COM (2016) 823 final  du 10/01/2017

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Les textes COM 823 et 824 concernent l'application de la directive services.

La Commission européenne souhaite créer une carte électronique européenne de services qui s'appliquerait dans un premier temps aux seuls services aux entreprises et aux services de construction. Cette carte est un certificat électronique qui atteste que le prestataire de service est légalement établi dans un État membre. L'objectif est de proposer aux prestataires de services une procédure uniformisée et simplifiée pour justifier de cela. À cette fin, elle présente une proposition de règlement portant introduction d'une carte électronique européenne de services et de facilités administratives connexes (COM(2016) 824 final) et une proposition de directive relative au cadre juridique et opérationnel applicable à cette carte (COM (2016) 823 final)

Ainsi, si un prestataire envisage de fournir à titre temporaire un service dans un autre État membre, la carte serait délivrée par l'État membre d'origine. Si un prestataire envisage de fournir des services par l'intermédiaire d'une succursale, d'une agence ou d'un bureau, il soumettrait toujours sa demande de carte électronique aux autorités de son État membre d'origine, qui vérifieraient que ledit prestataire est établi sur son territoire conformément à la réglementation applicable. Mais dans un deuxième temps, les autorités de l'État membre d'origine lanceraient une procédure auprès de l'administration du pays d'accueil concerné, qui vérifierait alors si le prestataire demandeur satisfait à ses exigences réglementaires, conformément à la directive «Services».

Dans tous les cas, la carte électronique empêche l'État membre d'accueil de subordonner la fourniture de services par son titulaire à des régimes d'autorisation et de notification préalables prévus par le droit national, des contrôles préalables étant déjà effectués au cours de la procédure de délivrance de la carte électronique européenne de services.

En revanche, cette proposition de directive et cette proposition de règlement ne modifient pas les compétences actuelles des États membres permettant de restreindre l'activité d'une entreprise de service sur son territoire. Les dispositions relatives au droit du travail et aux travailleurs détachés ne sont également pas modifiées. Compte tenu de ces éléments, ces deux textes ne paraissent pas poser pas de difficulté au regard du principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 26/01/2017
Examen : 09/02/2017 (commission des affaires européennes)


Institutions européennes

Simplification du droit européen

Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet, Pascal Allizard, Philippe Bonnecarrère, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, Claude Kern, Didier Marie, Daniel Raoul et Simon Sutour

COM (2016) 823 final - Texte E 11777

(Réunion du 9 février 2017))

M. Jean Bizet, président. - Nous commençons par l'examen du rapport d'information sur la simplification du droit européen. Il s'agit d'un travail collectif ; je remercie nos différents rapporteurs de leur implication.

Si l'on veut une Europe plus proche des citoyens, il faut aussi que la législation européenne soit compréhensible, accessible et réponde à de vrais besoins. La compétitivité passe aussi par une réglementation efficace.

Nous voulons une Europe recentrée sur l'essentiel, là où sa plus-value est évidente. Nous devons donc refuser les textes inutiles par lesquels l'Union dérive vers une tentation bureaucratique, une bureaucratie sans visage, comme disent nos amis anglais. À cet égard, nous devons une nouvelle fois saluer les efforts de la Commission Juncker pour recentrer l'action de la Commission sur un petit nombre de priorités. M. Timmermans joue un rôle clé pour écarter les textes inutiles qui ne suivent pas ces priorités. La plus-value européenne devrait d'ailleurs être l'un des axes préconisés par le groupe de suivi sur le Brexit et la refondation de l'Union européenne.

Je me félicite de la mobilisation du Sénat sur ce sujet. Les messages des élus locaux nous ont déterminés à le prendre très au sérieux. La commission des affaires économiques a travaillé sur les normes agricoles. La délégation aux entreprises mène une réflexion importante sur les moyens d'alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité. Je veux aussi mentionner les réflexions universitaires françaises et allemandes dans le domaine du droit des affaires. Un colloque sur ce sujet extrêmement particulier, sur lequel le juriste Paul Bayzelon a accompli un très gros travail, aura lieu le 30 mars.

Il peut être complexe d'appréhender la réalité de la production normative européenne. Aux projets de directive et de règlement, que nous traitons régulièrement, s'ajoutent les actes délégués et les actes d'exécution, en nombre important, pour lesquels nous demandons plus de transparence. Même si ces actes traitent de sujets très techniques, tout ne doit pas se dérouler, comme aujourd'hui, hors des Parlements nationaux. Nous devons aussi prendre en compte tout ce qui relève de la normalisation, qui fait intervenir les acteurs privés. À ce titre, sous couvert de réalisation du marché unique, on adopte des normes qui satisfont certains intérêts particuliers, mais qui se retournent, en réalité, contre la concurrence en favorisant les concentrations, pénalisant les PME et les TPE. Nous avons tous à l'esprit des normes saugrenues, très mal vécues dans nos territoires, qui discréditent l'idée européenne.

M. Daniel Raoul. - Je retiens essentiellement deux enseignements du travail mené avec Pascal Allizard sur le processus normatif européen, l'un assez classique, l'autre plus original ; ce fut une découverte pour moi.

Le premier enseignement est qu'à l'initiative de la Commission Juncker, des efforts sont déployés pour que l'Europe intervienne là où on l'attend et ne complique pas les choses là où on ne l'attend pas, c'est-à-dire pour décider au plus près des réalités et des besoins. Je n'insisterai pas sur les exemples tels que le volume des cuves de toilettes et la taille des bananes. C'est le fameux « mieux légiférer » européen, qui a donné lieu en avril 2016 à un accord entre les trois grandes institutions bruxelloises. Cela n'a pas empêché des ratés comme le récent projet de directive sur les armes à feu, mais je retiens toutefois deux points qui nous donnent espoir : tout d'abord, ce « mieux légiférer » s'applique aussi au passé ; nous l'avions évoqué lors d'une réunion précédente de notre commission. Il concerne le stock de propositions de la Commission dans lequel un grand ménage a été fait depuis deux ans et s'applique au stock de réglementations européennes inutiles ou trop complexes qui sont passées au crible de la plateforme REFIT, rénovée l'an dernier. Notre commission se souvient du texte sur le plomb dans le cristal ou du projet de directive stupide qui interdisait tout simplement l'utilisation des scanners et des IRM, car on était en présence d'un champ électromagnétique.

