COM (2006) 817 final  du 20/12/2006
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 06/04/2009

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 15/01/2007
Examen : 24/01/2007 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Robert del Picchia sur le projet de décision du Conseil portant création de l'Office européen de Police (EUROPOL)

Texte E 3383

(Réunion du 24 janvier 2007)

Nous sommes saisis, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de la Commission européenne qui vise à transformer sensiblement la nature, le rôle et le fonctionnement de l'Office européen de police EUROPOL.

I - LE CONTENU DE LA PROPOSITION

Les principales modifications proposées par la Commission seraient les suivantes :

1) La transformation du cadre juridique d'Europol.

a) La Convention institutive d'Europol serait remplacée par une décision du Conseil.

À l'origine, l'Office européen de police a été créé par une convention conclue en 1995 entre les États membres et soumise à une procédure de ratification parlementaire. Toute modification apportée à cette convention nécessite donc actuellement une procédure de ratification ou d'approbation parlementaire dans tous les États membres. Or, cette procédure est très longue puisque les trois protocoles modifiant la convention Europol, qui ont été adoptés en 2000, 2002 et 2003, viennent seulement d'être ratifiés et devraient entrer en vigueur au début de cette année. La Commission européenne propose donc de remplacer la Convention institutive d'Europol par une simple décision du Conseil, qui ne serait plus soumise à une procédure de ratification.

L'idée de transformer la base juridique d'Europol n'est pas nouvelle. En effet, Europol a été créé à l'époque où l'Union européenne était régie par le traité de Maastricht. Or, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, il existe de nouveaux instruments juridiques propres au « troisième pilier », tels que les décisions et les décisions-cadres, qui ne nécessitent pas de procédure de ratification. C'est notamment sur la base d'une décision qu'a été institué Eurojust.

Toutefois, jusqu'à une date récente, cette idée se heurtait à une difficulté. Le service juridique du Conseil avait estimé, dans un avis du 13 novembre 2001, que le remplacement de la Convention Europol par une décision du Conseil ne pourrait intervenir qu'après l'entrée en vigueur d'un protocole abrogeant la convention Europol. En effet, il considérait que le remplacement de la convention Europol par une décision du Conseil nécessitait au préalable une procédure d'approbation ou de ratification parlementaire, c'est-à-dire l'accord des Parlements nationaux des États membres.

Cependant, le droit européen est un droit souple et adaptable, puisque le service juridique du Conseil a été amené récemment à changer d'avis. Il estime aujourd'hui, à l'image du service juridique de la Commission, qu'il n'est pas nécessaire d'abroger la Convention institutive d'Europol et de procéder à une ratification parlementaire. Dans des conclusions adoptées en décembre dernier, le Conseil Justice et Affaires intérieures a d'ailleurs validé cette approche. Je rappelle que le traité constitutionnel prévoyait de remplacer la Convention Europol par une loi européenne.

b) Le financement d'Europol serait assuré par le budget communautaire et ses agents relèveraient du statut général des fonctionnaires de la Communauté.

Alors que Europol est actuellement financé par des contributions des États membres, la Commission européenne propose que son financement soit assuré à l'avenir par le budget communautaire. Je rappelle que la France contribue aujourd'hui à hauteur de 16 % au budget de l'Office, ce qui représente plus de 8 millions d'euros par an (sur un budget de 60 millions d'euros en 2006). Toutefois, il est peu probable que cela se traduise par une économie pour les États membres. En effet, la suppression des contributions nationales au budget d'Europol se traduira par une augmentation comparable du budget communautaire. En réalité, une telle mesure aura surtout pour effet de renforcer le rôle du Parlement européen, en sa qualité d'autorité budgétaire, dans le contrôle du fonctionnement d'Europol.

La Commission prévoit aussi d'appliquer aux agents de l'Office (au nombre de 400) le statut des fonctionnaires de la Communauté. Cette modification pourrait notamment avoir des conséquences sur le plan budgétaire (avec une possible hausse des traitements du personnel d'Europol) et sur les privilèges et immunités dont jouissent les agents d'Europol. Elle pourrait également avoir pour effet d'entraîner une moindre mobilité du personnel d'Europol et de limiter le détachement de fonctionnaires des États membres au sein de l'Office.

c) Le rôle de la Commission européenne, du Parlement européen et celui de la Cour de justice seraient renforcés

Europol est dirigé par un directeur et un conseil d'administration, qui est composé de représentants des États membres et au sein duquel la Commission européenne ne dispose, actuellement, que d'un statut d'observateur. La proposition qui nous est soumise aurait pour effet de renforcer sensiblement le poids de la Commission au sein du Conseil d'administration d'Europol. En effet, la Commission européenne disposerait dorénavant d'une représentation au sein du conseil d'administration au même titre que les États membres. Elle aurait même un poids plus important puisqu'elle disposerait de trois voix, contre une pour chaque État. Pour l'adoption du budget et du programme de travail, elle aurait même six voix.

