COM(2022) 658 final  du 29/04/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


v Proposition de règlement modifiant les règlements (CE) n 767/2008, (CE) n 810/2009 et (UE) 2017/2226 du Parlement européen et du Conseil, les règlements (CE) n 1683/95, (CE) n 333/2002, (CE) n 693/2003 et (CE) n 694/2003 du Conseil ainsi que la convention d'application de l'accord de Schengen, en ce qui concerne la numérisation de la procédure de visa (COM (2022) 658)

1) Bref rappel sur la politique commune des visas

Comme le rappelle l'exposé des motifs de la présente proposition, « la politique commune des visas constitue un élément essentiel pour garantir la sécurité et le bon fonctionnement des frontières extérieures de l'espace Schengen. »

La politique commune des visas est fondée sur les dispositions des articles 77, paragraphe 2, point a, et 79, paragraphe 2, point a, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoient que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent des mesures portant sur « la politique commune des visas et d'autres titres de séjour de courte durée » et sur « les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée... ».

Dans ce cadre, un code communautaire des visas, fixé à l'heure actuelle par le règlement (CE) 810/2009 du 13 juillet 2009, est entré en vigueur en 2010. Un an plus tard, le système d'information sur les visas (VIS)1(*), qui recueille l'ensemble des informations relatives aux demandeurs et aux demandes de visas, a été mis en place.

À l'heure actuelle :

-sauf exceptions limitativement énumérées dans le code2(*), une demande de visa est examinée par le consulat territorialement compétent de l'État membre sollicité par le demandeur. En principe, ce consulat se prononce sur cette demande dans un délai de quinze jours ;

-sauf urgence, les demandes de visas doivent être introduites au plus tôt six mois et au plus tard quinze jours avant le début du voyage envisagé ;

-lorsqu'il introduit une demande, le demandeur doit se présenter en personne avec plusieurs documents, dont un document de voyage d'une durée de validité d'au moins trois mois et délivré depuis moins de dix mois ;

-le consulat de l'État membre sollicité recueille alors sa photographie et ses dix empreintes digitales. Il saisit les données relatives au demandeur et à sa demande dans le VIS ;

-le demandeur soumet alors au consulat un formulaire de demande, rempli à la main ou par voie électronique, et acquitte des droits de visa (dont le montant est aujourd'hui, sauf exceptions, de 80 euros ; le montant de ces droits de visa peut être modifié par la Commission européenne, par un acte délégué). Si la demande est recevable, le consulat appose un cachet sur le document de voyage du demandeur ;

-le consulat vérifie alors si le demandeur respecte les conditions d'entrée dans l'espace Schengen (fiabilité du document de voyage ; justification, objet et conditions du séjour envisagé ; absence de signalement dans le système d'information Schengen ; absence de menace pour l'ordre public, pour la sécurité intérieure ou pour la santé publique...) en consultant le VIS. Si le demandeur ou ses documents ne répondent pas à ces exigences, le visa est refusé. Si, en revanche, le visa est accordé, une vignette-visa est apposée sur le document de voyage du demandeur. Dans les deux cas cependant, les informations pertinentes doivent être saisies dans le VIS.

Le code communautaire des visas encadre également les modalités de coopération entre États membres et avec les services compétents, ainsi que les règles de prolongation, d'annulation ou d'abrogation de visas, et l'organisation des services des visas.

A l'heure actuelle, le traitement des visas est partiellement numérisé mais deux étapes (la demande de visa et la délivrance du visa sous forme d'une vignette-visa) continuent de s'effectuer sur support papier. C'est pourquoi, depuis 2017, États membres et institutions européennes ont débattu de l'opportunité de passer à une numérisation intégrale de la procédure. Au cours de ces débats, plusieurs faiblesses du droit en vigueur ont en effet été relevées :

-une fragmentation dans les pratiques nationales de délivrance des visas et des coûts de gestion élevés liés au traitement des demandes sur papier ;

-une fragilité de l'actuelle « vignette-visa » à l'égard des falsifications, fraudes et vols, en dépit de l'ajout d'un « code-barres 2D » depuis le 1er mai dernier ;

-un risque identifié de « visa shopping » par les demandeurs, l'hétérogénéité des procédures de demandes de visa pouvant inciter un demandeur à demander un visa auprès d'un État membre dont la procédure de traitement des demandes est plus rapide plutôt qu'auprès de l'État dans lequel il souhaite se rendre réellement.