Ensuite, ce « mieux légiférer » ne semble pas être une simple réforme de processus administratif, mais procède d'une véritable volonté politique portée en particulier par le premier vice-président de la Commission, M. Timmermans. Il est en effet urgent de rendre plus efficace le processus normatif européen vis-à-vis des citoyens. Nous n'avons plus le temps de modifier les traités, personne n'envisage d'en écrire un nouveau, tout cela doit donc être engagé dans le cadre institutionnel existant. Nous sommes d'avis que le « mieux légiférer » combiné au meilleur respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité posé par le traité de Lisbonne peut donner des résultats. Cela se fera notamment si la nouvelle procédure d'études d'impact inclut davantage les PME, qui sont les grandes exclues des processus de normalisation, notamment en étendant la pratique des tests PME ; si ces études s'appliquent aux actes délégués et aux actes d'exécution, qui en ont souvent le plus besoin ; si les évaluations ex post sont vraiment pratiquées ; si nos administrations nationales jouent le jeu. Or à ce jour, alors qu'on parle de « mieux légiférer » à Bruxelles et de « choc de simplification » à Paris, il serait souhaitable que les deux initiatives s'articulent.

Le deuxième enseignement concerne un aspect moins connu du processus normatif européen : de nombreuses normes européennes sont des coproductions public-privé. On pourrait presque parler d'un partenariat public-privé, ou PPP, où le maître d'ouvrage est la Commission ; les PME souffrent d'un manque de représentativité, la participation aux différents groupes de travail n'étant pas à leur portée.

Je ne parle pas du lobbying classique par lequel les grands groupes tentent trop souvent d'imposer des normes qui finissent par tuer la concurrence, en particulier parce que les PME ne peuvent les satisfaire, ni des procédures de consultations publiques, mais d'un phénomène qui porte un nom un peu barbare, le « mandat de normalisation », qui prend une importance considérable depuis quinze ou vingt ans. Dans un grand nombre de secteurs, les directives européennes se contentent de fixer les caractéristiques générales auxquelles les produits européens doivent répondre et renvoient, pour les éléments plus précis, à des normes négociées essentiellement entre les professionnels au sein du Comité européen de normalisation, le CEN, qui est l'AFNOR européen. Si elles sont validées par la Commission, ces normes ne sont plus de simples normes volontaires de type ISO ou AFNOR, mais pas non plus des normes obligatoires. Elles sont dans un entre-deux : les produits qui répondent à ces normes bénéficient d'une présomption de conformité pour obtenir le marquage CE qui ouvre les portes du marché intérieur. Il est toujours possible de respecter la directive par d'autres procédés, si on le prouve. Évidemment, il y a là encore deux poids, deux mesures : les PME ont moins les moyens d'administrer cette preuve et d'échapper à la norme que les grandes entreprises, ce qui peut mettre en danger leur capacité d'innovation vis-à-vis des grands groupes.

Les normes du CEN adoptées sous mandat ont donc in fine un caractère quasi obligatoire. C'est un élément de simplification qui évite d'avoir des législations européennes trop détaillées ou peu flexibles. Mais ce faisant, cela crée aussi une zone grise qui complexifie la notion de norme européenne.

Le rapport propose quelques améliorations pour clarifier les procédures du CEN, vers moins de lobbys et plus de représentativité, et pour simplifier l'accès de nos entreprises à ces normes. En effet, même dans le cas où elles sont rendues obligatoires par l'État français, l'accès à ces normes est payant. C'est notamment très sensible dans le domaine du bâtiment. « Nul n'est censé ignorer la loi », dira-t-on à nos PME, mais quand cette loi est complexe à identifier et de surcroît payante, cela fait beaucoup !

M. Pascal Allizard. - Le cas des mandats de normalisation montre bien à quel point la notion de norme européenne va bien au-delà des textes adoptés par le législateur européen. Elle est une réalité à géométrie variable ce qui ne simplifie rien lorsqu'il s'agit d'imputer la responsabilité de tels ou tels dysfonctionnements. Cette notion n'englobe pas seulement les normes d'origine privée, celles du CEN, mais aussi les mesures de transposition prises à l'échelon national.

Lorsque l'on surtranspose une directive européenne en disant que les règles viennent de l'Europe, ce n'est pas très honnête politiquement. Surtout, juridiquement, les mesures nationales de transposition font bien partie du droit communautaire : ne pas respecter nos propres lois, c'est s'exposer à une condamnation devant la Cour de justice de l'Union européenne. Dans notre rapport, nous soulignons la complexité du terme de norme européenne, un véritable « OPMI », objet politique mal identifié, en particulier en matière de responsabilités.

Le questionnaire que nous avons adressé à de nombreux secteurs d'activités économiques et nos auditions ont confirmé que la surtransposition de directives était un véritable sport national ; je pense aux valeurs limites d'émissions de polluants de substances chimiques ou à la récente transposition, très problématique, d'une directive technique de 2014 sur les ascenseurs. Au-delà des directives, la France fait figure d'exception en interprétant de façon très contraignante le droit européen. Nous sommes ainsi le seul pays, avec le Danemark, à interdire le perchloréthylène, allant bien au-delà des textes européens, ce qui aboutit concrètement à la fermeture des petits pressings. Au nom du principe de précaution, on veut laver plus blanc que blanc... Les travaux de nos collègues du groupe de travail sénatorial sur les normes agricoles n'ont pu qu'en donner de nouvelles illustrations. En résumé, au cadre général européen s'ajoutent toutes les règles que nous édictons nationalement.

Ces surtranspositions ou surinterprétations ne doivent toutefois pas être systématiquement condamnées. Certaines méritent d'être débattues, telles que les règles françaises sur le contrôle des travailleurs détachés présents sur notre sol. Il est aussi important de défendre certaines règles et d'éviter qu'elles ne soient tirées vers le bas : je pense à nos anciens travaux sur le vin rosé il y a quelques années ou à la défense de la garantie décennale face au droit européen des assurances. Il faut faire preuve de pragmatisme et voir au cas par cas.

On constate, bien souvent, qu'il n'y a manifestement pas eu d'étude de l'impact de ces textes nationaux au regard de la compétitivité de la France en Europe ; les PME sont souvent les plus pénalisées. J'évoquais la directive 2014/33 sur les ascenseurs pour laquelle le droit français ajoute une contrainte de détail, mais qui peut désorganiser la chaîne logistique, surtout des PME. A-t-on dressé le bilan coût-avantages ? Nous demandons des évolutions sur ce point.

L'exception française consiste aussi à agir unilatéralement pour montrer l'exemple avant même qu'un texte européen soit pris, alors que ces règles sont parfois déjà irréalistes en France. Ce n'est sans doute pas la meilleure méthode pour peser dans le processus décisionnel communautaire.