Le Parlement européen verrait également son rôle renforcé. Non seulement il pourra exercer à l'avenir un droit de regard sur Europol en sa qualité d'autorité budgétaire, mais il pourra également entendre le directeur et le président du conseil d'administration de l'Office. Il serait, en outre, consulté sur l'élaboration des priorités opérationnelles d'Europol.

Enfin, la transformation du cadre juridique d'Europol pourrait avoir pour effet de renforcer les pouvoirs de la Cour de justice des Communautés européennes à l'égard de l'Office.

2) L'extension du mandat d'Europol et le renforcement de ses prérogatives

Alors que le mandat actuel d'Europol est limité à certaines formes graves de criminalité organisée transnationale, comme le terrorisme, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains, la Commission européenne propose d'étendre son mandat à d'autres formes de criminalité. Ainsi, le mandat d'Europol ne serait plus limité à la seule criminalité organisée, mais il pourrait couvrir d'autres formes graves de criminalité touchant plusieurs États membres.

Les prérogatives d'Europol seraient aussi renforcées. Ainsi, le texte prévoit que Europol pourra assurer la coordination, l'organisation et la réalisation d'enquêtes et d'actions opérationnelles, soit dans le cadre des équipes communes d'enquête, soit en commun avec les autorités compétentes des États membres. Les États membres pourront également faire appel à Europol lors d'une grande manifestation internationale requérant des mesures de maintien de l'ordre, comme par exemple des matches de football de la Coupe d'Europe.

3) La modification des règles de traitement et de protection des données

La principale mission d'Europol consiste à gérer une base de données (le « système d'information générale ») ainsi que des « fichiers d'analyse » portant sur la criminalité organisée transnationale et pouvant contenir des données à caractère personnel, comme les noms des personnes suspectées d'avoir commis des infractions.

La Convention Europol prévoit actuellement des garanties en matière de protection des données à caractère personnel, avec notamment une autorité de contrôle commune, qui est un organisme indépendant chargé de s'assurer que le stockage, le traitement et l'utilisation de ces données ne portent pas atteinte aux droits et libertés des individus.

Sans vouloir remettre en cause ce système, la Commission européenne considère néanmoins que les règles actuelles qui régissent le traitement des données sont trop rigides et qu'elles nuisent à l'efficacité de l'Office. Elle propose donc de les assouplir sur plusieurs points. Ainsi, Europol pourra recourir à l'avenir à de nouveaux outils de traitement de l'information, par exemple sur les groupes terroristes ou la pédopornographie. De plus, le système d'information Europol pourra dorénavant être directement consulté par les autorités des États membres, sans qu'il soit nécessaire de démontrer un besoin dans le cadre d'une enquête déterminée et sans qu'il soit nécessaire de passer par l'intermédiaire des officiers de liaison auprès d'Europol. Enfin, alors que actuellement la nécessité de stocker des données dans les fichiers doit être réexaminée tous les ans par Europol, ce délai serait porté de un à trois ans.

En contrepartie à cet assouplissement, la Commission européenne propose notamment la désignation au sein d'Europol d'un délégué à la protection des données. On peut toutefois s'interroger sur la portée de cette mesure. Comment ce délégué pourrait-il en effet exercer son activité en toute indépendance, alors qu'il serait nommé et rémunéré par l'Office ?

II - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CE TEXTE

Avant toute chose, je voudrais préciser que ce texte ne me paraît pas soulever de difficultés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Étant donné que Europol est un organe de l'Union européenne, ses règles de fonctionnement doivent nécessairement être définies au niveau européen.

Sur le fond, il me paraît également difficile de s'opposer à l'idée de remplacer la convention institutive d'Europol par une décision du Conseil. En effet, comme le souligne la Commission européenne, il a fallu entre trois et cinq années aux États membres pour ratifier les trois protocoles modifiant la Convention Europol, adoptées en 2000, 2002 et 2003. Je précise d'ailleurs que la France est loin de donner l'exemple dans ce domaine, puisque notre pays a été l'un des derniers, avec l'Irlande et le Portugal, à ratifier le protocole de 2003. Le Président de la délégation était d'ailleurs intervenu, lors de l'examen en séance publique au Sénat du projet de loi autorisant l'approbation de ce protocole l'année dernière, pour s'étonner de ce retard.

Les représentants du ministère de l'Intérieur que j'ai auditionné se sont cependant interrogés sur certaines modifications envisagées par la Commission européenne. Ainsi, ils se sont montrés sceptiques sur l'extension du mandat d'Europol. Est-il réellement utile que la compétence de l'Office soit élargie à des infractions telles que le viol, l'incendie volontaire ou encore les homicides et coups et blessures graves n'ayant pas été commis en bande organisée ? Ne serait-il pas plus efficace que Europol se concentre sur certaines formes graves de criminalité organisée transnationale, comme le terrorisme international, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains où il pourrait apporter une réelle valeur ajoutée ?