La fragmentation dénoncée des procédures ne semble pas à elle seule un argument très convaincant (car elle est consubstantielle à la compétence des États membres en matière de délivrance de visas), à la différence de ceux relatifs aux risques de fraudes et de « visa shopping ». Il est toutefois dommage que l'exposé des motifs de la proposition n'appuie pas ses affirmations par des éléments concrets.

2) La proposition de règlement COM (2022) 658 final

La proposition de règlement tend à modifier plusieurs textes européens, au premier rang desquels le code communautaire des visas (article premier) et le règlement précité (CE) n°767/2008, pour instituer la numérisation de la procédure de visa.

Les principaux éléments de cette réforme sont les suivants :

-institution d'une obligation d'effectuer les demandes de visas par l'intermédiaire d'une plateforme de l'Union européenne (article premier de la proposition modifiant l'article 9 du code communautaire des visas) ;

-instauration de la plateforme précitée dont le développement et la gestion opérationnelle seraient assurés par l'agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA). Dans les faits, la proposition détaille les modalités de numérisation : les informations devant être mises à la disposition du demandeur ; des communications sécurisées avec le consulat ; des prises de rendez-vous (mise en place d'un outil de gestion) ; l'établissement des demandes de visas (formulaire de demande en ligne) ; une partie des opérations de vérification (vérification préalable automatisée de la recevabilité) ; et le paiement des droits de visa (article 2 de la proposition modifiant le règlement (CE) n°767/2008) ;

-mise en place d'un visa numérique, pour les courts séjours comme les longs séjours, qui rendrait inutile la vignette-visa physique (article premier de la proposition introduisant un article 26 bis dans le code communautaire des visas) ;

-dispositions particulières applicables aux demandeurs de visas membres de la famille de ressortissants du Royaume-Uni bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (article premier de la proposition modifiant l'article premier du code communautaire des visas).

Au regard du principe de subsidiarité, la proposition de règlement est fondée sur des bases juridiques pertinentes, plus particulièrement les articles 77, paragraphe 2, relatif aux visas et titres de court séjour, et 79, paragraphe 2, relatif aux visas et de titres de séjour de longue durée, déjà évoqués.

De surcroît, la proposition apporte une réelle valeur ajoutée européenne pour fluidifier les démarches des demandeurs de visas et renforcer la coopération des autorités compétentes par une harmonisation accrue des procédures.

L'argument du gain de sécurité bénéficiant de cette numérisation, avancé par la Commission européenne, est, en revanche, moins probant, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), cité dans l'exposé des motifs de la proposition, ayant rappelé que « plus le degré de numérisation des options est élevé, plus les risques pour la protection des données sont importants ». Mais il ne revient pas au présent contrôle de subsidiarité de conclure sur ce dernier point.

En revanche, les dispositions de l'article premier de la présente proposition qui complètent les articles 11 et 32 du code communautaire des visas pour permettre à la Commission européenne de modifier les modèles de formulaires de demande de visa et de notification de refus de visa (prévus aux annexes I et VI du code), par la voie d'actes délégués, suscitent une réelle interrogation au regard du principe de proportionnalité.

En effet, il s'agirait d'une compétence nouvelle pour la Commission européenne, qui ne dispose pas de ce pouvoir à l'heure actuelle.

En outre, aucun article du traité ne lui permet de se substituer aux États membres dans cette tâche.

Enfin, une telle délégation excéderait la définition des actes délégués prévue à l'article 290 du TFUE, qui précise qu'ils sont « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ». Or, le contenu des formulaires de demandes de visas et de refus de visa, est au coeur de la procédure de visa et s'apparente donc à un élément essentiel de l'acte législatif.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé d'approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Règlement du Parlement européen et du Conseil (CE) n°767/2008 concernant le système d'information sur les visas (VIS) et l'échange de données entre les États membres sur les visas de court séjour.

* 2 Dans certaines situations, des visas peuvent être délivrés par les autorités centrales des États membres, ou à leurs frontières extérieures, ou encore, dans les territoires ultramarins d'un État membre, par les autorités désignées par lui.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 03/05/2022