J'exprimerai enfin un regret. Lors du Conseil de simplification du 1er juin 2015, le Gouvernement avait pris d'excellentes résolutions, dont une évaluation systématique des écarts de transposition et de leurs justifications, y compris pour le stock de textes déjà pris. Nous savons que ce travail très précieux a été accompli et qu'il fait l'objet d'un rapport. Nous n'avons - hélas ! - pas pu nous le faire communiquer. Nous tenons à remercier le président Bizet d'avoir écrit au ministre pour que nous disposions prochainement de ce document sans doute riche d'enseignements.

Quant au processus normatif et au choix entre règlements et directives, la subsidiarité est de toute évidence le grand principe autour duquel la simplification doit se faire, et même la refondation de l'Union européenne. Cela n'implique pas nécessairement de privilégier les directives au détriment des règlements. Le recours aux directives complique parfois la situation en étant un facteur d'incertitude et d'aléa, surtout dans une Union à 28. À 27, le raisonnement sera le même. Les règlements sont parfois préférables : il vaut mieux une législation complète et cohérente plutôt qu'un secteur à moitié réglementé. Pour le choix du bon véhicule législatif à l'échelon européen, là encore, il faut essayer de faire preuve de pragmatisme.

M. Jean Bizet, président. - Le marché unique constitue un enjeu essentiel pour cette simplification. Je donne la parole à Didier Marie.

M. Didier Marie. - Veuillez excuser M. Emorine, qui ne peut pas être avec nous ce matin.

La simplification du droit européen applicable au marché unique et la qualité des normes contribuent à favoriser un environnement compétitif pour l'économie européenne.

Nous avons abordé ce sujet en replaçant ce secteur, qui est à la fois un fondement et l'une des plus grandes réussites de l'Union européenne, dans le cadre de l'initiative « mieux légiférer » de la Commission européenne, en rappelant la résolution du Sénat du 20 novembre 2015, adoptée sur le rapport de MM. Bizet et Sutour. Sans vouloir empiéter sur les travaux de MM. Allizard et Raoul qui portent plus précisément sur la normalisation européenne, nous avons cherché à montrer comment de meilleures normes européennes relatives au marché unique peuvent contribuer à optimiser son fonctionnement. Nous avons aussi abordé, du point de vue de la réglementation intelligente, la stratégie pour le marché unique présentée par la Commission le 28 octobre 2015.

Cette stratégie a pour but d'actualiser et de simplifier les règles de circulation des produits et des services et de lever les obstacles qui continuent d'entraver leur libre circulation, ainsi que d'assurer une plus grande cohérence dans l'application de la législation, tout en simplifiant sa mise en oeuvre.

L'objectif de simplification de la réglementation doit être lié avec l'initiative « mieux légiférer », ce qui est relativement logique dans la mesure où le secteur du marché intérieur concentrerait environ un quart des normes européennes, même si beaucoup ont une portée plus réglementaire que législative. Je rappelle que, de son côté, le gouvernement français a engagé, en mars 2013, un « choc de simplification ».

Naturellement, il ne s'agit pas d'entrer dans le détail d'une réglementation extrêmement abondante et souvent technique, mais plutôt de proposer une méthode. De manière générale, l'accord interinstitutionnel « mieux légiférer » du 13 avril 2016 fixe des objectifs communs d'amélioration et de simplification de la législation européenne pour éviter la réglementation excessive et faciliter sa transposition en droit national. Selon les informations obtenues au cours de nos auditions, la plupart des cas de surtransposition seraient d'origine nationale, plusieurs ministères introduisant des normes qui alourdissent la mise en oeuvre de la norme européenne initiale. Un gouvernement peut surtransposer pour des questions d'intérêt national ou de choix politique. Le Secrétariat général du Gouvernement, notamment chargé de la qualité des textes, effectue un repérage des dispositions qui s'ajoutent aux mesures de transposition et les signale au cabinet du Premier ministre pour arbitrage.

Concernant la gouvernance, le rôle du Conseil Compétitivité a été récemment revalorisé, ce qui est positif. C'est en effet en son sein que sont définies un nombre restreint de priorités qui poursuivent des objectifs opérationnels, par exemple sur les PME et les start-ups ou les services.

En revanche, il reste une marge de progression à l'échelon national. Ainsi, le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, le SGMAP, rattaché au SGG, ne semble guère investi sur les questions européennes. C'est dommage ; il conviendrait qu'à l'avenir, les mesures de simplification régulièrement annoncées à l'échelon national soient véritablement coordonnées avec les initiatives de la Commission.

De même, le Conseil national de l'industrie, chargé notamment d'émettre des avis et de formuler des propositions et recommandations au Gouvernement pour améliorer la compétitivité de l'industrie, qui donc se prononce sur des cas de surtransposition des directives et de surréglementation, conduit ses activités à une échelle peut-être trop nationale. Ses sections thématiques Europe et Réglementation et simplification n'entretiennent pas de relations véritables entre elles ni avec les institutions européennes.

Enfin, compte tenu de son volume et de son importance pour l'économie, la réglementation européenne relative au marché unique devrait être soumise aux procédures et outils mis en place par la Commission pour améliorer la qualité du droit : d'une part, une évaluation par la plateforme REFIT, instituée au titre de l'initiative « mieux légiférer », et, d'autre part, un examen de la qualité des études d'impact préalables et des évaluations ex post relatives à cette réglementation par le comité d'examen de la réglementation.

J'en viens au secteur des services, sur lequel je me suis concentré à la fois parce que la stratégie pour le marché unique de la Commission européenne lui consacre d'importants développements et parce que, contrairement au marché des biens, il reste excessivement morcelé et encore marqué par la prégnance des traditions et spécificités nationales qui rendent l'harmonisation très délicate.

Pourtant, les services représentent près des deux tiers de l'économie européenne. Le bon fonctionnement du marché des services peut donc apporter des gains significatifs de croissance et d'emplois et contribuer à dynamiser la compétitivité européenne.

La directive « services » de 2006 - pour schématiser, celle du plombier polonais - constitue le texte de référence pour l'intégration du marché intérieur des services. Je rappelle que cette directive avait suscité des polémiques liées au risque du projet initial de la Commission de suivre le principe du pays d'origine, finalement écarté au profit de l'exercice de la liberté d'établissement des prestataires et de la libre circulation des services.

Cependant, la transposition de cette directive, sur laquelle le président Jean Bizet a travaillé voilà quelques années, qui devait être achevée fin 2009, a pris du retard dans la plupart des États membres - la France a notifié la fin de l'exercice à la Commission en mars 2011. En outre, son application ne serait guère satisfaisante et resterait inégale selon les États membres : de nombreuses entraves à l'exercice d'activités transnationales perdurent. Alors que la Commission avait eu des velléités de réviser ce texte, en particulier pour élargir son champ d'application à des secteurs actuellement exclus ou pour réintroduire le principe du pays d'origine, la révision de la directive « Services » n'est plus à l'ordre du jour. Il paraît en effet préférable de rechercher sa meilleure application.