Mais surtout, ce texte soulève à mes yeux une difficulté majeure, car il se traduirait par un amoindrissement du rôle des parlements nationaux à l'égard d'Europol. En effet, les parlements nationaux se verraient privés du droit d'autoriser ou non toute modification apportée à la Convention Europol, sans pour autant se voir reconnaître le moindre rôle dans le contrôle de l'activité de l'Office. Ainsi, les gouvernements pourront désormais, d'un commun accord, modifier le mandat ou renforcer les pouvoirs d'Europol, sans qu'il leur soit nécessaire de recueillir l'accord des parlements nationaux ni du Parlement européen. Et, cela alors que Europol jouera à l'avenir un rôle de plus en plus opérationnel, puisque ces agents pourront, par exemple, participer à des équipes communes d'enquête sur le territoire des États membres.

Certes, tout le monde s'accorde à constater que le fonctionnement actuel d'Europol n'est pas satisfaisant et qu'il est indispensable d'aller vers plus d'opérationnel. Mais le renforcement des prérogatives d'Europol ne peut qu'aller de pair avec un renforcement du contrôle démocratique sur cet organisme. En outre, tant que Europol restera un organisme relevant du « troisième pilier », le Parlement européen ne pourra qu'exercer un droit de regard réduit.

C'est la raison pour laquelle on évoque depuis longtemps l'idée de créer une commission spécifique composée de parlementaires européens et nationaux qui serait chargée du contrôle d'Europol.

Cette idée avait été lancée lors de la première conférence interparlementaire sur Europol organisée à La Haye en 2001 à l'initiative du Parlement néerlandais. Un nom avait même été trouvé pour cet organisme : « Parlopol ». Elle avait été ensuite reprise lors de la conférence sur l'accompagnement parlementaire des services de police, qui s'est tenue en Belgique à l'automne 2001. Au départ, la Commission européenne avait soutenu ce projet. Elle avait même adopté, en février 2002, une communication sur le contrôle démocratique d'Europol, dans laquelle elle préconisait la création d'un tel comité.

Le Sénat avait adopté une résolution en 2003 demandant la création d'une telle commission. Le Parlement européen et de nombreux parlements nationaux, comme les deux chambres du Parlement britannique, le Parlement néerlandais, le Folketing danois ou encore l'Assemblée nationale française, ont également appuyé cette idée. Elle a d'ailleurs été reprise dans le traité constitutionnel, qui prévoyait l'association du Parlement européen et des parlements nationaux au contrôle d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust.

Or, on ne trouve à aucun moment, dans le texte de la Commission, une référence quelconque à cette commission ni au contrôle démocratique d'Europol par les parlements nationaux.

L'association des parlements nationaux n'est pas une question accessoire. À mes yeux, c'est une condition de la légitimité d'Europol. Les questions relatives à la coopération policière sont des sujets sensibles qui touchent directement les droits des individus. Est-il normal et acceptable, dans une démocratie, qu'un service de police ne fasse l'objet d'aucun véritable contrôle parlementaire ni au niveau national ni au niveau européen ?

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Nous touchons ici un débat fondamental. Si cette proposition de décision était adoptée en l'état, les parlements nationaux seraient tenus à l'écart d'un domaine qui est pourtant au coeur de la souveraineté. Certes, je conçois volontiers que l'obligation d'une ratification parlementaire par les 27 États membres pour toute modification de la convention constitutive d'Europol soit très contraignante et je comprends que l'on veuille modifier le cadre juridique d'Europol. En revanche, on ne peut accepter l'absence de tout contrôle parlementaire. On peut d'autant moins l'accepter qu'un tel contrôle parlementaire avait été souhaité de longue date - et était d'ailleurs retenu dans le projet de Constitution européenne -, qu'il serait naturellement exercé avec pragmatisme et qu'Europol n'est soumis par ailleurs à aucun contrôle judiciaire.

J'ajoute que, lorsque nous l'avons entendu lors d'une réunion commune aux parlements nationaux et au Parlement européen, le directeur général d'Europol s'est déclaré favorable à l'association des parlements nationaux à cette mission de contrôle.

M. Robert Bret :

C'est en effet une question de principe qui porte a fortiori sur un sujet essentiel car il a trait aux libertés publiques.

Le projet de décision est d'autant plus inacceptable en l'état qu'il était possible de simplifier - ce qui est l'objectif recherché -, sans écarter totalement les parlements nationaux du contrôle d'Europol.

Je m'associe donc pleinement au rapport présenté par Robert Del Picchia et voterai naturellement la proposition de résolution.

M. Hubert Haenel :

Je vous propose de modifier à la marge la rédaction proposée pour la proposition de résolution, afin d'insister sur la solennité de la démarche et d'indiquer de manière très claire que le principe d'une association des parlements constitue un impératif, déjà affirmé avec force.

À l'issue de ce débat, la délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil portant création de l'Office européen de police EUROPOL (texte E 3383),

Rappelle que les parlements nationaux doivent être associés au contrôle des activités d'Europol, comme le prévoyait le traité constitutionnel ;

Demande au Gouvernement d'oeuvrer au sein du Conseil afin que le texte prévoie la création d'une commission, composée de parlementaires européens et nationaux, chargée du suivi des activités d'Europol.