dans la base de données d'Interpol » et l'article 1-2 donne une définition de la base de données d'Interpol, mais ne comporte pas de définition de la base de données du SIS.
L'exposé des motifs indique que ce texte devrait permettre de renforcer la « sécurité intérieure » de l'Union. Or, celle-ci serait surtout améliorée par la mise à disposition d'informations sur les passeports - perdus ou volés dans les États tiers - susceptibles d'être utilisés pour entrer dans l'Union européenne, ce qui permettrait d'identifier leurs porteurs à l'entrée du territoire européen ou lors des contrôles de police exercés à l'intérieur des pays. Sans cette réciprocité, l'apport de cette proposition pour l'Union est relativement réduit. Lors des discussions, cette approche a été défendue par la France, soutenue par l'Espagne, qui avait obtenu de la Présidence que le principe de la mise en oeuvre d'une réciprocité soit examiné dans une phase ultérieure. Toutefois, lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 2 décembre, la Présidence a refusé, pour des raisons techniques indépendantes du texte, d'annexer à la position commune une déclaration qui prenait en compte nos préoccupations.
3. N'aurait-il pas fallu prévoir un système d'échange des données par le biais du SIS ?
La proposition de la Commission prévoit un transfert individuel des données de chaque État membre vers Interpol. Les échanges bilatéraux sont-ils réellement le moyen le plus efficace pour satisfaire aux prescriptions du Conseil européen ? La logique aurait plutôt été que les échanges avec Interpol passent par le vecteur du SIS, afin de permettre un transfert global des données.
La Commission a écarté cette possibilité car le passage par le SIS aurait nécessité l'amendement de la Convention Schengen, procédure longue incompatible avec la date butoir fixée par le Conseil européen. La Commission n'a toutefois même pas sollicité d'étude technique pour vérifier la faisabilité de ce transfert avec l'actuel SIS (qui fonctionne actuellement avec une version technique appelée SIS 1+). Or, il apparaît difficile d'attendre la mise en place du SIS II (qui ne devrait pas fonctionner au mieux avant 2007-2008) pour prévoir les modalités de transfert entre ces deux organismes. La référence au SIS II qui se trouvait dans l'exposé des motifs a par ailleurs été remplacée par une référence au SIS.
Il apparaît choquant que la Commission écarte d'emblée, et sans aucune justification technique, le vecteur SIS. Le SIS 1+ est en effet largement à même de supporter le trafic supplémentaire engendré par cette possibilité d'échanges avec Interpol. Lors du Conseil du 2 décembre, il a simplement été décidé d'ajouter à la position commune une déclaration qui souligne la nécessité que l'échange de données transite par le SIS dans les meilleurs délais possible.
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En conclusion, il apparaît que cette proposition n'a, pour la France, aucune incidence pratique et, pour l'Union européenne, aucune valeur ajoutée en matière de sécurité intérieure.
Son contenu ne respecte pas certains principes importants : la réciprocité dans l'échange des données et l'utilisation du SIS. Par ailleurs, la proposition ne répond pas aux exigences posées par le Conseil européen. Enfin, il semble que la Commission ait souhaité agir dans l'urgence sans s'être réellement attachée à l'efficacité et la pertinence des obligations qu'elle souhaite imposer aux États membres.
La décision sera prise le 21 décembre. Le Gouvernement français a pris une position très critique sur ce texte mais s'est trouvé totalement isolé sur cette position qu'il lui sera difficile de maintenir. Aussi, la délégation a décidé de faire savoir au Gouvernement qu'elle approuve pleinement les réserves qu'il a exprimées.