La plus grande intégration du marché unique des services doit être favorisée par l'amélioration et la simplification de son cadre réglementaire. Plusieurs initiatives ont été prises en ce sens. En premier lieu, les institutions européennes ont réaffirmé cet objectif politique, tel le Conseil européen, le 28 juin 2016. La Commission a inscrit dans son programme de travail pour 2017 le secteur des services parmi les priorités du processus de normalisation européenne. Le comité européen de normalisation s'est également vu confier l'élaboration d'une stratégie de normalisation dans le secteur des services pour faciliter leur compatibilité ; les normes relatives aux services ne représentent en effet que 2 % des normes européennes.

Une attention particulière est portée aux PME, comme l'a souligné le Conseil Compétitivité, le 29 février 2016. L'Union a notamment introduit le test PME, qui est une modalité de consultation innovante pour évaluer directement avec les entreprises les conséquences d'une réglementation et y apporter des modifications afin de la simplifier et de la rendre plus facilement applicable. Bien que ce test PME existe depuis 2008, il connaît un regain d'intérêt, y compris à l'échelon national, où il est intégré au « choc de simplification ». Il a fait l'objet d'une réunion du groupe de travail « mieux légiférer » du Conseil, le 15 mars 2016. Ce test reste inégalement appliqué. Il conviendrait de le mettre en oeuvre de façon systématique et harmonisée.

Enfin, la Commission avait mis en avant, il y a plusieurs mois déjà, le nouveau projet de passeport de services, aujourd'hui renommé carte européenne des services. Selon la Commission, ce dispositif constituerait une attestation prouvant que les prestataires satisfont aux prescriptions applicables dans l'État membre dans lequel ils envisagent de fournir leurs services. Inspirée de la carte professionnelle européenne instituée pour la reconnaissance des qualifications professionnelles entre les États membres, elle est longtemps restée un projet aux contours extrêmement flous.

La Commission a précisé quelque peu ce projet, le 10 janvier dernier, dans ses propositions pour améliorer l'effectivité du marché intérieur dans le domaine des services. Elle préconise notamment de faciliter la prestation de services dans un autre pays de l'Union en permettant aux entrepreneurs d'introduire leurs demandes par Internet et dans leur langue auprès d'un organisme national. Il reviendra à ce dernier de prendre contact avec le pays visé, qui délivrera une carte électronique à moindre coût administratif. Pour éviter d'en arriver aux procédures d'infraction, la Commission souhaite aussi introduire un test de proportionnalité pour s'assurer que les critères d'installation, de qualité de services ou de diplômes exigés par les États membres sont réellement justifiés.

Il paraît sage, compte tenu à la fois des objectifs généraux de simplification fixés au niveau européen et des dispositifs existants dans la directive « Services », de limiter la carte européenne de services à la seule facilitation des formalités entre administrations nationales, sans surcharge pour les acteurs économiques. Surtout, nous devons prendre garde à ce que ce projet ne conduise pas, de façon subreptice, à réintroduire le principe du pays d'origine.

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre Claude Kern nous présenter les travaux sur l'environnement et l'énergie qu'il a conduits avec Michel Delebarre.

M. Claude Kern. - Je vous prie d'excuser notre collègue Michel Delebarre, qui est actuellement retenu à Bruxelles. Je le remercie pour sa confiance, puisqu'il m'a demandé de m'exprimer aujourd'hui en notre nom commun, sur la simplification du droit européen dans les domaines de l'énergie et de l'environnement. Nous avons abordé ce vaste champ dans un esprit de critique constructive associant regrets et suggestions.

Les empiètements ou tentatives d'empiètement de la Commission européenne sur les compétences des États membres sont manifestes dans le domaine de l'énergie. S'affranchir des limites explicitement fixées par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne semble une tentation difficilement résistible aux yeux de la Commission, avec plusieurs illustrations frappantes, dont je ne reprendrai que celle relative aux accords intergouvernementaux gaziers.

Sur ce sujet, notre commission a adopté un avis motivé contre les pouvoirs exorbitants du droit de l'Union que la Commission voulait se voir attribuer dans la négociation d'accords intergouvernementaux sur la fourniture de gaz par des États tiers. La Commission européenne voulait même être associée aux discussions... Et un processus identique aurait dû s'appliquer même aux engagements non contraignants, tels que les protocoles d'accord ou de déclaration commune. On croit rêver ! Heureusement, ces dispositions ont soit disparu, soit été largement atténuées. Il n'en reste pas moins que le processus législatif de l'Union serait plus simple et plus rapide s'il ne fallait commencer par éliminer des dispositions contraires à la répartition des compétences entre l'Union et les États membres, tel qu'elle figure dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

La Commission européenne complique parfois l'examen de ces propositions, en négligeant l'esprit de la construction européenne. Je vise notamment la propension à ne pas se contenter d'objectifs communs dont la Commission devrait vérifier qu'ils sont bien poursuivis par chacun des États membres.

Un exemple à la fois manifeste et récent est fourni par la proposition de règlement sur la préparation au risque dans le secteur de l'électricité. Présentée dans le cadre du paquet « Énergie propre pour tous », cette proposition de règlement est motivée aux yeux de la Commission européenne par le fait que la directive du 18 janvier 2006 « se borne à fixer des objectifs généraux en matière de sécurité d'approvisionnement et laisse aux États membres le soin de décider comment les atteindre. Ainsi, la réglementation autorise les États membres à prendre des « mesures de sauvegarde » en cas de crise, mais ne précise pas comment ils devraient s'y préparer et gérer ». En d'autres termes, un nouveau texte est proposé précisément parce que les dispositions applicables paraissent conformes au principe de la construction européenne, à savoir des objectifs harmonisés, mais pas ou peu de dispositifs uniformisés.

La seule exception peut concerner des obligations dont le respect à l'identique est indispensable pour éviter toute distorsion de concurrence. On la rencontre plutôt dans le domaine de l'environnement, ce qui ne justifie d'ailleurs pas l'adoption de textes absurdes. Cesser de perdre du temps à expertiser une nouvelle fois ce que l'on connaît déjà parfaitement, pour pérenniser une dérogation inévitable, serait une authentique simplification. Vous vous rappelez sans doute la présentation, faite ici même par notre collègue René Danesi, de la reconduction de l'exemption qui autorise pendant cinq ans l'utilisation de plomb pour la fabrication des lustres en cristal. Les caractéristiques chimiques des éléments ne changent pas tous les cinq ans, non plus que celles du cristal, dont la principale pour ce qui nous occupe est de piéger l'oxyde de plomb dans le verre. Pourtant, le droit de l'Union impose de procéder tous les cinq ans à une expertise scientifique aux résultats répétitifs, puis à une consultation du public dépourvue de tout suspense. En conclusion, je ferai mienne l'opinion de M. Danesi, qui évoquait « un voyage en Absurdie ».

J'espère que ces trois orientations apporteront leur pierre à l'édification d'une Union européenne plus intelligible par chacun et surtout plus proche des citoyens.

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant examiner quelles simplifications peuvent être envisagées sur les questions de justice et d'affaires intérieures. Simon Sutour et Philippe Bonnecarrère vont nous apporter les réponses.

M. Simon Sutour. - Nous en venons à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Nous évoquerons d'abord le sommet, c'est-à-dire le niveau institutionnel, pour terminer par les possibles simplifications de la vie quotidienne des citoyens européens, et en particulier des transfrontaliers.

S'agissant tout d'abord de la simplification de l'architecture institutionnelle européenne, on rappellera que jusqu'au traité de Lisbonne, la coopération policière et judiciaire en Europe relevait de ce que l'on appelait le « troisième pilier », géré selon la méthode intergouvernementale.

Le système des piliers a été à l'origine - on s'en souvient - de maints blocages, avec des recoupements et superpositions de compétences, les décisions dans le domaine des libertés, de la sécurité et de la justice, par exemple, requérant le plus souvent l'unanimité.

Le traité de Lisbonne a radicalement simplifié la situation, en fusionnant les trois piliers. C'est désormais la procédure législative ordinaire qui s'applique, en règle générale, à ces questions, c'est-à-dire la codécision entre le Conseil et le Parlement européen, ainsi que la règle de la majorité qualifiée au Conseil. En outre, le traité répartit les compétences entre compétences exclusives, compétences partagées et compétences d'appui.

Le traité de Lisbonne a, par ailleurs, fait preuve de pragmatisme, en facilitant par exemple les coopérations renforcées, notamment dans les domaines où les décisions continuent à être prises à l'unanimité, comme c'est le cas, nous le verrons, pour le parquet européen.

Ainsi, le souci d'une plus grande intégration des politiques européennes, priorité évidente du traité de Lisbonne, aura aussi généré une simplification de l'architecture institutionnelle de l'Union. De manière générale, on voit bien que ce traité, tant controversé, a apporté nombre de points positifs, en particulier d'un point de vue démocratique.

M. Philippe Bonnecarrère. - En ce qui concerne le recentrage des priorités dans le domaine de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme, le Conseil européen a souhaité, dès fin 2014, rénover la stratégie en la matière et la Commission européenne a proposé, en avril 2015, de redistribuer les priorités autour de sept actions-clés, notamment pour tarir les ressources financières du terrorisme, renforcer le cadre juridique relatif aux armes à feu, améliorer la lutte contre la cybercriminalité et développer les capacités d'Europol. Cette stratégie appelait à la mise en place d'opérations communes de renseignement, coordonnées au niveau de l'Union, et au développement de la coopération et de l'échange d'informations, ainsi qu'à l'adoption rapide du PNR.

Après les attentats terroristes sanglants commis en France, en Belgique et en Allemagne en 2015 et 2016, l'Union européenne doit, à l'évidence, se recentrer sur quelques missions fondamentales, un « coeur de métier » représentatif de la valeur ajoutée susceptible d'être apportée aux États membres. En effet, le choc de la crise migratoire a perturbé les agendas et suscité des dissensions internes qui ne sont toujours pas surmontées ; le climat d'euroscepticisme et la fronde de certains pays d'Europe centrale et orientale s'ajoutent à ces difficultés. Le président Juncker est parfaitement conscient de cette nécessité de recentrage.

Je souhaite maintenant évoquer deux exemples : le parquet européen et le mandat d'arrêt européen.

L'article 86 du traité de Lisbonne permet au Conseil d'instituer un parquet européen, à partir d'Eurojust, pour combattre les infractions les plus graves. C'est dans ce cadre que la Commission a présenté en 2013 une proposition de règlement portant création d'un parquet européen ; elle envisageait la mise en place de procureurs délégués, faisant partie à la fois du parquet européen et des ministères publics nationaux.

Un débat a alors porté sur la structure du parquet européen, sur l'extension de sa compétence et sur la notion de compétence partagée du parquet européen avec celle des autorités judiciaires des États membres. Dans ce domaine, l'esprit de souveraineté est évidemment très présent.

Le Sénat a adopté deux résolutions européennes et un avis motivé, qui, grâce à l'appui de plusieurs parlements nationaux, vaut « carton jaune ». Cet avis exprime une préférence pour un parquet de forme collégiale, avec éventuellement une rotation entre les pays, s'appuyant sur des délégués nationaux.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? La situation s'est plutôt dégradée et le noyau de pays favorables au parquet européen s'est réduit. Les réticences plus ou moins fortes de pays tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, la Pologne et la Hongrie devraient déboucher sur une solution de coopération renforcée.

La compétence du parquet européen en matière de fraude à la TVA fait également l'objet de discussions. Le ministère français de l'économie n'y était pas favorable, mais l'ampleur de la fraude est considérable.

Second exemple - plus positif, celui-là - : le mandat d'arrêt européen. Entré en vigueur le 1er janvier 2004, il fonctionne. Il s'agit d'une procédure exclusivement judiciaire. La décision de remettre ou non une personne sur la base d'un mandat d'arrêt européen ne relève que des autorités judiciaires, contrairement à la procédure d'extradition qui fait intervenir l'État, donc l'autorité politique.

Pour 32 catégories d'infractions graves, c'est-à-dire un champ d'action très large, le mandat d'arrêt européen supprime le principe de double incrimination, selon lequel le comportement au titre duquel la remise est demandée doit constituer une infraction pénale, tant dans l'État requérant que dans l'État où la personne recherchée est arrêtée.

Les États membres ne peuvent pas refuser de remettre leurs propres ressortissants, à moins de se charger eux-mêmes des poursuites ou de l'exécution de la peine d'emprisonnement. Toutefois, le mandat d'arrêt européen peut être refusé quand il s'oppose à certains grands principes du droit, comme le non bis in idem par exemple.

Les délais prévus sont brefs. L'État dans lequel la personne est arrêtée doit renvoyer cette personne dans l'État qui a émis le mandat d'arrêt européen dans un délai maximal de 90 jours à compter de son arrestation. Si la personne intéressée consent à sa remise, la décision doit être prise dans un délai de 10 jours.

Le mandat d'arrêt européen est opérationnel dans les 28 États membres et les évaluations montrent qu'il fonctionne bien. Il est devenu un outil classique pour nos juridictions. De 2005 à 2014, les mandats délivrés ont ainsi été multipliés par deux, passant de 7 000 à 14 000 environ, et les personnes remises sont passées de 1 500 à 5 500. Il s'agit donc d'une procédure qui est à l'honneur de la construction européenne.

M. Simon Sutour. - Dans l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice, la simplification concerne aussi la vie quotidienne des citoyens européens, s'agissant notamment de la libre circulation. Nous nous y sommes intéressés lors de notre déplacement à Strasbourg, en évoquant les questions transfrontalières.

Avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, de même qu'avec la Suisse, les domaines dans lesquels les difficultés apparaissent les plus sensibles touchent à la santé, à l'emploi et aux prestations sociales.

En matière de santé, par exemple, il semble exister entre la France et l'Allemagne une discontinuité territoriale plus forte pour les patients qu'elle ne l'est entre la France et la Belgique. On relève des difficultés quant à l'accès à certains équipements médicaux situés de l'autre côté de la frontière. Les IRM, par exemple, sont soumises à un régime d'autorisation préalable. S'agissant du remboursement des soins, on constate un manque d'information pour les usagers et l'extrême lenteur des procédures.

Dans le domaine de la formation et de l'emploi, la difficile reconnaissance des diplômes constitue un frein très sensible à la mobilité professionnelle transfrontalière, faisant obstacle à des recrutements, alors que les besoins et les opportunités existent. Cette situation intéresse évidemment les professions réglementées, notamment médicales, mais aussi certains métiers de la filière technique.

Enfin, en matière de droits sociaux, les citoyens européens se trouvent souvent confrontés à des problèmes de cumul d'emplois et de détermination de la législation sociale applicable entre deux pays frontaliers, en ce qui concerne notamment l'invalidité ou la dépendance.

On évoquera encore des difficultés plus spécifiques comme, par exemple, l'immatriculation en France de certains véhicules achetés en Allemagne.

Des solutions concrètes existent. Elles ont notamment été identifiées dans une étude réalisée par le conseil régional d'Alsace Champagne-Ardenne Lorraine en 2015. Pour l'essentiel, elles résident dans une meilleure coordination des administrations entre elles, mais aussi avec les acteurs locaux - des services fiscaux aux agents des caisses locales de sécurité sociale -, dans une meilleure coordination entre les territoires frontaliers, notamment lorsqu'ils transposent les législations européennes, mais aussi dans l'action même de l'Union européenne, en particulier lorsqu'elle adopte des mesures relatives au principe de libre circulation.

S'atteler aux moyens de résoudre les difficultés quotidiennes que rencontrent les citoyens européens lorsqu'ils souhaitent l'application concrète du principe de la libre circulation pourrait constituer un nouveau chantier prioritaire de simplification.

M. Jean Bizet, président. - La politique de cohésion mérite, incontestablement, d'être simplifiée. Philippe Bonnecarrère avait déjà appelé notre attention sur les pistes envisageables. Je lui donne la parole.

M. Philippe Bonnecarrère. - La politique de cohésion territoriale est emblématique de la nécessaire simplification qui doit irriguer nombre des politiques de l'Union.

Il faut, pour commencer, alléger drastiquement la réglementation, dont la lourdeur, la complexité et l'instabilité sont exponentielles. Les normes réglementaires européennes en la matière s'avèrent à la fois formellement excessives et juridiquement instables, puisque de nouvelles normes viennent se substituer à celles en cours avec effet rétroactif. Surtout, elles sont souvent opaques et génèrent à leur tour des notes interprétatives ou des directives de la Commission, qui viennent se superposer aux règles existantes. Enfin, de nombreux États membres viennent encore surajouter à cet ensemble des normes plus strictes et complexes que celles établies au niveau de l'Union.

Il serait de bon sens, ensuite, de promouvoir une forme de proportionnalité. C'est-à-dire adapter les procédures de contrôles et d'audits, structurellement redondantes, aux caractéristiques du projet concerné, selon le niveau de ressources et de risques qu'il met en oeuvre.

Par ailleurs, et même si une telle démarche peut soulever quelques susceptibilités politiques, il serait judicieux d'ajuster les procédures européennes de contrôle et d'audit à la capacité administrative de chaque État membre. Tous n'ont pas la même expérience du contrôle administratif de la dépense publique : un système européen unique et excessivement exigeant, comme c'est le cas actuellement, n'est pas adapté.

Sujet plus sensible, il faut a minima harmoniser les règles entre les différents fonds européens, gérés directement par la Commission européenne. Tout particulièrement sur la question des aides d'État et des marchés publics, où les procédures sont différentes entre fonds structurels et autres fonds européens, alors qu'ils ont en commun d'être financés par le budget de l'Union. Surtout, la fusion des quatre principaux fonds en un seul « fonds européen pour le développement régional » contribuerait grandement à la dynamique de clarification et de simplification. Elle accroîtrait la visibilité d'une politique, qui correspond aux priorités de l'Union et qui peut être une réponse économique et sociale concrète à 1'euroscepticisme ambiant.

La politique de cohésion régionale représente une valeur ajoutée européenne indéniable, dont l'impact positif sur le terrain local n'est pas contestable. Il est essentiel d'aboutir rapidement, avant la programmation 2021-2027, à une simplification radicale de ses règles. C'est une démarche indispensable à son appropriation par les porteurs de projets et les bénéficiaires, pour qu'elle donne la pleine mesure de ses potentialités auprès des citoyens européens.

M. Jean Bizet, président. - Je remercie l'ensemble des rapporteurs de leur travail sur ce vaste et important dossier, qui est directement lié au bon fonctionnement du marché intérieur, sans cesse évoqué.

Même si les comparaisons ne sont pas aisées, je note que selon un certain nombre d'études, les échanges entre les différents États des États-Unis d'Amérique sont quatre fois supérieurs à ceux qui existent entre les États membres de l'Union européenne. Certes, nous ne sommes pas un État fédéral...

En tout cas, ces questions doivent être abordées avec rationalité et efficacité, en particulier dans l'optique de la sortie du Royaume-Uni.

Mes chers collègues, avez-vous des remarques à formuler, en particulier sur la proposition de résolution qui vous a été adressée ?

M. Didier Marie. - Je souhaite faire deux courtes remarques. Au point 13 de la proposition de résolution, qui évoque une réglementation de qualité, ne pourrions-nous ajouter, outre le respect des normes sociales, leur « promotion » ? Il me semble que nous pouvons être offensifs, et pas seulement défensifs, sur cette question. Au point 37, pouvez-vous m'indiquer ce que vous entendez par « la mise en place d'un fonds européen unique pour le développement régional » ?

M. Jean Bizet, président. - Je consulte la commission. Il me semble que tout le monde est d'accord pour la proposition de modification du point 13.

En ce qui concerne votre seconde question, il est proposé de simplifier les fonds existants, en les fusionnant. Il s'agit d'une demande de l'Association des régions de France, qui me semble judicieuse à partir du moment où les régions sont les autorités de gestion des fonds européens.

M. Philippe Bonnecarrère. - C'est en effet un élément important : soit nous allons vers une harmonisation des méthodes entre les différents fonds, soit il faut les fusionner pour permettre une gestion globale.

Ce sujet relève certes de l'Union européenne, mais il soulève aussi une question strictement française. Les contradictions sont très fortes entre le FEADER, qui reste du ressort du ministère de l'agriculture, et les autres fonds. Nous n'avons même pas les mêmes logiciels de gestion. Qui plus est, on connaît bien les défaillances du logiciel Osiris du ministère de l'agriculture.

M. Alain Vasselle. - La proposition concernerait-elle tous les crédits en matière agricole et entraînerait-elle une fongibilité ? Dans cette hypothèse, nous devons être particulièrement vigilants pour les crédits dédiés à l'agriculture, qui risquent de faire les frais de cette évolution.

M. Philippe Bonnecarrère. - Nous n'en sommes pas encore aux modalités concrètes, mais il faut savoir que la situation actuelle est peu favorable aux crédits en matière agricole, puisque le taux d'exécution du FEADER est médiocre. Comme vous le savez, les retards sont considérables. De nos entretiens préparatoires, il est ressorti qu'en fait, le ministère de l'agriculture n'a jamais accepté la délégation des crédits et fait blocage. On peut penser que le mauvais fonctionnement d'Osiris va durer un certain temps... Le monde agricole n'aurait donc rien à perdre à un fonctionnement plus opérationnel. Certes, une telle opération ne résoudrait pas tous les problèmes, mais elle constitue une piste raisonnable pour alléger le carcan réglementaire, non pas européen, mais français, qui existe en la matière.

Mme Patricia Schillinger. - Je remercie les rapporteurs, notamment Simon Sutour, d'avoir abordé la question des transfrontaliers, en particulier de ceux qui vivent près de la Suisse, de l'Allemagne ou de la Belgique. Mais ceux qui habitent à côté de l'Italie ou de l'Espagne, dont on parle beaucoup moins, vivent-ils les mêmes problématiques ? Nous pourrions, le cas échéant, apprendre de ces exemples, si certaines choses fonctionnent bien.

M. Jean Bizet, président. - Les interdépendances économiques et humaines sont moins fortes avec ces pays. Je vous rappelle qu'à la suite de notre déplacement à Strasbourg, j'ai adressé un courrier au secrétaire d'État chargé des affaires européennes pour lister les points problématiques pour les transfrontaliers. À nous de faire le point régulièrement sur ces sujets !

M. Simon Sutour. - Mon département est proche tant de l'Italie que de l'Espagne et il est vrai que nous avons des bassins d'emploi différents, contrairement à ce qui peut se passer à côté de la Suisse, de l'Allemagne, de la Belgique ou du Luxembourg. Nous avons des frontières géographiques souvent marquées et il n'existe pas de phénomène transfrontalier massif comme avec ces pays.

Mme Gisèle Jourda. - Il existe aussi des raisons historiques, que ce soit la guerre civile en Espagne ou le fascisme en Italie. Le contexte est différent et, finalement, la notion de transfrontalier n'existe pas vraiment. Certaines personnes s'installent de l'autre côté de la frontière, mais il n'y a pas de mouvements journaliers comme avec la Suisse.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne, dans la rédaction suivante :


Proposition de résolution européenne

(1) Le Sénat,

(2) Vu l'article 88 4 de la Constitution,

(3) Vu les articles 2 et 4 du traité sur l'Union européenne ainsi que les articles 67,69 et 73 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

(4) Vu l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

(5) Vu l'accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, la Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer » du 13 avril 2016,

(6) Vu la communication de la Commission européenne intitulée « Améliorer le marché unique : de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises » du 28 octobre 2015 (texte COM (2015) 550 final),

(7) Vu la communication de la Commission intitulée « Concrétisation du programme pour le marché unique en faveur de l'emploi, de la croissance et de l'investissement » du 1er juin 2016 (texte COM (2016) 361 final),

(8) Vu les conclusions du Conseil de simplification du gouvernement français du 1er juin 2015,

(9) Considérant que la simplification des normes européennes dans toutes leurs composantes et un élément de refondation de l'Europe dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une plus grande adhésion des citoyens à l'Union ;

(10) Rappelant qu'en vertu de l'article 5 du traité sur l'Union européenne, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive « l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ;

(11) Considérant l'importance prise par la normalisation volontaire sous mandat de la Commission, dans l'élaboration du droit européen pour de nombreux secteurs d'activités ;

(12) Concernant le processus normatif européen en général et le marché unique :

(13) Considère qu'une réglementation de qualité est le gage à la fois du fonctionnement optimal de l'Union et de la compétitivité de l'économie européenne et que, dès lors, elle doit toujours être conçue pour durer et favoriser l'innovation, dans le respect et la promotion des normes sociales, environnementales, de sécurité et de protection des citoyens ;

(14) Est d'avis que le principe de subsidiarité, auquel il réaffirme son attachement, doit guider en permanence l'élaboration de la réglementation européenne ;

(15) Estime indispensables une véritable implication des administrations nationales compétentes dans la mise en oeuvre de l'initiative commune sur la normalisation de la Commission et une meilleure articulation des mesures nationales de simplification des normes, applicables tant aux entreprises qu'aux particuliers avec l'initiative « Mieux légiférer » ;

(16) Juge que le processus normatif européen doit systématiquement prendre en compte les spécificités des PME et TPE de manière à éviter de leur imposer des charges administratives et à les alléger le plus possible ; à cette fin, appelle de ses voeux une mise en oeuvre systématique, harmonisée et structurée du « test PME », qui prenne en compte les quatre étapes de la procédure : la consultation des représentants des PME, l'identification des entreprises concernées par le projet de norme, la mesure des impacts directs et indirects de ce projet sur les PME et la recherche de mesures alternatives ;

(17) Considère que le processus normatif européen doit constituer une priorité de l'initiative « Mieux légiférer » et qu'à ce titre elle doit être évaluée par la plateforme REFIT afin de simplifier les normes existantes et d'établir des normes nouvelles répondant aux principes de la « réglementation intelligente » ;

(18) Est favorable à ce que le processus normatif européen fasse l'objet d'une procédure de consultations préalables transparentes, largement ouvertes, y compris aux PME et TPE, que ces consultations fassent l'objet de comptes rendus plus transparents quant à la nature des participants et accessibles dans toutes les langues officielles de l'Union européenne ;

(19) Demande qu'une attention particulière soit portée à la qualité des études d'impact préalables à l'élaboration de la réglementation, qui doivent être objectives, accessibles dans toutes les langues officielles de l'Union, complètes et fiables et prendre en compte les résultats des évaluations ex post précédemment réalisées sur le même sujet ;

(20) Considère que ces études d'impact doivent aussi concerner les actes délégués et actes d'exécution de la Commission, dès lors qu'ils précisent la portée concrète de la législation européenne ;

(21) Considère que le processus de transposition des directives doit être anticipé au moins dès la négociation du texte européen et que les études d'impact nationales doivent justifier les écarts de transposition, en prenant en compte les enjeux de compétitivité vis à vis des autres États membres ;

(22) Demande qu'une réflexion globale soit consacrée à tout ce qui pourrait simplifier la vie quotidienne des citoyens européens et notamment les transfrontaliers, qu'il s'agisse de la santé, de l'emploi (notamment de la reconnaissance des diplômes) ou des prestations sociales ;

(23) Considère que la réglementation du marché unique doit faire l'objet d'évaluations ex post régulières, qui auront notamment pour objectif d'apprécier l'adaptation de cette réglementation sur le long terme et de fixer des cibles de réduction des charges administratives ;

(24) Souhaite que le comité d'examen de la réglementation réalise un examen approfondi et objectif de la qualité des études d'impact préalables et des évaluations ex post relatives à la réglementation européenne pour en tirer des conséquences opérationnelles en matière de simplification des normes et de réduction des charges administratives ;

(25) Estime indispensable de supprimer les obstacles nationaux injustifiés ou disproportionnés, de manière à favoriser la prestation transfrontalière de services ; appelle à cette fin à une application complète de la directive « services » dans l'ensemble des États membres et des secteurs concernés ;

(26) Souhaite que les parlements nationaux soient précisément informés des objectifs assignés à la carte européenne de services envisagée par la Commission et de sa valeur-ajoutée par rapport aux dispositions existantes de la directive « services » ; estime, dès lors que son utilité serait démontrée, que cette carte européenne de services doit être dématérialisée et limitée à un instrument de simplification des procédures administratives visant à faciliter la prestation de services ; refuse catégoriquement qu'une telle carte soit l'occasion d'introduire le principe du pays d'origine dans le secteur des services ;

(27) Souhaite que les textes élaborés sous mandat de normalisation de la Commission soient adoptés en prenant davantage en compte les États membres effectivement impliqués dans les travaux et considère en outre que les normes volontaires européennes rendues obligatoires par le gouvernement français devraient être accessibles gratuitement ;

(28) Concernant l'environnement et la politique énergétique :

(29) Souhaite que soit évitée à l'avenir toute disposition tendant à imposer aux États membres des contraintes ayant pour objet de restreindre leurs compétences dans la détermination du bouquet énergétique national, sauf à emprunter la procédure législative spéciale aboutissant à un texte adopté à l'unanimité par le Conseil, conformément à l'article 192 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

(30) Demande d'écarter systématiquement du droit de l'Union les dispositifs analogues à ceux inscrits dans la directive RoHS, qui institue des interdictions de principe assorties d'exemptions à l'effet limité dans le temps, même en l'absence de tout progrès scientifique ou technique ;

(31) Concernant la politique régionale :

(32) Invite la Commission à pérenniser la politique de cohésion territoriale, fondée sur une gestion partenariale des objectifs agréés entre la Commission, les États membres et les régions, grâce à des cofinancements européens et nationaux ; à maintenir en conséquence, dans le budget européen, des ressources suffisantes et stables en faveur de cette politique ;

(33) Invite la Commission à engager une politique résolue destinée à simplifier les règles qui régissent la mise en oeuvre des fonds européens structurels et d'investissements et à les établir sur des bases stables pour instaurer une indispensable sécurité juridique ;

(34) Demande au Gouvernement de donner des instructions précises aux administrations concernées, afin de faciliter la mise en oeuvre de cette politique et d'éviter de superposer des réglementations nationales non nécessaires aux textes issus de la Commission ;

(35) Estime que, dans cette démarche, la Commission doit s'appuyer sur des principes clairs : la proportionnalité des contrôles financiers à l'importance des budgets programmés ; l'harmonisation, entre les différents fonds européens, des règles concernant les aides d'État et les marchés publics ; la préservation, dans le montage des programmes, d'un juste équilibre entre les instruments financiers et les subventions, dans l'intérêt des politiques publiques ; l'évaluation des projets axée davantage sur les résultats que sur la seule conformité à une règlementation administrative excessivement exigeante ;

(36) Invite la Commission à engager une démarche de différenciation dans la politique de contrôle et d'audits, selon l'expérience et l'acquis des États membres en matière de contrôle administratif et d'audits des comptes publics ;

(37) Préconise la mise en place d'un fonds européen unique pour le développement régional, en remplacement des fonds structurels actuels ;

(38) Concernant la justice et les affaires intérieures :

(39) Constate avec satisfaction que le traité de Lisbonne a radicalement simplifié l'architecture institutionnelle de l'Union européenne en fusionnant les trois anciens « Piliers » européens et notamment le troisième « Pilier » relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale ;

(40) Appelle de ses voeux un recentrage des priorités de l'Union sur la sécurité des citoyens européens, priorité absolue qui justifie et implique un renforcement considérable de la coopération policière et judiciaire en Europe, en lui donnant l'occasion d'apporter une véritable valeur ajoutée aux actions de renseignement, de prévention et de répression conduites par les États membres ;

(41) Estime qu'un parquet européen apporterait une contribution essentielle au renforcement nécessaire de la coopération judiciaire en Europe, dès lors que son champ de compétence serait étendu à la criminalité grave transfrontière et au terrorisme ;

(42) Juge que le succès du mandat d'arrêt européen devrait inciter l'Union européenne à développer puis systématiser les instruments de reconnaissance mutuelle dans le domaine judiciaire ;

(43) Invite le Gouvernement à prendre en compte et mettre en oeuvre l'ensemble des orientations exprimées dans ces différents domaines et à les faire valoir dans les négociations en cours.